Lectures : Esaï 40, 1-11, 2 Pierre 3, 8-14, Marc 1,1-8

Comme quelques éléments tombés de la hotte de St Nicolas, biscôme, mandarine, chocolat, cacahuète, voilà quelques pistes en début de journée pour méditer ces textes du 2e dimanche de l’Avent.

Le texte d’Esaïe forme le prologue à la 2e partie du livre. Il en est l’ouverture et en donne le ton : « réconfortez, réconfortez mon peuple ! » [1]
Parole adressée à ….. nous aujourd’hui. Doublement :
Dieu vient nous consoler, comme une mère, un père, un ou une proche, vient nous prendre dans ses bras et prendre le temps d’écouter « mais qu’est-ce qui n’va pas ? », tapotant de temps en temps sur l’épaule[2]

Accueillies et entendues, soulagées, nous pourrons aussi entendre cette parole comme un envoi : « réconfortez, réconfortez mon peuple ! ». Serait alors envoyé-e toute personne qui sait consoler. Chacun-e son voisin, telle connaissance ; par un téléphone, une carte, le partage d’un panier solidaire, un sourire à distance, un simple geste de la main et en particulier en cette période où le Covid interrompt les rencontres, crée une crainte et incertitude qui use et mène au repli sur soi.
« réconfortez, réconfortez mon peuple ! » 

ou « consolez, consolez mon peuple ! » – littéralement c’est « respirer plus à l’aise, comme soulagé d’un poids ». Il en va d’une libération intérieure – un verbe qui prend en compte notre corps. En parallèle, Esaïe met « et parle au cœur » – le cœur est dans la langue hébraïque le lieu de la réflexion et de la décision. Le mouvement de réconfort, l’appel s’adresse à toute notre personne, corps et réflexion, à l’entier de qui nous sommes[3].

J’étais en train de peller le chemin de la cure jusqu’à la route, le dégageant de la neige, quand je me suis demandé pourquoi c’est dans le désert qu’il faut faire un chemin pour le Seigneur. N’est-ce pas étonnant ? Pourquoi aplanir des vallons, des collines dans le désert ? Quand on attend un grand homme, une personnalité, le cortège devrait plutôt passer dans la capitale, une grande ville ? Dans l’idée de « ouvrez les portes de la ville, ouvrez les portes du saint lieu » ?
Selon les commentaires, il pourrait s’agir de la région peu peuplée, montagneuse au nord-est de Jérusalem. Le chemin à préparer serait celui qui, finalement, mène à Jérusalem. Lire ce texte en Avent, c’est une manière de dire : il y a encore du chemin, de la marche, dans les cailloux, mais il vient, le Seigneur Dieu (40,9.10). Et c’est ce chemin d’approche que nous pouvons préparer.

Mais le désert n’est pas qu’un endroit géographique. Dans la Bible, c’est un lieu de forces hostiles (Lév. 16,10), mais aussi le lieu de l’alliance entre Dieu et son peuple (Osée 2, 16-18) ; le mot pour vallon signifie presque sans exception dans la Bible la vallée de la mort, de l’ombre, du pourrissement (ex : ps 22,4). La « montagne » peut être le symbole du pouvoir politique (contre Babel Jerémie 51, 24-26) et « ce qui est abaissé » décrit le plus souvent une position sociale basse (1 S 2,7s). « Que l’éperon devienne une plaine » est littéralement « que ce qui est courbé, tordu soit rendu droit », un terme souvent utilisé dans le contexte de la justice et du droit[4].

Le chemin à dégager dans ce désert a donc de multiples aspects : politique-social, éthique, existentiel. Il s’adresse à mon orgueil, ma volonté de pouvoir (montagnes et collines à rabaisser) ; il s’adresse aussi à moi quand je ne me prends pas au sérieux avec mes capacités, me complait dans une impuissance imaginée. Il invite à voir ce qui, peut-être, pourrit tout au fond pour le porter devant Dieu (vallon à relever). Je suis questionnée dans des fonctionnements tordus et invitée à la droiture.
Et plus que cela, dégager ce chemin, n’est pas qu’une introspection existentielle, mais aussi un engagement concret dans le monde où je peux agir avec le 100% de ma toute petite puissance.
Nous nous y engagerons reconnaissants et lucides : avec reconnaissance pour l’accueil et tout ce qui nous est déjà donné ; avec lucidité, observant et décidant avec tout notre esprit[5]

Préparer son chemin dans nos déserts, c’est nous laisser transformer intérieurement par sa venue. C’est aussi participer par notre action à la rendre perceptible pour tous les humains, mes semblables.

 

J’ai un ami qui de temps en temps disparait quelques heures ou quelques jours : « je vais au désert » qu’il dit. Il se retire, prend un temps pour lui, où se poser, se retrouver, réfléchir devant Dieu.

Dans l’évangile de Marc aussi le désert est le lieu où Jésus se retire, à l’écart, pour prier (Mc 1,35). C’est le lieu de la tentation (Mc 1,12). — Mais aussi, et même deux fois comme s’il fallait le souligner J ! – le lieu de la multiplication des pains (Mc 6, 31ss et 8,4)[6]. Le récit du manque et de la nourriture en abondance, pour tous, se passe dans l’év de Marc les deux fois au désert.

Le Covid nous met en isolement, en quarantaine – des temps de désert où l’on se retrouve face à soi-même sans y être préparé, sans l’avoir choisi. Et ce n’est pas facile.

Les textes de ce matin me disent que ce temps peut aussi être un temps de renouvellement, de nouveau commencement, d’ouverture à celui qui console…, déjà, d’abord. D’ouverture à celui qui vient.
« Commencement » dit Marc, « commencement de la bonne nouvelle… (…) dans le désert »

Cette bonne nouvelle sera révélée progressivement tout au long de ce très petit livre, l’évangile de Marc, qui a marqué l’humanité, une bonne nouvelle qui sera aussi révélée progressivement tout au long d’une vie.

amen

 

 

[1] Le verbe sera utilisé 16 fois dans les chapitres 40-66 d’Esaïe

[2] Voir aussi l’image du berger, v.11

[3] Pour ces paragraphes voir Klaus Baltzer, Deuterojesaja (Kommentar zum Alten Testament), 1999, p.82 qui dit aussi que « Réconfortez, réconfortez mon peuple ! dit votre Dieu» résume toute la proclamation du Deutéro-Esaïe : le temps est arrivé où « Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. » Jer 31, 34

[4] Ibid. p.86s

[5] “Reconnaissance et lucidité” pour l’agir chrétien est une formule chère à M.M.Egger (info par C-L. Vouga)

[6] Ched Myers, Binding the Strong Man. A political reading of Mark’s story of Jesus, Orbis Book, Maryknoll New York, 1988, p.125s