Prie et aime

Nouvelles de Grandchamp 2025

« Prie et aime !
Vivre la croix et la résurrection au quotidien ».

C’est le thème qui nous accompagne depuis cet été. Il nous vient de nos premières sœurs, titre de la Règle de vie que sr Marguerite avait esquissée en 1941 pour la communauté naissante. On aurait pu s’attendre à Prie et travaille… Mais Prie et aime ! dit l’essentiel. La prière ne se sépare jamais de l’amour. Elle prend corps dans l’attention, la solidarité, l’accueil de la vie sous toutes ses formes. « Le travail, l’œuvre que Dieu a confiée à Jésus, c’est d’aimer jusqu’à la fin, (cf. Jn 13,1) », nous disait fr. Richard dans notre retraite. « Prier, travailler, aimer c’est tout un dans la vie de Jésus, et donc aussi dans la nôtre. »

Des témoins de cet amour, nous en avons dans notre histoire communautaire comme sr Marguerite et Mère Geneviève. Elles ont osé accueillir les ombres, même la plus grande, celle de la mort, avec amour. Alors, elles ont fait l’expérience d’une vie nouvelle, d’une résurrection. Mère Geneviève écrivait ainsi, après la mort tragique de son mari Léopold :

« Mon bien-aimé était là, […] ses traits revêtus du grand froid de la mort. […] Quand cela faisait trop mal, je sortais pour me laisser aller à ma détresse. Auprès de lui, c’était le silence sacré que je n’osais pas troubler. Les heures passèrent, seule avec lui et ma Bible. Et le matin il me sembla qu’à force d’angoisses, de défaillance, de détresse, la paix était entrée dans mon cœur, et je sus d’une façon certaine que Dieu m’aidait. […] C’étaient la certitude et l’amour, et je sentais Léopold tout près, mais un Léopold transfiguré, lumineux, vivant d’une vie supérieure, comprenant tout, aimant complètement, délivré de toute entrave […] Dieu avait vaincu la mort, il n’y avait plus de terreur ni d’angoisse, il n’y avait plus que le grand amour de Dieu. »

La souffrance accueillie peut porter des fruits, comme un grain semé en terre. Accepter sans juger, accueillir le réel à l’intérieur de soi amène à la liberté. La plénitude de vie de Dieu contient tout, y compris la souffrance et la mort.

Prie et aime, thème de toute une vie. Ce n’est pas une histoire du passé : nous sommes tous témoins, d’une manière ou d’une autre, de cet amour. Le chemin commence en toi : aime-toi toi-même d’abord avec tout ce qui est là, instant après instant, en te recevant comme tu es, avec tout, aimée de ton Créateur, Source de toute vie. Et cela déborde sur les autres, dans tes relations et dans le monde.

Tout chemin spirituel lu à la lumière de la croix du Christ n’est-il pas un chemin de libération et d’apprentissage de l’amour vrai, don de Pâques ? Dieu a vaincu la mort. Prie et aime ta condition humaine car, bien que marquée par la croix, elle est aussi porteuse de vie. Elle requiert cependant que j’y prenne part. En effet, c’est quand je fais face à ma souffrance, à ma croix, en vérité et avec amour, que je peux faire l’expérience d’une résurrection. Cela change le visage du monde en même temps que le mien.

Dans ce monde troublé par les guerres, les dérèglements climatiques, les abus de pouvoir de toute sorte et les peurs, cette parole Prie et aime est signe de résistance et d’espérance. Elle nous invite à vivre à partir du fondement : la présence de Dieu en nous, Source d’amour plus forte que tout. Ce n’est qu’en revenant sans cesse à ce centre, au cœur de notre cœur, que nous pouvons participer à l’enfantement d’un monde nouveau. Sommes-nous prêt·e·s à vivre ce travail de tout notre être ? Prie et travaille, prie et aime ! Si nous accomplissons ce travail dans la conscience d’être accompagné·e·s par le Tout-Autre, que nous ne sommes jamais laissés seule·e·s, ce chemin douloureux peut devenir passage vers une vie plus libre, réconciliée et nouvelle, vers la résurrection.

