Chères sœurs, frères et sœurs en Christ, chers amis,
C’est incroyable car la dernière fois que je suis venu célébrer l’eucharistie et prêcher dans ce magnifique lieu, c’était à la Dormition, le 15 août… Et j’avais fini ma prédication (si vous ne vous en souvenez pas, ce n’est pas grave) sur la fameuse vision de la vierge qui enfante au chapitre 12 de l’Apocalypse.
Je vous avais alors brièvement résumé ce passage à peu près avec ces mots : Une femme, vêtue du soleil, la lune sous les pieds, couronnée de douze étoiles, enfante, elle met au monde un enfant, un fils. Et voilà qu’au sortir de son ventre le dragon se poste, avec sa queue qui balaye le tiers des étoiles, comme on balaye l’espérance, pour dévorer l’enfant dès sa naissance…
Et voilà, que je me trouve à nouveau devant vous précisément avec un texte de l’évangile qui fait référence à ce passage de l’Apocalypse : le dragon prêt à dévorer l’enfant, semble en effet être une référence évidente à Hérode, prouvant que les puissants de ce monde veulent la mort de l’enfant dès sa sortie du ventre… Bref, c’est une incroyable coïncidence… mais ce n’en est peut-être pas une ? C’est peut-être une providence… Une providence qui va initier le thème de cette prédication.
Vous voyez, tout en cette vie (et peut-être même dans l’entier de la Création) n’est que providence. Providence… Voilà un terme que l’on n’entend plus guère, malheureusement. Il a disparu de la plupart des bouches ! Providence… C’est bien autre chose que coïncidence, ce n’est pas du hasard. Ce n’est pas la même chose non plus que le destin ou même la destinée… Et c’est bien autre chose aussi que de la manipulation divine, tel qu’un grand marionnettiste, fût-il tout puissant, la ferait sur nos pauvres vies. Nous ne sommes pas des pions. Non, la providence, c’est autre chose : c’est la conduite de l’Histoire (la Grande comme chacune de nos petites) vers la gloire… vers ce que nous sommes appelés à être… vers ce que Dieu veut pour nous, c’est-à-dire l’accomplissement de sa volonté au-delà de nos volontés, à nous.
Chaque jour, nous vivons de petites providences… Et bien sûr, à l’échelle du monde ou de la Création, une grande providence gouverne.
Mais, même si Dieu conduit, la providence est un jeu subtil entre lui et chacun de nous, un jeu qui implique sa liberté et ma liberté, son Esprit et mon esprit. C’est une danse subtile avec Dieu, dans son histoire et dans mon histoire…
Paul l’exprime dans l’épître lue ce matin : L’Esprit de Dieu atteste lui-même à notre esprit (voyez la danse) que nous sommes enfants de Dieu.
Dieu conduit donc l’Histoire. Il conduit l’Histoire du salut. Pour cela, il a besoin d’un peuple qui soit un peuple de témoins, qui proclament justement cette providence de Dieu, l’action de Dieu dans ce monde. (C’est ce que nous avons lu dans la prophétie d’Esaïe 43). « Mes témoins à moi, c’est mon peuple ! Dis le Seigneur. Vous êtes mon serviteur, celui que j’ai choisi… (et plus loin). Le Seigneur, c’est moi et moi seul. A part moi, pas de sauveur. C’est moi qui apporte le salut. » Dieu donne donc le salut, les témoins l’annoncent… voilà comment la providence gouverne. Cette danse.
Vous avez sans doute déjà eu l’impression d’être conduits ou conduites, que les choses se mettaient en place indépendamment de vous… Même au cœur des épreuves et sans doute même surtout dans les épreuves, cette conduite s’est fait sentir… parfois on le découvre après coup. Et voilà que nous prononçons alors la fameuse phrase de Jacob : Pour sûr, le Seigneur est-là mais je ne le savais pas.
