So 3, 14-18a    Ph 4, 4-      Jn 1, 1-8.19-28

Au commencement, Dieu, dit la Genèse.

Au commencement était la Parole. Et la parole était Dieu, énonce l’évangile de Jean. Ou dans la traduction de Jean Grosjean: D’abord il y avait le langage, et le langage était chez Dieu.

Au commencement. D’abord. Ces mots ont l’air banal. Et pourtant, ces termes, comme le mot avent, évoquent une origine, marquent le début d’une histoire.

Ces mots se lient à la question de l’origine qui interpelle tant l’humain. Dès l’enfance, il s’interroge : qu’est-ce qu’il y avait avant moi ? Et ce ne sont pas des dates qui intéressent l’enfant, ni même des événements qu’il n’a pas vécus, ni seulement une explication. Ce que l’enfant désire connaître ardemment, tout comme l’adulte, ce n’est pas tellement comment il est arrivé là, mais surtout pourquoi ? Quelle en est la raison, quel en est le sens ? Il aspire à entendre raison et sens qui lui permettent de vivre. Pourquoi suis-je là ? Pourquoi êtes-vous là ? Pourquoi sommes-nous là, vivants ? – Tu es là en raison d’un engagement très fort, en raison d’un désir créateur. N’aimerait-on pas toujours s’entendre dire cela ? Mais cela bien des enfants ne l’entendent pas, de même que bien trop d’adultes n’ont pas reçu une telle réponse. Et les grands com-me les petits en souffrent très profondément.

Les premiers mots de l’évangile de Jean D’abord le langage et langage était chez Dieu sont donc une bonne nouvelle, qui énonce que c’est par le langage que tout ce qui est arrivé est arrivé, que rien de ce qui devient ne devient sans ce langage divin. Ce langage précède toute structure, toute vie. Aujourd’hui où nous savons combien l’enfant avant même sa naissance entend la voix de son l’entourage, combien cela peut marquer un être à devenir.

Et bien l’évangile ose affirmer qu’avant toute voix humaine une autre voix se fait entendre, un autre langage précède tout langage, celui de Dieu, qui au fond dit à tout être vivant comme à l’univers, tu es là en raison de mon désir.

Car tout langage véritable est affirmation d’un désir de relation, il dit un engagement offert, qui nous précède, vous, moi. Engagement qui veut donner sens à votre existence comme à mon parcours personnel. Ce langage qui vient avant tout être vivant, avant même la création tout entière, est un geste d’audace de Dieu. Vers quoi pointe-t-il ? Nul ne le saurait et le mystère resterait entier s’il n’y avait cette précision fonda-mentale : c’est dans ce langage que se trouve la vie.

C’est là la bonne nouvelle, la vie qui vient. En effet, pour l’évangile, vivre ne revient pas à n’assurer que des fonctions biologiques, ni même posséder, avoir toujours plus de biens, et être toujours moins. Ce n’est pas se croire seul dans un monde où l’absurdité semble parfois régner, où s’amoncellent aujourd’hui les nuages d’angoisse et de désespoir. Non, la vie qui vient n’a rien à voir avec ce qui résume, hélas, tant d’existence humaine. La vie qu’annonce ces premiers mots de l’évangile de Jean est une vie qui n’est pas fuite pas en avant, ni course dans tous les sens, mais une vie qui reçoit du sens. C’est une vie qui n’apparaît pas comme ça, en regard d’une date de naissance, mais qui s’inscrit dans une histoire qui a commencé bien avant, bien avant vous, bien avant moi.

D’abord il y avait le langage, et le langage était chez Dieu.

Mon existence, la vôtre ? Les voici donc situées en face de ce langage qui n’est pas seulement affaire de paroles, de mots. Ce langage, la nouvelle inouïe est qu’il s’incarne. Jésus va être langage de Dieu dans tout son être, pas seulement par ses paroles et ses paraboles. Ce langage, Jésus, va énoncer l’engagement de Dieu, son désir et sa volonté que l’emporte la vie.

