
Introduction à la liturgie
Mercredi saint
Comment vivre Pâques autrement ? Sans culte, sans sainte Cène, sans célébrations en commun ? Chacun dans sa maison, dans son appartement, seul ou en famille ?
Afin de vivre ces jours en étant pleinement conscient du mystère qui y est célébré, il est bon de se donner de l’espace. Un espace libéré des nouvelles envahissantes, des distractions qui dispersent, des inquiétudes nourries quotidiennement par des réflexions sans issue.
Donner un espace pour la prière, pour le silence, pour des promenades là où elles sont possibles, pour toute chose qui aide à se poser.
Un espace pour écouter, se laisser toucher, entrer dans la profondeur de ce récit pascal toujours nouveau parce qu’il touche à des réalités inhérentes à nos existences, de tous temps : la vie, la mort, l’amitié et la trahison, notre soif de paix et notre incapacité à la vivre, la souffrance de l’innocent et la méchanceté impunie – et dans tout cela : l’amour sans limites, Dieu fait homme qui descend jusque dans nos nuits les plus obscures pour nous prendre avec Lui dans la lumière. Mouvement toujours recommencé et toujours nouveau, événement survenu il y a 2000 ans et pourtant actuel.
La liturgie nous prend par la main de multiples manières :
- Par les Evangiles qui, depuis le dimanche des Rameaux déjà, nous racontent la Passion de Jésus
- Par des Psaumes qui, vacillant entre angoisse et confiance, s’acheminent progressivement vers la joie de la victoire de la vie sur la mort
- Par des liens avec le Premier Testament, avec la tradition du peuple de Jésus, tradition dont lui-même a été pétri
- Par des interprétations des Ecritures ouvrant nos cœurs à l’intelligence de la mort inexplicable de Jésus – et de sa résurrection encore moins compréhensible
- Par des icônes qui nous racontent à leur manière les événements
- Par des mélodies et tonalités qui peuvent nous toucher plus profondément que les paroles
Par quel moyen Dieu veut-Il me rejoindre, moi ? De quel côté est-ce que je me sens attiré ? A chacun de trouver sa manière de vivre ces jours. A chacun de s’arrêter là où le cœur est touché, ce pauvre cœur souvent inquiet et soucieux en ce temps d’incertitude, ce cœur en attente d’une libération, de quelque chose de neuf.
Pour se préparer ce soir aux jours qui viennent, pourquoi ne pas commencer par faire un peu d’ordre ? Par aménager chez soi un coin-prière – espace en attente d’une rencontre ?… Au seuil de ces jours saints, je peux y déposer mes craintes, mes deuils, mes questions, mes attentes, mes désirs, mon amour, dans les mains de Celui qui déjà m’attend.
Et dire tout simplement : « Me voici »
Message par le pasteur Jean-Philippe Calame
Ouverture de la retraite
Vivre la semaine sainte est un immense privilège ! En effet, prendre des moyens et prendre le temps de nous rendre présents à ce que Jésus a accompli durant les derniers jours de sa vie terrestre nous conduit au coeur de la foi chrétienne.
En ces jours, c’est une Personne, Jésus-Christ, que nous allons suivre. Une bénédiction résume bien le fruit attendu de notre approfondissement de la semaine sainte :
« Que la Passion et la Résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ soient
pour vous, pour toi,
la source unique et intarissable d’espérance et d’affermissement
dans la vie en Alliance avec notre Dieu ».
La confiance des chrétiens ne s’appuie pas sur une théorie ou un système de pensée. La confiance de la foi chrétienne se fonde sur l’expérience d’une relation vivante avec Jésus. Or, la dernière semaine que Jésus a vécue à Jérusalem est l’événement le plus décisif pour toute l’histoire humaine. Durant ces jours Jésus a rassemblé toute l’oeuvre de Dieu en faveur des êtres humains. Par la manière dont Jésus s’est donné, il a concentré et confirmé l’Amour envers tous qu’il partage avec le Père.
Il n’y a pas de meilleure source pour l’espérance que cet aujourd’hui de Jésus faisant un avec ce qu’il a accompli. Il n’existe pas de plus grande force pour la confiance que le don de lui-même réalisé par Jésus dans les événements de sa Pâque.
Nous touchons là à l’événement le plus décisif de toute l’histoire humaine. Pour l’approcher, il s’agit de prendre connaissance du témoignage des évangiles et des Écritures, qui éclaire la Passion et la Résurrection de Jésus. Alors, nous entrevoyons ce qui habite le coeur de Dieu lui-même ; et cela, au milieu des conditions ordinaires de l’existence, une existence où se mêlent lumière et ténèbre, élans généreux et actions bénéfiques d’une part, violences et abîme des réalités mortifères d’autre part.
Comme l’ont exprimé avec force des personnes ayant découvert la foi chrétienne après un long et sérieux périple de recherche : à cause de Jésus et de ce qu’il a porté, la foi chrétienne se distingue par la capacité de prendre en charge et de tenir ensemble les extrêmes de la réalité, le meilleur et le pire dont l’homme puisse être acteur ou témoin.
Durant les jours de sa Passion et de sa Résurrection, Jésus a noué la gerbe de tout ce qu’il avait annoncé, enseigné et illustré au cours des trois ans de son ministère public. Il a signé et confirmé toutes les solidarités manifestées auprès des personnes et des situations les plus diverses, avec une attention sans faille pour les plus oubliés et les plus souffrants. Eh bien, ce qu’il a ainsi montré de lui-même et de Dieu, vaut pour tous les siècles et pour toutes les situations. « Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui, et éternellement ». Hébreux 13, 8.
Ce habite le coeur de Dieu nous apparaît dans ce que Jésus a signé au travers de sa Pâque. En quoi consiste la force de Jésus aujourd’hui, nous le découvrons dans sa manière d’être et de se donner aux jours de sa Passion et dans la réalité de sa Résurrection.
À quiconque désire s’approcher davantage du Christ et mieux le connaître, on peut déjà souhaiter de faire l’expérience suivante : prendre le temps de lire lentement, et d’accueillir, le témoignage d’un récit de la Passion dans l’un des évangiles, depuis l’entrée de Jésus à Jérusalem jusqu’à sa mort puis l’annonce de sa Résurrection.
Comment se rendre ainsi disponible, comment se rendre présent aux événements de la Passion et de la Résurrection de Jésus ?
Cela peut prendre la forme simple d’une ou deux heures mises à part pour lire, méditer et contempler un évangile de la Passion, par étapes, dans le silence d’un lieu propice, ou au cours d’une marche lente et paisible. C’est aussi ce qui est offert de manière plus ample et progressive par les offices de la semaine sainte et des jours de Pâques.
Se rendre présent signifie se rendre disponible par l’attitude et l’attention de notre corps, de notre intelligence, de nos diverses facultés. C’est l’attention de notre être réel que nous mettons à disposition. Toutes nos facultés sont participantes, comme il en va pour toute rencontre de personne à personne. Suivre Jésus dans le mystère de sa Pâque sera davantage qu’une découverte intellectuelle.
Pareillement, approcher la souffrance du Christ sera d’un autre ordre qu’un ressenti émotionnel ou affectif habituel. L’apôtre Paul dit clairement : « Il s’agit de connaître le Christ, avec la communion à ses souffrances et la puissance de sa Résurrection ». Philippiens 3,10-11. C’est donc une grâce que nous demandons. Car il ne s’agit pas de partir de notre connaissance de la souffrance pour imaginer celle du Christ. Il s’agit, dans une grande gratuité, de nous disposer à découvrir quelles sont ses souffrances à Lui, et de quelle manière Il les porte. En d’autres termes, dans les situations que Jésus traverse durant cette semaine, qu’est-ce qui lui fait prendre la parole ? Qu’est-ce qui l’incite à se taire, à garder le silence ? À cause de quoi verse-t-il des larmes ? Qu’est-ce qui le fait souffrir, lui ?
Avec l’aide de l’Esprit Saint, notre coeur peut approcher ce qui habite le cœur de Jésus alors qu’Il vit sa Passion.
Il s’agit donc de demander la grâce de pouvoir « être là », « être avec Jésus », et de s’attendre avec une grande confiance à un don particulier : que l’Esprit Saint nous donne connaissance des sentiments qui sont en Jésus-Christ ; que l’Esprit Saint saisisse nos pensées, notre intelligence, notre affectivité, afin que nous soyons pendant ces jours non pas dans une exaltation de nos sentiments habituels ou affectifs, mais que nous recevions des sentiments spirituels, c’est-à-dire une perception donnée par l’Esprit Saint. C’est lui qui nous accorde de percevoir un peu ce qui habite le coeur du Christ. De diverses manières, l’Esprit Saint « nous donne le Christ et nous donne au Christ. »
Une communauté temporaire…
Aujourd’hui, au seuil de cette retraite, et même si nous ne pouvons être physiquement ensemble en un même lieu, prenons conscience que nous ne cheminons jamais seul-e. Nous faisons partie d’une famille, d’un peuple, d’un Corps, d’une communion dont Dieu est la source, Jésus le centre, et L’ Esprit Saint l’artisan.
Cette communion est destinée à s’élargir. Elle n’est pas réservée à quelques-uns : elle offerte à l’ensemble de l’humanité. La petite communauté temporaire qui participe à cette retraite en est une parcelle « visible ».
Nous vivons cette année la retraite et la semaine sainte dans une situation pénible qui nous attriste profondément par les diverses formes de souffrances qu’elle engendre. Nous demandons à Dieu que précisément la Pâque de son Fils renforce notre amour envers tous, approfondisse notre espérance, nous permette de mieux saisir de quelles manières Jésus est présent et accompagne toute situation, à quel point l’Esprit Saint vient en aide aujourd’hui, et notamment combien il agit par tout être humain de bonne volonté.
La solitude imposée par l’actuelle pandémie nous rend plus consciemment solidaires de la multitude de nos frères et sœurs humains qui affrontent seuls des épreuves que nous peinons à imaginer.
Quant à la communion fraternelle dans l’Église, puissions-nous l’approfondir aussi, dans l’esprit de foi qui inspirait D. Bonhoeffer lorsqu’il écrivait la première page de son livre « De la vie communautaire » :
« Si (…) dans la période qui va de la mort du Christ aux derniers jours, des chrétiens peuvent vivre avec d’autres chrétiens dans une communauté déjà visible sur la terre, ce n’est en fait que par une sorte d’anticipation miséricordieuse du royaume à venir. C’est Dieu qui, dans sa grâce, permet l’existence dans le monde d’une telle communauté, réunie autour de la Parole et du Sacrement. Cette grâce n’est pas accessible à tous les croyants.
Les prisonniers, les malades, les isolés de la dispersion, les prédicateurs missionnaires sont seuls. Ils savent, eux, que l’existence d’une communauté visible est une grâce. Leur prière est celle du psalmiste : « Je me rappelle avec effusion de cœur quand je marchais entouré de la foule et que je m’avançais à sa tête vers la maison de Dieu, au milieu des cris de joie et des actions de grâce d’une multitude en fête » Psaume 42,5.
Beaucoup de chrétiens restent isolés, comme les grains d’une semence que Dieu a voulu disperser. Cependant, ils saisissent d’autant plus intensément par la foi ce qui leur demeure refusé en tant qu’expérience sensible. C’est ainsi que l’apôtre Jean, l’auteur de l’apocalypse, exilé dans la solitude de l’île de Patmos, célèbre le culte céleste « En Esprit, le jour du Seigneur » Apocalypse 1,10, avec toutes les églises. Les sept chandeliers qu’il voit sont les églises, les sept étoiles, leurs anges ; au centre, et dominant l’ensemble, il voit Jésus-Christ, le Fils de l’Homme, dans la gloire de sa résurrection. Il est fortifié et consolé par sa Parole. Tel est, au jour anniversaire de la résurrection de son Seigneur, la communauté céleste qui remplit la solitude de l’apôtre exilé ».
En écrivant cela, D. Bonhoeffer avait en vue le fait que les chrétiens sont souvent dispersés dans des milieux hostiles à l’évangile. Alors, ce qui les tient fermement, c’est la perspective que Dieu lui-même les répand comme les graines dans un champ…
Aujourd’hui, ce qui nous tient éloignés physiquement les uns des autres est fort différent. Ce n’est pas une intention divine qui nous tient éloignés, mais un virus face auquel la sagesse pratique impose de se tenir confinés temporaire. Cependant, l’isolement nous guette, et pour le transformer en solitude créatrice, le positionnement et le regard de foi de D. Bonhoeffer nous apportent un précieux rappel. Il est vrai aussi, poursuit D. Bonhoeffer, que « … pour le chrétien, la présence sensible d’autres frères constitue une source incomparable de joie et de réconfort.
