Marie est une jeune fille, peut-être encore une enfant.
Et j’aimerais vous lire un poème qui à mon sens l’évoque si bien. Je
n’y ai apporté qu’une très légère adaptation : j’ai intégré le nom de
Marie. Ces vers sont l’oeuvre d’une poétesse tamoule
contemporaine Malathi Maithri. Ils s’intitulent :
Celle qui assemble les cieux
A l’image du ciel qui emplit
La coquille vide
Après la naissance de l’oisillon
Ainsi le désir emplit
Tout.
Marie assemble
Des morceaux de ciel
dispersés
Par le battement d’ailes
Des oiseaux migrateurs.
Comme un jeu mystérieux.
Le bleu colle à ses mains.
– Malathi Maithri
Il est question de ciel, de naissance, de désir, de mystère, de jeu,
de bleu. Le bleu est la couleur que les peintres ont choisi pour
représenter Marie, évoquant ainsi son affinité avec le ciel.
Celle qui assemble les cieux
A l’image du ciel qui emplit Après la naissance de l’oisillon Marie assemble Par le battement d’ailes Comme un jeu mystérieux.
Le bleu colle à ses mains.
La coquille vide
Ainsi le désir emplit Tout.
Des morceaux de ciel dispersés
Des oiseaux migrateurs.
1 Marie:
Tandis que Zacharie est venu au temple et que c’est là que l’ange
Gabriel lui est apparu, Marie est chez elle, elle ne se déplace pas
pour aller vers Dieu, c’est l’ange Gabriel qui vient à elle. Et on
pressent que l’humble vierge de Nazareth sera mystérieusement
temple du Seigneur.
Après le départ de l’ange, elle part trouver Elisabeth avec un désir
impatient. Littéralement, on peut traduire ainsi l’expression en hâte.
Depuis un certain temps, l’Esprit de Dieu plane, il est avec Jean-
Baptiste dès sa conception. Il couvre Marie. Il offre à Elisabeth de
percevoir la grossesse de Marie et le fabuleux projet de Dieu : « Bénie
es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! Et comment
m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? » Enfin, il
permet à Marie de répondre Magnificat: « Mon âme exalte le
Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur. »
Sous quel angle interpréter ce texte, tant et tant de fois prêché,
pour qu’il révèle son évangile pour nous aujourd’hui ? Eh bien
j’aimerais choisir un point d’ancrage dans notre actualité. Depuis
quelques années, il y a un vent de protestation contre les violences
qui sont faites aux femmes, en particulier dans le domaine sexuel.
Le mouvement me too, mais aussi des faits divers qui ont ébranlé
les interprétations traditionnelles de ce qui était admis, ont ramené
sur la scène publique ce sujet profondément tabou.
Femmes ou fillettes séduites et abusées, contraintes d’accepter des
relations sexuelles dont elles ne veulent pas, violées. Et l’opprobre
retombe sur elles, tantôt elles sont carrément accusées de ce qui
leur arrive ; tantôt elles sont plaintes, mais restent enfermées dans
le rôle de victime impuissante. En tous les cas, une étiquette de
honte leur colle à la peau. À quand le statut de combattante
redoutable, de celle qui se relève plus forte qu’avant, devenue forte
pour elle et pour les autres ?
2 Marie:
Marie est une jeune fille, peut-être encore une enfant.
Devenir enceinte pour une femme qui n’est pas mariée n’est pas
une bénédiction, c’est un terrible malheur qui l’expose à un grand
danger. Elle sera jugée et condamnée. Sa vie dépendra de la
protection qu’on voudra bien, ou non, lui accorder. Peu importera
les raisons qui l’auront amenée là, qu’elle ait été abusée depuis sa
tendre enfance par un membre de sa famille ou qu’elle ait été violée
par un occupant étranger, elle en portera seule toute la honte. C’est
dans ce contexte dramatique que l’ange Gabriel annonce une
naissance à Marie, comme une bénédiction suprême. Marie garde
le magnificat pour plus tard, au moment de l’annonce, elle n’est pas
encore dans la joie, elle obéit. Qu’il me soit fait selon ta parole. Ce
n’est que petit à petit qu’elle peut s’approprier la bénédiction de
Dieu sur ce qui n’en semble pas une, ou sur un malheur bien réel
que Dieu vient transfigurer, le couvrant tout entier de son Esprit. *
Notre passage de l’évangile vient immédiatement après l’annonce
de l’ange Gabriel et poursuit ainsi, vous l’avez entendu : Marie se
leva en ces jours-là et partit en hâte vers les montagnes dans une
ville de Judée. Cette phrase commence par le mot : anastasa. C’est
le verbe anistemi, le même que celui qui désigne la résurrection du
Christ. On peut donc le lire au sens propre comme un simple
déplacement ou au sens figuré comme une résurrection. Elle s’est
relevée, Marie, durant ces jours-là. La parole de l’ange la relève, lui
redonne de l’espérance, lui redonne vie. Elle peut maintenant se
mettre en route pour donner suite à l’annonce de l’ange, visiter
Elisabeth et laisser la bénédiction de Dieu se déployer. Alors la
reconnaissance et la joie jaillissent.
Marie, comblée de grâce. C’est ainsi que l’ange Gabriel salue la
jeune femme : kecharitoomene, celle qui a été couverte de faveur,
qui a été bénie, à qui il a été donné gratuitement. Ainsi, le regard de
3 Dieu s’était déjà posé sur Marie, l’avait transformée en la couvrant
de son don (charis).
Elle est comblée de grâce, comme si elle en était remplie à ras-bord.
La grâce emplit tout l’espace de sa personne. A l’image du ciel qui
emplit la coquille vide, après la naissance de l’oisillon… Plus de place
pour la malédiction. Celle-ci ne concurrence pas la grâce : tantôt
l’une, tantôt l’autre prenant le dessus. Non la grâce emplit tout et
absorbe toute forme de malédiction. Toutes les souffrances de Marie,
passées, présentes, mais aussi à venir et qui culmineront au pied de
la croix, toutes sont teintées par la grâce.
C’est un message d’espérance pour chacune, chacun, d’entre nous.
Cela veut dire que nos malheurs, nos échecs et nos souffrances ne
cohabitent pas avec la grâce, côte à côte dans un espace commun,
se partageant notre vie. Non, la grâce occupe l’entier de notre
paysage intérieur. Non que les malédictions disparaissent, mais elles
sont intégrées, venant nuancer le ton qui donne à chaque existence
son caractère unique et irremplaçable. Pour chaque femme qui subit
ou a subi des violences sexuelles, avec des conséquences
désastreuses qui semblent occuper tout leur espace intérieur, Marie
est l’espérance qu’aucune malédiction ne saurait faire disparaître la
grâce, à aucun moment. La grâce emplit tout. De la même façon, les
nuages ne peuvent que nuancer le bleu du ciel. Le ciel reste le ciel
avec ou sans nuage. Ainsi en va-t-il de la grâce. Elle est la trame de
fond de toute vie.
La grâce emplit tout, elle est désir, elle est mystère, elle est jeu, elle
est bleue. Le bleu colle à nos cœurs.
Amen