Mes sœurs, la tonalité de ce jour pourrait être élan, vitalité, force intérieure joyeuse.
Pourquoi ? – Parce qu’il y a 73 ans, vos premières sœurs ont fait leur profession, pour consacrer leur vie à suivre le Christ, dans une forme d’existence précise, communautaire et religieuse, ici à Grandchamp.
Or, parvenir à rassembler un désir profond dans une décision concrète donne beaucoup de force – même s’il s’agit d’un engagement à l’humilité. D’autant plus de force même, car l’humilité fait de la place pour unir l’élan d’une liberté humaine à la force d’appel venant de Dieu.
Alors, ma prière en ce jour est que chacune de vous, sœurs de Grandchamp, quelle que soit la couleur de votre aujourd’hui, vous puissiez être reliée à la vitalité et à la force joyeuse de votre décision première.
En amont de cette décision, il y a eu, pour chacune de vous, tout un chemin d’écoute, d’ouverture, un labeur intérieur qui vous a conduites à donner votre vie pour que l’Amour du Christ ressuscité soit aimé.
II
Chacune à votre manière, vous avez rencontré Jésus qui fait le choix de se faire pauvre pour ressaisir la vie du monde ; vous l’avez suivi dans une rencontre silencieuse jusque sur le seuil de sa Passion ; vous vous êtes laissées saisir par l’espérance invincible jaillie de sa Résurrection. En tout cela, vous avez perçu un appel plus décisif que toutes les formes de résistances à cet appel.
En présence de Dieu qui se donne, vous avez laissé son Amour et sa vérité vous convaincre.
Ce jour de mémorial vous relie donc à la force d’une décision, à l’élan de votre liberté engagée dans un projet déterminé, comme on pose l’acte de semer le grain dans un champ, en portant en soi la vision des épis gagnant l’horizon.
Et de fait, la profession des premières sœurs a bien vite attiré d’autres sœurs. Un foyer de vies humaines était créé, pour donner un signe visible de communion. Apparaissaient les contours d’un lieu où dans le silence, sans aucun bruit de marteaux, des pierres vivantes construisaient un hameau de prière, un biotope de non-violence, un théotope d’espérance.
Ce jour mémorial des premiers engagements à vie nous invite tous à prendre la mesure de la grâce qui habite le don de soi à Dieu, qui le premier se donne. Quelle vitalité et quelle joie sont concentrées dans l’offrande de soi !
Se donner librement coïncide très profondément avec la joie et l’élan de l’enfant qui découvre qu’il peut faire un cadeau !
Et voici que l’apôtre Paul nous entraîne en tant qu’adultes à reconnaître dans le don de nous-mêmes une réalité qui appartient déjà à la résurrection !
« Présentez-vous à Dieu comme des vivants, des vivantes, revenu.e.s d’entre les morts. »
Pensez ici à l’icône de l’amitié du Christ. Le Ressuscité entoure de son bras les épaules de son disciple, de sa disciple. Nous accompagnant ainsi, il nous invite à avancer avec lui, car il veut lui-même nous présenter à son Père, comme des vivants revenus de la mort.
L’apôtre nous encourage : « Présentez à Dieu vos membres – tout votre être, toutes vos facultés, toutes vos possibilités- présentez-les à Dieu comme des armes au service de la justice »(Rm. 6, 13b).
La justice, c’est ici la vie du juste, Jésus-Christ. Lui, le soleil de justice qui brille à l’horizon. Et dans chaque aujourd’hui, il règne avec humilité en raison de son amour et de sa patience ; il règne avec une force créatrice de communion, qui est aussi force de résistance au mal.
Tout cela vient de Dieu, à qui nous rendons grâce. Car, dit l’apôtre, « vous avez maintenant obéi de tout votre cœur au modèle présenté par l’enseignement qui vous a été transmis. Libérés du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice. »
Sœur Geneviève commente ainsi : « Quiconque se présente à Dieu et offre comme un don son esprit ne juge plus, ne critique plus, ne doute plus, devient humilité ;
Qui présente à Dieu et offre comme un don son cœur n’est plus avide, exigeant, insatisfait, devient amour ;
Qui présente à Dieu et offre comme un don sa volonté n’est plus personnel, autoritaire, orgueilleux, devient obéissance. Alors l’Esprit Saint peut s’emparer de tout l’être et en faire une flamme. » Ainsi soit-il !