Prie et aime devient alors un art de vivre, à reprendre humblement, de jour comme de nuit.

Prie et aime.
Deux mots simples,
deux élans de l’âme
qui tracent un chemin.
Non pas au loin,
dans les hauteurs ou les temples,
mais ici, dans la poussière des jours,
au creux du quotidien.

Ce chemin n’est pas une idée :
il est souffle, silence, présence.
Il commence là où tu es,
dans ton corps, dans ton souffle,
dans le battement de ton cœur.
Il t’invite à descendre doucement
de la tête encombrée au cœur profond,
là où tu peux déposer ta vie,
telle qu’elle est, sans masque, sans bruit.  

C’est un passage, une Pâque,
à la suite du Christ.
La croix n’est pas évitée, elle est traversée.
Souffrance, perte, fatigue… rien n’est exclu.
Tout peut devenir lieu de vie plus vaste.

Aimer, c’est oser se tenir devant
ses blessures, sans fuir, sans lutter.
Les accueillir comme on accueille
un enfant qui pleure, les confier à la Source.
Alors peut naître en nous un chemin
de paix, de réconciliation, de guérison.

 Aimer, c’est aussi écouter.
Écouter vraiment.
Ce qui palpite sous les mots,
ce qui résiste, attend d’être reconnu.
C’est apprendre à s’aimer soi-même,
surtout dans ses zones d’ombre,
et croire qu’une vie nouvelle est possible.
Ce n’est pas un idéal lointain.
C’est l’Esprit déjà à l’œuvre,
qui murmure, respire, prie en nous,
et nous conduit vers ce « oui » intérieur
qui dit : je n’ai plus peur.

Le Christ n’a pas fui la croix.
Il l’a embrassée.
Dans ce geste fou il a ouvert un passage :
de la nuit à la lumière, de la peur à la confiance, de la mort à la Vie.

Et si, au cœur de la croix, il y avait un feu ?
Un feu d’amour qui ne consume pas
mais éclaire, réchauffe, transforme ?
Avec cette confiance, fragile mais tenace,
que Dieu habite même nos nuits
les plus longues, et qu’au bout de tout,
il y a toujours la Vie.

Prie – Aime – Résiste
Descends de la tête au cœur.
Là, dans le silence, une Source t’attend.
Ne cherche pas à éviter la croix, traverse-la :
Prie pour t’ouvrir à un Autre.
Aime… pour vivre pleinement.
Résiste… pour demeurer dans la lumière.

Prie… pour demeurer humain
dans un monde qui vacille,
où la peur ronge, la terre brûle.

Aime… porte ta vulnérabilité avec tendresse.
L’amour est une semence.
Aie confiance : Dieu fait fleurir la lumière dans les creux de l’ombre.
Résiste… avec douceur,
fidèle à ce qui est juste et vrai.
Non en serrant les poings,
mais en gardant ton cœur ouvert
là où la peur s’installe, le cynisme glace,
la fatigue cherche à éteindre la lumière.

Prienon par devoir,
mais pour respirer avec le Souffle de Vie.
Aime… non pour posséder,
mais pour libérer.
Résiste… non par dureté,
mais pour t’enraciner dans le Christ
au milieu des tempêtes.

Là est notre véritable résistance :
chemin quotidien,
« oui » fidèle à la Lumière,
à l’Invisible, à la Présence, à la Vie
qui germe au cœur même de la nuit. 

