Jn 2,1-12

La gloire de Jésus, c’est-à-dire la présence de Dieu parmi les humains, est révélée par ce qui se passe à Cana de Galilée. La joie attendue pour la fin des temps, symbolisée dans la surabondance du vin aux noces, pousse les disciples à croire en lui. Il est le Christ, l’envoyé de Dieu ; il vient nous sauver, à l’heure et à la manière de Dieu.

Entendre une vérité est une chose, l’accueillir et la transformer en la foi en est une autre, comme le dit bien un proverbe disant que le chemin le plus long qu’un être humain ait à parcourir est le chemin allant de la tête à son cœur. Dans ce sens-là, le visage de la foi représenté en la mère de Jésus est une grande source de méditation. Marie a su exprimer sa confiance en son fils en le priant dans une situation de manque, de détresse. Elle nous inspire ainsi d’être une Église qui veille et prie en toutes circonstances. Dieu n’agit certes pas sous la pression des circonstances, et notre prière risque toujours d’être en décalage avec le moment et le moyen choisi par Dieu. Mais sans prière et vigilance spirituelle, nous ne saurons pas reconnaître ce dont nous avons besoin vraiment ni ce que Dieu nous donne comme les vrais biens de notre vie.

Mais ce matin, je voudrais méditer avec vous plutôt sur une autre figure de la foi dans l’histoire, certes tout à fait secondaire mais tout aussi évocatrice que Marie : les serviteurs anonymes aux noces de Cana. En effet, si les attitudes de la mère de Jésus nous rappellent cette distance à parcourir entre la tête et le cœur, les actes des serviteurs qui ont dû porter des cruches d’eau pour remplir les jarres m’évoquent la distance à franchir entre ma décision de me lever et le sol à côté de mon lit un matin où je n’ai vraiment pas envie de quitter ma couette.

Avertis par Marie et selon l’ordre de Jésus, ces serviteurs remplissent d’eau les jarres de pierre. Mais vous vous rendez compte ? Ces jarres sont destinées aux rites de purification, que l’on accomplit avant le repas. Les invités sont déjà à table depuis un bon moment au point qu’il manque du vin. Imaginez un instant : lors d’un souper avec les invités, au moment de passer au dessert, celui-ci manque, et ma femme me demande d’aller chercher… les biscuits apéritifs ; je ne suis pas sûr si je prendrais sa demande au sérieux, même si ma belle-mère m’avait auparavant demandé de faire quoi qu’elle me dise. En plus, Jésus ne demande pas d’apporter une ou deux cruches d’eau mais de remplir six jarres qui peut contenir chacune de deux à trois mesures. Cela veut dire qu’on est en présence d’environ six-cents litres d’eau à transporter. Sans eau courante, ils ont dû faire je ne sais combien d’aller-retour jusqu’au puits ou à la fontaine la plus proche pour les emplir jusqu’au bord.

Il est vrai que nous n’avons pas le droit de faire dire ce que le récit ne raconte pas. Il n’y a pas lieu ici de faire l’éloge d’une obéissance aveugle qui répond à un ordre de prime abord absurde. L’évangéliste ne s’y intéresse pas, et en en spéculant arbitrairement, nous passerions à côté de l’essentiel, c’est-à-dire ce que Jésus fait de tout cela et ce qu’il révèle par conséquent au sujet de la présence de Dieu parmi nous.

Mais cela étant dit, dans notre vie, dans notre chemin de la foi, combien de fois nous avons l’impression d’être dans une situation semblable à celle de ces serviteurs. Nous prions et marchons sur le chemin de la paix, de la justice, de l’amour, au nom de Dieu en Jésus-Christ, et nos prières et nos marches semblent parfois porter les fruits tant attendus. Or, un instant plus tard, nous avons l’impression que rien n’a été accompli, que Dieu nous demande de faire ce que nous avons déjà essayé, ce que nous pensons qu’il est inutile de refaire.

Prenons un exemple de circonstance en ce début de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Ces dernières années dans notre région, beaucoup ont élevé la voix pour crier au recul sur le chemin de l’unité entre les chrétiens. Peut-être avons-nous été rattrapés par un des fantasmes du temps moderne qui nous fait imaginer que ça ira mieux automatiquement avec le temps, en nous imaginant être montés dans un téléphérique qui nous mènerait désormais inlassablement vers le sommet de l’unité. Devant de nouveaux défis œcuméniques, certains ont l’impression que nous avons déjà fait ce chemin une fois, deux fois, trois fois, et que nous sommes toujours au même endroit, voire que nous avons reculé.

Vous le savez sans doute, la COTEC, c’est-à-dire la Communauté de travail des Églises chrétiennes du canton de Neuchâtel, est en train de réviser ses statuts ces temps-ci. Cet organe cantonal avait vu le jour il y a plus de trente ans avec nombreuses tâches dont la première était « la prise en considération des propositions de l’Assemblée Synodale Œcuménique Temporaire qui s’est tenue dans le canton de Neuchâtel de 1981 à 1986 ». Or, avant-hier, en consacrant une journée de rencontre et de travail à l’avenir de la COTEC, les délégués ont dû se rendre à l’évidence que ce point de repère – si précieux qu’il soit – n’était plus qu’un repère historique pour nous. Nous avons décidé de reprendre le chemin de nouvelles réflexions et actions communes sans être nostalgiques ni revendicateurs d’un passé.

Oui, nous ressemblons à ces serviteurs qui se mettent à nouveau sur le chemin, les lourdes cruches sur l’épaule, vers le puits. Mais ne pensez pas que je m’attriste. Au contraire ! Car, au fond, il n’y a pas de chemin vers l’unité si nous pensons que cette unité est quelque chose à atteindre par nos propres efforts. L’unité est un don de Dieu. Nous sommes là pour en témoigner. Dans ce sens, il n’y a pas de chemin vers l’unité mais le chemin pris ensemble est l’unité[1]. A chaque époque, à chaque lieu, l’Église se retrouve devant ses jarres de pierre à remplir au nom de Jésus-Christ. Chacun et chacune est invité-e sur ce chemin entre le puits et la maison des noces, avec sa modeste cruche. La seule question qu’il vaille la peine de poser sur le chemin est celle-ci : « Quel bon vin Dieu en sortira-t-il ? ».

 

[1] Je détourne la citation de Ghandi : « Il n’y a pas de chemin vers la paix, la paix est le chemin. »