Prédication 26 octobre 2025 Grandchamp

Textes bibliques Si 35,15b-17.20-22a 2 Tim 4, 6-8. 16-18 Luc 18, 9-14

 

Y-a-til un privilège à être croyant·e ?  un privilège à être fidèle à Dieu et à ses commandements ? y-a-til un avantage à faire tout bien comme il faut ?

 La parabole de Jésus vient démonter cette certitude si ancrée dans la pensée religieuse:  qu’en étant pratiquante cela m’octroyerait une position enviable, privilégiée, réservée aux élus. Qu’elle me préservait de tout. Et donc, que la perfection est gage d’exclusivité.  Et donc, que des actes parfais, conformes à la volonté de Dieu serait une performance de la foi, attendue voire exigée par Christ.

 Pour nous décontenancer, Jésus raconte une histoire; une histoire qui met en scène deux personnes, représentant deux attitudes croyantes, opposées l’une à l’autre.

 D’un côté, une personne religieuse, spécialiste de la Bible, des lois et des règlements et très pratiquante.

De l’autre une personne très loin, voire exclue de la sphère religieuse car pratiquant une activité décriée et détestée: collecter des impôts et des taxes pour l’occupant romain et se remplir les poches au passage.

 

Et l’inconfort vient que dans la parabole, la première adopte une posture d’autosuffisance et d’autocomplaisance; cette personne très religieuse croit et se convainc qu’elle a tout bien fait et qu’elle mérite les bénédictions Dieu et tout le bien qu’il y a dans sa vie; le Pharisien est tellement autosatisfait- il se félicite de toutes ses bonnes actions et de sa propre justice-  qu’il en devient méprisant pour tout ce qui n’est pas lui ou qu’il se persuade n’être pas lui.

Il se définit non seulement à l’inverse du commun des mortels mais se croit à ce point supérieur aux autres qu’il considère le reste de l’humanité comme des nuls. Le verbe grec est très fort: exoudeueô mépriser ne faire aucun cas de l’autre, le tenir pour un zéro.

La personne du Pharisien (racine hébraïque: distinct, à part) représente ici le religieux sectaire, se pensant le chouchou le préféré de Dieu. A l’abri de tout et au-dessus de tous.

C’est bien cette attitude que Jésus cherche à démasquer et à démonter.

 Et l’inconfort se poursuit, car la deuxième personne, le collecteur d’impôt qu’on pourrait traduire par le corrompu le collabo l’escroc l’opportuniste, adopte une posture d’humilité, d’incertitude face à Dieu, le collecteur qui tire avantages du bien des autres ne se sent pas à la hauteur pour se présenter devant Dieu. Il se sait coupable, il se sent nul, il bat sa coupleet attend un apaisement, dans une attitude d’humilité et d’inquiétude.

 Voilà bien deux attitudes aux antipodes, se voir en plein ou se voir en creux, complétude on se tient debout sûr de son fait de sa foi de son dieu (trafiqué à notre image) mais c’est cela même qui nous rend aveugle à autrui même pire qui nous permet de mépriser tous ceux qui ne sont pas comme nous.

Ou en manque on se tient à distance en retrait pas sûr du tout de soi, en supplique et en inquiétude devant Dieu.

 On aurait attendu l’inverse: un religieux humble et un collecteur imbu de lui-même.

 L’Évangile de Luc prend clairement parti pour la deuxième posture: pourquoi ?

Le Christ nous veut-il misérable tout petit humilié et dépendant? aime-t-il l’autoflagellation l’humiliation de soi et la culpabilisation excessive? attend-il cela de nous? Evangile nous infantiliserait et nous réduirait à presque rien? fait-il appel à une image dégradée de soi-même pour oser se présenter devant Dieu? 

 On comprend le refus de la première posture: si tout est plein si je suis remplie de moi-même à ras bord, il ne reste aucun espace pour l’autre: le Dieu Autre qui cherche à me rencontrer et aussi autrui mon prochain (déranger mes certitudes ma vision du monde ma foi et mes croyances…) être plein de soi c’est dénigrer les autres, le reste de l’humanité. Y’en a point comme moi/nous.

C’est la posture que la théologie chrétienne a appelé depuis Augustin péché, incurvatus in se, incurvé en soi, tourné vers soi; ce qui fait dire à la philosophe Simone Weil, que le péché est d’abord et surtout une erreur d’orientation; on tourne le regard exclusivement sur soi, ses intérêts, ses besoins, sa vision, en excluant tant Dieu qu’autrui. Ce que Catherine Chalier nomme   l’intéressement à soi, le renforcement de l’être pour soi et en soi, qui devient alors source de tous les malheurs et du mal en excès. Car l’autre le visage de l’autre est nié et disparait au profit du moi incurvatus in se. Incurvé.

