Chers frères et sœurs,

Les textes de ce dimanche nous parlent des riches. Aucun de ces textes ne condamne la richesse en soi, mais tous mettent en garde contre la cupidité et les risques de mettre sa confiance dans les biens matériels et l’argent. La Première Lettre à Timothée dit ainsi sans ambages que « la racine de tous les maux est l’amour de l’argent » (1 Tm 6,10). Ceux qui possèdent de grand bien risquent de s’enorgueillir et de mettre leur espoir dans des richesses incertaines (1 Tm 6,17). Le risque, c’est l’autosuffisance. Grâce à ce que j’amasse, je me crois en sécurité. Or c’est une sécurité incertaine. La guerre, un incendie, un tremblement de terre, un effondrement de la bourse ou la faillite d’une banque peuvent me ruiner en un rien de temps.

Mais le risque de tout perdre n’est pas le risque principal que veut souligner la Lettre à Timothée. Nous mourrons tous un jour et nous perdrons tout. L’impermanence du monde matériel est le lot commun de chacun et le bouddhisme a bien souligné que d’y être attaché nous expose à des souffrances dont on peut se libérer en se détachant de l’attrait des biens de ce monde. Si l’on en restait là, ce serait une question à résoudre entre soi et soi : veux-tu diminuer les sources de souffrance en te détachant ?

Les textes de ce dimanche vont plus loin que d’avertir sur les souffrances qui attendent ceux qui s’attachent à ce qui est impermanent. Les textes de ce dimanche mettent en lumière le danger principal qui guette les riches : à force d’avoir les yeux fixés sur l’appât du gain et sur leurs possessions, les riches risquent de ne plus voir ceux qui ont moins et ceux qui n’ont rien. Cela peut aller jusqu’à les tromper, les exploiter, les traiter comme des marchandises. Le prophète Amos est sévère à l’égard des élites du royaume d’Israël, telles qu’il les voit se comporter à son époque. Au chapitre 8 lu dimanche dernier, il fustigeait les marchands qui faussent les balances et qui pratiquent la traite de leurs semblables : ils achètent un pauvre pour le prix d’une paire de sandales. Au chapitre 6 lu aujourd’hui, il décrit les autorités qui vivent dans le luxe, laissent aller le pays à la ruine et n’en ressentent aucun tourment.

La richesse peut centrer sur soi et boucher la vue sur la misère de ceux qui n’ont rien. C’est aussi ce qui est reproché au riche de la parabole que Jésus raconte. Il y a un pauvre du nom de Lazare qui git à sa porte et personne ne s’en soucie. Ce n’est que quand le riche se trouve au séjour des morts qu’il lève les yeux et regarde Lazare. Là, on découvre que le riche avait bien dû connaître l’existence de Lazare puisqu’il connaît son nom. Mais il l’a ignoré. Son confort l’avait rendu insensible à la misère de Lazare. Il comprend bien que c’est là la cause de son tourment actuel. Ainsi, quand Abraham lui dit qu’il est maintenant impossible que Lazare vienne l’en soulager, il demande alors que Lazare soit envoyé auprès de ses cinq frères pour les avertir.

Pour les avertir… Mais les avertir de quoi ? Le texte ne le dit pas. Comme si cela était si évident qu’il n’y avait pas besoin de le dire explicitement. Le problème n’était pas la richesse, mais le manque d’humanité du riche à l’égard de Lazare, l’absence de relation qui respecte la dignité de Lazare, l’absence de compassion face à sa faim et à ses plaies.