A la fin de sa vie, l’apôtre Paul prisonnier, ne peut contenir le désir qui le fait appeler auprès de lui, dans sa prison, « Timothée, son bien-aimé fils dans la foi », il veut le revoir et l’avoir à ses côtés.
(…) à travers la présence d’un frère en la foi, le croyant peut louer le créateur, le sauveur et le rédempteur, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Le prisonnier, le malade, le chrétien isolé reconnaissent, dans un frère qui les visite, un signe visible et miséricordieux de la présence du Dieu Trinitaire. C’est la présence réelle du Christ qu’ils éprouvent lorsqu’ils se voient et leur rencontre est comme une rencontre de joie. La bénédiction qu’ils se donnent est comme celle de Jésus-Christ lui-même. Si donc une seule rencontre entre deux croyants comporte déjà une telle joie, quel trésor inépuisable de béatitude ne s’ouvre-t-il pas pour ceux auxquels Dieu permet de vivre journellement dans la communion d’autres croyants ! ».
C’est ici l’occasion de remercier nos sœurs de Grandchamp, qui ont choisi de saisir un moyen moderne de communication pour favoriser le lien entre nous qui vivons à distance la retraite. Merci pour les tâches supplémentaires qu’elles assument depuis ces dernières semaines, pour nous offrir cette possibilité de marcher ensemble autrement.
Le titre donné à notre retraite indique la réalité à laquelle nous souhaitons nous ouvrir.
“AMOUR CONFIRMÉ, PASSAGE CRÉÉ : C’EST LA PÂQUE DE JÉSUS”.
AMOUR CONFIRMÉ
Les évangiles, en particulier celui de Jean, nous font saisir que Jésus n’a pas été surpris par le rejet et les sévices marquant les jours de sa Passion. La violence à son égard ne lui est pas tombée dessus à l’improviste comme un virus. À différentes reprises, il avait annoncé à ses disciples jusqu’où irait l’opposition grandissante envers lui.
Ainsi, Jésus n’a nullement été le jouet des événements ou des être humains. Il a choisi de ne pas « sauver sa peau ». Pourquoi ? La réponse à cette question demande beaucoup de silence pour être approfondie… beaucoup de silence et de l’attention, probablement jusqu’à la fin de notre vie, pour que se façonnent en nous les éléments de réponse qui fondent la confiance en Dieu. Mais un élément central, une voie, une piste tient en ceci : Jésus a voulu, dans une situation extrême, alors que tout se tournait contre lui, maintenir et confirmer son amour et celui de son Père envers les êtres humains. De sa mort, Jésus a fait un don pour la vie de tous. Le choix de ne pas esquiver la violence aveugle envers lui a été sa manière ultime d’apposer sa signature à tous les gestes et paroles par lesquels il avait proclamé l’amour inépuisable de Dieu, sa proximité, son Oui, en particulier en faveur des plus rejetés et des plus oubliés.
Jésus savait que son heure était venue et qu’il devait passer de ce monde au Père ; lui qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, il voulut les aimer jusqu’au bout. Jean 13, 1.
C’est une parole clé pour aborder la Passion de Jésus. « Il voulut les aimer jusqu’au bout ». La Passion, le fait que Jésus n’ait pas voulu « sauver sa peau », c’est un mystère d’amour.
Dieu n’a aucune complicité avec le mal, affirme Jean dans sa première lettre. Dieu n’est que lumière, en lui point de ténèbre. Voir 1 Jean 1,5. Dieu n’a pas davantage de complicité avec la souffrance. Celle-ci n’a aucune vertu en elle-même. Jésus ne consent à souffrir qu’en raison du dessein (ou projet) qu’il partage avec le Père : apporter son amour, comme un levain de vie, dans ce qui détruit et nie la vie, établir la présence de Dieu là où tout prétend nier Dieu.
Nous sommes donc invités, au début de la retraite de Pâques, à orienter correctement notre quête. Nous cherchons à discerner comment et à quel point l’amour de Dieu se confirme même et surtout dans le tissu d’événements tragiques.
Durant ces jours, à la lumière des textes bibliques et des célébrations liturgiques, nous suivons Jésus pour pressentir – et parfois saisir – à quel point les événements de la semaine sainte fondent le plus solidement l’espérance : au coeur des réalités les plus sombres, Jésus donne le dernier mot à la volonté du Père qui est de donner la vie, là où la mort -toute forme de mort- prétend tenir une place.
Nous verrons à quel point « la Passion et la Résurrection de Jésus-Christ sont pour chacun-e la source intarissable d’espérance et d’affermissement ».
PASSAGE CRÉÉ
On le sait, Pâque signifie Passage. La Passion et la Résurrection de Jésus ont créé, au centre de l’histoire humaine qui se poursuit, une situation nouvelle. Nous partons à la découverte de cette nouveauté offerte à jamais dans le quotidien de notre existence. Nous chercherons quel(s) passage(e) il nous est demandé de faire, quel(s) seuil(s) nous pouvons franchir, du fait que Jésus est mort et ressuscité.
LA PÂQUE DE JÉSUS
Cette expression au singulier « la Pâque de Jésus » suggère l’unité des divers et nombreux événements qui se déroulent, depuis l’entrée de Jésus à Jérusalem jusqu’à ses premières apparitions comme Ressuscité. Tout cela constitue la Pâque du Seigneur. Il n’y a pas d’une part la Passion et la mort de Jésus, et d’autre part sa Résurrection. En tout cela s’est manifestée l’oeuvre Unique, incomparable, que Dieu a accomplie.
Méditer les textes bibliques, adhérer de tout son coeur aux prières et aux chants de la liturgie durant toute la semaine sainte et les jours du temps de Pâques, tout cela nous nous aide à percevoir l’unité de cette œuvre que Dieu a accomplie pour la guérison de l’humanité, pour le salut de l’être humain, pour que nous lui appartenions, que nous restions en relation avec Lui et qu’il nous partage sa vie dès maintenant et à jamais.
Reconnaissons-le, la retraite de Pâques représente une chance irremplaçable d’aller au coeur de la foi chrétienne, à la racine de l’espérance : l’attestation de l’amour infini de Dieu. Méditer et contempler la Pâque de Jésus va nous conduire à nous décentrer de nous-même pour nous ouvrir à ce que Jésus fait, vit, éprouve, donne…
De cette manière nous réaliserons davantage ce qu’Il a accompli pour nous, pour tous.
* * *
En appui, pour votre méditation je vous propose deux brefs textes :
Jean 10, 11-16
Jésus dit :
Je suis le bon berger.
Le bon berger donne sa vie pour les brebis.
Le salarié est tout différent du vrai berger ; les brebis ne sont pas siennes, et lorsqu’il voit venir le loup, il s’enfuit laissant là les brebis ; le loup s’en empare et les disperse. C’est qu’il est là seulement pour le salaire et les brebis ne l’intéressent pas.
Je suis le bon berger et je connais les miens comme ils me connaissent, tout comme le Père me connaît et moi je connais le Père.
Et je donne ma vie pour les brebis.
J’ai d’autres brebis qui ne sont pas dans ce parc. Celles-là aussi je dois aller les chercher et elles entendront mon appel ; elles ne feront plus qu’un seul troupeau avec un seul berger.
Jean 12, 23-26
Alors Jésus déclara : « L’heure est venue où le Fils de l’Homme va être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis :
si le grain de blé ne tombe pas en terre pour y mourir, il reste seul. C’est quand il meurt qu’il porte beaucoup de fruits. Celui qui tient à sa vie la détruit, mais celui qui méprise sa vie dans ce monde la sauvegarde pour la vie éternelle.
Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur ; si quelqu’un me sert, le Père saura le récompenser.
Maintenant je suis dans un grand trouble. Je pourrais dire : Père, épargne-moi cette épreuve ! Mais je suis venu précisément pour connaître cette heure. Père, glorifie ton Nom ! » À ce moment une réponse vint du ciel : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
« Seigneur, notre Dieu et notre Père,
qui de tout temps et jusqu’à ce que nous Te voyons face à face,
nous tiens dans ton regard d’amour, d’espérance et d’attention,
nous te supplions de nous faire avancer vers une connaissance de Jésus
qui soit une connaissance d’expérience.
Que notre cœur saisisse quelque chose de ses souffrances,
des abîmes en raison desquels il a donné sa vie,
de ce qui est intolérable et qui est en même temps ce pour quoi
il a donné son pardon et imploré ton pardon.
Que nous devenions ainsi sensibles à la puissance de son amour,
la puissance de ton amour
qui a permis et librement donné la résurrection.
Que notre cœur s’ouvre à ce qui habite le cœur
de ton Fils bien-aimé, Jésus, le Christ :
que s’éclaire pour nous de quel abîme il nous sauve,
de quels maux il nous guérit,
et que nous percevions ainsi la puissance de sa Résurrection.
Nous te le demandons à toi, Père,
qui nous permets de te connaître à travers Jésus-Christ
et qui nous donnes confiance et foi
par l’Esprit Saint, l’hôte de nos coeurs, de nos personnes.
Amen. »
Ouverture de la retraite
Introduction à la liturgie
Jeudi saint – une journée concentrant plusieurs mouvements
Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus ; nous célébrons ta Résurrection : nous attendons ta venue dans la gloire
Une fête se prépare : La Pâque juive, fête de la libération de l’esclavage par Dieu qui voit la souffrance de son peuple. La tradition chrétienne a fait coïncider le dernier repas de Jésus et de ses disciples avec le séder, c’est-à-dire le repas qui est au centre de la Pâque juive.
C’est une journée d’adieu : Jésus vit son dernier jour avec ses disciples, partage avec eux son dernier repas, dernière Pâque qu’ils célèbrent ensemble.
Jésus donne son héritage :
- L’Eucharistie où il se livre pour toujours à ses proches sous la forme du pain et du vin
- Le lavement des pieds où il pose les fondements de toute communauté chrétienne : l’amour fraternel et le service mutuel, à la suite de Jésus qui est lui-même amour et service
- Les discours d’adieu (Jn 14-18a) où il console et fortifie ses disciples – promesse de sa présence, sous une autre forme, jusqu’à la fin des temps
Jésus se révèle le serviteur souffrant :
L’ambiance de fête se change en angoisse. Lui, qui était le maître, devient impuissant, livré à l’ignorance et à la méchanceté des détenteurs du pouvoir. En fin de journée, à l’heure de son arrestation, Jésus lutte à Gethsémani. Par amour il se livre tout entier entre les mains d’une humanité qui ne comprend pas, qui ne voit pas.
La liturgie suit ces mouvements :
- La prière du matin rappelle à la fois la fête de la Pâque en Deutéronome et la préparation du repas pascal que Jésus va vivre avec ses disciples. Déjà la passion s’annonce dans les psaumes et la lecture des lamentations de Jérémie : « Jérusalem, Jérusalem, reviens au Seigneur ton Dieu ».
- A midi nous faisons mémoire du lavement des pieds.
- Le soir, avant la célébration à la chapelle, nous prenons en communauté un repas qui rappelle le séder et nous lisons la péricope de la sortie d’Egypte en Ex 12,1-15
- La célébration de 19h00 commence avec le psaume 136 (qui clôt traditionnellement le seder) – pont entre deux réalités qui s’entremêlent : la Pâque juive et l’institution de l’Eucharistie sur laquelle nous mettons maintenant l’accent.
Mais comment faire mémoire de l’institution de l’Eucharistie dans un temps où nous en sommes privés ? Avec un moment de prière silencieuse de 10 minutes après le chant « Je vous laisse ma paix » accompagnant le geste de paix : adoration silencieuse devant la réalité du cadeau que Jésus nous a fait, dans Sa présence toujours offerte. Mémorial eucharistique que nous achevons par une prière d’action de grâce. - Vient alors un moment charnière où le ton de la célébration change : tandis que nous chantons le Psaume 22 (cité par Jésus au moment de sa mort), nous « dépouillons » la chapelle. Les signes de fête sont enlevés : la présence eucharistique, la nappe blanche sur l’autel, les fleurs. Dans une semi-obscurité où seul un lumignon est laissé, nous suivons Jésus et ses disciples à Gethsémani.
- La lecture des discours d’adieu (environ 30 minutes après la célébration) et le chant « Meine Seele ist zu Tode betrübt » (« Mon âme est triste à en mourir ») ouvrent ensuite sur une nuit de prière.
