Chères sœurs, chers frères et sœurs en Christ,
Lorsque Jésus se tint devant Pilate, lors de son procès, il dit cette phrase inoubliable : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. ». Et Pilate de lui répondre, comme on le sait tous : « Qu’est-ce que la vérité ? »
Alors, en ce dimanche du bon berger, j’ai voulu commencer cette méditation en vous posant à vous la question… la fameuse question de Pilate : Qu’est-ce que la vérité ? Et surtout la vérité ultime, implacable, incontestable.
Je ne peux pas répondre pour vous. Mais je peux vous dire comment je m’y suis pris pour répondre à cette question.
Pour moi, la vérité passe d’abord par une acceptation absolue de ma condition, totale et sans détour, ni faux semblant, sans pic d’égo ni crise de rabaissement. Une parole juste sur moi-même.
Je suis une créature, qui est né et qui va mourir. Je suis une créature de Dieu pleine de finitude et tout à la fois empli dans mon cœur d’éternité. Mon imagination est sans limite, mais mon temps et ma possibilité d’agir m’imposent un cadre que je ne peux dépasser. Je dois faire des choix. Je veux le bien et parfois c’est le mal qui se produit. Je ne suis pas parfait, pas toujours aimant, pas toujours de bonne humeur.
Je suis à la fois pétri de peur et à la fois empli d’un courage immense qui me fait dépasser chacune de ses peurs, pour être.
Je suis un individu qui a besoin d’être seul et un homme pris dans une communauté qui me nourrit dans tous les sens du terme.
Il m’est donné de faire de grandes choses, mais leur aboutissement ne dépendra jamais entièrement de moi.
La Vérité, pour moi, commence par ce positionnement juste devant mon Dieu, qui est mon Père, qui est mon berger.
Au-delà de ma personne et donc de l’individualité, la vérité concerne aussi ce que Dieu proclame, par la bouche de Jésus-Christ : Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis, à la différence du mercenaire qui lorsque vient le danger fuit et sauve sa propre vie.
Je crois que la seule vérité qui compte vraiment, c’est que Dieu a une relation d’amour avec moi, avec nous. Voilà une affirmation bien convenue, mainte fois entendue, un peu galvaudée… Et pourtant.
Une relation d’amour ne va pas à sens unique, quoi que Dieu nous aime même si ce n’est pas réciproque. J’en conviens. Mais je crois que ça ne lui est pas indifférent.
Mais même sans réciprocité, cette proclamation nous met face à un choix. Lorsqu’un amoureux déclare sa flamme à sa bien-aimée ; celle-ci se trouve devant le choix d’y répondre ou non.
La relation d’amour engage.
Elle engage la liberté, la contraint même parfois. Elle engage la confiance. Elle engage la fidélité. La persévérance, l’équilibre sans cesse à ajuster entre soi et l’autre, l’envie, le désir, la recherche, la construction, le pardon, la volonté d’être en présence…
… et ce même dans la mort.
La mort…. J’ai toujours été fasciné par la phrase paradoxale d’Apocalypse 7,14 : Ces gens aux robes blanches viennent de la grande épreuve. Ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l’agneau.
Inutile de vous dire à quel point le sang tache. Il est très difficile de blanchir son vêtement avec du sang.
Et pourtant, la grande épreuve, la plus grande dans la vie. C’est de rester fidèle à la vérité.
Ce n’est pas pour rien que le mot martyr (avec ou sans e), signifie en vrai témoignage ou témoin. Le témoignage mène potentiellement à la mort.
Il n’y a pas plus grand amour que de donner sa vie pour ses brebis quand le loup vient, dit Jésus.
La grande épreuve donc, c’est précisément celle que Jésus a connu… et que nous aussi nous pourrions connaître à sa suite.
Jésus est mort pour une seule raison. Il n’a jamais trahi l’amour de son Père. Car comme je vous l’ai dit, pour moi, c’est la plus grande Vérité qui soi.
