Mtt 28,1-10 Col 3,1-14

Le premier jour de la semaine, un ven-dredi malsain aux yeux des hommes, un Vendredi saint aux yeux de Dieu, Marie de Magdala et l’autre Marie (probable-ment la mère de Jacques et Joseph) vien-nent de découvrir le tombeau vide. Crainte et joie les saisissent, lorsque l’évangile ajoute cette surprenante notation Et voici que Jésus vînt à leur rencontre. Cette précision n’a l’air de rien et pourtant elle soulève une ques-tion que souvent l’on ne se pose plus en Eglise, parce qu’on est rassemblé pour un office lorsqu’en entend collective-ment la lecture de ce récit et que l’anor-mal devient normal et ne surprend plus. Pourtant la question qui se pose est la suivante : ce matin-là, d’où vient Jésus ?  Et évidemment, la réponse ne passe pas par la mention d’un lieu.  Il vient bien plutôt d’un non-lieu, de la mort, d’où habituellement on ne vient pas, de la mort d’où on ne revient pas. Et celui qui vient, c’est le Ressuscité ; Jésus vient donc aussi de la vie nouvelle, où person-ne n’est encore allé.

Alors, autant dire qu’elle est abyssale cette petite mention Et voici que Jésus vînt à leur rencontre.

Jésus vient donc d’abord de tout ce qui caractérise l’humain et qui est appelé à trouver un terme. Il vient de tout ce qui est terrestre, limité et en sursis, de tout ce qui marque nos vies, l’inachevé com-me le passager, quelle qu’en soit la du-rée, qu’elle qu’en soit l’intensité. La mort de Jésus a été celle d’un criminel jugé et condamné, tout devait donc s’ar-rêter là, sur une croix. Ce Jésus de Naza-reth a subi un châtiment parce qu’en lui Dieu avait voulu vivre une existence hu-maine. Dieu avait désiré attester de sa proximité. Dieu avait voulu exprimer combien l’humanité comptait à ses yeux. Mais non seulement Dieu en Jésus de Nazareth n’a pas été reçu, mais plus en-core, l’expression offerte de son enga-gement en faveur de l’homme déran-geait. Il fallait donc s’en débarrasser définitivement. La mort se présentait alors comme la solution radicale, car la mort n’est-elle pas celle qui prétend effacer à tout jamais ?

Or voici que Jésus revient d’entre les morts, pour reprendre une expression fréquente dans le Nouveau Testament. Il est revenu du trépas, du tombeau. Dé-sormais par cet homme, tout ce que l’on ne peut avoir que devant soi se trouve derrière lui. Mais il revient non slmt de la mort, mais également de la résurrection d’entre les morts. Et ce témoignage, le Nouveau Testament se borne à attester sans jamais essayer de le décrire, ce qui est décisif. D’ailleurs qu’y aurait-il à décrire ? Dieu n’a ressuscité Jésus ni pour que ns en sachions davantage sur l’au-delà qui intrigue tant, ni pour que soit satisfaite quelque curiosité. Ainsi est-ce dans l’homme visible, audible et tangible, dans cet homme Jésus revenu d’un non-lieu que 2 femmes, puis les disciples vont découvrir que leur maître, jugé, condamné et mis à mort, l’ami abaissé de façon incompréhensible se voit élevé de même manière, tout aussi incompréhensible.

L’au-delà qui fait signe dans la résurrec-tion de Jésus ne désigne pas un monde inconnu, un imaginaire de paradis, ni même une éternité immobile calquée sur l’image inversée de l’écoulement du temps. L’au-delà d’où vient Jésus est sans représentation. Cet au-delà ne relève donc pas d’un savoir. Une fois encore, le savoir s’efface au défi ou plutôt au profit d’une confiance. En ce sens, la résurrection est un accueil et non pas 1 récompense. On ne peut pas la représenter. Et même les icônes de la résurrection ne sont jamais des peintu-res descriptives, mais toujours des fenê-tres ouvrant sur l’intérieur, faisant naître au plus secret, au plus intime, là où Dieu veut se faire présent.

Ainsi, la mention Et voici que Jésus vînt à leur rencontre ne décrit rien que l’on pourrait soupeser et analyser et pour-tant tout se modifie et est appelé à changer. Le mouvement des corps tra-duit le mouvement intérieur. Les 2 Marie, venues pour prendre soin du corps du défunt passent suite à cette rencontre incroyable, elles passent, d’un instant à l’autre, à un tout autre mouve-ment. Tout à coup ce n’est plus leur vo-lonté qui guide leur action, mais celle de Jésus venu à leur rencontre. De suite, elles vont aller annoncer aux frères l’in-croyable et les enjoindre de se rendre en Galilée.

Quant à nous, nous pourrions en rester là, et demeurer comme les voyeurs d’une scène. Or l’évangile n’invite jamais à cela, bien au contraire.

Si ns n’accompagnons donc pas ces fem-mes, c’est que le Ressuscité vient aussi à notre rencontre, pour retourner égale-ment notre mouvement intérieur si sou-vent suscité par nous-même. Or si vous découvrez qu’il vient à votre rencontre, si je perçois cela, votre volonté, ma vo-lonté vont laisser place à la sienne.  Non pas pour un instant ou juste aujourd’hui, mais pour la suite de l’existence. Et nul doute qu’il va nous envoyer vers des frè-res et des sœurs pour partager l’incroya-ble. Et qui sont-ils/elles, sinon ttes ces femmes, tous ces hommes qui croisent notre chemin, qui ne partagent peut-être pas nos convictions, mais qui aspirent tt comme chacun·e d’entre nous à une vie forte.

Certes nos limites ne vont pas s’estom-per, mais le centre s’est déplacé irrémé-diablement. Quelle que soit ma force, ma faiblesse voire mon handicap, ma facilité à partager ou ma difficulté à témoigner. Le Ressuscité m’envoie moins pour que je parle de lui que pour que le mouvement qui me porte expri-me et atteste que c’est Lui qui désormais m’ouvre aux autres comme à moi-mê-me.  Le désir d’accomplir ma volonté devrait baisser en intensité au profit de la sienne. Non pas ma volonté mais la tienne.  Cette rencontre dont aucun·e n’a l’initiative, elle fait tout basculer.

Rien ne dépend plus de moi. Même la mort même perd de sa force. D’ailleurs, elle n’en a que tant que je lui privilégie mon regard et surtout mon regard intérieur. Il vient à votre rencontre. Cela change tout, car la surprise et la joie vous étreignent. Et celles-ci ne sont pas près de vous quitter. Il vient à notre rencontre pour notre plus grande joie. Car personne d’autre que lui, rappelle le poète, ne peut faire de chaque être humain qu’il rencontre une sorte de commencement.et la joie qui nous étreint est imprenable, car il n’y a que lui pour venir ainsi à notre rencontre et allumer l’éternité à tout bout de champ, petit et grand champ. Oui, soyez-en sûres, mes sœurs en Christ… Non, n’en doutez pas, mes frères en Christ : Il n’y a que lui pour printaniser nos heures. Amen