L’horaire et tous les textes de la liturgie sont accessibles sur la page « Prier en direct avec nous». Et de votre côté, chez vous, y-aurait-t-il moyen de signifier ces différents accents de la journée, dans une créativité sollicitant tous vos sens, afin d’entrer de tout votre être dans ce chemin ? Une image, un bouquet de fleurs, un repas, de la musique – autant de moyens pouvant aider à se rendre présent aux événements.
Message par le pasteur Jean-Philippe Calame
Ma vie, c'est moi qui la donne
Dans l’accomplissement d’un même amour
qui l’unit avec le Père, Jésus atteste jusqu’au bout sa liberté
« Ma vie, personne ne me la prend, c’est moi qui la donne. »
« Le Père et moi, nous sommes UN ».
En ce jeudi saint, deux clés nous ouvrent un chemin d’approche des événements de la Pâque de Jésus.
Nous avons déjà fait usage de la première clé pour ouvrir cette retraite, en rappelant que c’est par Amour que Jésus affronte – au lieu de les esquiver – les événements violents de sa Passion et de sa crucifixion. « Jésus, qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, voulut les aimer jusqu’au bout, à l’extrême.» Jean 13,1.
Par cette parole, Jean exprime la tonalité de fond qu’il a lui-même reconnue aux événements de la Passion. Il a appris à les voir à partir de ce qui habite le cœur de Jésus : son amour.
En lien direct avec cette note de fond, nous avons affirmé que pour Dieu, la souffrance n’a aucune valeur en soi. Si Jésus est devenu, particulièrement en sa Passion, un « familier de la souffrance » Esaïe 53, 3. , c’est en tant que serviteur de la volonté qu’il partage avec le Père, le dessein de (re-)conduire tout homme à la vie.
Certains Pères de l’Église, notamment Origène, ont reconnu dans le personnage du Bon Samaritain de la parabole de Luc, la figure de Jésus venu guérir l’humanité blessée. L’un des usages de cette parabole peut donc être de nous préparer à comprendre quel amour et quel enjeu de salut motivent Jésus à affronter la Passion.
Avec ce regard, nous discernons qu’en réalité Jésus prend en charge – plus qu’il ne les subit – les situations qui caractérisent sa dernière semaine à Jérusalem. Par sa manière d’assumer librement et avec amour les conséquences des perversions du coeur humain, Jésus réalise en fait une visitation de toutes les formes du mal, pour en venir à bout. La force et la réalité de son amour vont se révéler plus grandes que les abîmes du mal. Lui, l’homme enchaîné, délivre ainsi l’humanité de toutes les formes d’esclavages qui la rendent captive des forces mortifères.
Aux jours de sa Passion, Jésus n’évite aucune forme de mal, afin d’ accomplir une œuvre précise : enfouir, dans les tourmentes du monde et les profondeurs du mal, le levain de son amour. Il retourne les situations mortifères en occasions d’alliance par l’appel que sur la croix il adresse au Père : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font.» Jean 23,34.
La deuxième clé apte à nous ouvrir une compréhension de la Passion de Jésus est l’unité du Père, du Fils et du Saint Esprit. Lorsque nous méditons la Passion de Jésus, il est capital que nous nous rappelions cette unité. Il est capital que nous écoutions Jésus nous dire et nous révéler : « Moi et le Père, nous sommes UN ».
Un saint témoin de l’Église orthodoxe serbe exprime ainsi cette unité : « Le Père aime tant le Fils qu’il est tout entier dans le Fils, et le Fils aime tant le Père qu’il est tout entier dans le Père ; et l’Esprit Saint est avec amour tout entier dans le Père et dans le Fils. Le Fils de Dieu en témoigne en ces mots : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » 1.
On pourrait dire aussi, comme le suggère l’icône de la Trinité, que le Père et l’Esprit soutiennent les bras de la croix où Jésus se donne.
Il me semble qu’il est fécond de reconnaître que l’unité de Jésus avec le Père est dynamique. En Dieu lui-même l’unité est pour ainsi dire toujours le fruit d’un libre choix. L’unité du Fils éternel avec le Père constitue la source de sa liberté de Fils, en même temps que cette unité suppose de sa part un choix constant. Telle est la vérité de sa filiation au Père, dans son éternité comme dans son incarnation. Telle est la vérité de son identité qu’il vient traduire et accomplir dans la condition humaine. Il dévoile ainsi quelle relation d’alliance et de filiation Dieu veut rétablir avec tout être humain. Jésus en inaugure la possibilité par la manière dont lui-même a librement déployé et accompli sa relation filiale d’unité avec le Père tout au long de sa vie terrestre. Dans les conditions mélangées qui sont celles de la création, blessée par l’adhésion des humains à des choix contraires, l’unité avec le Père a été à chaque instant le fruit d’un libre choix de Jésus, de la crèche jusqu’à la croix.
Ainsi, l’oeuvre d’amour que Jésus accomplit n’est pas seulement un choix qu’il fait librement face au Père, mais une voie dans laquelle il s’engage en communion avec le Père. Selon l’évangile, Jésus n’agit jamais isolément. « Amen, amen, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait. Il lui montrera des œuvres plus grandes encore, si bien que vous serez dans l’étonnement. Comme le Père, en effet, relève les morts et les fait vivre, ainsi le Fils, lui aussi, fait vivre qui il veut .» Jean 5, 19-21.
« Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, continuez à ne pas me croire. Mais si je les fais, même si vous ne me croyez pas, croyez les œuvres. Ainsi vous reconnaîtrez, et de plus en plus, que le Père est en moi, et moi dans le Père.» Jean 10, 37-38.
Même lorsque est venue l’heure où Jésus, livré à la solitude, doit confirmer son choix de manière ultime, il confesse la communion qui l’unit au Père, et la parfaite concordance de leur volonté concernant le dessein de guérir et sauver l’humanité : « Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! ». Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore ». Jean 12, 27-28.
Au soir du jeudi saint, à l’heure du dernier repas, Jésus nous est présenté comme « …sachant que le Père a remis toutes choses entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il va vers Dieu…». Jean 13, 1. Jésus est donc dans une entière possession de tous ses moyens. Il est même au maximum de lucidité et de « maîtrise » qu’un être humain puisse atteindre : il sait d’où il vient et où il va. Il sait aussi la totale confiance du Père à son égard. Il a une parfaite connaissance de l’Amour du Père : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés». 1 Timothée 2, 4. «Voici ce que veut celui qui m’a envoyé: que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour ». Jean 6, 39.
Jésus a littéralement tout en main. Le Père lui a tout remis. Tout est laissé à sa liberté. Tout est suspendu à son choix. Dans cette liberté entière, que fait Jésus? Que choisit-il?
« Il se lève » (il adopte la posture du prophète qui va parler au milieu d’une foule; l’enseignant, lui, est assis);
« Il dépose son manteau » (comme il a déposé sa gloire divine; comme il « déposera » sa vie); « et il commence à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge noué à sa taille». Jean 13, 4-5.
Avec la même liberté entière, Jésus fera le choix de donner sa vie :
« Ma vie, personne ne me l’enlève mais je m’en dessaisis de moi-même.» Jean 10, 17-18.
C’est ainsi qu’il peut dire à Pilate : «Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais pas reçu d’en haut.» Jean 19, 11. Et encore: « Ma royauté n’est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux autorités. Mais non, ma royauté n’est pas d’ici-bas.» Jean 18, 36. Et à Pierre qui brandit l’épée pour le défendre et empêcher son arrestation: « Crois-tu que je ne pourrais pas faire appel à mon Père et il m’enverrait sur-le-champ douze légions d’anges ? ». Matthieu 26, 53.
« Jésus, dans sa parole comme dans son silence montre jusqu’au bout une liberté souveraine 2».
Cette même liberté de Jésus, Marc la met en scène à sa manière. Dans l’ensemble de son Évangile, Dieu n’intervient presque pas, en tout cas presque jamais directement : une voix – c’est la manière la plus directe, la plus explicite ; des anges, un jeune homme ; des messagers.
Jésus est montré dans son humanité, dans la condition où Dieu l’a envoyé en mission. Dès le baptême, où est déclarée son identité, Jésus est jeté dehors, dans la situation d’un humain placé face au choix de faire ou non confiance au lien proclamé avec Dieu. Un Dieu à l’origine de la vie, un Dieu qui pour l’être humain, selon Marc, est un partenaire discret ne diminuant aucunement la liberté de sa créature. Or, cette liberté que la créature est appelée à vivre en alliance avec Dieu, Jésus la maintient face à toute forme d’esprit ou d’influence dont le rôle serait de lui offrir une autre voie, une facilité séduisante qui à terme serait révélerait comme une forme d’esclavage ou d’addiction. Jésus maintient sa vraie liberté humaine en résistant à toute influence dont le rôle serait de lui faciliter de manière trompeuse la prise en charge de sa condition et de sa vocation de créature.
Dans la présentation que Marc donne du Fils de Dieu, Jésus appelle quiconque à partager son positionnement et sa liberté. Il le fait de la manière suivante :
« Si quelqu’un veut me suivre (sur le chemin de liberté qui est la mienne), qu’il se renie lui-même (qu’il ne cherche pas à trouver sa vérité en sauvant sa peau), qu’il prenne sa croix (qu’il me suive sur le chemin de liberté qui est la mienne). Porter sa croix signifie ici : adopter la liberté d’être humain à la manière de Jésus. Porter sa croix signifie choisir la liberté telle que Jésus l’a incarnée, et en porter les conséquences dans un monde qui reste mélangé.
Jésus explique : « Car quiconque veut sauver sa vie la perdra… ». Oui, ce qui perd l’être humain, c’est de vouloir se sauver soi-même, d’être la seule référence de sa propre vie, d’être le seul garant de sa personne.
Au contraire, Jésus a accompli entièrement et parfaitement ce que signifie « tenir la place d’un être humain qui demeure créature de Dieu », car jamais il n’est sorti de la situation d’alliance avec Dieu proclamée par la voix qui au baptême l’a désigné bien-aimé, Fils de Dieu.
Jésus n’a jamais voulu se sauver lui-même, il a gardé intacte sa liberté de suivre et créer son existence humaine comme partenaire de Dieu, ne retranchant rien ni de sa responsabilité propre de créature, ni de sa relation de confiance envers Dieu.
« Vouloir » se sauver c’est déjà, dans l’intention même, une déviance, une défiguration de la filiation confiante par rapport au Créateur et Père. Vouloir se sauver soi-même, c’est glisser vers le projet de maîtriser son existence d’une façon qui engendre nécessairement le repli sur soi. Vouloir se sauver soi-même coupe de fait et profondément la relation tant avec les autres humains qu’avec Dieu lui-même. Les ambitions et les prétentions aussi ruineuses qu’égoïstes ou orgueilleuses naissent de là.
Dans le projet de Dieu, la mort elle-même devait être pour l’être humain un événement appartenant à la confiance. Dans le dessein de Dieu, la mort ne devait être que l’occasion de s’en remettre fondamentalement à son Créateur, une manière ultime de rassembler et de donner à Dieu une confiance expérimentée tout au long de l’existence. À l’inverse, les composantes de violence, de regret, de culpabilité, de souffrances diverses liées à la mort sont le fruit amer des choix d’indépendance et d’opposition répétés par l’être humain à l’égard de Dieu, à l’égard d’autrui et à l’égard des lois de la vie.
Au sein même de ce qui a ainsi rendu la mort effrayante, Jésus est le seul à avoir vécu sa propre mort comme un don ultime de lui-même, en parfaite solidarité avec tout être humain. Lui qui n’avait jamais quitté le lien d’attention créatrice envers le Père a choisi d’assumer dans sa mort jusqu’à l’absence totale de Dieu, situation qui serait le lot d’un réprouvé. Jésus a précisément assumé cela, pour que nous n’ayons pas le connaître.
Par sa parole, par son Évangile, Jésus annonce qu’il transmet cette liberté permettant à l’être humain de se recevoir des mains de Dieu et de pouvoir librement se donner. En faisant de sa vie et de sa personne l’expression sans faille d’une confiance totale au Créateur, Jésus a inscrit dans le tissu de l’histoire l’accomplissement d’une existence conforme à l’identité de créature humaine se sachant aimée de Dieu.
Jésus sur la croix est insulté. On se moque de lui et on le provoque en l’incitant à descendre de la croix, à se sauver lui-même…. S’il le faisait, Jésus sortirait en réalité de la condition propre à une créature humaine. Alors son parcours n’aurait plus d’influence sur notre réalité. La force du renoncement manifestée ici par Jésus illustre sa volonté inflexible de se solidariser avec la condition humaine là-même où elle est marquée par les conséquence du mal. La force du renoncement de Jésus manifeste la vigueur de sa liberté et annonce la puissance qui sera attestée par sa résurrection.
