Le bon Samaritain
Les trois textes de ce jour, font tous trois l’éloge de l’amour, l’amour du prochain en particulier.
Abraham nous impressionne par son empressement à accueillir généreusement les étrangers qui se présentent à lui. Le terme aimer n’est pas exprimé, mais nous sentons une telle joie à offrir le meilleur de ce qu’il a, qu’au fond de lui, nous pouvons imaginer qu’il y a beaucoup d’amour pour ces visiteurs, ces étrangers. Aucune crainte, aucune méfiance à leur égard, bien qu’ils soient des inconnus.
Dans le récit du bon Samaritain, le terme aimer n’est pas non plus exprimé, mais il est formulé différemment : Jésus fait l’éloge de celui qui a exercé la miséricorde, qui s’est positionné comme étant le prochain de l’homme blessé.
Dans l’hymne à l’amour, en 1 Corinthiens 13, nous avons comme le dévoilement de ce que devrait être l’amour, s’il pouvait s’accomplir au travers de nous, humains. Pourtant, ce merveilleux texte me rend terriblement humble, car je réalise combien je suis loin de vivre l’amour sous toutes ses facettes et avec chacune des personnes que Dieu met sur mon chemin. Car certaines d’entre elles sont faciles à aimer : on ressent un bon feeling si bien que la douceur, la bonté, la générosité sont pour nous comme une évidence. Mais il y a les personnes avec qui « ça frotte ». Alors là, comment faire ? Est-ce qu’il faut se forcer à aimer ? Pouvons-nous aimer par obligation ?
Vous savez probablement que le commandement tiré du Lévitique : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » n’est pas un impératif. Contrairement à ce que laissent croire certaines de nos traductions françaises, le texte hébreu ne dit pas : « Aime ton prochain comme toi-même ! ». Non, il s’agit d’un futur : « Tu aimeras… » sous-entendant que l’amour peut être un chemin. S’il est difficile d’aimer une personne, ne fermons pas la porte, pensant que c’est définitivement désespéré. Non, comme le dit 1 Co 13, l’amour est patient (non pas la personne ! C’est l’amour qui est patient, il ne s’irrite point, il ne soupçonne point le mal). Ça, c’est l’Amour, c’est à dire le souffle de Dieu qui pénètre jusqu’au plus profond de nous et nous transforme à son image.
Mais cette transformation ne se fait pas si facilement. Dans le texte de Luc que nous avons écouté, Jésus cherche à faire réfléchir le légiste qui lui pose des questions. Cet homme a récité bien sagement ce que dit la loi. « C’est bien ! », lui dit Jésus, mais cet homme met-il ces paroles en pratique ? Nous n’en savons rien, quoique deux choses laissent entendre que ce n’est pas le cas :
1. On peut s’étonner que Jésus dise deux fois à cet homme de faire ce qu’il sait être bien :
a. Il le lui dit au début, lorsqu’il vient de réciter le verset du Lévitique : « Fais cela et tu vivras ».
b. Ainsi qu’à la fin de la parabole, lorsque Jésus raconte combien cet homme a été bon envers le blessé. Là, Jésus dit au légiste : « Toi aussi fais de même ».
Étonnante cette insistance de Jésus à lui dire de mettre la théorie en pratique ! N’est-ce pas justement parce que cet homme a de la peine à le faire ?
2. Il est surprenant que Jésus raconte justement à cet expert de la Torah une histoire qui met en scène un prêtre et un lévite, donc deux personnes à qui cet expert enseigne comment agir. Or, il est fort probable que ces deux hommes agissent en conformité avec ce qu’il leur a enseigné. Mais Jésus démontre que le seul qui a bien agi est quelqu’un qui n’est pas soumis à son enseignement : un Samaritain, c’est à dire un juif de deuxième classe.
Visiblement, Jésus sait que ce légiste enseigne à obéir aux multiples lois du Pentateuque au risque de ne pas mettre en application le commandement d’amour lorsque l’un et l’autre s’opposent.
Jésus fait savoir à ce légiste d’une manière très habile qu’il sait pertinemment qu’il aurait agi de la même manière que le prêtre et le lévite. Il n’aurait pas manifesté d’amour, de miséricorde pour son prochain. Il se serait caché derrière son devoir d’obéissance à la loi pour désobéir au commandement d’amour.
