Luc 4, 31-37

 

Vitrail vert de l'ArcheAujourd’hui, 10 septembre, je vais vous parler de Noël !
Mais même les petits enfants le savent : Noël n’arrive pas comme ça, ça se prépare, et donc, avant de parler de Noël, nous allons nous pencher sur ce texte difficile d’exorcisme.

Je trouve toujours ces récits d’exorcisme un peu embarrassants, et je ne sais trop que faire de cet aspect du ministère de Jésus. Chasser les démons est une notion qui nous est devenue assez étrangère, en tout cas aux esprits rationnels. Je vous propose pour ma part de discerner ce qui relève du vocabulaire et de la culture propre au 1er siècle. Les évangélistes écrivent dans un monde peuplé d’anges – qui sont au service de Dieu, et d’esprits mauvais, voire de démons – qui sont l’opposé de Dieu. C’est une conception un peu manichéenne du monde, entre le bien et le mal. Nous allons voir la place que prend Jésus dans ce monde-là, et comment cela peut interroger notre foi, aujourd’hui.

Pour y voir un peu plus clair, il nous faut remettre notre court passage dans la synagogue de Capernaüm dans le contexte du récit de Luc. Nous sommes dans ce chapitre 4 au tout début du ministère de Jésus. Il y a d’abord la tentation dans le désert, puis la première prise de parole publique de Jésus dans « sa » synagogue, à Nazareth où il a grandi. Il est appelé à lire le passage du jour qui se trouve dans Esaïe. Je cite « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a choisi pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année favorable pour le Seigneur ».
Et Jésus ajoute à la fin de sa lecture : « Celui qui est choisi par Dieu, C’est moi ! ». Nous connaissons la réaction des hommes de Nazareth. Pour qui se prend-il ? C’est le fils de Joseph, nous l’avons grandir ! La dispute s’installe, Jésus affirme que c’est bien dans la tradition biblique qu’un prophète, qu’un porte-parole de Dieu, ne peut être reçu -et entendu- dans son pays et son village. La dispute escalade. Ce qui est surprenant, c’est que tout cela fini par une tentative de mise à mort, un lynchage. Jésus quitte Nazareth, s’en va à Capernaüm. Déjà son ministère est marqué par le rejet et la mort.

Mais ce qui est important ici, c’est la parole d’Esaïe appliquée à Jésus. Le cadre de sa mission est posé. Aujourd’hui, on parlerait de cahier des charges ou de rôle : Annoncer la bonne nouvelle aux petites gens (aux pauvres) ; libérer, ouvrir les yeux et les consciences ; délivrer ceux qui sont enchainés. Proclamer la grâce qui vient de Dieu. Annoncer la proximité et la grâce de Dieu, la venue de son Royaume – c’est à la fin du même chapitre.

Voilà un beau message – et il est écouté ! on nous dit que Tous ceux qui l’entendent sont dans l’admiration. Sa parole est une parole d’autorité : elle fait foi. Elle touche les cœurs et les esprits. Et je crois que c’est ce que nous pouvons déjà retenir de cette entrée en matière, – ou cette entrée en ministère de Jésus : il est là pour dire une parole qui vient de Dieu. Et cette parole est délivrance, libération et grâce. Et bien sûr, elle est entendue.
Trois maîtres mots : Parole, autorité, délivrance.

Et voilà que, dans la synagogue de Capernaüm où Jésus enseigne, une voix s’élève en opposition à l’enseignement de Jésus. C’est un homme qui avait un esprit de démon impur. L’expression choisie par l’évangéliste force le trait : nous sommes dans l’opposition à Dieu. Au début de son ministère, alors que Jésus a résisté à la voix de la tentation et du tentateur, voilà qu’il est confronté au démon, – entendons : à ce qui n’est pas de Dieu.

Reprenons ce que dit le démon : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Tu es venu pour nous perdre. Je sais qui tu es : le Saint de Dieu ».
Et je trouve cela tout à fait étonnant… parce que, ce que dit le démon est vrai. Jésus est venu pour la perte de tout ce qui s’oppose à Dieu. Jésus est venu s’opposer au mal – le vaincre ! Et oui, il est le Saint de Dieu, – une autre façon de dire le Messie.
Alors, pourquoi Jésus le fait-il taire ?

Reprenons les maîtres mots de ce passage : Parole, autorité et délivrance.
Le démon qui enchaine cet homme n’a pas d’autorité. Ou plutôt, le Fils de Dieu ne va pas lui en donner. Il parle, mais il n’en a pas le droit – il est ce qui s’oppose à Dieu. Il n’a pas droit à la parole !
Alors, Jésus va ordonner au démon de sortir de l’homme. Sa parole d’autorité va être confirmée dans un acte de délivrance : l’Evangile nous dit ainsi que Jésus ne fait pas que parler, il agit et guérit. Jésus n’est pas venu écouter ce que raconte le démon… même si ce n’est pas faux ! Il est venu délivrer celui qui est enchainé par le mal et le Malin – l’homme de la synagogue, et tout humain qui souffre.