Il n’a jamais trahi cette vérité. Il n’a jamais trahi l’enseignement qu’il a donné à propos de cette vérité.
Il ne s’est jamais mis sous l’égide d’une autre puissance. Il ne s’est pas soumis aux forces du mensonge. Il est resté parfaitement ajusté dans la relation d’amour qui a été proclamé entre Dieu et lui le jour de son baptême. Il est resté Fils bien-aimé, d’un Père qui aime au-delà de tout.
Et dans cette relation d’amour total et donc d’impossibilité de trahison (car l’amour véritable se montre au fait qu’il ne peut être trahi justement car même si on la tait, les pierres crieront.), Jésus est allé jusqu’à la mort… Cette mort n’aurait pu être évité que si Jésus avait trahi sa promesse de fidélité envers le Père et l’avait renié.
Avec la Vérité, on ne négocie pas. On ne peut pas, comme tentait de faire Pilate, la relativiser. On ne peut pas. Car elle est ! Elle s’impose de facto, car elle est.
Donc, le témoignage de cette vérité d’amour parfois engage notre vie : Devant l’injustice, le mal et l’horreur de la guerre, face aux dictatures, face aux totalitarisme, face à l’intégrisme. Face à toute tentative de dire de Dieu qu’il aime plus les uns que les autres, notre témoignage engage notre vie.
Dieu aime toutes ses brebis et on le sait, lorsqu’une brebis s’égare, il mettra tout en œuvre pour la retrouver. Voilà sa fidélité d’amour, voilà la Vérité.
Ainsi, ces braves gens de l’Apocalypse ont passé la grande épreuve. Ils n’ont pas renié l’amour de Père dans leur témoignage… Et oui, ils en sont morts.
Si Jésus avait évité la croix, il n’y aurait pas eu de Bonne Nouvelle. Cela aurait été le néant.
Mais le texte de Jean lu ce matin proclame encore autre chose : Nul n’a le pouvoir d’arracher quelque chose de la main du Père.
La mort n’arrache rien de la main du Père. C’est bien ce que veut exprimer aussi le passage de l’Apocalypse. La mort fait partie de la Vérité. Elle est là. Elle existe. Elle est dans la création de Dieu. Elle fait partie du cadre nécessaire à la vie, à sa saveur, à son sens. Elle est aussi là par la volonté de Dieu.
Mais la mort ne règne pas. Le loup et son pouvoir de mort ne règne pas.
On ne sait rien de la résurrection, si ce n’est qu’elle est aussi paradoxale qu’une robe blanchie par le sang.
Mais, notre cœur qui cherche sans cesse à approcher la vérité de l’éternité se l’imagine avec des symboles : plus de soif, plus faim, plus d’insolation et un berger qui prend soin de nous et nous amène vers des sources d’eau vives.
L’agneau crucifié est devenu le berger. Comme nous sommes des bergers à chaque fois que nous osons – même au risque de notre vie – rendre témoignage à la Vérité. Des brebis nous suivent…
Chères sœurs, chers frères et sœurs,
Il existe un courage qui donne tout son sens à notre existence.
Ce courage un jour a fait dire à Dostoïevski, dans une lettre à une amie, la phrase suivante:
Si l’on me démontrait que le Christ est en dehors de la vérité, et que la vérité est en dehors du Christ, je préférerais rester avec le Christ plutôt qu’avec la vérité.
Le courage d’affirmer cette vérité continue chaque jour de donner du sens à ma vie… au risque du doute, en dépit de ma finitude et de mon indignité.
Car je ne crois pas de façon aveugle, à des vérités qu’on m’aurait racontées ou imposées.
Je crois simplement à ce qui me donne la force d’être moi-même, à ma juste place dans ce monde… Cette Vérité qui dit que je suis aimé, conduis, voulu, digne de grande choses, parce qu’en dépit de mon indignité, Dieu m’aime inconditionnellement.
Et sans cette foi, finalement, je fais un constat. Sans cette foi, je serais déjà mort de toute façon.
Qu’en est-il pour vous ?
Amen