Ac 9, 26-31   1 Jn 3, 18-24   Jn 14, 1-12
Grandchamp, 28 avril 2024
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Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures ; si ce n’était pas vrai, je vous l’aurais dit : en effet je vais vous préparer une place. (Jn 14,2)

Jésus se prépare à quitter ce monde, et il prépare ses disciples à vivre sans lui. Et dans ce cadre, il parle d’une maison de Dieu, dans laquelle il y a beaucoup de demeures et d’un chemin pour y parvenir.

Pour tenter de comprendre cela, je vous propose un parcours hasardeux des Ecritures, et de remonter jusqu’au tout début, avant le temps, jusqu’au principe et au fondement de tout ce qui est. Et ce début de tout, au commencement de l’Ecriture, est aussi ce qui est au plus intime, au plus profond de chacune et chacun de nous.

Au début du début, ou au fond du fond, on trouve ce grand chant de la Création, le chant du Créateur en train de créer sa demeure en quelque sorte, la terre et le ciel, un chant qui s’achève après 6 jours avec ces mots «voici, c’était très bon», et Dieu qui se repose ensuite, durant tout un jour.

Immédiatement ensuite, une seconde demeure sous la forme d’un jardin que Dieu plante à la manière d’un jardinier, un jardin de jouissance, un jardin nourricier, dans lequel les fleuves coulent, où l’homme et la femme se découvrent vivants, où Dieu parle avec eux comme un intime, et se promène au souffle du jour. Et un serpent qui rôde alentours, à moins qu’il ne s’agisse d’un devin, puisque c’est le même mot (na’hasch). Bref, ce que je retiens ici, c’est que Dieu paraît très familier de ce jardin, et qu’il semble aimer y demeurer avec ses deux créatures, l’homme et la femme. Bon, on connaît la suite…

Ensuite dans l’Exode ces mots prononcés par Dieu lui-même : «Ils me feront un sanctuaire et je demeurerai parmi eux». Je demeurerai, c’est le verbe d’où est tiré le mot Shekina ( שכינה ), la présence, la lumière qui guide dans la nuit, mais aussi la forme féminine de Dieu. Et dans Zacharie, ce cri : «Crie de joie, réjouis-toi, fille de Sion, car me voici, je viens demeurer au milieu de toi» (Zacharie 2,14). Dieu se déplace avec son peuple, de jour comme de nuit. Présence de Dieu encore, dans l’histoire, au milieu du peuple ou au centre notre être.

Un trouble apparaît dans le 2e livre des Chroniques (6,18), avec cette question : «Dieu habiterait-il vraiment avec les hommes sur terre ? Voici que les cieux et les cieux des cieux ne le peuvent contenir, moins encore cette maison que j’ai construite». Alors Dieu est-il partout, ou en un seul lieu, est-il proche ou lointain, sur les chemins tortueux de la vie ou dans sa demeure, le Temple ? Vous voyez le dilemme.

Dieu dans l’histoire finit par s’établir au temple de Jérusalem (à
moins qu’il n’y soit assigné à résidence ?), et dans lequel le Grand Prêtre vient le rencontre, ou le visiter, une fois par an, dans le saint des saints. Une rencontre rare donc, un seul jour par an et pour un seul, dans une demeure où il n’est pas questions que les hommes habitent . Dieu se retrouve seul  dans sa demeure chaque jour de l’année, chaque jour sauf un.

La parole de Jésus prend dans ce contexte une tout autre dimension  : «Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures» et il y aura de la place pour vous (Jn 14,2-3). Dans les paroles et la compréhension du Christ, la maison du Père n’est pas un lieu de solitude et la solitude humaine ne doit pas non être plus une fatalités. Jésus ici voit ces nombreuses demeures, avec de la place pour beaucoup. Joie de Dieu, joie du Christ, et joie des invités  !

Celles ou ceux parmi nous qui vivent des temps de prière intense, de retraite ou de contemplation découvrent peu à peu, parfois après des traversées de déserts arides, découvrent ces oasis intérieures ou ces jardins dans lesquels la vie se met à vibrer, à couler, et où la solitude tout au fond n’existe plus. Un retour dans le jardin des origines en somme, où Dieu se promène, tout proche et attentionné.

Les disciples aspirent à cela, et Jésus inaugure ici un itinéraire nouveau, un chemin qui doit leur devenir familier, un chemin où il n’est plus question de se perdre, tout seul. Et ce chemin c’est le Christ, ce chemin devient lui-même le but, puisqu’il mène à Dieu, puisqu’il est la vie. C’est le chemin de toute notre vie !

Dans l’Histoire biblique comme dans notre histoire, beaucoup de demeures pour Dieu :
la création entière… un jardin… la présence de Dieu dans le monde et en nous… une demeure close pour un Dieu parfois bien seul… puis un jour une demeure avec Dieu, ouverte à toutes et tous… un chemin qui prend un visage : le Christ lui-même, reflet et présence du Père. Et nous voilà en marche !

Dans l’Apocalypse, tout à l’autre bout de l’Ecriture, tout à l’autre bout de notre histoire personnelle, il n’y a plus vraiment de jardin mais une ville nouvelle, dans laquelle une voix forte retentit :
«Voici la demeure de Dieu avec les hommes.
Il demeurera avec eux.
Ils seront ses peuples
et lui sera le Dieu qui est avec eux.
Il essuiera toute larme de leurs yeux.
La mort ne sera plus.» (Ap 21,3-4)

Et ce détail qui reprend la thématique du jardin des origines, mais dans le sens d’une bénédiction : «Au milieu de la place de la cité (…) est un arbre de vie produisant 12 récoltes. A chaque lunaison, il donne son fruit et son feuillage sert à la guérison des nations» (Ap 22.2).

Il n’y a plus qu’ à respirer large, à contempler, et à rendre grâce.