La dénonciation de Jésus devant l’hypocrisie des religieux de son temps et sur leur monde clos fermé à autrui a été sans concession et lui a coûté sa vie. Car Jésus a allumé chez les religieux une haine inextinguible. Et ce que j’entends dans cette parabole, c’est que cette dérive est toujours possible dans une religion, dans une Eglise une confession, une communauté, une théologie, une pratique religieuse qui se ferme sur elle-même et sur sa propre vérité. Au mépris de tout le reste.

Cette dérive est grave et dommageable. Car Jésus ne fait pas là une leçon de morale, mais il énonce ce qu’il vivra dans sa chaire d’homme: il sera la pierre rejetée, méprisée par les bâtisseurs (Actes ce fameux verbe exoudeueô). Ceux qui construisent de beaux édifices théologiques et spirituels de somptueuses institutions peuvent se fourvoyer et rejeter la pierre décriée qui est pourtant celle qui pourrait faire tenir tout l’édifice. Le Christ, la pierre d’angle. Et cette violence et cet aveuglement coûtent des vies humaines.

 

Ce que permet l’autre posture ? Jecrois que reconnaître sa dépendance, sa limite, son inadéquation laisse un espace ouvert à la rencontre, à ce qui peut relier à Dieu et aux autres.

Ce n’est pas tant la posture d’humiliation qui plaît à Jésus et qu’il faudrait encenser ou rendre obligatoire (dérive perverse et malsaine) mais ce qu’elle permet dans notre relation à Dieu et aux autres. Se penser en creux permet la rencontre, la survenue de l’autre auprès de moi, en face de moi.

N’est-ce pas là le sens même du mot religion qui vient d’une double racine latine:  religare (lier ou relier) et religere (relire recueillir). Entrer en religion, c’est relier et relire, se relier à Autrui et se relire devant Autrui. Aucune autosuffisance, aucune auto satisfaction ici mais un chemin d’humble accès et de co-humanité.

Seul Dieu est le plein: le soi n’est pas au centre mais bien la Transcendance. C’est Autrui qui me fait advenir à moi-même; je ne peux pas me définir seule mais seulement à travers la rencontre d’autrui. Voilà une porte spirituelle essentielle, si petite qu’on peut la louper dans nos efforts si religieux de satisfaire des idéaux de perfection et de maîtrise.

Ce qui signifie aussi que le Dieu de JC vient dans nos failles dans nos égarements et nos tâtonnements pour nous aimer et nous conduire au cœur de la vie. Dieu ne nous veut pas parfaits ni complets; ce sont justement des sentiments repoussoirs qui barrent l’accès à Dieu et au visage d’autrui. l’accès au vivant, à la vie.

 Chères sœurs, chers frères, quel décentrement dans les paroles de Jésus !

 Se croire debout, juste et sauvé, c’est déjà chuter, c’est être à côté de la plaque.

 Accepter le décentrement c’est pouvoir se relever et retrouver sa dignité, sa place.

Mais ce que je crois aussi c’est que la porte n’est jamais fermée : Rien ne dit que le Pharisien restera toujours dans son auto-suffisance et rien ne dit que le collecteur a vraiment saisi qu’il peut sortir de son sentiment d’humiliation. Qu’il est digne.

Dans cette parabole j’entends que Jésus est un lanceur d’alerte de la grâce toujours offerte, toujours possible, jamais close sur elle-même mais toujours donnée, redonnée, en surabondance. Quoi qu’il se passe, une main de Dieu est tendue vers nous, vers moi, vers vous.
Saisir cette main, c’est vivre un renversement celui de l’Evanglie.

Ce qui est abaissé sera élevé

Ce qui est élevé sera abaissé

 Ce renversement que Marie, future mère de Jésus et prophétesse en Israël, chante dans ce même Évangile Luc 1,48.

Dieu a dispersé les orgueilleux

Il a renversé les puissants de leurs trônes et il a élevé les humbles

Il a rassasié les affamés et renvoyé les riches les mains vides

 Est-ce que la maternité celle de Marie et de chaque future mère ne dit-elle pas le creux et le plein ?  

L’utérus, cet organe creux, capable de recevoir et de porter la vie d’un autre humain, avant de le mettre au monde – porter au creux de ses bras.

L’utérus, qui a inspiré l’idée de compassion dans la Bible: un pluriel rahamim, métaphore appliquée à Dieu et aussi au Christ pour dire que le Divin est remué, touché aux entrailles aux tripes à la matrice càd au plus profond  de son être devant la détresse humaine, devant le malheur, devant l’humanité de chaque être humain.

Le Christ ressent une compassion pour nous qu’il porte en lui, au creux de lui comme une mère porte le bébé à naitre, comme elle le nourrit, le protège, lui parle, le rassure et l’accueille dans ce monde.

 L’Évangile est une parabole, qui nous déplace, qui permet un décentrement, un pas de côté.

Une parabole qui nous met en route vers des retournements paradoxaux. Doxa = évidence routinière certitude inamovible convictions à bon marché ce qui tue et exclut, alors que le paradoxe nous fait voir autre chose, ce qui est dans les creux, les vides, les marges, l’ailleurs, dans un renversement qui nous garde inquièt·es et libres.

Amen

Laurence Mottier