Rameaux 2025      Grandchamp     Matthieu 21 :1-11

Arrêt sur image : un homme sur un ânon…. des acclamations…

Et « toute la ville fut secouée ».

Matthieu utilise un verbe de la famille des séismes, que l’on ne trouve chez lui que 2 autres fois dans son évangile : quand la terre tremble, au moment où le voile du temple se déchire; et quand les gardiens deviennent comme morts en voyant un ange descendre comme l’éclair et rouler la pierre du tombeau .

C’est dire, si l’ultime entrée de Jésus dans la ville sainte, et de cette façon, est un évènement décisif et dramatique. Pour en souligner encore l’importance, elle est dépeinte comme une arrivée triomphale. Il est vrai que par le passé Jésus circulait à Jérusalem dans la discrétion et limitait toute publicité ; cette fois oui, son attitude contraste avec le passé : il prépare son entrée avec une certaine solennité, il sort de l’incognito, il s’expose. Pourtant il n’y a pas unanimité quant à l’identité de cet homme. « Qui est-il ? » demandent certains. Ceux qui posent la question sont des gens de Jérusalem, ceux qui y répondent sont ceux qui escortent fièrement Jésus et entrent avec lui. Et peut-être que les premiers joignent leurs cris à ceux des autres, sans trop savoir de quoi il s’agit, entraînés par l’élan général. « Hosanna ! Hourra pour le salut !» Cette acclamation d’espoir et de joie a subi un glissement de sens au fil du temps ; elle était à l’origine un appel à l’aide : « viens sauver ! au secours ! ».

Dans les deux cas ce cri a tout son sens. Car celui qui entre dans la ville sainte est proclamé comme étant de la descendance de David, comme le Messie attendu, le Sauveur. D’autres le désignent prophète, de Nazareth -ce qui n’ augure rien de bon quant à son sort… En vérité il vient de plus loin que Nazareth : il vient de Dieu. Il porte Dieu. Sur un ânon.

Un ânon. La monture des pauvres. De quoi s’exposer au ridicule, commente Calvin. La fête des Rameaux, met en lumière de manière condensée, en une image, la nature paradoxale du Christ et de son Royaume, déjouant ainsi toutes les significations courantes de royauté, de salut, et de divinité. Une collègue française l’exprimait ainsi : Jésus est un Messie sans gloire et qui n’en veut pas: entrant à Jérusalem il laisse toute la gloire à Dieu ; il laisse à Dieu le règne, obéissant par amour à la volonté de Celui qu’il appelle son Père. Lui qui marche vers sa mort, il laisse à Dieu la puissance, celle qui le relèvera, plus tard. Car c’est à Dieu qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire.

Dans le Fils en effet, nul esprit de conquête, de défi ou de revendication. Il s’offre. Il descend. Il se présente sans couronne, sans défense et sans apparence. Il se livre au regard, aux cris, aux mains, au bon vouloir de la foule, et à notre bon vouloir. Comme elle, nous avons ce pouvoir de l’accueillir ou de le rejeter, de l’aimer ou le mépriser. Car c’est ainsi qu’il vient à nous aujourd’hui, n’est-ce pas, comme autrefois.

La liturgie a couplé cet évènement avec la lecture du grand hymne aux Philippiens, qui donne à contempler le trajet du Christ, né de Dieu, et se dépouillant de tout signe de grandeur, de toute aura, consentant à se recevoir de Dieu seul. Cette manière d’ être-au-monde-et-à-Dieu, cette posture fondamentale avec toutes ses exigences et ses conséquences jusqu’à la mort même, Dieu l’honorera dans l’acte de la résurrection et de l’élévation de son Fils. Car, comme l’a écrit une bibliste de chez nous, Dieu s’y retrouve ; Dieu retrouve dans le Christ ce qu’il est : une seigneurie  qui se présente comme une offrande. Alors, qui est effectivement maître… ? celui, celle, qui, à l’image presqu’insensée de Dieu ainsi dévoilé dans le Christ, va vers tout et tous, aime sans limite, sans retour à soi ni menace pour l’autre, sans rien posséder, ouvert à tout, à la vie à la mort.

Oui celui, celle… Car il s’agit de ne pas « sauter » les mots qui introduisent la célèbre hymne paulinienne: Ayez le comportement, ou plutôt ayez en vous la disposition intérieure, la manière d’être ou les sentiments (selon les traductions) qui étaient en Jésus-Christ. Ces « sentiments » on le sait, n’ont rien de sentimental. Quels étaient-ils, ceux du Christ entrant à Jérusalem ? Seule la foi peut entrer dans une autre perception de ce qui se passe. L’amour de Dieu, dont le Christ vit, et dans lequel il nous introduit, est une puissance de création et de recréation, un engagement, un combat, une passion. Et peut-être Jésus était-il habité par une prière semblable à celle de Etty Hillesum le jour de sa déportation à Auschwitz : Mon Dieu prenez-moi par la main, je vous suivrai bravement, sans beaucoup de résistance. Je ne me déroberai à aucun des orages qui fondront sur moi, je soutiendrai le choc avec le meilleur de mes forces.

Ayez en vous ce qui habitait le Christ ; Celui qui l’habitait. Pour aller au bout de ce qui vous est demandé. Ici, là, maintenant, quotidiennement ; quiconque est fidèle dans les petites choses le sera dans les grandes à venir. Ayez en vous la force de l’amour, même si ça fait mal. En ce dimanche de fête, ce n’est pas la souffrance ni les peurs que nous célébrons, c’est la puissance d’un Amour bouleversant, qui se donne sans rien retenir pour lui, pour notre salut.

Pâques est devant. La vie délivrée de ses étranglements. La joie.

Et nous en serons tous et toutes secoués.

Hosanna !