Et croire,
envers et contre tout,
que chaque pas dans la foi
fait naître un monde nouveau.  

sœurs Anne-Emmanuelle et Regina

Prier, aimer, résister

Ce travail de transformation se vit en chacun·e et trouve sa profondeur lorsqu’il se tisse dans la fragilité et la richesse de notre vie communautaire. C’est dans cet esprit que nous avons vécu nos journées communautaires de janvier, avec pour fil conducteur : « Au cœur de la Croix, l’Amour ». À travers l’art et des textes d’Édith Stein, de saint Jean de la Croix, d’Etty Hillesum et, à notre surprise, de sr Marguerite de Grandchamp, Audrey Barcelo Genevay nous a mises face à la croix telle qu’elle a habité ces témoins d’espérance. Ensemble, nous avons avancé pas à pas. Comme l’a dit une sœur : « Je me suis approchée très doucement de la croix, dont j’avais au fond un peu peur. »

Croix et souffrance peuvent effrayer. Comment y faire face sans perdre l’espérance ? L’art et la beauté peuvent soutenir ce chemin. Une sœur l’exprime ainsi : « C’est tellement dur de ne rien pouvoir faire quand quelqu’un souffre. En contemplant la peinture du Christ dans la nuit de Gethsémané de Fra Angelico, j’imaginais que Marthe et Marie priaient pour Jésus cette nuit-là. »

Une autre ajoute au sujet de cette peinture : « La lumière ne tombe pas par la fenêtre, mais vient du lieu obscur, là où Jésus est en agonie, dans la prière. Faire confiance que je reçois cette lumière de ce lieu obscur en moi où Jésus, en agonie, prie le Père. »

Cette année, tant de souffrances nous ont confrontées aux croix du monde. En 1954, sr Marguerite décrivait son expérience de fraternité en bidonville en Algérie : « Vivre au milieu de cette misère est une souffrance de chaque minute, souffrance d’autant plus grande que nous ne pourrons jamais la partager entièrement. Mais peut-être est-ce cette déchirure au cœur qui nous est demandée. Il faut sans cesse prier pour que l’amour du Christ nous soit donné. Quand je commence à me sentir submergée par toute cette souffrance, je vais dans notre petite chapelle, je m’étends à terre, les bras en croix (il y a tout juste la place) et je dis : “Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.” Et lorsque la paix revient, je dis : “Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit.” Et je me relève fortifiée et apaisée, et je retourne vers eux. »

Ce que chacun·e porte rejoint la vie et la souffrance de l’humanité. Une sœur en témoignait ainsi : « Cette session m’a aidée à regarder avec amour le Christ en moi qui combat pour prendre la coupe de la souffrance actuelle dans le monde. La souffrance collective est liée à nos souffrances personnelles. J’ai pu poser un regard d’amour sur l’ombre en moi où le Christ combat face aux croix d’aujourd’hui. »

Pourquoi tant de souffrances ? Qui n’a jamais senti monter en soi ce cri ? Audrey cite sr Marguerite : « La réponse à tous nos “pourquoi” n’est pas un “parce que” mais un plus grand amour. » C’est une invitation à quitter l’attente d’explication pour aimer et pour se laisser aimer.

Une sœur : « Édith Stein m’invite à compter “tous les fardeaux et souffrances de la vie […] comme messages de la croix”. Je sensces épreuves, personnelles et collectives, me traverser : les reconnaître, sans les justifier ni leur forcer un sens… Et si apprendre à aimer consistait aussi à accueillir la souffrance, inévitable en toute vie ? Quand elle surgit dans la mienne sans que je l’aie cherchée, l’accueillir pour ce qu’elle recèle et ce qu’elle me révèle de moi et du Christ… La vision qu’a Édith de la croix comme constitutive de l’être m’apaise : traverser mes croix m’inscrit dans le mystère pascal du Christ, une traversée qui mène ma vie blessée, en communion avec la sienne, à la Résurrection. Etty Hillesum, contemporaine d’Édith, écrit : “Regarder la mort en face et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie. […] La mort est là tout d’un coup, grande et simple et naturelle, entrée dans ma vie sans un bruit. Elle y a désormais sa place et je la sais indissociable de la vie.” Comme Etty, je sens vie et mort coexister en moi, deux forces indissociables. Souffrance et joie, épreuve et paix s’entrelacent, donnant à mon existence son intensité. Accepter la mort m’ouvre à la vie. »