La danse de la providence que chaque être humain fait est celle de relire son histoire à la lumière constante de la Bonne Nouvelle pour y chercher l’action de Dieu ; tu étais là, tu m’as soutenu, tu m’as accompagné, porté, consolé, encouragé, protégé et tu as donné du sens à mon existence. Cette lecture providentielle du passé devient alors projection vers l’avenir : tu seras-là, je le sais, tu m’accompagneras, tu me consoleras, tu veilleras sur moi, tu me glorifieras… Et cela devient, la foi !
Jésus fut emmené en Egypte, Joseph ayant été averti providentiellement par un ange, pour que s’accomplissent les prophéties… Dans sa providence, donc… Dieu avait prévu une fuite en Egypte, lieu qui pour tout israélite signifie bien sûr, l’esclavage. Vous voyez comme la providence est parfaite.
C’est dans le pays de l’esclavage que Jésus va trouver son refuge et donc réhabiliter cette terre devenue maudite. Il va y grandir, y être en sécurité, y recevoir l’enseignement de base, celui de ses parents… Il grandit et prospère, à l’abri… jusqu’à ce qu’il soit prêt à revenir pour accomplir ce que Dieu prévoit pour lui.
Et c’est le propre de toute fuite que de différer le moment d’un destin (j’utilise ce mot pour signifier quelque chose qui va nécessairement devoir arriver). La mort ne devait pas être pour tout de suite, pas de la main d’Hérode, car il fallait absolument auparavant que Jésus, devenu adulte, puisse être un témoin du Père, Le Témoin, La figure de tous les témoins. (Que nous sommes nous aussi appelés à être.)
Toutes nos fuites n’ont que ce but, différer l’accomplissement de ce que nous devons accomplir… pour prendre de la force, faire le plein de courage, le plein d’Esprit-Saint. Toutes nos fuites servent à nous mettre en sécurité. Mais toutes nos fuites se passent dans le pays de l’esclavage. Car en fuyant, la liberté se perd. La liberté qui nous fait être pleinement, qui nous donne le courage d’être (comme le disait Tillich) est l’inverse de la fuite… Aucune fuite ne peut être définitive, il faudra toujours d’une façon où d’une autre sortir du pays de l’esclavage et assumer notre destin… et accomplir ce que demande la providence. Sortir de l’ombre et affronter sa destinée… (c’est aussi ce que Jésus va faire.)
D’ailleurs, mes amis, si l’on devait résumer en une seule phrase l’œuvre que Dieu, son père, a demandé à son fils d’accomplir, que proclamerions-nous ? Eh bien, nous pourrions dire que Dieu a envoyé son Fils unique pour libérer le monde de tous ses esclavages, tous ! jusqu’au dernier, toutes ses fuites en avant comme en arrière, jusqu’à l’ultime esclavage à savoir la mort implacable.
Il fallait pour cela 3 choses qui n’auraient pas été accomplies si Jésus était mort de la main d’Hérode : Une promesse, la filiation (Jésus est fils de Dieu, héritier du Père et nous sommes frères et sœurs du Christ, co-héritiers du Père). 2. Un enseignement (l’Evangile) : qui proclame la fin de la loi et le début d’une espérance, le Royaume, qui est déjà là, et qui se base sur l’amour de Dieu, du prochain et de soi, sur une compassion universelle qui fonde un monde nouveau. Et 3. Il fallait une victoire, une gloire nouvelle, une résurrection qui, face au dernier combat, proclame que Dieu peut vaincre toutes choses de la création, donc même la mort est vaincue.
Voilà… Comment cette fuite nécessaire sera providentielle à l’accomplissement de la promesse des prophètes.
Et toute personne qui vit de cette providence, qui en est consciente et l’a éprouvée dans sa vie, sait que Dieu est là et qu’il veille et que sans lui, il n’y a point de salut. Il sait se sentir appartenir au peuple de Dieu qui proclame et témoigne. Il sait que son seul travail est finalement d’œuvrer à l’amour, au pardon, à la compassion, à la réconciliation, avec Dieu, avec son prochain, avec lui-même. Il sait que c’est finalement cet unique témoignage qui donne du sens à son existence et fait advenir, petit à petit, le règne de Dieu, ici-même.
Amen