Voyant comment il avait expiré, le soldat qui était là déclara : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! ». Voici la bonne nouvelle ! En une phrase voici tout l’évangile !
« Vraiment cet homme était Fils de Dieu » (non pas « Cet homme était le fils de Dieu, mais fils de Dieu »). Le Fils éternel de Dieu a réalisé pour tout le genre humain l’accomplissement d’une existence en vérité humaine ! Il a répondu sans faille à la vocation adressée à quiconque de vivre en humain fils ou humain fille de Dieu. Face à toutes les formes de distance ou de rejet de Dieu présentes au monde, Jésus a confirmé jusqu’au bout sa liberté de demeurer fils de Dieu. Il en a assumé le prix, il a fait au genre humain le don de tenir bon, inaugurant la possibilité pour quiconque de le suivre sur ce chemin de confiance, certes à l’ombre de la croix, mais dans la vérité d’alliance avec le Père.
La vérité de l’existence humaine c’est que l’être humain est appelé à vivre une filiation créatrice et de confiance avec Dieu. Pour l’être humain, c’est déjà prendre part à la vie de Dieu que d’habiter la terre en alliance avec lui.
« Il était au milieu des bêtes sauvages et les anges le servaient ». Ainsi est présenté Jésus au seuil de l’évangile. Deux images symboliques contrastées suffisent à résumer non seulement la situation et l’identité du Fils de Dieu en son incarnation, mais aussi celle de tout humain qui grandit avec, en son être comme en son entourage, un monde habité de forces « sauvages », tout en étant créature de Dieu dont les anges symbolisent ici l’attention constante et l’offre d’alliance aussi réelle que discrète, une alliance soumise à la liberté de choix de l’être humain.
À la dernière page de l’Evangile, on lira : « Les femmes ne dirent rien à personne » au sujet de Jésus ressuscité. On peut déjà, à l’heure où Jésus va, par sa mort, jusqu’à l’extrême de la confiance, entendre un appel précis adressé à chaque lecteur de l’évangile: «Les femmes ne dirent rien à personne »…. toi, fais confiance, et parle ! » C’est un appel qui s’adresse à chaque baptisé-e et à chaque communauté visible de baptisés : Toi, fais confiance, parle ! C’est-à-dire continue l’histoire du don de la confiance ; continue dans l’histoire, sur les pas de Jésus, le choix possible d’entrer dans sa liberté ! Et donc en toutes circonstances, que celles-ci soient heureuses ou particulièrement difficiles, ose adhérer à la liberté d’être toi-même, à savoir d’être fils, fille de Dieu comme Jésus l’a réalisé entièrement. Avec lui, grâce à lui, sois en ton humanité un fils, une fille de Dieu ! Sois un être d’alliance, un-e témoin de la confiance !
* * *
Indications visant à favoriser la prière, la méditation.
« Ô Jésus, par tes blessures, tu me rends toujours plus fort… ».
Quelle force cherchons-nous à accueillir en ce jour ?
Qu’est-ce qui exige de la force ?
– Voir le monde dans sa réalité.
Oui, être solidaire des souffrances est en notre temps particulièrement éprouvant.
Ils sont nombreux, les innocents condamnés qui tombent sous les coups
et à qui l’on arrache la vie en un instant.
Attentats, guerres, famines, exil, chômage, dépression…
La violence et la souffrance accablent l’humanité.
À force de voir les images et d’entendre les commentaires
nos cœurs saturés se protègent et risquent de se fermer.
C’en est trop… la répétition et l’accumulation finissent par nous insensibiliser.
Un grand croyant âgé disait : « Pour voir le monde vraiment tel qu’il est, il faudrait tenir la main de Dieu et n’ouvrir les yeux que quelques instants… ».
« Ô Jésus, par tes blessures, tu me rends toujours plus fort… ».
La Passion de Jésus est pour nous la force
capable de soutenir et élargir notre cœur…
parce que Jésus dans sa Passion nous montre
à quel point il insère en toute situation
la présence et l’amour de Dieu.
Rien n’est parvenu à diminuer l’amour de Jésus pour les êtres humains.
Risquons-nous donc sur cette route de prière
qu’est la méditation de la Passion du Christ.
Elle libérera notre miséricorde engourdie,
elle réveillera notre compassion,
elle enracinera notre confiance
et affermira notre espérance.
« Père très saint, Créateur de toute vie,
ton Fils Jésus s’est librement donné,
jusqu’à son sang répandu,
pour délivrer chaque être humain des forces de la mort.
Sois proche en notre temps de toute personne
qui connaît des souffrances inexprimables
et de nos semblables dont la vie est menacée ou anéantie.
Dans ta bonté, maintiens ta providence
et permets que le cours des événements du monde
soient infléchis vers ta volonté de guérison, de justice et de paix.
Que ton Église se consacre à ton service avec une confiance renouvelée,
et qu’elle s’engage avec constance pour la libération et le salut de tout être humain,
en union avec Jésus, le Christ, notre Seigneur.
– Amen. »
1Nicolas Velimirovitch, cité par D. BOURGUET dans L’Évangile médité par les Pères. Jean, Ed. Olivetan, Lyon, 2010, p.182.
2Olivier CLÉMENT, Joie de la Résurrection. Variations autour de Pâques, Salvator, Paris, 2015, p.23.
Ma vie, c'est moi qui la donne


Introduction à la liturgie
Vendredi saint – Jour du don ultime
Antienne : Venez, adorons et prosternons-nous devant le Christ. Sauve-nous, ô Fils de Dieu. Toi qui fus suspendu sur une croix, nous te chantons, alléluia !
Jour dense, poignant. Dans l’Evangile de St Jean nous suivons Jésus depuis son arrestation jusqu’à sa mort.
Mort pour nous – comment accueillir toujours plus profondément cette réalité ? Solidarité radicale de Dieu avec notre fragilité, notre souffrance, notre péché : « Tout est accompli ! »
Jésus a assumé sa mission à travers luttes et angoisses ; désormais il s’en remet complètement au Père. Avec lui nous pouvons approcher tout ce qui, en nous, mène à la mort, tout ce qui nous empêche de nous ouvrir à la Vie véritable. Rien ne lui est étranger, il traverse nos abîmes. Dans le silence de cette journée, nous pouvons tout lui donner. En buvant le vinaigre sur la croix, il prend sur lui toute l’amertume du monde pour la transformer.
La liturgie de cette journée est sobre : peu de paroles, des psalmodies à l’unisson, des silences. A travers la lecture de courts passages de l’épître aux Hébreux, nous regardons en Jésus le grand Prêtre qui nous ouvre le chemin vers le Dieu inaccessible.
Les deux prières de midi et de 15 heures n’en font qu’une : midi – l’heure de l’élévation de Jésus sur la croix, et 15 heures – l’heure de sa mort. Entre ces deux prières, préservons-nous un espace pour contempler, peut-être pour se promener ou pour approcher du mystère que nous vivons sous une forme artistique.
A midi, après la lecture de l’Evangile, nous faisons silence pour écouter la douleur de Dieu, souffrant avec son Fils, donnant son amour qui est refusé si violemment.
A 15 heures, nous répondons à la lecture de l’Evangile de la mort de Jésus par le chant des Béatitudes, qui acquièrent ici toute leur profondeur de sens – promesse d’un bonheur qui, au delà des apparences, est déjà réalité dans le regard de Dieu. Sur la croix « Jésus remit son Esprit » : dans une vaste intercession nous invoquons cet Esprit sur l’Eglise et sur le monde.
Suit une méditation silencieuse de 10 minutes, en lieu et place de l’Eucharistie dont nous sommes privés cette année : c’est le moment d’accueillir le vide, l’absence.
Office de la sépulture
Cette prière vient de la tradition orthodoxe. Nous sommes au soir du vendredi saint. Tout est accompli. La lutte est terminée. Jésus est mort. Dans les psaumes s’amorce déjà en filigrane le mouvement vers Pâques :
« L’arbre de vie, c’est ta croix, Seigneur » (Antienne du Ps 1)
« Dans la paix je m’endormirai et bientôt je reposerai » (Ps 4)
« Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants » (Ps 116)
C’est l’heure de Joseph d’Arimathée, l’ami discret qui ne paraît qu’à la fin, lorsque tout le monde s’est dispersé. Il offre son propre tombeau, symbolisé dans notre chapelle par l’autel recouvert avec une représentation de Jésus pleuré par sa mère et ses amis. Accompagnés par les chants de Taizé, nous nous avançons pour y déposer des fleurs : démarche permettant à chacun, à son rythme, de prendre congé, et souvent de revivre des deuils encore douloureux. Geste symbolique que chacun, là où il se trouve, peut poser.
Nous nous inscrivons ainsi dans le mouvement du Christ qui passe, à travers la mort, vers la Vie :
Dieu de miséricorde qui veux que nous soyons baptisés en la mort de ton Fils, notre Sauveur, donne-nous une vraie repentance, afin qu’en passant avec lui par les portes du tombeau et de la mort, nous renaissions dans la joie à une vie nouvelle, par Celui qui est mort, qui a été enseveli et qui est ressuscité pour nous, Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen
Message par le pasteur Jean-Philippe Calame
Jésus visite toute situation
En ce jour de vendredi saint, nous voulons nous poser la question : de quoi est-ce que Jésus nous libère ? Nous en chercherons les signes sur le chemin où il est emmené pour être crucifié.
De quoi est-ce que Jésus nous sauve ? Nous en accueillerons l’annonce dans ce qu’il dit aux femmes qui pleuraient à son sujet.
D’ordinaire, les réalités qui nous éprouvent ont pour effet de nous replier sur nous-même. Dans un premier temps, nous ne parvenons pas à nous détacher des humiliations, agressions, ou injustices impossibles à pardonner… D’habitude nos difficultés et nos souffrances captivent notre attention toute entière. Mais en ce jour de vendredi saint, l’intensité de ce que Jésus va affronter nous incite fortement à fixer nos yeux sur lui.
Tandis que notre penchant naturel est de ramer seuls pour lutter, aujourd’hui – d’une certaine manière – nous voyons Jésus marcher sur les eaux à la rencontre de notre barque. En effet, nous le voyons affronter la violence de toute tempête, pour venir se placer à l’endroit même où l’humanité est souffrante. Dans sa Passion, il rejoint la réalité la plus déconcertante pour l’humanité…
Ainsi, on peut dire que durant son procès et sur le chemin qui le mène au calvaire, Jésus visite des situations concrètes qui symbolisent bien l’ensemble des milieux humains et de ce qui s’y passe. Jésus est conduit et plongé au coeur de problématiques bien représentatives des sources de conflits, d’injustices, d’oppressions et de souffrances. Entre autres :
- Il connaît la trahison par l’un de ses disciples, et le reniement de la part de celui qu’il a élu comme berger de son Église.
- Les autorités religieuses sont les premières à lui intenter un procès…
- Puis vient sa comparution devant les autorités politiques locales, et d’occupation.
- Parmi ceux qui avaient acclamé sa venue quelques jours auparavant avec enthousiasme, beaucoup se mettent à crier avec tous : « Crucifie-le ! ».
- En tout point Jésus éprouve l’état douloureux de notre condition humaine, et tout ce qui conduit au découragement. Il souffre l’incompréhension, la critique, le rejet, les élans désordonnés de la foule et l’inconstance de ses plus proches.
Face à ces aspects de la réalité, Jésus atteste sa sagesse et son amour. Tandis qu’il est entraîné de-ci de-là comme un condamné quelconque, nous pouvons pressentir que ces visitations d’un homme aux mains liées annoncent et incarnent qu’il vient délier les chaînes qui entravent les humains, tant au niveau des pouvoirs religieux ou politiques, que dans les rapports entre les diverses couches de la société, et finalement face à toute manifestation du mal.
Oui, durant la Passion, toutes les formes d’oppositions se dévoilent et s’expriment à l’extrême. Mais Jésus saisit l’occasion d’y mettre sa compassion, son pardon, son amour. Le mal a beau élever au maximum sa prétention à occuper toute la place, il se révèle impuissant à décourager la volonté qu’a Jésus de nous sauver. Dans son déploiement ultime, le mal finalement ne parvient qu’à révéler la toute patience de Jésus, la puissance de son amour.
La tristesse qui peut nous venir devant la croix n’est pas d’abord affective. C’est une tristesse ou une émotion qui provient de ce que l’on commence à comprendre que, au travers de la Passion de Jésus, Dieu saisit en lui la misère humaine.