Par-là, Jésus démontre qu’obéir à la loi, ce n’est pas toujours obéir à Dieu. Il est donc plus indispensable d’écouter son cœur et pas seulement sa tête. La tête a besoin du cœur pour une vraie obéissance. Dans notre récit, seul le Samaritain, lui qui n’est pas sous la coupe de ces enseignements desséchants, écoute son cœur et agit avec compassion.
Récemment, mon fils me confiait combien il s’était longtemps senti sous une sorte de contrainte pour agir « juste », c’est-à-dire selon ce qu’il pensait être juste aux yeux de Dieu. Mais il n’écoutait pas son cœur, il écoutait juste sa tête. Il s’est rendu compte que souvent il s’énervait contre des gens qui n’agissaient pas de manière juste à ses yeux.  Depuis cette prise de conscience, il essaie d’écouter son cœur. A vrai dire, il apprend à écouter son cœur, car il ne savait pas l’écouter, tout comme le prêtre et le lévite, de la parabole.
Le Samaritain est juste un humain touché par ce que vit un autre humain. Il ne se demande pas si cet homme lui est sympathique, s’il l’aurait aidé, lui, à sa place. Il agit intelligemment et généreusement. Mais il ne s’accroche pas non plus à cet homme au risque de l’envahir par sa prévenance. Non, il en fait juste assez ; il n’en fait pas trop non plus.
J’ai été très touchée par ce qu’a vécu une voisine de mon immeuble. Sa maman a été victime d’un terrible accident de voiture. C’était son compagnon qui était au volant. La voiture a immédiatement pris feu. Un automobiliste qui circulait dans l’autre sens, voyant la voiture en flammes, s’est immédiatement arrêté. Il a fait signe aux voitures de s’arrêter, puis il s’est empressé de sortir les deux blessés de la voiture. Lorsqu’il a pris la maman de ma voisine dans ses bras, celle-ci lui a dit « Je vais mourir, je vais mourir ». Et en effet, c’est dans ses bras qu’elle est décédée. Cette voisine me disait combien elle était reconnaissante envers cet homme d’avoir offert à sa maman de mourir dans les bras d’un étranger, certes, mais d’un homme plein d’amour, qui l’avait sortie des flammes au péril de sa vie. Lorsque cet homme lui a raconté les circonstances de la mort de sa maman, il n’a pas pu retenir son agacement d’avoir observé que conducteurs de voiture s’empressaient de mettre des images de l’accident sur les réseaux sociaux, mais qu’aucun d’entre eux n’est sorti de sa voiture pour lui venir en aide. Lequel d’entre eux a exercé la miséricorde ? Est-ce que sont ceux qui ont mis des messages larmoyants sur Facebook, Instagram ou X, tout fiers d’annoncer le dernier scoop ou est-ce c’est homme qui a pris des risques pour tenter de sauver la vie de deux personnes et pour être là au départ de cette maman ?
1 Corinthiens 13 lance un cri désespéré nous appelant à valoriser l’amour « agapé ». Ce terme apparaît 9 fois dans le chapitre. Nous l’avons vu, il ne s’agit pas d’aimer par devoir, ça sonnerait faux, mais de se laisser conduire par l’Esprit pour aimer vraiment, pour prendre soin de l’autre d’un amour désintéressé.  « Agapé », est la recherche du bien de l’être aimé. « Agapé », c’est l’amour qui vient de Dieu même quand tout est désespéré et que l’on n’y croit plus. Car notre Dieu est le Dieu des miracles et je crois qu’en amour, il n’a pas fini d’en faire.
Aujourd’hui commence la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, au cours de laquelle nous sommes invités à prier pour que les chrétiens atteignent la pleine communion et témoignent de l’amour envers tous. Oui, prions pour que nous apprenions à écouter ce que l’Esprit souffle à notre cœur, malgré nos obstacles intérieurs, afin que nous devenions toujours plus enfants de l’Amour.
Heureux ceux qui se savent pauvres en amour, parce qu’ils aspirent à ce souffle qui les ouvre à pressentir chez l’autre son infinie soif d’être aimé.