Cant.3. 1-4a; 1.Cor.13 ; Jean 20 11-18

« Les Douze étaient avec Jésus, et aussi des femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie, dite de Magdala, dont étaient sortis sept démons, Jeanne femme de Chouza intendant d’Hérode, Suzanne et beaucoup d’autres qui les aidaient de leurs biens » (Luc 8.1-3).

À côté des Douze, tout un groupe de femmes, sans doute fortunées, non seulement suivaient Jésus durant son ministère, mais encore semblent avoir permis pour l’essentiel la subsistance matérielle du groupe. Parmi elles, Marie-Madeleine. On la retrouve ensuite nommée dans le groupe de femmes qui avaient suivi Jésus jusque sous la croix (Mt.27.55 par.), alors que les Douze s’étaient pour la plupart enfuis. Puis elle est parmi celles qui, au matin de Pâques, trouvent le tombeau vide et annoncent cette nouvelle aux apôtres, d’où son titre d’« apôtre des apôtres » que lui attribue Hyppolyte de Rome au 3è siècle. Plus tard, Marie-Madeleine aurait suivi l’apôtre Jean et Marie, la mère de Jésus, à Ephèse, ou alors, selon une légende du Moyen-Âge, avec Marie, la femme de Cléophas, Marthe et Lazare de Béthanie elle aurait atterri sur un radeau aux Saintes-Maries-de-la-Mer et aurait évangélisé la Provence, avant de passer les 30 dernières années de sa vie comme ermite dans une caverne de la Sainte-Baume. Voilà pour un bref rappel de ce que l’on peut savoir de sa vie extérieure.

Déjà les textes que l’Eglise a choisis pour accompagner le récit de sa rencontre avec le Ressuscité, montrent que Marie-Madeleine est pour ainsi dire l’archétype de l’amour humain pour le Christ : Elle est comparée à la bien-aimée du Cantique des cantiques à la recherche de son bien-aimé ; l’hymne à l’amour de 1 Cor.13, rappelle que tout ce qui constitue notre vie de chrétiens – notre louange, nos connaissances théologiques, nos bonnes œuvres – ne restent qu’extérieurs et n’ont pas de réelle valeur sans l’amour. Qu’implique dans nos vies le fait d’aimer le Christ ? C’est ce que nous montre Marie-Madeleine et c’est ce en quoi elle vous intéresse très particulièrement, vous, chers sœurs, qui consacrez toute votre vie à cet amour et c’est ce en quoi elle nous intéresse nous tous, chrétiens, que l’amour du Christ a personnellement touchés d’une manière ou d’une autre et qui cherchons à y répondre de notre mieux.

L’amour du Christ, comme tout amour, est tout d’abord une chose merveilleuse. Dans toute sa simplicité et toute sa naïveté, il est la chose sans doute la plus merveilleuse qu’on puisse imaginer. Etre là, en face de lui, avec lui. L’écouter nous dire de mille manières combien il nous aime et le lui dire en retour à travers nos chants et notre louange. Le contempler dans le silence de notre cœur. Le découvrir agissant dans notre vie et dans la vie de tant d’autres, nous pardonnant toujours à nouveau nos inattentions, nos oublis, nos grandes comme nos petites trahisons, prêt à continuer jour après jour son chemin avec nous, nous inspirant et nous encourageant et, à travers tout cela, nous transformant, nous transfigurant peu à peu à son image. Quel bonheur que son amour ! Avec lui, fini la crainte de l’échec, fini la crainte de ne pas suffire ! Quelle libération ! Quelle joie et quelle paix ! Enfin ! Et pour toujours ! Et au-delà même de la mort ! Comment ne pas aimer à notre tour un pareil ami ?

Un tel amour pourtant, comme tout amour, a aussi son prix. Etre compagne ou compagnon du Christ n’est pas un bonheur de tout repos. Pour Marie-Madeleine cela a tout d’abord sans doute signifié renoncer à la vie confortable dans sa villa au bord du lac de Galilée. En 2009, les archéologues ont découvert à Magdala une synagogue datant de l’an 30 dans laquelle Jésus a sans doute prêché, entourée de plusieurs demeures aisées contenant chacune une piscine. L’une d’elle appartenait-elle à Marie-Madeleine ? Renoncer à ce confort pour suivre Jésus, cet homme fascinant, sans doute, mais aussi contesté dans ses pérégrinations un peu partout le pays, ce n’était pas rien pour une femme d’alors. Et encore aujourd’hui, suivre Jésus nous demande à nous aussi bien des renoncements : à ce qui aurait pu devenir une brillante carrière peut-être, à un certain confort et à certaines libertés que nous aurions alors pu nous permettre. Suivre Jésus, alors comme aujourd’hui, veut peut-être aussi dire accepter quotidiennement la compagnie d’hommes ou de femmes que nous n’aurions pas nécessairement choisis.           Mais il y a bien pire : Aimer nous rend vulnérables, aimer nous rend dépendants. « Sur mon lit, au long de la nuit, je cherche celui que j’aime, je le cherche et ne le rencontre pas », telle était la plainte de la bien-aimée du Cantique. Elle se lève, fait le tour de la ville, cherche dans les rues et les places, interroge les gardes. Mais en vain. Imaginons la peur et la souffrance de Marie-Madeleine suivant Jésus dans sa passion, imaginons son désespoir en le regardant de loin mourir sur la croix. Et maintenant, au matin de Pâques, le voilà une fois de plus disparu. Même le tombeau n’a pas pu le retenir. Le jardinier en saurait-il plus ? Moi aussi, à côté des moments de bonheur et de joie, je connais les temps de sécheresse spirituelle, les moments de questionnements et doutes. Je me mets alors à douter non seulement de Dieu et du Christ mais aussi et surtout de moi-même. Qu’en est-il de ma foi, qu’en est-il de mon amour ? N’était-ce qu’illusion, qu’hypocrisie ? A qui aller, puisque lui-même semble ne plus me répondre ?

« Marie ! – Rabbouni ! » Quelle explosion de joie, quelle intimité et quelle certitude à la simple mention de son nom, à la simple mention de mon nom. Non, il ne m’a pas abandonnée ! Il me reconnaît et m’aime toujours. « A peine les ai-je dépassé (les gardes que j’avais interrogés) que je rencontre celui que j’aime. Je le saisis et ne le lâcherai pas », raconte la bien-aimée du Cantique. Ainsi Marie-Madeleine. Comme les disciples sur le mont de la Transfiguration, elle voudrait que cet instant puisse durer et ne plus jamais prendre fin. Mais Jésus lui dit : « Ne me retiens pas ! car je ne suis pas encore monté vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu. » Pour l’instant, ni la tâche du Christ, ni celle de Marie-Madeleine, ni la mienne ne sont encore terminées. Il s’agit que le feu de l’amour puisse embraser le monde tout entier. Ce n’est qu’alors que notre amour trouvera pour toujours son repos en Dieu.

Amen.