Il prend en charge l’horreur de tout ce qui se développe hors de l’amour, dans l’état de séparation d’avec Dieu qui est la source de la vie. Jésus porte le poids et les conséquences de tout ce qui est « hors de sens » parce que développé hors de l’alliance avec Dieu, en opposition à lui.
La part de souffrance que nous pouvons alors connaître n’est pas une tristesse qui désespère, mais une sorte d’ écho en nous de la souffrance d’amour que le Christ a éprouvée en voyant l’humanité défigurée, dans l’état où la plongent l’éloignement par rapport à Dieu, l’ignorance ou le rejet de son amour.
La forme de souffrance que nous éprouvons alors ne peut pas être séparée de la gratitude. Oui, la reconnaissance s’élargit en nous, l’action de grâce s’approfondit à mesure que nous discernons un tant soit peu de quel abîme que Jésus est venu nous sauver.
Mais il peut arriver aussi que la lecture ou la contemplation de la Passion de Jésus nous laisse comme insensibles. Cette absence de tout ressenti, le fait que l’on puisse être assez distrait, ou éprouver un certain ennui alors même que nous essayons d’accueillir le récit de la Passion, voilà qui nous surprend, voilà qui nous met probablement mal à l’aise.
Ce n’est pas le lieu de « moraliser » cet état. Certes, nous pouvons y reconnaître les limites somme toute étroites de notre capacité à l’empathie, à la compassion, ou à l’amour. Mais nous devons surtout reconnaître en cela un fait : ce que Jésus affronte est au-delà, bien au-delà de ce que nous sommes capables de concevoir. Le combat qu’il mène est au-delà de notre portée. Dans la déclaration de Jésus, disant à ses disciples : « Là où je vais, vous ne pouvez venir », Bernanos lisait l’annonce et la révélation que Jésus allait affronter un abîme dont il nous sauve précisément pour que nous n’ayons pas à le connaître. Cet abîme, c’est : l’absence de Dieu.
Tôt ou tard, et progressivement, la confiance que Jésus maintient envers le Père, précisément dans une nuit qui pour lui est totale, cette confiance va nous apparaître comme le « lieu » où Jésus nous invite à le rejoindre. Car là se trouve le don essentiel qu’il veut nous faire : le don de trouver ou retrouver une confiance de fond envers Dieu qui est son Père et notre Père.
Oui, la foi qui sauve, c’est-à-dire la confiance qui rend l’être humain à la vie, consiste à nous appuyer sur la confiance que Jésus a envers le Père. Ce qui redonne à l’être humain une vie pleine, c’est de pouvoir rejoindre Jésus dans sa propre confiance et de pouvoir y adhérer, de pouvoir dire oui à la foi de Jésus.
Ce que l’on commence à pressentir ici, c’est que le Christ nous attire à lui, qu’il nous appelle et nous invite à entrer dans cette situation d’alliance restaurée où la confiance envers Dieu est rétablie. Là s’exprime déjà pour l’être humain, la guérison, le salut que Jésus a accompli.
Alors que Jésus porte sa croix, il s’arrête pour adresser une parole à des femmes en pleurs. « Le peuple, en grande foule, le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus. Il se retourna et leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Voici venir des jours où l’on dira : “Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté, celles qui n’ont pas allaité !”
Alors on dira aux montagnes : “Tombez sur nous”, et aux collines : “Cachez-nous.” Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? »
Que nous enseigne cet instant ?
Il me semble que cet instant ouvre à la dimension universelle de ce que Jésus est en train d’accomplir. Jésus empêche ces femmes -et nous avec elles- de limiter ce qui se passe à une épreuve terrible qui ne concernerait que sa propre personne.
En orientant autrement la tristesse de ces femmes et la nôtre, Jésus fait voir l’entier de ce qu’il assume en portant sa croix. Il n’est pas « simplement » un éprouvé de plus sur la terre et dans l’histoire des hommes. Il n’est pas un condamné de plus parmi les multitudes qui subissent à raison ou à tort une peine particulière.
Ce que Jésus porte, c’est la totalité du mal et des souffrances générés par les mauvais choix, attitudes, déséquilibres dont les humains se rendent responsables ; tout ce qui fait que survient et s’étend dans le monde des situations où l’on en vient à considérer qu’il vaudrait mieux ne pas avoir d’enfants, tellement les maux de toutes sortes menacent de l’emporter sur la vie, tellement les conditions d’existences deviennent infra-humaines. Le regret d’avoir des enfants représente une gravité extrême, une situation qui menace de tuer jusqu’au désir de vivre. Cette dépression, qui saisit une collectivité aussi bien qu’un individu, incite à se replier, jusqu’à vouloir disparaître de la surface de la terre : « Montagnes, tombez sur nous ; collines, cachez-nous ! ».
Que ce soit en raison d’un aveuglement individuel ou collectif, ou que cela soit sciemment pour des raisons de profits, les humains n’observent pas les lois de la vie. Les déséquilibres qu’ils créent ainsi déclenchent des processus dont ils perdent tôt ou tard la maîtrise. Alors le mal se répand, comme une contagion, comme une pandémie.
La parole que Jésus adresse aux femmes est, une fois de plus, une façon de redire, au coeur de l’épreuve, la totalité de la grâce qu’il apporte. Ce que l’être humain peut et doit pleurer, c’est l’abîme des souffrances et du mal dont l’histoire humaine est marquée. Souvent, le mal prend de telles proportions qu’il devient même impossible d’en reconnaître vraiment la réalité. Cela voisine l’impensable, un état qui ne peut plus être assumé par notre coeur, ni même saisi par notre pensée.
La parole de Jésus aux femmes en pleurs dévoile alors son importance capitale : ce que Jésus porte à cet instant, ce n’est pas seulement sa croix et sa douleur particulière d’être humain. Ce que Jésus porte en sa Passion, c’est l’entier du mal, c’est le mal dans sa partie insaisissable, dans sa dimension « hors capacité ».
C’est précisément là que résonne l’évangile, la bonne nouvelle qui en vérité est à la mesure sans mesure du mal absolu. Ce que Jésus porte en sa Passion, c’est le mal et le néant en ce qu’ils excèdent toute possibilité d’appréhension par la pensée humaine…. En face de tout cela, où l’humain porte cependant une responsabilité, Jésus prononce son amour et en appelle à l’amour qu’il sait être celui du Père : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
C’est précisément ce qui dépasse la capacité d’entendement des humains relativement au mal dont ils sont responsables ou complices, c’est cela que Dieu va pardonner. Comme le disait Paul Evdokimov, « en Jésus sur la croix, Dieu contre Dieu a pris le parti de l’homme ».
En d’autres termes, ce qui est « l’inconcevable », à quoi Dieu n’aurait jamais mis la main, ce qui est « l’inconcevable » pour Dieu lui-même, ce qui est le contraire de Dieu, Dieu le prend en charge comme s’il en était lui-même responsable. Dieu en prend sur lui les conséquences comme s’il en était la source. Ainsi, Dieu délivre l’humain de l’abîme de dé-création auquel ses choix donnent le pouvoir. Les conséquences d’un rejet absolu de Dieu, Dieu les prend sur lui pour en délivrer ses créatures, pour que nous n’ayons pas à connaître l’impensable que nous, nous n’avons pas choisi de refuser totalement.
En cette heure, en ce jour, fixons donc nos yeux sur Jésus-Christ. Que l’accueil de la Passion du Christ nous fasse connaître l’engagement de Dieu par rapport à l’histoire humaine. Face au mal, la réponse de Dieu est de porter, d’emporter le mal, de délivrer l’être humain. Oui, la revanche prend la forme d’un amour plus fort que la mort.
De Ton rivage à mon rivage
il n’y a que ta croix comme passage,
ô Seigneur !
De Ta lumière à ma misère
il n’y a que ta croix comme passage,
ô Seigneur !
De Ton visage à mon image
il n’y a que ta croix comme passage,
ô Seigneur !
Prions pour tous ceux qui sont morts dans la paix ou dans les tourments,
dans la foi ou dans le doute, dans la lumière ou dans les ténèbres,
et prions pour ceux qui se sont enlevés la vie,
afin que le Seigneur notre Dieu les couvre tous de sa miséricorde
et les fasse revivre en lui pour le règne éternel.
Seigneur Dieu,
Toi seul connais les pensées et les cœurs des hommes,
et toi seul juges dans ton infinie miséricorde leurs actions :
Fais resplendir ton visage sur tous les morts, essuie toute larme de leurs yeux
et accueille-les auprès de toi dans ton règne où il n’y a plus ni mort,
ni douleur, ni pleurs, parce que les réalités d’autrefois sont passées
et tout est rendu à la pleine intégrité,
par le Christ, notre unique Seigneur.
Amen.
Jésus visite toute situation


Introduction à la liturgie
Samedi Saint – Le grand Shabbat
Samedi – jour entre vendredi saint et Pâques, où apparemment rien ne se passe. Jour d’absence, d’attente, de préparation. Pour donner à la liturgie une tonalité de sobriété et de silence, nous récitons les psaumes. Les lectures sont pleines d’une symbolique en résonance avec le sens profond de cette journée :
- Daniel jeté dans la fosse aux lions est depuis toujours une préfiguration de la mort du Christ : souffrance de l’innocent qui est libéré d’un lieu sans issue.
- Jonas plongé, dans les entrailles de son poisson, au profond de la mer, figure traditionnellement aussi la mort et la résurrection du Christ (Évangile du matin).
- La 1ère Épître de Pierre souligne la pointe de cette journée, figurant aussi dans le symbole des Apôtres : la descente du Christ aux enfers.
L’œuvre de libération commence dans la prison. Occasion de faire mémoire de nos proches décédés, de les tenir dans la présence du Christ. La prière de midi offre un espace pour les nommer.
Invitation aussi à accueillir le Christ dans nos profondeurs, dans nos enfermements, pour nous laisser entraîner avec Lui vers la vie. La méditation de Sr Olga sur l’icône de la descente aux enfers, icône centrale de notre célébration pascale, éclaire bien cet aspect. - Dans l’Évangile lu à la prière de 10 heures, les femmes préparent les aromates et parfums destinés à Jésus.
- A midi nous faisons mémoire de notre baptême, par lequel nous avons été plongés dans la mort du Christ pour ressusciter avec lui. Les premiers chrétiens baptisaient d’ailleurs les nouveaux croyants dans la nuit de Pâques, une tradition pleine de sens.
- Les Psaumes de ce jour ont déjà une tonalité pascale : on y retrouve les images du sommeil protégé, de la libération, de la vie nouvelle.
- A la fin des grandes complies nous recevons une bénédiction nous préparant au passage vers Pâques avec la force et la douceur de l’Esprit Saint.
C’est toi, Père, qui veillais sur le corps de ton Fils Jésus, en toi sa chair reposait en sûreté. Ouvre à l’espérance le cœur de toute personne, prépare-nous à célébrer la Résurrection du Christ, à laisser vivre en nous la nouveauté de vie qu’Il nous offre, à recevoir au jour que tu auras choisi, la gloire d’une résurrection semblable, car Il règne avec toi et le Saint-Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles. Amen
A partir de 17h samedi vous trouverez l’introduction à la liturgie de l’aube de Pâques.
Message par le pasteur Jean-Philippe Calame
La face cachée de la Pâque
Ouvrons le temps du samedi saint par l’accueil d’une homélie ancienne
« Que se passe-t-il ? Aujourd’hui, grand silence sur la terre, grand silence et ensuite solitude parce que le Roi sommeille. La terre a tremblé et elle s’est apaisée, parce que Dieu s’est endormi dans la chair et il a éveillé ceux qui dorment depuis les origines. Dieu est mort dans la chair et le séjour des morts s’est mis à trembler. (…) 1
C’est le premier homme qu’il va chercher, comme la brebis perdue. Il veut aussi visiter ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort. Oui, c’est vers Adam captif, en même temps que vers Ève, captive elle aussi, que Dieu se dirige, et son Fils avec lui, pour les délivrer de leurs douleurs. (…)
Le Seigneur s’est avancé vers eux, muni de la croix, l’arme de sa victoire. Lorsqu’il le vit, Adam, le premier homme, se frappant la poitrine dans sa stupeur, s’écria à l’adresse de tous les autres : « Mon Seigneur avec nous tous ! » Et le Christ répondit à Adam : « Et avec ton esprit« . Il le prend par la main et le relève en disant : » Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera.
« C’est moi ton Dieu, qui, pour toi, suis devenu ton fils , c’est moi qui, pour toi et pour tes descendants, te parle maintenant et qui, par ma puissance, ordonne à ceux qui sont dans les chaînes : Sortez ! A ceux qui sont dans les ténèbres : Soyez illuminés ! A ceux qui sont endormis : Relevez-vous !
