Marc 6,45-52

Alors, qu’est-ce qu’ils n’avaient pas compris ? Il est vrai que les disciples de Jésus avaient eu ce privilège unique d’avoir vécu un moment historique de l’humanité, mais nous, nous bénéficions cet avantage de lire et de relire ce qui s’est passé, ce qui se passe, avec l’ensemble de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ. Comme on dit, on est toujours plus intelligent après. Alors, nous avons lu ce matin encore l’histoire des pains, cette histoire d’un incroyable banquet en plein air. Qu’est-ce que les disciples avaient échoué à comprendre pour rester à la fin bouche bée, bouleversés et paralysés, devant ce Jésus qui les rejoint ?

Mais avant de remonter le temps, pour nous qui pouvons feuilleter et consulter la Bible, des commentaires et des études de savants autant que nous voulons, nous serions tentés de pointer l’inintelligence des disciples et leur endurcissement du cœur dans ce récit de la marche sur les eaux lui-même. On pourrait dire, en effet, qu’ils n’ont pas réussi à voir la manifestation de la puissance divine dans notre histoire. Qui donc aurait pu marcher sur la mer si ce n’est Dieu dont le souffle planait à la surface des eaux bien avant que quelque chose existe (Gn 1,2 ; voir aussi Job 9,8 ; Ps 77,20 ; Es 43,16) ? Qui aurait pu maîtriser l’eau et le vent de cette manière si ce n’est celui que Dieu avait promis d’envoyer, afin qu’il vainque la puissance du mal secouant notre existence comme une tempête et celle de la mort menaçant de noyer notre existence à jamais ? Ils auraient dû dire « alléluia » au lieu de crier « fantôme » à la vue de la silhouette de Jésus qu’ils avaient quitté il y a à peine 6 à 9 heures. En plus, Jésus calme les disciples affolés en disant : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ». Tenez, ils n’ont pas su reconnaître ou accueillir ces expressions rappelant le nom de Dieu (Ex 3,14 ; Es 43,1-3.10-11) et son apparition (Ex 14,13 ; 20,20).

Mais n’allons pas si vite : on est toujours plus intelligent après. Et souvenons-nous : l’évangéliste nous dit que, si les disciples n’arrivent pas à réaliser ce qu’ils sont en train de vivre, c’est parce qu’ils n’avaient rien compris à ce qui s’était passé dans l’histoire de la multiplication des pains. Alors, qu’est-ce qu’ils auraient dû comprendre ? Qu’est-ce que nous aurions dû comprendre ce matin ? Est-ce le fait que le Christ tout-puissant maîtrisant des éléments de la nature n’est compréhensible qu’en lien avec ce Jésus qui se laisse prendre pitié de la foule affamée de la parole et du pain ? Ou, est-ce le fait que celui qui sait marcher sur les eaux, dominer la puissance de la mort, n’est pas séparable de celui qui donne à manger et qui se donnera à manger à travers sa passion et sa mort sur la croix ? Ou bien encore, y avait-t-il quelque chose à comprendre avec les douze paniers remplis du reste à la fin du repas ? Qu’est-ce que Jésus en a fait au fait ?

Je ne vous ennuierai pas longtemps avec toutes ces hypothèses. Vous en trouverez de meilleures. Mais une chose est sûre. Avec cette petite remarque finale de l’évangéliste Marc, nous sommes tout à coup embarqués dans la même barque que ces disciples. Nous sommes nous aussi invités à remémorer ce qui s’était passé auparavant pour comprendre ce qui se passe maintenant. C’est en nous souvenant sans relâche de qui était ce Dieu que nous reconnaissons ce qu’il fait aujourd’hui. C’est en nous rappelant ce que Dieu avait promis que nous découvrons la direction qu’il nous montre aujourd’hui. Par sa vie, sa mort et sa résurrection, le Christ nous dit que le Dieu de l’univers, c’est celui qui crée, aime et sauve, comme il l’était hier et comme il le sera demain.

C’est pourquoi il est important d’apprendre sans cesse à découvrir et à reconnaître dans le passé lointain et proche de notre existence les traces de Dieu : sa main, son « coup de pouce » ou son « stop », son souffle, sa voix, ses oreilles tendues, ses pleurs ou ses rires, ses expressions de désarroi ou de joie… Lire l’histoire de chacune, de chacun ou celle d’une communauté avec cette loupe repérant les traces de Dieu, cela pourrait apparaître aux yeux du monde comme quelque chose d’incompréhensible. Mais c’est la manière d’écrire l’histoire que le Christ nous a apprise : il dit que le Dieu que nous prions est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qu’il est le même de Pierre, de Marthe et Marie, de Lazare, et qu’il est le même de chacune et de chacun de nous.

En lisant ce que Dieu a laissé comme empreintes, comme traces, dans ce que nous avons vécu, peut-être apprendrons-nous à accueillir celui qui vient nous rejoindre aujourd’hui avec un peu plus de confiance, cela malgré l’obscurité qui nous entoure, malgré la fatigue de ramer contre le vent. En nous rappelant mutuellement comment Dieu est apparu dans nos vies, peut-être saurons-nous nous réjouir à l’écoute de sa voix : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur » et lui répondre : « Nous voici. Où veux-tu nous emmener ? » Bien sûr, nous serons toujours plus intelligents seulement après. Mais que voulez-vous ? Nous ne suivons pas le Christ pour devenir intelligents. Nous le suivons parce que cette vie est vraie.