« Tu es venu pour nous perdre ? » crie le démon. Oui ! Jésus est venu anéantir les forces du mal qui empêche les humains de vivre libres et au service de Dieu.

Mais j’aimerais reprendre les étapes de cet exorcisme, parce que dans leur simplicité et autorité encore, c’est toute la mission de Jésus qui y est contenue.
Le texte nous dit « Jésus commanda sévèrement : Tais-toi et sors de cet homme ». Ce « Tais-toi » est ici important. Ce n’est pas seulement « il ne faut pas encore parler de la Bonne Nouvelle… Non, la traduction exacte est « sois muselé » – comme on empêche une sale bête d’aboyer et de mordre.
Ta gueule ! Shut up !
Qui a autorité pour dire la Bonne Nouvelle ? Qui a autorité pour désigner Jésus de Nazareth comme étant le Saint de Dieu, le Messie ? Certainement pas le démon, – il n’a pas droit à la parole.
Celui qui désigne Jésus comme Seigneur, c’est l’Esprit de Dieu qui repose sur lui, – et sur tout croyant qui se laisse toucher par l’Esprit et confesse sa foi. Mais pas le démon.

Je vous avais annoncé que nous allions parler de Noël…
Le démon crie « que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? ». Le texte exact dit « quoi de nous à toi ? » comme dans un autre passage des évangiles « Qu’y a-t-il entre toi et moi – entre nous et toi ? ». Il s’agit là d’une expression sémitique qui se traduit le mieux par « De quoi te mêles-tu ? ».

Cela dérange le démon que Jésus vienne se mêler de ses affaires. Bien.
Et cela nous dérange-t-il que Dieu se mêle de nos affaires… ou bien ?
Vous connaissez probablement le poème de Jacques Prévert qui commence ainsi « Notre Père qui êtes aux cieux, restez-y… ». Si la suite est une description fort jolie de ce qui se passe sur terre, j’ai toujours détesté cette phrase.
La Bonne nouvelle, n’est-ce pas que Dieu est venu se mêler de notre humanité ? Qu’il n’est pas « resté au ciel », loin de nous, loin de nos joies et de nos peines ? La Bonne Nouvelle, c’est que Dieu est venu se mêler de nos affaires. Il est devenu l’un de nous, pour dénoncer l’hypocrisie des puissants, politiques ou religieux, pour consoler ceux qui pleurent, pour relever ceux qui sont à terre – et pour faire taire nos démons.
Et c’est Noël, cette bonne nouvelle de la venue du Seigneur parmi nous !
C’est Noël, la bonne nouvelle d’un Dieu qui nous aime assez pour venir se mêler de nos affaires.
Noël, c’est la Bonne nouvelle de Dieu qui nous donne aujourd’hui encore, sa Parole, et l’autorité en son nom – de nous opposer au mal sous toutes ses formes.

La Bonne nouvelle nous oblige, sœurs et frères. A nous de transmettre la parole d’autorité du Seigneur. A nous, d’annoncer sa proximité et sa grâce.
A nous encore de dire « tais-toi » à toutes les voix démoniaques qui avilissent l’humain.
N’avez-vous jamais eu envie, en entendant un discours haineux – de simplement dire « tais-toi ! » ? Au nom du Dieu vivant, je t’ordonne de taire ta xénophobie, ton homophobie, ton racisme ou ton sexisme – tous ces démons qui empoisonnent la vie de tant de nos contemporains – souvent au nom d’une morale religieuse d’ailleurs.

La parole du démon a souvent l’aspect de la vérité, détournée et tordue. Mais elle n’a pas autorité.
Il en va, je crois, de la radicalité du message de Jésus. Il ne négocie avec le démon, avec ce qui enchaine l’humain. Il n’accepte pas de demi-vérité, sous prétexte qu’il faut respecter toutes les opinions – ce qu’on entend parfois aujourd’hui.
Jésus s’oppose au mal, à ce qui avilit l’humain et l’empêche de vivre debout et libre. A nous d’en faire autant.

Parole, autorité, délivrance et grâce.
Je reprends, pour conclure, ces maîtres mots du ministère de Jésus. Ils nous sont confiés, à nous son Église, ses disciples – pour que nous continuions en son nom à nous opposer au mal, à libérer ce qui est enchainé et à proclamer la présence et la grâce du Dieu vivant. Amen