Frères et sœurs,

I.

J’ai toujours un peu peur si je tombe pour une prédication sur un texte du Nouveau Testament où les Pharisiens jouent un rôle.
Pourquoi ?
Parce que je crains que je sois moi-même « les Pharisiens » ou un parmi eux.
Comment ça ? Qui sont les Pharisiens ? Pour le dire en un mot « ceux qui ont raison », ceux qui croient toujours avoir raison, et qui – parce qu’ils ont raison – se sentent supérieurs aux autres.
– N ’est-ce pas exactement cela qui nous arrive quand nous entendons un de ces récits qui parlent d’une rencontre entre Jésus et les Pharisiens : ils ont tort, et Jésus et nous avons raison.
Et n’est-il pas étonnant de voir comment les choses s’inversent ?! D’abord, aux temps de Jésus, les Pharisiens se sentaient supérieurs, et aujourd’hui –– c’est nous.
Comme s’il n’était pas si facile d’échapper à l’envie de la supériorité !

Notre image de Pharisiens est marquée par une reproche : ils sont de gens corrects, mais surtout il sont mesquins. Il s’intéressent à la lettre de la Loi, mais il n’ont pas la liberté intérieure de s’intéresser à l’esprit de ce qui est dit et prescrit.
Regardons pour un moment les deux scènes de rencontre entre eux et Jésus. Le sujet de la dispute et le sabbat. Les disciples de Jésus ont faim, n’auraient-ils pas le droit de manger quelques épis (un repas assez modeste quand même !) ? Un paralysé est dans la synagogue, qui n’aurait pas pitié de lui ? Et qui aurait la capacité de le guérir ne le ferait pas « Sabbat hin oder her », comme on dit en allemand ?
Tout cela est tellement évident. Un peu trop évident peut-être…

 

II.

Le sabbat contre une attitude humaine, notre choix est vite fait. Mais avons-nous compris l’enjeu ? Avons-nous compris ce que cela signifie « le sabbat » ? Durant ma vie académique et personnelle j’ai passé beaucoup d’années à étudier le christianisme (bien sûr, j’ai été professeur de théologie protestante), mais aussi le judaïsme. Après tant d’années d’études, si je pense à mes amis juifs, je les envie d’une chose : le sabbat. Le sabbat est le plus grand cadeau que la religion juive ait fait à l’humanité. Cadeau curieux d’ailleurs car nous ne célébrons pas le sabbat, mais du moins nous pouvons ou nous pourrions deviner ce qu’il est. Il ? Non, elle ! « La reine shabbat. »

Pourquoi cette envie (Warum dieser « Neid » oder besser diese « Sehnsucht », cette nostalgie) ? À cause de cette ouverture incomparable qui se donne avec ce jour à part. Un jour à part, un jour qui n’est pas comme les autres. Tous les jours sont remplis de nos soucis, de notre travail, de nos préoccupations, de nous-mêmes (!), ce jour ne l’est pas. Il n’est rien d’autre que ce qu’il est. Il est jour de fête. Jour du Seigneur. Et en tant que « jour du Seigneur » il nous a été donné. (« Nous » – je parle comme un juif, « peu importe » – ce n’est pas possible autrement pour l’instant.)

Mais comment le saisir, comment le vivre, comment tenir ce cadeau dans nos mains, sans le détruire, et comment remplir ce jour si différent des autres sans l’assimiler à eux, à nous ?

D’où tous les efforts de les protéger. Protéger de qui ? De nous ! De notre volonté de toujours remplir de nos activités ce qui est ouvert et libre, de notre acharnement de toujours continuer, de ne pas admettre une interruption, car une interruption viendrait d’ailleurs et non pas de nous.

Tous les règlements si précis et si pénibles : ne pas travailler, ne pas faire la cuisine, faire quelques pas, mais pas trop…, tous ces règlements qui apparaissent [à nous qui n’en comprenons rien,] comme des restrictions exagérées, sont des aides de sauvegarder cet espace de liberté. Un espace où nous ne donnons pas, ne dominons pas, ne produisons pas, mais recevons tout simplement – pourvu que nous en soyons capables.

« La reine sabbat », elle est belle, elle est plus grande que nous, elle est généreuse, mais elle est fragile. Justement sa générosité est fragile, car nous ne sommes pas disposés à recevoir, « tout simplement recevoir ».

 

III.

Pourquoi Jésus porte-t-il atteint à cette fragilité si précieuse. Pour être franc, frères et sœurs, je ne le sais pas. Ses disciples auraient pu attendre le soir pour manger. Même le paralysé aurait pu être guéri quelques heures plus tard.

Peut-être que Jésus a voulu provoquer. Mais en vue de quoi ? A-t-il peut-être voulu indiquer qu’il y a une proximité encore plus grande que celle qui se symbolise en ce jour de liberté, compris comme don et comme présence de Dieu, une proximité encore plus grande – entre lui et son père.

Et comme les juifs peuvent participer à la proximité et à la liberté de Dieu en recevant et en vivant ce jour qui lui appartient, mais qui est donné à eux, nous pouvons participer à la proximité entre Jésus et son père, en faisant quoi ?

– Peut-être que dans notre foi, nous sommes inclus dans leur proximité.

En croyant qu’elle existe, qu’elle est là, qu’elle nous concerne ; en croyant que nous – pauvres hommes et femmes – sont inclus dans cette proximité qui lie Jésus à son Père, son Père à Jésus.

Amen