« Je te l’ordonne : Éveille-toi, ô toi qui dors, je ne t’ai pas créé pour que tu demeures captif du séjour des morts. Relève-toi d’entre les morts : moi, je suis la vie des morts. Lève-toi, œuvre de mes mains ; lève-toi, mon semblable qui as été créé à mon image. Éveille-toi, sortons d’ici. Car tu es en moi et moi en toi, nous sommes une seule personne indivisible.
« C’est pour toi que moi, ton Dieu, je suis devenu ton fils ; c’est pour toi que moi, le Maître, j’ai pris ta forme d’esclave ; c’est pour toi que moi, qui domine les cieux, je suis venu sur la terre et au-dessous de la terre ; c’est pour toi, l’homme, que je suis devenu comme un homme abandonné, libre entre les morts ; c’est pour toi , qui es sorti du jardin, que j’ai été livré (…).
« Vois les crachats sur mon visage ; c’est pour toi que je les ai subis afin de te ramener à ton premier souffle de vie. Vois les soufflets sur mes joues : je les ai subis pour rétablir ta forme défigurée afin de la restaurer à mon image.
« Vois la flagellation sur mon dos, que j’ai subie pour éloigner le fardeau de tes péchés qui pesait sur ton dos. Vois mes mains solidement clouées au bois, à cause de toi qui as péché en tendant la main vers le bois. (…)
« Lève-toi, partons d’ici. L’ennemi t’a fait sortir de la terre du paradis; moi je ne t’installerai plus dans le paradis, mais sur un trône céleste. Je t’ai écarté de l’arbre symbolique de la vie ; mais voici que moi, qui suis la vie, je ne fais qu’un avec toi. J’ai posté les chérubins pour qu’ils te gardent, comme un serviteur ; je fais maintenant que les chérubins t’adorent comme un Dieu. (…)
« Le trône des chérubins est préparé, les porteurs sont alertés, le lit nuptial est dressé, les aliments sont apprêtés, les tentes et les demeures éternelles le sont aussi. Les trésors du bonheur sont ouverts et le royaume des cieux est prêt de toute éternité. »
* * * *
Le samedi saint apporte sa propre clarté sur la mort de Jésus. Nous tenons de l’apôtre Pierre que le chemin de vendredi saint s’est poursuivi par une œuvre invisible, par une annonciation : Jésus ressuscité a visité le séjour des morts pour y annoncer le relèvement de l’humanité. Ainsi, nous le croyons, la résurrection de Jésus opère un changement à la racine.
Comme l’exprime Frère John, de Taizé, dans un très beau livre intitulé Terre de Passage. Le samedi saint et la redécouverte de l’au-delà 2, ce jour particulier offre le chaînon indispensable qui équilibre vendredi saint et Pâques.
Samedi saint, ce « jour blanc », en quelque sorte, un peu oublié de la liturgie et de la piété, est indispensable pour rendre créatrice la tension que chacun ressent entre vendredi saint et Pâques. Il y a tension parce que vendredi saint est toujours menacé de rester coincé dans la souffrance, voire même de pencher vers le dolorisme, tandis que le matin de Pâques est toujours menacé de nourrir une joie triomphale peu ancrée dans le terreau quotidien. Or c’est là, dans le quotidien, que l’humanité nous attend pour juger de la solidité de notre espérance !
Le samedi saint établit le lien entre le don de Jésus et sa victoire, entre l’offrande et le fruit, entre le cri et l’exaucement. Jour de transition, samedi saint représente l’étape où le fondamental advient sans manifestation visible, où ce qui a été accompli sur la croix va porter son fruit d’assainissement jusqu’aux racines du mal, et porter la victoire de l’amour jusque dans les fondements du créé.
Avant toute apparition à ses disciples, Jésus Ressuscité s’en va donc « … proclamer son message aux esprits qui étaient en captivité ». 1 Pierre 3, 19. Comme toujours lorsqu’il s’agit de Jésus, cet événement qui a une portée cosmique peut également être considéré dans sa dimension individuelle, comme une rencontre de Personne à personne où le Ressuscité atteste la victoire de son combat et en apporte le fruit.
Sur cette œuvre invisible, frère Roger aimait fonder un aspect important de notre confiance. Souvent il rappelait que nous pouvons remettre à la présence et à la bonté de Jésus Ressuscité les profondeurs chaotiques de notre être. Dieu sait les tensions, les angoisses, les mouvements qui agitent notre psychisme et notre personne, et sur lesquels il nous semble avoir si peu de prise. Or « Dieu n’est pas un tourmenteur de la conscience humaine »3. que dans les zones mouvantes et parfois bouleversées de nous-même, le Ressuscité vient offrir sa présence et conduire une œuvre d’apaisement. La descente de Jésus au séjour des morts nous ouvre aussi la perspective que des forces non encore maîtrisées et chaotiques en nous peuvent devenir, avec l’aide du Christ, forces positives, créatrices, capables de soutenir notre croissance vers l’épanouissement de notre vraie humanité.
Dans l’accompagnement spirituel, on est souvent témoin que Jésus Ressuscité rejoint, dans l’enfer de leurs souffrances, celles et ceux qui ont connu des blessures profondes dans leur parcours de vie. Comme le proclame joyeusement une hymne pascale, Jésus refait le chemin de sa Pâque avec chacun en particulier.
Il s’est levé d’entre les morts,
Le Fils de Dieu, notre frère,
Il s’est levé, libre et vainqueur,
Il a saisi notre destin
Au cœur du sien,
Pour le remplir de sa lumière.
Sur lui dans l’ombre sont passées
Les grandes eaux baptismales
De la douleur et de la mort,
Et maintenant, du plus profond
De sa Passion,
Monte sur nous l’aube pascale.
L’histoire unique est achevée :
Premier enfant du Royaume,
Christ est vivant auprès de Dieu ;
Mais son exode humble et caché,
Le Fils aîné
Le recommence pour chaque homme. 4 s. M.-P.
Dans cette ligne, en ce jour, deux images se répondent : l’icône de Jésus Bon Samaritain et l’icône de la Résurrection évoquant la visite victorieuse de Jésus aux enfers. À chaque fois, on observe le même mouvement : le Seigneur se penche pour relever l’être humain blessé sur le chemin de la vie terrestre, ou vers Adam et Eve pour les rappeler du séjour des morts.
Il y a donc ces heures, il y a ces instants dans nos vies où, alors que nous sommes aux prises avec une réalité angoissante ou douloureuse, nous réalisons que le Christ est proche, et que nous pouvons, comme Adam et Eve au séjour des morts, saisir la main que Jésus nous tend. Il y a ces heures, il y a ces instants où Jésus nous dit à nous en particulier : « Lève-toi, œuvre de mes mains ; lève-toi, mon semblable qui as été créé à mon image ; je ne t’ai pas créé pour que tu demeures captif. Éveille-toi, sortons d’ici. Car tu es en moi et moi en toi, nous sommes une seule personne indivisible ».
Il s’agit alors, pour notre part, de privilégier cette voix du Ressuscité par rapport à toute autre voix. Il s’agit d’accueillir son appel à la vie, de faire acte de liberté et de nous lever pour avancer avec lui dans l’aujourd’hui de son règne!
Le jour de samedi saint pourrait bien servir d’emblème ou de symbole du temps que nous vivons, le temps qui dure après la résurrection de Jésus. Car au jour de samedi saint, la victoire n’est pas attestée par un défilé triomphal mais agit au contraire comme un ferment invisible au cœur de l’histoire.
Et c’est bien avec ce statut de levain caché que les témoins du Ressuscité poursuivent leur parcours et tentent de donner corps à la formidable espérance qui les habite.
La réalité nouvelle que les chrétiens cherchent à faire connaître tout en s’appliquant à y adhérer représente une force invisible dont beaucoup ne remarquent pas les effets !
Le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité mais pour l’heure cette réalité travaille une histoire à ce point chaotique que le croyant poursuit le plus souvent son chemin dans le brouillard.
Être témoin de la résurrection ne consiste pas à brandir une lumière d’emblée évidente, mais à se laisser saisir par une nouveauté qui change progressivement le regard, permettant de suivre sur une mer agitée le cap indiqué par l’amour de Dieu, l’amour tel que Jésus l’a montré et porté à son accomplissement.
Après avoir assisté à l’annonciation de la Résurrection au séjour des morts, notre situation n’est pas sans analogie avec celle de Marie au lendemain de l’annonciation à Nazareth. Après la visite de l’ange, quelle tonalité reçoit l’existence de Marie ? Extérieurement, rien n’a changé.
Marie se rend en hâte auprès d’Elisabeth. En chemin, elle croise certainement des patrouilles de la force romaine d’occupation. Mais ce rappel constant de tous les dangers et des terreurs de la guerre ne parviennent pas à réduire sa joie de porter en elle le Fils de Dieu !
L’espérance et la JOIE de Marie se déplaçant en hâte vers les montagnes de Judée pour rejoindre Elisabeth, n’est-ce pas le paradigme de notre situation de croyant, portant en notre cœur la Nouvelle et les prémisses de la Résurrection ?
« Il y a trois sortes d’êtres humains, observait un psychologue : les hommes, les femmes, et les femmes enceintes ! ». Oui, parce que ces dernières ont une perception très singulière de la réalité, en raison de l’événement qu’elles vivent. Les circonstances extérieures ne parviennent jamais à prendre le pas sur le fait qu’une vie nouvelle grandit en elles, une vie qu’elles portent et conduisent jusqu’au jour.
Le croyant, témoin de la résurrection, n’est-il pas aussi un troisième type de personne, à cause du regard différent qu’il porte sur le monde, du fait que lui aussi, comme la femme enceinte, est «en espérance » ?
« Comment Marie a-t-elle vécu le samedi saint ? » Accueillir cette question nous reporte au seuil de l’Évangile, qui souligne l’humble et solide ressource de Marie. Face à l’écart ahurissant entre ce qui était dit de l’enfant Jésus et les conditions précaires et cachées de sa naissance, l’attitude de Marie était de «tenir en mémoire tous ces événements pour les reprendre avec le cœur ».
En ce jour de samedi saint, au coeur du bouleversement causé par la crucifixion de Jésus, Marie a certainement vécu la reprise en son cœur des événements de la Passion à la lueur de la prophétie douloureuse que le vieux Syméon avait inclue dans sa bénédiction : « Un glaive te transpercera l’âme » ; à la lueur aussi des ultimes paroles de Jésus : « Père, pardonne-leur… ».
Marie vit probablement la traversée du samedi saint avec la ténacité humble et entièrement dépouillée de l’espérance en situation extrême : tenir présent ce qu’elle avait saisi du dessein de Dieu ; laisser résonner encore -et ne pas repousser à l’heure des ténèbres- la salutation par laquelle Dieu l’avait déclarée comblée de grâce et choisie pour enfanter le Sauveur qui serait pour la multitude le sujet d’une grande joie.
L’Évangile ne nous dit rien du parcours de Marie dans la durée du samedi saint, et cela nous évite de figer en sa personne ce qui doit devenir le mouvement de l’Église tout entière. Dans les obscurités de l’histoire, il s’agit pour nous aussi de retenir les événements rapportés par l’Évangile, et d’y chercher la Lumière véritable. Pour nous aussi, il s’agit de laisser résonner – et aux heures extrêmes de ne pas repousser – la prière et le choix d’ultime confiance de Jésus : « Père, … quelque doive en être le chemin, que ta volonté de salut s’accomplisse. »
Nous sommes en ce moment en situation de tempête. Pour tous, il est exigeant de garder le cap, et de consentir à vivre bientôt les exigences d’une importante, probablement capitale transition, car nous ne reviendrons pas à la situation d’avant les bouleversements générés par l’actuelle pandémie.
Un psaume habite nos mémoires, le psaume 23 que nous sommes si nombreux à connaître par coeur.
Il vaut la peine d’écouter comment il résonne en sachant quel chemin et quel ravin de mort Jésus a suivi en sa Pâque.
Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi face à mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours.
« Le Seigneur est mon Berger, le Seigneur est notre Berger… » La descente de Jésus au séjour des morts nous assure qu’ au plus fort de l’angoisse, au bord des ravins où l’on risque la mort, le Berger fiable se tient présent pour toute l’humanité. Dès lors, nous le savons : en chaque transition nécessaire qui puisse survenir dans l’histoire du monde, les disciples de Jésus Crucifié et ressuscité, ainsi que les êtres de bonne volonté, peuvent se référer à la vérité du secours offert par le bon Berger et s’appuyer sur la force de la victoire déjà remportée par Dieu pour qu’advienne la vie véritable.
