Evangile : Luc 9, 28 – 36

 

Chères Sœurs, chers frères,

Dans cette histoire étrange, mais si ruisselante de lumière, Jésus pourrait bien être au sommet de sa gloire. Au bord de l’Ascension, même ! Le temps aurait pu s’arrêter à ce point culminant de l’Evangile. Et l’Evangile aurait trouvé ici une splendide conclusion. Pierre l’a compris, lui qui propose d’éterniser ce moment de bonheur intense en dressant trois tentes.

Pas si fou, pas si faux, quand on sait que, parmi les grandes fêtes d’Israël, il y a la fête des Tentes, justement. Le peuple de Jésus, – le peuple de Pierre, de Jacques et de Jean -, connaît bien la fête de Sukkot. On y célèbre, sept jours durant, la traversée du désert. Lors de ce temps de l’exode, Moïse s’entretenait avec Dieu dans la Tente de la rencontre…

Au désert, Dieu se révélait et se dérobait en même temps. Et cette expérience d’une révélation en marche est tellement fondamentale, qu’aujourd’hui encore, nos frères et sœurs israélites lui donnent une grande place. La fête de Sukkot, la fête des Tentes, la fête des Cabanes a lieu cette année du 3 au 10 octobre. On est en plein dedans.

Pensons à eux. Pensons à eux, dont certains dressent même des cabanes sur leurs balcons. Et pensons aussi à celle et ceux qui auraient dû faire ici et maintenant une retraite itinérante. Une retraite annulée en raison de la situation sanitaire… En marche, nous le sommes toutes et tous à l’école de l’exode. Même si nous sommes devenus sédentaires, nous avons dans nos racines spirituelles le nomadisme biblique. Et c’est à la lumière de ce nomadisme que je vous invite à retrouver notre Evangile du jour. 

C’est un point culminant, puisque l’Ancien et le Nouveau Testament se donnent la main. Ne s’agit-il pas ici d’une véritable « rencontre au sommet » ? Une rencontre en présence des plus grands ? Moïse pour la Loi, Elie pour les Prophètes, Jésus pour l’Evangile et, à leurs pieds, les principaux apôtres … pour la transmission apostolique. En effet, Jésus a voulu emmener au sommet de cette montagne Pierre, Jacques et Jean, ceux que j’appellerais « le trio de choc ».

Dans l’Evangile de Luc, Pierre, Jacques et Jean ont été aux premières loges pour voir ce qui s’était passé dans la maison de Jaïros. Jaïros dont la fille semblait morte, ou était peut-être déjà morte… Les trois disciples ont été les témoins privilégiés d’une formidable victoire de Jésus sur la mort ! C’est ce que vient de relater l’Evangile, à la fin du chapitre qui précède le nôtre, le chapitre 8.

Mais à l’autre bout du même Evangile, à Gethsémané, ils seront tous trois les témoins du face-à-face de Jésus avec sa propre mort. Ils seront présents dans ce jardin célèbre, où Jésus sera non pas transfiguré, mais comme défiguré par l’angoisse de la mort. Gethsémané est le prélude du Golgotha, cette autre « montagne », où Jésus sera mis en croix. Sur le Golgotha, ce ne sont pas trois tentes qui seront dressées – une pour Moïse, une pour Elie et une pour Jésus – mais trois croix. Deux pour deux malfaiteurs, et une pour Jésus.

Du reste, Luc est le seul évangéliste qui donne au récit de la transfiguration de Jésus une couleur « Gethsémané », une odeur de la passion. En effet, Luc précise ce que ni Marc ni Matthieu ne disent : Jésus monte sur cette « montagne pour prier ».

Luc précise encore de quoi Jésus, Moïse et Elie s’entretiennent avec lui : ils s’entretiennent de de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem, littéralement, ils parlent de l’exode de Jésus, un exode qu’il faut comprendre ici comme un chemin vers la vie, mais qui passe par une souffrance et par une mort.

Luc précise enfin que les trois disciples choisis pour l’accompagner sont « écrasés de sommeil ». Les indices sont nombreux, qui font de ce récit de la transfiguration non seulement une annonce de Pâques, mais aussi et d’abord de Vendredi Saint.    

Pierre veut dresser trois tentes sur la haute montagne de la transfiguration, éterniser ce moment de bonheur intense passé aux pieds de son Seigneur illuminé. Mais il devra attendre. Et en attendant, redescendre. Pierre, Jacques et Jean redescendent de la montagne forts d’une expérience inoubliable. Une vision indicible. Un immense point d’exclamation !

Mais aussi un formidable point d’interrogation ? C’est qu’ils n’ont pas encore tout vu. Et surtout : ils n’ont pas tout entendu. Ce n’est pas pour rien, je crois, que la proposition de Pierre – dresser « un saint camping » au sommet de la montagne – est immédiatement suivie de l’apparition d’une nuée. Ce n’est pas par hasard que, – de la nuée qui les recouvre et les inquiète, – une voix fait entendre cette consigne qui a toute son importance : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le ! »

Les disciples sont appelés à passer du mode de la vision à celui de l’écoute. Passer de l’expérience privilégiée d’une illumination – expérience que nous connaissons parfois, notamment lors d’une retraite spirituelle – à celle, exigeante souvent, ingrate parfois, mais prometteuse toujours d’une rumination de la Parole au quotidien. « Ecoutez-le ! » est le maître mot de ce récit.

Et si je l’écoute, et si je fais silence pour l’écouter, alors plus besoin de lui dresser une tente. Je pourrai me dresser moi-même, et nous pourrons nous dresser ensemble pour devenir, selon une image de l’apôtre Paul, des « temple du Dieu vivant » … 

Comme Jésus, et avec Jésus nous sommes en exode. Comme Jésus, et avec Jésus, nous sommes appelés à la vie, sans échapper à la mort. Comme Jésus, et avec Jésus, nous sommes appelés à prier pour nous laisser transfigurer.

Amen