Lc 18,31-43

Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Pour le dire de manière plus générale, qu’est-ce que vous attendez de celui ou celle qui se met devant vous à ce moment précis qu’on appelle le temps de l’homélie, du sermon ou de la prédication ?

Un enseignement sur le texte biblique ? Des informations nécessaires qui vous permettraient de le comprendre théologiquement ? Cinq minutes d’homélie, dix minutes de sermon, quinze minutes de prédication, même plus de trente minutes de témoignage évangélique ne seront pas suffisants. En plus, quelques bons commentaires et ouvrages théologiques vous apprendront beaucoup plus et mieux qu’un pauvre pasteur comme moi.

Attendez-vous un moment de rafraîchissement, d’enrichissement ou d’encouragement ? Vous vous êtes peut-être dit : « Tiens, c’est Hyonou ce matin. Qu’est-ce qu’il va nous raconter aujourd’hui ? Une anecdote de sa femme peut-être ? » Il est vrai qu’il fait du bien parfois d’entendre des histoires qui nous touchent, nous émeuvent, nous bousculent, nous réconfortent, mais nous savons que des histoires drôles ou émouvantes, en plus édifiantes, on en trouve aussi partout ailleurs. Personnellement, j’ai l’impression d’avoir beaucoup plus entendu et retenu des phrases vraiment poétiques et percutantes dans les romans de mes écrivains préférés ou dans des feuilletons coréens que dans des homélies.

Alors, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Qu’est-ce que nous voulons faire à ce moment précis qu’on appelle le temps de l’homélie ?

Peut-être espérez-vous entendre – comme moi quand je me retrouve sur les bancs d’une église – des affirmations et des interrogations, puisées et mises en lumière à partir d’un texte biblique, apportant un éclairage sur notre vie, notre existence ? Voulons-nous saisir la question que Jésus pose à cet aveugle-mendiant de Jéricho pour nous-mêmes : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » et trouver une réponse à cette question ? Autrement dit, voulons-nous savoir ce que c’est le salut pour moi, pour nous ? Voulons-nous oser nous demander encore une fois : Qu’est-ce qui me manque pour être pleinement moi-même devant Dieu ?

En parallèle à cette question du salut, il y a aussi une deuxième question qui surgit chaque fois que nous lisons les Écritures dans la prière et avec sincérité devant Dieu. C’est la question : « Que devons-nous faire ? » Tout comme les foules, des collecteurs d’impôts, et des militaires qui affluaient vers Jean le Baptiste en quête d’une vie en vérité, nous demandons : « Que nous faut-il donc faire ? » (Lc 3,10-14). Tout comme ces trois mille personnes qui ont eu le cœur bouleversé d’entendre le discours de Pierre au jour de Pentecôte, nous nous disons : « Que ferons-nous, mon frère ? Que ferons-nous, ma sœur ? » (Ac 2,37).

L’ennui, c’est qu’il n’y a pas parmi nous Jean le Baptiste, ni Pierre, ni Jésus – même si nous croyons que le Christ est mystérieusement présent[*]. En tout cas, je ne me prends pas pour l’un d’eux. Je me sens plutôt comme un de ces disciples qui ont entendu une parole de Jésus on ne peut plus explicite mais qui n’ont rien compris. Jésus annonce le sort qui l’attend à Jérusalem à l’instar du serviteur souffrant dont le prophète Esaïe avait parlé, et l’espérance de la résurrection. Mais ses disciples restent comme aveugles devant un tableau, comme sourds devant un discours, comme indifférents devant une vérité qui éclate. Dans la description de l’évangéliste Luc, ils restent même muets ; il sont incapables de rétorquer à Jésus en disant : « Mais qu’est-ce que tu veux dire ? Je ne comprends pas ! ». Aucun échange, aucune réaction qui suscite un quelconque partage. Ils ne comprennent rien ; ils n’ont donc pas à changer quoi que ce soit.

C’est aussi le danger de toute parole que nous connaissons bien ou, plus exactement, de la parole que nous croyons bien connaître. Je dis danger, mais en réalité c’est sans doute le destin inévitable de toute parole qui vaut vraiment la peine d’être entendue et comprise, c’est-à-dire la vérité de notre vie, la vérité sur notre vie. « Trahison », « moqueries », « outrages », « crachats », « flagellation », « mort » et « résurrection », tout cela, les disciples savent ce que c’est ou ils croient savoir ce que c’est, mais le sens véritable de toutes ces réalités en la personne de Jésus le Christ, ils ne le comprendront qu’à la lumière de Pâques. « Maladie », « isolement », « distance », « injustice », « pauvreté », « violence », « haine », « indifférence », « mort » et « résurrection », tout cela, nous savons ce que c’est ou nous croyons savoir ce que c’est, mais le pourquoi de toutes ces réalités, nous ne le comprendrons qu’à la lumière de Pâques, à la lumière du Royaume à venir.

Mais en attendant, voulons-nous être comme ces disciples interloqués ? Aveugles, sourds et muets ? L’aveugle-mendiant de Jéricho nous montre une autre voie. Contrairement aux disciples, il sait, il reconnaît qu’il est aveugle, et il veut en être guéri. Il n’est pas sourd car il entend les gens le rabrouer, et en réaction, il crie de plus belle. Mais surtout, il n’est pas muet. Il appelle le Christ, et il entre en relation avec lui en répondant à sa parole. La foi n’est pas quelque chose qu’on possède. La foi, la vraie, est quelque chose qu’on partage. La foi de l’aveugle-mendiant, qui est devenue aussi celle du Christ, l’a sauvé. Et cet événement de la foi n’est pas sans conséquence. Comme disait Dieu par le prophète Esaïe, « ma parole, du moment qu’elle sort de ma bouche, elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée » (Es 55,11). La pauvre parole humaine transformée en la Parole de Dieu comme un événement, transforme la foule autour du Christ en un peuple de louange.

Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Nous n’avons que notre pauvre parole humaine pour appeler, crier, prier. Mais Dieu vient à notre secours. C’est notre foi. Et par cette foi, Dieu nous donne d’être un peuple de louange déjà dans ce monde. C’est notre vocation. Un jour, nous verrons à la lumière de Dieu le sens de tout ce qui nous est arrivé et arrive, mêmes des anecdotes les plus futiles et insignifiantes que je n’oserais même pas vous raconter pour capter votre attention au début d’une homélie. C’est notre espérance.

 

[*] Une petite discussion avec sr. Dana après l’eucharistie me permet d’apporter cette précision.