Jn 21,1-14,   3e dimanche de Pâques, Pêche miraculeuse

Grandchamp, 4 mai 2025

Deux mondes semblent s’opposer dans notre récit :

la nuit et l’aube

la mer et la terre ferme,

le côté gauche et le côté droit de la barque

le monde d’avant et le monde nouveau

le deuil – ou la perte -, et la joie-

J’aimerais bien prudemment aborder avec vous  deux lectures possibles de ce récit :

  • tout d’abord  ce que vivent disciples (le désarroi, la perte, la peur), et ce qui émane du Christ (la joie, la confiance, et tous les possibles qui sont là)
  • et aussi ce fameux côté gauche de la barque et voir avec vous ce qui se passe du côté droit.

Pour commencer, ce que vivent les disciples et du Christ, que tout semble opposer ici.

Les disciples se retrouvent ensemble après avoir tout perdu lors de la mort en croix de leur Seigneur, leur cœur est en deuil, ils ont perdu : l’épisode de l’apparition du Christ deux semaines de suite, la seconde fois avec Thomas semble oubliée. Une parenthèse de vie heureuse s’est refermée, les voilà de retour dans leur vie d’avant, dans leurs habitudes d’avant, dans leur métier d’avant. Au moins, être ensemble leur permet de ne pas rester seuls dans dans ce qu’ils vivent, et c’est déjà une consolation. Maigre pourtant.

On pourrait dire qu’il sont revenus dans leur zone de confort et de compétences : ils pêchent (ça, ils savent le faire). Comme toujours, sauf qu’avant, ça marchait, et là, malgré leurs effort, ça ne marche plus du tout. Demeurer dans leur zone de confort par peur les conduits à une impasse.

Sur la terre ferme cette fois, le Christ se tient seul, debout et vivant. Il a travaillé dans l’ombre, discrètement : il a pêché peut-être lui-même des poissons et façonné le pain, ramassé le bois, fait le feu et attendu qu’il devienne braise. Tout cela non pas pour lui, mais pour eux. Ayant tout préparé, comme à son habitude, il amorce le dialogue : «vous n’avez pas un peu de poisson ?».

Deux mondes paraissent s’opposer, je l’ai dit :

Le monde de l’habitude et de la perte, du désarroi, peut-être de la peur : ce qui marchait ne marche plus, mais ça occupe, ça distrait, et de toute manière, ils sont dans l’incapacité d’entrevoir d’autres options…

Et le monde de la nouveauté, de la vie où tous les possibles sont là ; le monde de l’aube, de la terre ferme, du feu de braise et de la nourriture partagée.  Pour entrer dans ce monde-là, il faut que les yeux et le coeur s’ouvrent, il faut «changer de niveau de conscience», il faut la rencontre avec le Christ.

La peur (ou le désarroi, la perte) des disciples bloque tout. La peur n’ouvre sur aucune nouveauté, aucun changement de perspective. Parce que la peur est une énergie ou une vibration basse, qui empêche tout renouveau possible. Elle les fait rester dans le manque : une nuit à jeter les filets pour ne rien prendre.

A l’opposé, la joie et la vie du Ressuscité, elle, sont créatives, communicatives. La joie permet aux désirs les plus profonds de se réaliser. La joie est une énergie, une vibration haute, qui ouvre et permet tous les possibles. C’est le physicien Philippe Guillemant qui développe cette idée, très porteuse spirituellement.

La réalité de Pâques se réalise quand la nuit des disciples et l’aube du Christ se rejoignent, quand le dialogue se noue entre eux, quand les habitudes stériles sont rejointes par la créativité du Vivant, quand le deuil des disciples est touché par le Vivant. La réalité de Pâques, c’est ce va-et-vient entre la mer et la terre ferme : Eh les enfants, vous n’avez pas un peu de poisson ? Non ! Jetez les filets de l’autre côté et vous trouverez (là, on n’a pas la réponse des disciples, mais je me suis demandé ce qu’ils ont bien pu penser à ce moment-là…), puis tout d’un coup «C’est le Seigneur» et ça continue :  Pierre s’habille et se jette à l’eau (on aurait pu imaginer le contraire, mais bon…), les disciples reviennent sur la rive, Pierre remonte dans la barque, puis après avoir compté les poissons, ils vont déjeuner : ils savent alors que c’est le Seigneur.

 

Vous voyez tous ces va-et-viens entre ces deux mondes ? La vie circule enfin. Et c’est ce que veut le Christ, rejoindre nos peurs, nos deuils, nos échecs et y insuffler la vie de Pâques afin que tous nos possibles, toutes nos aspirations, puissent se concrétiser.

La seconde lecture que je vous propose se situe sur un plan plus symbolique : elle s’attarde brièvement sur le côté gauche et le côté droit de la barque.

Les disciples jettent leurs filets du côté gauche de la barque, dans la nuit, dans une eau noire où ils ne voient rien. Or, c’est impossible de ne rien prendre en jetant ses filets, impossible de n’attraper aucun poisson car ces eaux (à l’époque) étaient très poissonneuses. Cette impossibilité nous interroge donc.

Il s’agit donc pour les disciples – mais surtout pour nous, Frères et Soeurs – de jeter nos filets du côté droit de nos vies, à la lumière de l’aube (et non plus dans la nuit), à l’invitation du Christ (et non plus tout seuls), et là une grande quantité de poissons vont remonter de nos profondeurs jusqu’à terre ferme. N’est-ce pas là le travail d’une vie entière, puiser dans nos profondeurs, nos ténèbres, nos obscurités, aller voir, faire remonter, accueillir, identifier et nommer ces poissons qui épouvantent parfois. Et il y a du travail, nos eaux intérieures sont tellement poissonneuses ! Mais pas infinies non plus : car après 153, ça s’arrête.

L’Evangile de Pâques nous invite donc, avec le Christ à nos côtés, à nous laisser transformer en regardant tous ces poissons qui remontent. Et vous vous souvenez,  «poisson», ichthus en grec, est l’acronyme de Jésus Christ, fils de Dieu, Sauveur.

Alors bonne pêche, avec le Christ !