Dans « Prier 15 jours avec Édith Stein », Michel Dupuis écrit : « Croix si souvent ignorées ou refoulées, et qui n’attendent que le regard de l’amour pour que toute cette souffrance, inutile, scandaleuse, absurde, puisse mystérieusement se transformer en ferment d’amour et de salut. Car la croix a véritablement besoin de moi, elle a besoin de mon amour pour libérer ce qu’elle recèle. »

En écho, une sœur partage : « Avant, c’était comme si la croix était loin de moi. Maintenant, quand j’entends que la croix a besoin de moi, elle n’est plus quelque chose de mystérieux et distant : la croix est en moi. C’est ainsi que je peux être comme Jésus : sans culpabilité ni moralisme, mais très concrètement, très terre à terre, dans ma vie et dans la vie collective. »

En conclusion, Audrey a partagé son écho à notre vécu :

« La Croix est un mystère à être contemplé. Ce grand récit de la Passion nous concerne toutes, cette histoire particulière résonne dans l’Universel.

En passant par la croix, l’Homme-Dieu nous a ouvert une voie qui nous réunit avec la Source Divine. En cela il nous sauve. Mais ce ne sont pas ses souffrances qui nous sauvent, c’est son amour. C’est l’amour dont il est capable de témoigner même dans la souffrance.

Cette voie qu’il a tracée reste à jamais ouverte ; elle est la clef de voûte du mystère de l’existence. Nous avons à vivre ce passage individuellement et collectivement.

La sagesse insondable de Dieu a donné une puissance rédemptrice à la Croix. Et à nos croix ? Il s’agit d’un acte de foi. Dans la nuit obscure, les femmes myrrhophores s’avancent, porteuses de cette profonde allégresse jaillissante, traversante, qui embrasse mystérieusement de son Amour la croix de l’être humain.

Au cœur de la nuit obscure de toutes les absences, resplendit la vive flamme d’amour, la Présence du Vivant du matin de Pâques. »

Prier, aimer, résister… au cœur de notre quotidien. Voici ce qui a jalonné notre vie communautaire au fil de l’année :

Lors de la retraite communautaire avant Pentecôte, Dom Jean-Pierre Longeat nous a invitées à percevoir notre corps comme lieu de rencontre avec Dieu. Face au mal qui déchire le monde, revenir à cette profondeur dans le quotidien ouvre des chemins de communion : nous venons d’une même Source, et pourtant chaque personne est si unique et si différente ! Grandir dans la relation, c’est reconnaître ces écarts et apprendre à les aimer ! La vie communautaire nous en offre mille occasions, et nous fait goûter la joie de vivre la diversité à travers les générations, cultures, Églises, manières d’habiter ce monde et son monde intérieur…

Les abus dans l’Église, la société et les familles sont une croix portée avant tout par les victimes. Lors d’un échange avec Margarita Fugger‑Heesen et la projection de son documentaire « Dignity », nous avons entrevu une voie de restauration par la danse. Conscientes qu’aucune communauté n’est à l’abri de difficultés ou de dysfonctionnements, un groupe de sœurs a suivi une session sur le thème des abus, de l’emprise et des traumatismes, animée par Isabelle Chartier-Siben, victimologue. Ce travail de conversion et de lucidité, appelant à interroger nos structures, attitudes et paroles, se poursuivra avec toute la communauté.

Dès ses débuts, la vocation œcuménique de notre communauté a été une aventure de foi, un chemin pour contempler l’amour de Dieu. Les échanges avec d’autres communautés et spiritualités sont autant d’occasions de vivre l’unité, de tisser des liens d’amitié et de soutien, et en même temps, ils nous offrent une précieuse lumière pour approfondir ce que signifie aujourd’hui être sœur de Grandchamp ! Cette année encore, les rencontres nous ont conduites sur des chemins riches en découvertes :