Nous en reparlerons demain, dans la lumière de la résurrection.
La face cachée de la Pâque
Méditation de soeur Olga
L'icône de la Descente aux Enfers de s. Sylvie
C’est avant même l’éclatante nuit de Pâques, au plus profond de la tombe où il nous est donné d’entrevoir par avance la victoire sur la mort, la Descente aux Enfers.
La pleine lecture de cette icône est possible uniquement à travers un symbolisme puissant….. dans le sens d’une ouverture de l’Esprit et du cœur au sens caché inépuisable. Oui, c’est l’apôtre Pierre qui nous en parle dans les Actes 2, 14-38 et dans son épître (1 Pi 3, 18ss) que le Christ ressuscité est allé même prêcher l’Évangile aux enfers. Cette icône est l’une des deux grandes icônes de Pâques, et elle nous invite au oui dans le passage de la mort à la vie.
La descente aux enfers du Christ est vraiment le plus profond abaissement de son chemin sur la terre …… et nous ne sommes désormais plus jamais seuls.
A l’inverse de la crucifixion du Christ, sa résurrection échappe aux regards. Personne n’a vu sortir le Christ du tombeau. Sur ce mystère, il y a le silence. Les récits des Évangiles n’en parlent pas et l’iconographie orientale suit ce silence.
L’autre grande icône de Pâques est le tombeau vide ou le Matin de Pâques. L’ange de Dieu (pas n’importe quel ange) le dit clairement : il n’est pas ici. Pourquoi cherchez-vous Celui qui vit parmi les morts ?
Au jour du samedi saint, le Christ, la chair, son corps repose dans le tombeau pour ressusciter le troisième jour. Mais son âme est aux enfers et, pour l’enfer, c’est déjà Pâques. Sa puissance dissipe les ténèbres au cœur du royaume de la mort. Les vêpres nous disent :
« En ce jour, l’enfer s’écrie en gémissant : mon pouvoir est aboli. J’ai reçu un mortel semblable à tous les morts, mais je ne puis le retenir. Il me dépouille de tous mes sujets, il ressuscite ceux que depuis des siècles je tenais captif ….. »
C’est un très grand mystère que même dans la séparation de l’âme et du corps, le Christ est vrai Dieu, vrai homme : iI est Dieu.
Dans notre icône, nous voyons le Christ debout de face sur les portes ouvertes de l’enfer : ouvertes pour toujours. Deux clefs, symboles en quelque sorte, sous les portes, pour ne jamais l’oublier.
Le Christ est en or. Il est Seigneur, mais son seul pouvoir est l’amour crucifié et la puissance invisible de la croix. Son visage – comme immobilisé par l’infini de sa tendresse. Deux témoins en haut – deux anges silencieusement présents, portant comme témoins la croix et la coupe.
Ici, j’aimerais laisser parler un peu le Christ lui-même, à partir d’un texte très ancien : St. Meliton de Sardes (2ème siècle) :
« J’ai libéré les condamnés, j’ai donné la vie aux morts. J’ai réveillé ceux/celles qui étaient enterrés. J’ai vaincu la mort.
Je suis descendu aux enfers où j’ai lié le fort, élevant les êtres humains jusqu’au ciel. J’ai ouvert les portes, j’ai brisé les verrous de fer, plus rien n’a été fermé. Je suis la porte pour tous les êtres – je n’abandonne personne. L’enfer m’a vu et il a été vaincu. La mort m’a laissé partir et beaucoup avec moi. J’ai été pour elle fiel et vinaigre. »
Toi, mon Dieu, tu es descendu infiniment plus profondément que tous les enfers humains. Tu as ouvert ses portes pour toujours. Puis-je comprendre ? Loué sois-tu.
Le Christ arrache Adam et Eve de leurs tombeaux, et ce face à face avec le Ressuscité est aussi la rencontre de tout être humain avec son Seigneur.
Oui, tu viens à ma rencontre.
Tu m’offres ta joie et ta paix. Tu veux me refaire totalement, là où je suis – avec ce que je suis.
Même si je t’oublie, toi tu ne m’oublieras jamais. Tu ne pourrais pas m’oublier. C’est toi qui m’a créé – je suis précieux à tes yeux.
Tu me tends la main – tu nous tends la main hier, aujourd’hui et demain.
« Hier avec toi, ô Christ, j’étais enseveli » nous chante la liturgie, avec toi je me réveille aujourd’hui prenant part à ta résurrection.
Après les souffrances de ta crucifixion, accorde-moi de partager, Seigneur, la gloire du royaume.
Le Christ est entouré d’une grande mandorle de lumières. Des rayons sortent de lui – c’est la lumière divine, incréée du royaume. C’est qu’Il est lui-même toute la lumière. A la Transfiguration, Il s’est déjà montré dans cette lumière. Cela se passait sur la haute montagne. Ici, cela se passe au sein de la terre. Comme cela se passe au cœur de nos vies. Le jaillissement du Christ ruisselant de lumière illumine l’univers entier, comme aussi sa lumière se reflète dans nos cœurs. Dans une icône, les visages plus ou moins foncés de terre s’illuminent de l’intérieur. C’est comme un cierge qu’on allume. Et ces visages reflètent la lumière. C’est cette lumière qui demeure éternellement devant lui, pour lui, en lui – pour toujours.
C’est aussi le cœur de notre icône. Comme si tout autour, c’est bien sûr important, mais quelque part aussi déjà dépassé…..
Cette icône est la dernière que s.Silvie de notre communauté a peint. Son âme déjà s’était tournée vers le plus essentiel, vers ce qui demeure. Le reste s’efface.
Oui, tu es venu et tu viens avec Ta lumière jusqu’au fond de mon cœur, illuminant des nuits profondes, et cette lumière, nul ne peut l’éteindre, rien ne peut l’éteindre…..
Je veux me remettre entre tes mains. Je sais que tu me prends toujours dans ta lumière, et je vivrai, maintenant et toujours.
Parmi les personnes pas encore mentionnées, il y a à droite de nous Abel, le premier qui a subi l’injustice, et à côté, il y a Caïn. S. Sylvie l’a introduit dans son icône, dans l’infini miséricorde de Dieu sur toute chair dont elle était sûre dans sa foi.
Derrière : toute la foule des sans-noms.
A gauche, Jean-Baptiste, le dernier témoin qui avait demandé : est-ce celui qui doit venir ou devons-nous attendre un autre ? Son geste montre le Christ. Derrière lui. Deux rois : Salomon et David, un prophète, anonyme pour tous les autres.
Comment ne pas évoquer un petit bout de la prière de Jonas, ici :
« Dans l’angoisse qui m’étreint, j’implore le Seigneur,
Il me répond du ventre de la mort.
J’appelle au secours. Tu entends ma voix ……
et de la fosse, tu me feras remonter vivant, ô Seigneur, mon Dieu.
Alors que mon souffle défaille et me trahit, je me souviens et je dis :
Seigneur, et ma prière parvient jusqu’à toi. »
Avec Adam, c’est toute l’humanité qu’Il ressuscite et cette remontée lie le ciel et la terre d’une même lumière. Plus de rupture – tout est ouvert !
Le Ressuscité apparaît comme le Maître de la Vie, qui remplit tout. Tout de nos vies, de notre monde repose dans ce mystère métamorphosé dans le visage humain de Dieu.
Christ est ressuscité, Il est vraiment ressuscité !
L'icône de la Descente aux Enfers de s. Sylvie

Introduction à la liturgie
Aube de Pâques
Le Christ est ressuscité, alléluia ! Il est vraiment ressuscité, alléluia !
Cri de joie surgissant après une longue nuit ! Maintenant vient à la lumière ce qui se préparait dans les profondeurs, loin des regards, du temps déjà de notre détresse et de notre désespoir. Secret se déployant, non pas au plein éclat de la lumière de midi, mais à l’aube, au rythme du soleil levant.
La célébration est ample, pleine de sens, de symboles ; elle nous conduit de la nuit à la lumière, de l’histoire lointaine à notre aujourd’hui. Tissée d’éléments tirés de différentes traditions, elle nous permet d’approcher, avec notre note propre, de ce mystère qui est au cœur de la foi chrétienne.
Nous nous retrouvons dans l’obscurité, à 5h30, rassemblés autour du feu pascal, symbolisant la lumière du Christ ressuscité brillant au cœur de nos nuits. La flamme du cierge pascal, transmise à nos petites bougies, se répand progressivement à toute l’assemblée en procession, illuminant bientôt de son éclat naturel la chapelle plongée dans l’obscurité.
« Le Christ est ressuscité, Il est vraiment ressuscité ! Il a vaincu la mort et Il nous donne la Vie !» Nous chantons ce mystère, encore et encore, en de multiples langues et mélodies de divers pays. Communion universelle en ce temps où les célébrations sont impossibles en bien des régions de notre planète. Communion aussi avec nos frères et sœurs orthodoxes qui entrent dans leur semaine sainte.
Ensuite 4 lectures nous préparent à entendre l’Evangile de la Résurrection :
- La création du monde : harmonie originelle, perdue mais restaurée dans la Résurrection du Christ.
- Abraham et Isaak : Sacrifice interrompu par Dieu qui ne veut pas de sacrifice humain.
- La traversée de la Mer Rouge par le peuple d’Israël : récit symbolique de délivrance où se dévoile l’œuvre de salut du Dieu libérateur. Nous sommes ainsi reliés à la tradition juive, qui est aux racines de la nôtre.
- La prophétie d’Ezéchiel dit le désir de Dieu de conclure avec nous une nouvelle alliance où le cœur et l’esprit humains soient en parfaite harmonie avec Sa volonté d’amour.
Suit un rappel de notre baptême, par lequel nous sommes plongés dans la mort et la résurrection du Christ. En une confession de foi commune, nous proclamons notre espérance dans le Dieu trinitaire, libérateur et vivant. Nous nous engageons ensemble à entrer dans le mouvement baptismal : quitter ce qui mène à la mort et nous ouvrir à la Vie. Afin de nous unir ensemble dans un même engagement, nous invitons chacun, chez soi, à répondre en même temps que nous aux questions (cf. texte joint).
Le chant « À toi la Gloire » et le « Gloria » ouvrent la dernière partie de cette célébration, soit la liturgie préparant normalement à l’Eucharistie : nous allumons les lampes pour lire l’épître aux Colossiens (qui nous rappelle notre enracinement dans le Christ ressuscité), et l’Evangile de la résurrection est proclamé en plusieurs langues. Après l’homélie du pasteur Jean-Philippe Calame, nous prions les uns pour les autres dans un moment d’action de grâce et intercession libre. Ensuite, dans une procession d’offrande, nous apportons la patène et la coupe vides comme symboles de l’Eucharistie où le Christ ressuscité se donne à nous. Puisque nous sommes empêchés de la vivre cette année, accueillons cette absence douloureuse dans la joie de la plénitude pascale, comme une absence qui creuse notre désir, dans l’attente de ce jour où la communion sera à nouveau possible. Silencieusement nous offrons ce réel à Dieu dans un moment musical.
Dans d’autres années nous apportons aussi au moment de la procession d’offrande une collecte, signe de partage de la joie pascale. Cette année nous soutenons le projet Aide pour les réfugiés en Grèce de Caritas. Si vous aimerziez vous joindre vous trouverez plus de détails ici.
Enfin la bénédiction et des chants de la résurrection closent notre célébration.
Vous trouverez certainement le moyen de marquer ensuite chez vous la joie pascale de cette journée particulière. La communauté quant à elle, se rassemble autour d’un petit déjeuner festif – qu’en temps normal nous partageons avec vous ! Et les sœurs portent toute la journée leur robe blanche – signe de la résurrection et de la Vie nouvelle.
A vous tous – Joyeuse fête de Pâques !
Profession de foi baptismale
Prieure : C’est la Pâques aujourd’hui et la Résurrection de Jésus
nous annonce l’espérance des temps nouveaux.
Les pierres peuvent se déplacer,
les tombeaux peuvent s’ouvrir pour toujours,
les larmes peuvent être surmontées,
les peurs ne sont pas éternelles,
la joie vient pour ceux qui sont tristes,
la paix touche les cœurs abattus.
Proclamons notre foi au Dieu vivant et vrai, Père, fils et Saint Esprit,
la foi de notre baptême.
Nous célébrons Dieu notre Père
qui nous aime comme Il aime son Fils Jésus-Christ.
Il confie entre nos mains le monde qu’Il a créé par Amour.
Tous : Je crois, Seigneur, tu es source de Vie.