Aussi, ce langage, cet engagement d’1 autre qui précède chaque être vivant pose une alternative. Votre existence, la mienne sera-t-elle comme mise en lumière à l’écoute de cette parole qui m’interpelle, à la rencontre de ce Dieu qui vient ? Ou au contraire votre existence, la mienne, resteront-elles dans l’ombre, enténébrées ? Car l’accueil ou le refus d’entendre ce langage est synonyme de lumière ou de ténèbres. Ce sont là les enjeux de la venue de Dieu qui précède tout être.

Ce langage de Dieu incarné n’appelle pas à se situer seulement les femmes et les hommes de son temps, de l’époque d’Hérode, de l’empereur César Auguste. Cette lumière n’éclaire pas que l’année ou naît un enfant prénommé Jésus, elle nous atteint nous aussi. Ce langage de Dieu incarné remet encore aujourd’hui tout en question. Hier, il a changé le calendrier occidental des hommes, puisqu’on se situe dans l’histoire, avant ou après Jésus Christ ? Mais aujour-d’hui, dans nos parcours, y a-t-il aussi en avant et après Jésus Christ ? un sans ou avec Jésus Christ ?

Si l’enjeu est si grand, c’est que la vie ou la mort ne se passe pas chez nous que dans les chambres d’hôpitaux, lorsqu’on suit sur un écran le rythme cardiaque d’un malade ou que l’on guette son dernier souffle. Ou ailleurs dans le monde : sur un champ de bataille, sur des embarcations fragiles, sur une route d’exil, au fond d’un cachot… L’enjeu des ténèbres et de lumière ne se joue pas seulement là où la sécheresse fait reculer la vie, où les inondations l’emportent. Non. L’enjeu nous concerne nous aussi, tant le désert des relations humaines avance aussi. On communique beaucoup, mais on communie bien peu. Pourquoi devons-nous – les mots employés sont révélateurs – nous mettre à fonctionner, à décrocher, à débrancher ? Si le langage humain cède le pas au langage technique, n’est-ce pas signe que l’humain perd du terrain et que la vie recule ?

D’abord il y avait le langage, et le langage était chez Dieu. Et dans ce langage se trouve la vie.

Dès l’origine, le langage divin est là. Jésus l’incarne en mettant en lumière tout ce que j’ai perdu en réduisant le langage aux mots prononcés, écrits ou lus, alors qu’il touche l’ensemble de l’existence. Bien sûr, je parle, vous parlez avec des mots, mais plus encore avec des gestes, des postures, des silences, des attentes et des craintes. Tout en vous comme en moi est langage. Alors ce langage porte-t-il cette lumière divine ? Rend-il témoignage à cette lumière des-tinée à éclairer la vie dans ses moindres détails, pour ne pas dire recoins ?

La venue du Christ incarne ce langage divin qui porte en lui la vie, comme le devrait tout langage.

Alors vivre le temps de l’Avent et celui de Noël, c’est laisser un Autre parler et m’apprendre à parler. Non pas seulement avec des mots, car ceux-ci, si beaux soient-ils, sont trop souvent vides ou contraire à tous les corps qui parlent et qui énoncent tout autre chose.

Le langage que je veux apprendre met en lumière, que je veux apprendre de Dieu veut éclairer toute rencontre, toute relation. Il ne se contente pas de mots, mais doit se lire dans tout l’être. Jésus, langage de Dieu, incite ainsi à découvrir que le sens de la vie ne se trouve pas en nous-mêmes. Que la lumière n’est pas en nous-mêmes. Que nous ne sommes pas tout, que nous ne sommes pas rien.

Jésus, langage divin, annonce que la vie est toujours fruit d’une rencontre. Rencontrer, c’est toujours se mesurer à l’autre. Mais peut-être moins pour évaluer les forces en présence que pour se réjouir des diffé-rences et des richesses d’être à partager.

Amen