Gentiment, nous arrivons à la fin de l’année liturgique ; dans 3 semaines et demie commence le temps de l’Avent, début de la nouvelle année dans l’Eglise. C’est prévisible, c’est défini liturgiquement.

En même temps, je me demande parfois si, gentiment, nous n’arrivons pas aussi à la fin du monde :

  • des régimes totalitaires, des ingérences étrangères détruisent l’équilibre démocratique patiemment créé ; l’information vérifiée et une formation citoyenne responsable sont en danger
  • les valeurs du vivre-ensemble, la maîtrise de soi, le sens du collectif, le soutien au plus fragile ne semblent plus une évidence communément partagée
  • la pollution, la sur-exploitation des ressources, le réchauffement climatique détruit notre environnement à un point qu’on ne voit plus très bien comment l’humanité survivra

 

« La fin du monde »

ou « la fin d’un monde »

dirait l’auteur de la lettre de Pierre.

Et il ajouterait peut-être: « et alors qu’en faites-vous? »

 

La fin d’un monde : une fin annoncée, celle de ce monde qui passera, va fondre, au moment du retour du Christ. Pour lui et ses destinataires, cette fin du monde est espérée. Elle marque le moment où les cieux enflammés se dissoudront, où les éléments embrasés se fondront, et où seront créés de nouveaux cieux et une nouvelle terre.

Les théologiens estiment que la lettre dite de Pierre a été écrite au début du 2e siècle, l’arrivée espérée imminente de retour du Christ se fait attendre. La promesse de ce retour du Christ travaille les destinataires de la lettre: tardant à se réaliser, elle devient sujet des railleries et crée l’insécurité et le doute dans les premières communautés. Reviendra-t-il? Peut-on? Puis-je encore croire à cette promesse ? Leur question est celle du « quand »: c’est pour quand? Et pourquoi cette fin n’est-elle pas encore là? Comment se fait-il que le Christ ne soit pas encore revenu?

 

Pour y répondre, Pierre puise dans le premier Testament. Il veut donner sens à cette attente, à la vie, aux soucis des croyants en s’inspirant de ce qui les a portés jusqu’ici. L’incompréhension devant l’attente qui s’étire en longueur s’exprime déjà chez Ezéchiel (12, 21-25a) ou Habacuc (2,3). Pierre puise dans les psaumes: il reprend du psaume 90 l’affirmation que pour Dieu, « 1000 ans sont comme hier ». Il la reprend, la transforme et la développe pour dire que le temps de Dieu n’est pas le temps humain.

« Pour le Seigneur, 1000 ans sont comme un jour, un jour sont comme 1000 ans ». Ce n’est pas une nouvelle unité de mesure, dans le sens « il est ressuscité le 3e jour, un jour c’est comme mille ans, donc 3’000 ans, mais en fait entre vendredi et dimanche, cela fait plutôt deux fois 24 heures, donc 2’000, mais le matin tôt… ». Non, ce n’est pas une nouvelle unité de mesure, c’est une invitation à accepter que notre notion du temps est englobée dans le tout de Dieu qui la dépasse infiniment.

Fais confiance à cette promesse, et lâche prise, semble dire Pierre. Tu ne peux pas savoir, tu ne peux pas comprendre, tu ne peux pas t’y préparer. Et Pierre de renforcer cette invitation à lâcher prise en reprenant l’image du voleur: « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur »: même si nous nous y préparerions, nous serons surprises. Et c’est une bonne nouvelle.

La dé-maîtrise, le remise en confiance à Dieu.

Plus que cela, Pierre réoriente le regard. L’enjeu n’est pas de savoir ou de comprendre comment viendra la fin du monde, encore moins quand. Pierre déplace notre besoin de savoir en nous plaçant devant Dieu dans notre dimension humaine d’ignorance et d’ouverture à sa présence.

Dans notre dimension d’humain face à une Parole, une promesse au-delà de la fin du monde: celle de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre.

Pierre réoriente ses lecteurs vers l’horizon des nouveaux cieux et d’une nouvelle terre et l’impact de cet horizon sur nous aujourd’hui, sur notre manière de vivre.

Et pour cela, Pierre dans son épître puise dans le 1er Testament une autre fin du monde, celle de Noé. Là, tout a été détruit par l’eau, maintenant tout sera détruit par le feu.

Là, Dieu a pris soin du juste – c’est l’arche qui sauve Noé et tous les siens.

Maintenant, Dieu garantit la justice qui est ce qui demeure dans les nouveaux cieux et la nouvelle terre à espérer « Nous attendons selon sa promesse des cieux nouveaux et une nouvelle terre où la justice habite » (13).

En d’autres termes, deux éléments traversent le feu du dernier jour : la justice et la Parole de Dieu, sa promesse qui se réalise.

La Parole de Dieu est celle qui a créé les cieux et la terre ; elle a formé la matrice dans laquelle nous vivons. C’est la même Parole qui fonde la promesse de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre.

Cette parole est celle qui m’invite à vivre comme un ou une juste, à faire vivre la justice.

Peut-être, – si à mon tour, je m’appuie sur les textes transmis – , peut-être que ces deux éléments qui seuls demeurent (Parole de Dieu et justice) ne forment qu’un. Puisque la justice de Dieu dans le Nouveau Testament est celle qui me justifie, puisque je suis juste par la Parole de Dieu qui m’accueille.

Et si cette piste est bonne, à chaque fois que je vis et reçois la grâce, que je la donne à vivre, j’attends et je hâte la venue du jour de Dieu (12).

Nous entrons liturgiquement dans la fin d’un temps, avec l’horizon d’un nouveau cycle de l’année de l’Eglise. Ce temps qui nous mène à l’Avent entre fin et nouveau commencement, nous invite à méditer sur la fin du monde, et sur la Parousie, le retour du Christ.

Avec cette épître de Pierre, nous pouvons accueillir l’éventuelle fin du monde et nous rappeler la parole de cieux nouveaux et d’une terre nouvelle où la justice habite.

Ce texte serait alors aussi comme une invitation à apprivoiser le dernier jour, notre départ et notre arrivée dans les bras de Dieu. Je ne sais pas quand ce jour viendra, je ne sais pas comment il viendra. Je crois que j’y serai reconnue comme juste devant Dieu, non à cause de mes œuvres, mais parce que Dieu, par son fils, m’a rendu telle. Ce seront de nouveaux cieux et une terre nouvelle, tout différents de ce que je connais, mais l’essentiel y sera : sa parole qui me recrée, nouveau moi, dans le regard de Dieu.

Et de cette grâce, cette parole, je peux en être le témoin déjà aujourd’hui, sachant que c’est cela qui traverse même la fin du monde.

Amen