Dans le cadre de la Semaine de prière pour l’unité, sr Svenja a rejoint sr Pascale et les sœurs du Carmel Saint Joseph à la fraternité œcuménique de Sainte-Mère-Église, en Normandie. Elle y a partagé leur quotidien rythmé par les offices à la Grange de la Paix et par de multiples rencontres, tandis que srs Mechthild, Birgit et Martina-Anna se rendaient à Einsiedeln pour les vêpres œcuméniques. Quelques semaines plus tard, sr Anne-Emmanuelle et quelques sœurs ont eu le plaisir de partager leur expérience de vie en communauté avec le staff du Conseil œcuménique des Églises et son secrétaire général, le Prof. Dr. Jerry Pillay. Puis, nous avons accueilli les étudiant·e·s de l’Institut œcuménique de Bossey, venus découvrir notre vie.

Lors de la fête de saint Benoît, plusieurs sœurs ont partagé la joie de la bénédiction de la nouvelle abbesse de la Maigrauge, Mère Marie-Agnès. L’été s’est poursuivi par une rencontre CIR à Tymawr (Pays de Galles), où une trentaine de sœurs et frères de traditions diverses, dont sr Embla, ont vécu des échanges fructueux et ont été accueillis par les sœurs de la Society of the Sacred Cross, communauté anglicane engagée dans l’écologie.

En automne, notre route a repris en Suisse romande : à la Journée de la Vie Consacrée à Fribourg, puis à l’Abbaye d’Hauterive où, avec de nombreux frères et sœurs venus de divers monastères, nous avons eu le bonheur de contempler l’église récemment rénovée, partageant un temps de louange dans ce lieu de prière qui relie les siècles.

Comme tant d’autres, nous rendons grâce pour la vie et le pontificat du pape François, et nous avons été encouragées par les paroles inaugurales du pape Léon XIV : « la recherche du rétablissement de la pleine et visible communion entre tous ceux qui professent la même foi en Dieu Père, Fils et Saint-Esprit est l’une de mes priorités. »

À Grandchamp, la nouvelle sonorisation de l’Arche réjouit aussi celles et ceux qui prient en communion avec nous en ligne, parmi eux, nos sœurs au loin, comme sr Maria qui a rejoint sr Hélène à l’EMS du Val Fleuri.

La nature elle aussi change : sous le poids de la neige, une grosse branche du pin de la cour est tombée tandis qu’à l’embouchure de l’Areuse, une revitalisation a créé une petite île pour les oiseaux… fragilité et beauté du vivant.

À Grandchamp, de jour en jour, des volontaires et des bénévoles nous épaulent par leur engagement fidèle. Leur présence et les dons réguliers nous permettent de continuer à être un lieu d’accueil pour toutes celles et tous ceux en quête d’un espace intérieur où le mystère de la Vie peut se renouveler. Nous en sommes très reconnaissantes.

Joie d’accueillir d’Algérie, pour quelques mois, une amie de longue date, Miassa, ainsi que d’Israël, le Prof. Dan Jaffé, pour une journée ayant pour thème Jésus dans la compréhension juive.

« C’est quoi l’espérance ? C’est un bonheur en attente. » Voici un exemple des petites phrases pleines de sens qui relient les chansons du spectacle présenté chez nous à l’Arche par sr Gabrielle et les personnes qui partagent sa vie au Foyer Handicap de Neuchâtel. Un moment lumineux et rempli de bonheur !

Après des années de grands travaux au Sonnenhof, la Weggemeinschaft profite d’une période plus stable qui permet à la vie commune de se renforcer. Être six, trois sœurs et trois « compagnonnes », apporte équilibre, énergie et joie dans la prière, le travail et l’accueil des hôtes. Deux d’entre elles, avec sr Gesine, se sont mises en route pour le Kirchentag à Hanovre, un temps de rencontres et d’échanges inspirants.

En novembre, comme les oiseaux migrateurs, sr Lauranne est partie au Bénin pour animer une retraite du Tiers-Ordre de l’Unité. Sr Anne-Emmanuelle, elle, a pris la direction du Nord, se rendant aux Pays-Bas pour rendre visite à nos sr Janny, ainsi qu’à sr Christianne et Maria de Groot. Nous étions heureuses que ces dernières aient pu passer un été prolongé à Grandchamp.