Prieure : Nous célébrons Jésus le Christ, notre Seigneur,
né de Marie en notre condition humaine,
mort et Ressuscité pour nous faire partager sa Vie.
Toujours vivant parmi nous Il nous donne l’assurance
que sa Lumière est plus puissante que toute nuit,
que la vie triomphe de la mort.
Tous : Je crois, Seigneur ; Tu es source de Vie
Prieure : Nous célébrons l’Esprit de Sainteté.
Il nous ouvre à la communion
avec le Père et le Fils et les uns avec les autres ;
Il nous rassemble en Eglise et répand sur elle tous ses dons.
Il nous envoie dans le monde comme témoins de l’Amour et de la Vie,
comme artisans de justice et de paix.
Tous : Je crois, Seigneur ; Tu es source de Vie.
Prieure : Nous attendons le jour où Dieu sera tout en tous, jour de la Lumière sans déclin et du festin du royaume pour tous les peuples.
Tous : Je crois, Seigneur, tu es source de Vie.
Prieure : Ainsi donc :
Voulez vous quitter tout ce qui conduit à la mort et
choisir la VIE nouvelle en Jésus-Christ,
vous engager à vivre comme les enfants bien-aimés du Père,
comme disciples à la suite de Jésus mort et ressuscité,
dans le souffle de l’Esprit vivifiant
qui fait de nous des membres d’un même corps, l’Eglise ?
Tous : Oui, avec la grâce de Dieu
Message par le pasteur Jean-Philippe Calame
Une joie à laquelle on peut se fier.
La joie de Pâques est fiable, parce qu’elle n’a rien de superficiel. La Bonne nouvelle de Pâques est solide parce qu’elle ne passe pas par-dessus les abîmes qu’éprouvent tant d’êtres humains. La joie de Pâques ne survole pas le monde, mais elle naît progressivement au contact du Ressuscité qui d’abord a apporté sa présence et la compassion de Dieu jusque dans les enfers.
La résurrection est une réalité qui part du bas vers le haut. C’est une œuvre qui a été attestée premièrement sous la terre, elle n’a rien écarté ni rien survolé de tout ce qui pouvait la démentir. C’est ce qui la rend fiable à l’heure, au temps, où patiemment mais sûrement elle s’en va de proche en proche dans le dessein de tout remplir.
Parmi ceux à qui Jésus atteste en premier qu’il est ressuscité se trouvent deux hommes sans espérance, aux yeux desquels tout semble terminé. En chemin vers le village d’Emmaüs ils sont effondrés. Pendant des mois, ils ont tout misé sur Jésus, en qui ils ont reconnu le Messie. Mais son arrestation, sa crucifixion et sa mort ont eu raison de toute leur espérance. Et à la tristesse profonde d’avoir perdu brutalement un ami s’ajoute leur désarroi de ne plus avoir de maître: l’ensemble des repères qu’ils ont reçus de lui n’ont plus cours.
Ne doivent-ils pas se résoudre au constat que tout compte fait ils se sont trompés à son sujet, le prenant pour ce qu’il n’était pas? C’est une souffrance inexprimable, une souffrance spirituelle, la perte radicale de leur foi : le doute les tenaille, l’impression de s’être mépris au sujet de Jésus remet en cause l’ensemble de leur vie. La perte du sens est totale pour eux et, on le sait, il n’y a pas pire souffrance que cette douleur brute : la souffrance à laquelle on ne peut donner aucune signification. Voilà donc quel genre d’ hommes on trouve parmi les premiers témoins de la Résurrection. Voilà sur quel terrain et dans quelle situation peut avoir lieu la rencontre du Ressuscité.
On apprend ainsi que la Résurrection de Jésus peut être reconnue comme événement fiable par tout être humain, et quelle que soit la situation. Contrairement à l’idée que l’on a parfois, Dieu n’attend pas que nous ayons rempli certaines conditions pour s’intéresser à nous. Jusque dans ses dernières pages l’Évangile montre que le Seigneur s’approche de femmes et d’hommes qui se sentent éloignés, voire séparés de Dieu. Comme l’arc-en-ciel de la Nouvelle Alliance, Jésus ressuscité apparaît à des être humains qui ont tourné le dos à la lumière, tourné le dos à l’espérance, parce qu’ils ne comprennent plus rien.
«De quoi discutez-vous en chemin?» Ici, la question de Jésus Ressuscité rappelle la question posée par Dieu à Adam : «Où es-tu ?»
Le fond de la question de Jésus aux deux disciples est : «Où en êtes-vous ?»
Sans faire violence, mais avec une extrême détermination car l’enjeu est de leur faire reprendre vie, Jésus s’emploie à tirer ces deux disciples de leur tristesse de mort. Et c’est pourquoi ses paroles se font rudes : « Hommes, sans intelligence, cœurs lents à faire confiance, lents à croire…». Ici résonne toute la fermeté du vrai amour, la voix qui rappelle à l’homme sa capacité à répondre. La parole qui lui est adressée le remet devant la liberté qui est la sienne de quitter toute forme de léthargie.
Un temps s’écoule encore, et un peu plus loin sur le chemin, ce sont les deux marcheurs qui eux-mêmes demandent à Jésus :« Reste avec nous! »
Ils n’ont pas peur de celui qui marche avec eux et avec qui ils viennent de converser. Ils n’ont plus peur… de Dieu.
On mesure alors la guérison fondamentale apportée aux humains !
La disparition de la peur est un fruit de la mort et de la résurrection de Jésus. Le salut accompli par Jésus a rétabli l’alliance entre Dieu et les hommes, en sorte que la situation illustrée par le récit de la Genèse est renversée :
« Soudain, ils entendirent les pas du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du soir. L’homme et la femme se cachèrent du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin. Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit: “Où es-tu?” Il répondit: “J’ai entendu tes pas dans le jardin et j’ai eu peur…”».
Au contraire, à la fin de ce grand jour de Pâques, la peur envers Dieu a disparu. L’homme ne se cache plus, mais demande expressément au Seigneur: « Reste avec nous! »
On le voit, l’ annonce de la vraie joie, la formidable annonce de la Résurrection, Jésus nous y conduit avec force et douceur. Force, qui est celle de la résurrection, portée par l’incomparable élan du Berger qui a retrouvé sa brebis. Mais aussi douceur, car la force de cette joie, la force de la Résurrection n’empêche pas Jésus de respecter le rythme de chaque créature. Et cet exemple que Jésus donne, ressuscité, prenant le temps en chemin de s’adapter au rythme de ceux auxquels il s’adresse, doit permettre aux témoins que nous sommes d’être patients à notre tour pour annoncer la bonne nouvelle, comme il convient toujours lorsqu’on approche une brebis blessée. La joie de Pâques est la plus haute joie, et la plus sûre. Mais elle n’éclate pas sans un patient labeur que Dieu conduit dans le cœur humain.
Ici à Grandchamp, on aime partager que la joie donnée par Dieu se présente à la porte du cœur comme le chant des oiseaux à l’aube… Avec une conviction qui porte à la louange, à l’ouverture. Avec une force qui ne dépend pas de la pluie, ni du vent, ni du froid ni du soleil.
La parole du Ressuscité, la voix du bon Berger s’élance pour rejoindre le cœur de chacun-e, sans exception, parole aussi claire et joyeuse – et aussi humble- que le chant de l’oiseau à l’aube :
« Eveille-toi, allons vers la lumière :
car tu es en moi et moi en toi,
nous sommes une seule personne indivisible ! »
Mes brebis , rien ne peut les arracher de ma main.
Aujourd’hui la bénédiction de Dieu [s’en va] aux quatre coins de la terre
Aujourd’hui nous pouvons nous exposer à la lumière de Dieu :
« Il est avec nous tous les jours. »
Aujourd’hui nous pouvons exposer au grand soleil de Dieu
les temps qui sont mauvais. Il est avec nous « jusqu’à la fin des temps ».
Offrons-Lui avec confiance œuvres et peines, souffrances et créations,
comme à un ami. 1
Se promener et converser avec Dieu, à qui Jésus nous présente.
Sous le regard du Père et à la voix de l’Unique Berger,
tout rejoindre, tout visiter, tout remettre à la brise de l’Esprit.
Dociles à son souffle, adhérant à la force du Fils aîné,
être de la nouvelle Genèse,
accueillir humblement ce qui fait la Joie de Dieu
et s’y tenir avec Lui.
Aller au quotidien en sachant
que la durée de ce temps nouveau
est au couvert de la bénédiction du Père
qui a pour Nom Jésus-Christ ressuscité
en qui, par l’Esprit,
Dieu déploie désormais son « Amen »
à l’Alliance accomplie
pour les siècles des siècles.
Une joie à laquelle on peut se fier





Introduction à la liturgie
Le Temps Pascal – accueillir le don
Ô toi qui dors, éveille-toi ! Lève-toi d’entre les morts ! Sur toi brillera la lumière, Jésus Christ ! Alléluia !
Nous nous trouvons au terme de notre retraite. Nous avons suivi le Christ dans son passage, traversé pour nous tous. Nous avons partagé les mêmes célébrations, médité les mêmes prières, dans une communion transcendant les distances. Merci au pasteur Jean-Philippe Calame de nous avoir préparé les médiations et les homélies si riches !Le moment est venu maintenant de se dire au-revoir en quelque sorte, en se demandant : comment continuer après ce temps fort ?
Dans l’année liturgique la fête de Pâques ouvre le temps pascal, c’est-à-dire les 40 jours nous séparant de l’Ascension, suivis du temps jusqu’à la Pentecôte. Nous cheminons ainsi de la Résurrection à l’effusion de l’Esprit.
Dans l’Evangile de St Jean ces deux événements n’en font qu’un puisque le Christ ressuscité, trouvant ses disciples enfermés dans une pièce, souffle sur eux le Saint Esprit. La liturgie de l’Eglise suit donc plutôt la tradition de l‘Evangéliste Luc, qui introduit 40 jours d’apparitions de Jésus entre sa résurrection et son ascension. Sagesse pédagogique pour nous donner le temps de méditer l’incompréhensible réalité de Pâques. Si la réaction des premiers témoins de la résurrection passait en effet par l’incrédulité et la peur, il faut reconnaître qu’il en va souvent de même pour nous. Nous avons besoin de temps pour réaliser l’impact du mystère de Pâques dans notre vie, et accueillir la manière dont la Vie nouvelle se manifeste en nous. En communauté, comme pour une Pâque prolongée, nous lisons pendant deux semaines tous les récits de la résurrection. Ainsi laissons-nous la bonne nouvelle de la Vie plus forte que la mort s’enraciner progressivement en nous. Le Christ ressuscité apparaissant quand il veut et où il veut, nous ne pouvons rien faire d’autre que nous disposer à reconnaître sa venue, à entendre la Parole qu’il nous adresse, à son heure.
Cette année beaucoup d’entre nous vivent confinés chez eux. Au fond, cette situation ne ressemble-t-elle pas un peu à celle des disciples enfermés dans leur maison le jour de Pâques, ou encore rassemblés dans la chambre haute pour prier et louer le Seigneur en attendant le St Esprit ? Ce confinement nous donne finalement l’occasion de ne pas tout de suite replonger dans la vie quotidienne comme si rien ne s’était passé ! Nous pouvons choisir d’en faire l’occasion de relire le passage que nous venons de vivre, d’en recueillir les fruits, de laisser s’épanouir en nous ce qui nous a été donné pendant ces jours de retraite, paisiblement et librement, selon la forme qui convient à chacun. Ce peut être en se ménageant un temps régulier de recueillement, ou en méditant des textes bibliques (vous trouverez des exemples de références sur notre liste des lectures quotidiennes), ou en reprenant ses notes de retraite, ou encore en partageant avec d’autres sur ce qui a été vécu, etc.
Normalement, à la fin d’une retraite, nous vivons un partage de notre vécu. Cette année avec la retraite que nous proposons en ligne, cela ne sera guère possible. Mais si vous le souhaitez vous pouvez nous écrire pour nous dire comment vous avez vécu cette nouvelle forme de retraite à accueil@grandchamp.org. Cela pourra nous être utile pour une prochaine ( !) fois … Même si nous ne pouvons pas répondre personnellement à tous les partages nous les lirons avec intérêt.
Nous vous souhaitons une bonne continuation de votre chemin avec le Ressuscité ! Qu’Il rejoigne chacun là où il est, dans la situation actuelle suscitant tant d’incertitudes. Nous restons en communion dans la prière – en attendant le jour où une rencontre face à face sera de nouveau possible !
Message par le pasteur Jean-Philippe Calame
Pâques
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