La Première Lettre à Timothée dit que quand on fuit l’amour de l’argent, alors on est capable de rechercher la justice, la piété, la foi, l’amour, la persévérance et la douceur. A l’inverse, l’amour de l’argent engendre des relations injustes, qui bafouent la piété, sans foi, sans amour, versatiles et dures. C’est pourquoi, quand nous constatons que nous nous comportons de manière injuste à l’égard de ceux qui nous entourent ou que nous avons soudain des paroles ou des gestes durs à leur encontre, cela devrait nous alerter. Qu’est-ce qui est en train de me séduire et de capter toute mon attention, au point que je me mets à maltraiter ceux qui sont à ma porte ? De même, lorsque nous sommes prêts à considérer soudain comme sans valeur des objets, coutumes ou lieux pour lesquels nous avions jusque-là une dévotion, il vaut la peine de nous interroger sur ce qui a pu brusquement nous rendre si irrespectueux. Quels sont nos mobiles, qui justifient brusquement des comportements qui ne manifestent plus aucune considération pour ce que nous respections jusque-là ? Ou si nous perdons toute constance, prêt à tout bousculer dans un sens puis dans un autre, sans motif clairement apparent, juste en nous rassurant nous-mêmes que c’est ainsi que l’on peut se prouver qu’on est libre. On achète des affaires pour les revendre, on saute d’une relation affective à une autre, d’une communauté religieuse à une autre, etc. Qu’est-ce qui m’anime secrètement ? Me voici soudain comme si j’étais devenu sans foi en Dieu ou dans les autres. Dans quel « Bien » suis-je en train de mettre ma foi ? Ou me voici devenu comme sans amour de Dieu ou des autres, mais mettant mon amour dans l’argent ou une autre forme de richesse ? Oui, tous ces comportements devraient être des alertes qu’il y a anguille sous roche. Je me suis attaché à un bien que je veux posséder à tout prix, et donc je suis prêt à tout au mépris des autres et tout spécialement de ceux qui n’ont que de pauvres moyens pour accéder à une vie bonne sans la solidarité de ceux qui les entourent.

Car l’amour qui nous attache à mort, n’est pas seulement l’amour de l’argent. Il y a d’autres formes de richesses qui ne sont pas les biens que Dieu dispense en abondance (1 Tm 6,17). On peut être obnubilé par la recherche de l’admiration des autres, par la recherche d’une réputation, par l’exercice du pouvoir. Quel est le bien, ou plutôt le pseudo-bien, dont la recherche m’amène à devenir dur à l’égard des autres, sans pitié, prêt à les tromper, à m’en méfier… ?

A l’opposé de l’amour qui nous attache à mort, il y a l’amour qui engendre la vie, qui suscite des liens vivants où l’autre, les autres deviennent des partenaires pour construire un monde plus juste où l’on peut vivre en paix. Cet amour commence à germer dans notre cœur quand nous nous mettons à l’écoute des commandements de Dieu, des lois de vie disait Simone Pacot, des repères qui nous aident à trouver notre juste place. Écouter la voix de Dieu au milieu de toutes les voix qui s’élèvent autour de nous n’est pas toujours simple. La Première Lettre à Timothée parle du beau combat de la foi. Il s’agit d’un acte intérieur, du choix de mettre toute sa confiance dans la Parole que Dieu nous adresse, à chacun de nous personnellement. C’est actif, un choix à refaire parfois plusieurs fois par jour. Oui, un combat pour dire à Dieu et à nous-même, parfois aussi à haute voix devant les autres : je crois. Je crois dans ce Dieu dont Jésus est le visage que nous pouvons contempler à taille humaine. Je crois dans ce Dieu si humble qu’il a parlé par la bouche d’un homme qui venait de la périphérie mais qui cependant ne craignait pas de se considérer comme son fils bien aimé. Je crois dans ce Dieu qui, en Jésus, s’est livré entre nos mains. Je crois en ce Fils de Dieu qui raconte une parabole qu’il conclut en disant que même si un homme ressuscite des morts, ce que cet homme enseignera ne convaincra que ceux qui l’auront déjà été à l’écoute de la loi de Moïse et des prophètes (Lc 16,31). La conclusion de la parabole s’est parfaitement accomplie à la résurrection de Jésus. N’ont mis leur foi en lui que ceux qui ont reconnu en lui l’accomplissement de ce qu’annonçait la foi d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, la loi de Moïse, les prophètes d’Israël. Accomplissement si puissant qu’il a traversé les siècles jusqu’à nous, mais si fragile qu’il paraît sans apparence dans le tumulte du monde.

Alors vous aussi, femmes et hommes de Dieu, fuyez ce qui vous égare loin de cette foi. Combattez le beau combat de la foi, conquérez la vie éternelle, mettez votre espérance en Dieu qui nous dispense tous les biens véritables en abondance.