Par leur regard de poétesses et d’écrivaines, elles nous invitent à contempler les traversées de la vie de Jésus et la joie qui s’y révèle :

La joie parfume le temps

Cette méditation nous invite à aller de joie en joie. D’abord, le voyage des trois Rois Mages vers Bethléem apportant leurs dons. Plus tard viendra la mort en croix de l’Enfant. Alors même que cette mort se transformera en joie, le fond du récit est sombre et plein de dangers : ennemis et adversaires, menaces et douleur.

Prenons dans nos mains les dons des Rois Mages. L’or évoque la royauté de l’Éternel, un monde transfiguré qui survient, habité par une humanité rayonnante d’amour et de paix. C’est inimaginable pour nous qui vivons ici et maintenant, et pourtant bien réel dans l’inventivité de l’Esprit-Matriciel. L’encens affirme le triomphe bleu d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle, divine odeur qui se répand jusque dans notre chair, aussi pauvre et vulnérable soit-elle. La myrrhe évoque la mort de l’Enfant, mais prophétise aussi sa guérison complète et celle de nous tous et toutes.

Or, encens, myrrhe : roi, prêtre, prophète. Les Sages perçoivent l’Enfant dans toute sa mystérieuse identité. L’étoile qui les guide est une étoile de joie.

Jésus est né dans un peuple qui connaît et embrasse la joie. Sim’hat Torah, joie de la Torah, inspiration du peuple juif. Jésus respire la Torah, pratique la Torah, parle la Torah, se repose dans la Torah qui chante les psaumes. Vive l’éventail de la joie !

Traverser le monde
un rêve à l’esprit
entraîne souvent déceptions
et se sentir trahi.

Quoi que tu fasses de bien
le mal l’emporte.
Poursuivre demande courage
à qui traverse le monde.

Ne perdons pas courage. Écoutez ce que dit Jésus dans Jean 14, 28 : « Vous l’avez entendu, je vous ai dit : Je m’en vais et je viens à vous. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m’en vais au Père, car le Père est plus grand que moi. »

Dans son intimité avec Dieu, Jésus dit : « Père ». C’est l’un des Noms qui exprime l’être de Dieu toujours en mouvement que nous pouvons chérir, comme s’il était écrit « Mère », « Ami », « Intime » ou « Créateur » … Ô Nom ineffable !

Jésus décrit la joie des retrouvailles après la séparation en utilisant une image féminine (Jean 16, 20-23). « Je vous verrai à nouveau, votre cœur alors se réjouira, et cette joie, nul ne vous la ravira. » – Joie, comme à la naissance d’un enfant.

À cause d’une naissance, Trois Rois des nations se mirent en route, guidés par une lumière céleste. La joie, ils l’apportèrent en forme de cadeaux : l’or, l’encens et la myrrhe.

Et voici que l’Enfant, devenu adulte, offrit ces dons au monde : l’or de la royauté divine ; levez les yeux avec confiance et reconnaissez-la. L’encens du sacerdoce parfumé ; exercez votre odorat, ayez confiance. La myrrhe de la mort passagère, passage qui transforme la séparation en joie.

Recevons de lui ces dons, admirons et confirmons-les et faisons comme lui afin de devenir des êtres royaux.

Faisons mémoire de ce qu’a dit Rabbi Nahman : « La joie est un commandement. »

Maria de Groot et sr Christianne
(traduit du Néerlandais)

En ce Noël, que l’Amour du Christ nous entraîne à la suite des mages : offrant l’or de notre humanité, l’encens de notre prière, et la myrrhe de nos traversées marquées par la croix.

Prions, aimons, résistons !
Que nous reconnaissions ensemble les croix qui entravent la paix en bien des lieux, et que notre lucidité, loin d’éteindre l’espérance, la fortifie et fasse surgir en nous et autour de nous la vie nouvelle.

Paix et communion pour 2026.

Les sœurs de Grandchamp