Envoi en mission des premiers disciples
(Lc 10, 1-11)
Curieuse, mais aussi incroyablement riche, cette histoire où se mêlent l’enthousiasme des débuts et les difficultés de la tâche des premiers apôtres.
Derrière ce texte, se cache leurs rires et leurs larmes, leurs succès et leurs échecs.
Ce qui frappe ici ?
1- L’équipement de l’envoyé, ou plutôt son manque d’équipement :
Pas de sandales, pas de sac, pas de bourse…
En clair, une allure de vagabond, à peine de quoi manger, presqu’aucune ressource financière.
C’est la réalité vraie de celles et ceux qui avaient tout quitté pour suivre Jésus !
2 – Et puis « Ne saluez personne en chemin !!! »
Choquante, cette interdiction de saluer ! Difficile de faire mieux pour ternir définitivement l’image de l’église. La politesse d’une femme ou d’un homme d’église… d’un moine ou d’une moniale, d’un paroissien, d’une paroissienne… La politesse, ça semble la moindre des choses !
C’était certainement une manière de marquer l’urgence de la tâche d’annoncer le message du Christ… sans tralala et fioritures ! sans perdre de temps
3 – Ou encore, dans ces versets, on a vraiment le sentiment de vivre dans un monde hostile et dangereux.
Ce n’est pas notre situation mais bien celle des premiers chrétiens qui se verront rejetés et persécutés…
4 – Sans oublier une réaction sèche de ses envoyés quand l’accueil de l’Évangile n’est pas bon. Ils sont invités à passer à autre chose sans hésiter… en secouant contre les habitants la poussière même de leur ville. Violent comme réaction (v.10-11). Là aussi de quoi nous laisser perplexes !
Derrière ce portrait haut en couleurs, se profilent la situation des premiers prédicateurs chrétiens…
Et rien n’était facile pour eux…
Pour nous, chrétiens du XXIe s., ces textes peuvent nous surprendre, nous sembler bien étrangers.
Nous qui sommes membres d’églises dites parfois multitudinistes,
qui se veulent pour toutes et tous, ouvertes à tous,
et qui, souvent, caressent le secret espoir de pouvoir plaire à tout le monde.
Et puis en même temps, nos églises « historiques » n’ont plus du tout le même poids, ni le même impact dans la société aujourd’hui qu’il y a encore quelque temps…
Alors on se demande comment faire et comment faire évoluer l’offre de l’Eglise dans un monde qui ne nous est pas hostile, mais si souvent indifférent.
Comment aborder cette société qui vit largement sans nous ?
Alors tout à coup, le texte n’est peut-être pas si éloigné de notre situation qu’il n’y paraît.
Non pas dans les détails, mais, dans son élan.
Ce qui frappe ?
- Premièrement, c’est que l’action des chrétiens n’a pas son fondement dans l’attente des gens, ou dans les besoins de la population, des attentes et de besoins qui existent et dont il faut tenir compte.
Mais c’est bien le Christ qui est celui qui envoie,
qui est celui qui désigne le message central,
qui est celui qui donne la mission à accomplir et les forces pour la réaliser…
Ceci est fondamental.
Aucun sondage, aucune enquête de satisfaction, aucun résumé de « ce que les gens attendent de la religion », ne doit fonder en profondeur la mission de l’Eglise.
Même si ces études et enquêtes sont évidemment utiles pour savoir dans quelle société nous évoluons.
Je ne parle pas non plus de l’enveloppe, du langage, ni de la manière de présenter le message, qui doit être adapté, bien sûr.
- La seconde chose à retenir, c’est la situation de fragilité et de dépouillement.
Fragilité du petit nombre, ils ne sont que 12 ou 72 envoyées pour un pays entier… et dépouillement également… avec si peu de moyens matériels.
Dépouillement et fragilité : deux mots qui résonnent aujourd’hui pour nous et pour votre communauté certainement aussi.
Fragilité, car on sait tous et toutes que l’église n’a plus du tout le monopole de la spiritualité ni de l’éthique (morale), mais qu’elle est une voix parmi beaucoup d’autres.
Et dépouillement, car sans doute faudrait-il doubler, au moins, le nombre de pasteurs et de diacres, prêtres et d’animateurs d’Église, sans oublier l’investissement massif des bénévoles pour lancer et réaliser toutes les bonnes idées et tous les projets d’action de l’église aujourd’hui.
Et on n’a pas ces effectifs…
ET c’est là que notre texte devient une bonne nouvelle… et même une très bonne nouvelle.
Ce dépouillement est au fond la condition normale de la mission de l’église, en tout cas une condition possible de sa mission.
Traverser des périodes de dépouillement et de fragilité n’a rien d’anormal.
Et l’évangile de Luc de ce matin nous rappelle où est la véritable force de l’Église, ni dans son nombre, ni dans ses moyens matériels, ni dans ses succès, mais dans Celui qui l’envoie, le Christ, et dans le message qu’elle reçoit, qui la porte et qu’elle apporte.
Annoncer que le « Règne de Dieu est arrivé » jusqu’à nous, comme le résume Luc.
« Ce Dieu de confiance, d’amour et de pardon, est proche de chacun de nous à travers le Christ »
« Que le Dieu de l’Évangile est présent avec nous, parmi nous et en nous. »
Et annoncer cette parole bien sûr aussi dans les attitudes et les actes.
ET dans ces versets, le succès n’est pas toujours au rendez-vous…
Ces envoyés bibliques sont même parfois rejetés (aussi les prophètes, Paul…) Alors ils s’en vont, tout en ajoutant :
« Toutefois, sachez-le : le Royaume de Dieu s’est approché jusqu’à vous. »
Ils persistent et signent.
En fait, ce texte du Luc nous fait comprendre quelque chose d’extrêmement libérateur :
Si le croyant, le chrétien, est responsable d’entrer en relation, de rencontrer, de vivre au mieux en paroles et en actes, le message du Christ, et qu’il le fait.
Il n’est pas responsable ou coupable de l’échec ou de la réussite de la réception de ce message.
Nous sommes appelés à témoigner le plus sincèrement possible, dans la confiance, simplement, ni plus, ni moins.
Alors que l’Église soit performante ou non, que son message soit accepté ou non, cela ne change rien au fait que,
« Le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à nous. Sa présence aimante, plus forte que tout ce qui peut nous séparer de lui, est en marche. »
Acceptée ou rejetée, cette nouvelle est la source d’une joie inépuisable.
Amen