Mes soeurs, mes frères, nos chants de ce matin ne veulent pas couvrir, mais plutôt accompagner une question répétée pratiquement chaque jour par un grand nombre : « Que sera le monde d’après ?… », en référence évidemment à la crise importante de la pandémie – et cela vaut pour tant d’autres souffrances dans le monde.

Et si nous envisagions cette question dans un cadre plus vaste ? En commençant d’abord par la question de ce matin : « Comment se présente le monde d’après la crise assumée par Jésus en sa Pâque ? »

Ce monde d’après la crucifixion confirme et restaure une réalité attestée par les nombreux textes bibliques que nous venons d’écouter ! Ces textes, font entendre une déclaration d’amour et de dignité au sujet de chaque être humain, disant que tous nous avons été créés à l’image de Dieu.
Cette qualification : « créatures à l’image de Dieu » anoblit chaque femme, chaque homme, chaque enfant, et l’accompagne, l’entoure, comme une lumière dans la nuit. Où voyons-nous cette dignité lumineuse ?
Elle a brillé dans l’humanité de Jésus le Fils éternel. Sa bonté a fait briller devant nos yeux le visage même de Dieu. La bonté de Jésus nous a fait découvrir l’intention de Dieu ; d’une manière certaine il nous a fait voir son visage aimant.
En même temps, c’est l’image parfaite de l’être humain que Jésus nous a donnée par l’ensemble de sa vie terrestre. Il a été l’être véritablement humain, l’humain dont Dieu avait l’image lorsqu’il a créé l’univers. 

En ce moment même, et en ces jours de Pâques où progressivement vont être accueillis les signes et les annonces que Jésus est ressuscité, en cette aube où toute ombre est repoussée, un cri de JOIE, un cri de délivrance retentit : « Humains, Imitez le Christ ! Revêtez sa manière d’être ! Appliquez-vous à lui ressembler ! ». Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

Cela veut dire que l’annonce de la Résurrection n’est pas une bonne nouvelle seulement pour le futur. La Résurrection du Christ n’est pas une belle perspective qu’il nous faudrait en quelque sorte mettre en réserve pour l’avenir. La Résurrection de Jésus ne se limite pas à l’annonce qu’il y a un au-delà à notre vie terrestre.

Non ! La résurrection de Jésus illumine et impacte l’aujourd’hui de notre vie terrestre. Les évangiles ont une façon particulière de souligner cela. Ils insistent sur le fait que Jésus, lors de certaines de ses apparitions, a mangé avec ses disciples ou devant eux.
Ainsi nous apprenons que la corporéité propre à l’humanité de Jésus n’a pas disparu du fait de sa résurrection. Ce que Jésus a en commun avec notre condition humaine ne disparaît pas, mais connait, dans la résurrection, une nouvelle forme d’existence.
C’est donc le tout de l’être humain, corps, cœur, esprit, qui est concerné par la victoire de Jésus. Cette victoire de la vie, remportée par Jésus, concerne l’être que nous construisons actuellement, dans le présent de notre parcours. La vraie humanité, la manière d’être qui a brillé dans la personne de Jésus, nous réoriente et doit imprégner ce que nous exprimons tout au long de notre existence par les attitudes de notre corps, par les richesses de notre cœur, par la sagesse de notre esprit.
Oui, ce que nous vivons maintenant en notre corps, en notre cœur et en notre esprit façonne déjà notre être de résurrection. Et en retour la résurrection de Jésus impacte déjà notre être en ce monde.

Notre existence humaine que Jésus a rejointe, assumée, et qu’il guérit, est désormais perméable à la vie que, Ressuscité, il communique ; perméable à ses propres énergies qu’il offre en partage.
« Celui qui t’a formé, dit Grégoire de Nysse, a déposé en ton être une immense force. Dieu, en te créant, a enfermé en toi l’ombre de sa propre bonté, (…) ».[1] .
Apprends [donc] à connaître combien ton Créateur t’a honoré [toi, être humain] plus que toute [autre] créature : En effet, je ne vois pas qu’il soit écrit quelque part que le ciel est une image de Dieu, ni la lune, ni le soleil, ni la beauté des astres, ni rien de ce qui peut être vu dans la création.
[Toi] Seul tu as été fait image de la Réalité [ = Dieu] qui dépasse toute intelligence, ressemblance de sa beauté incorruptible, empreinte de sa divinité véritable, réceptacle de sa béatitude, sceau de la vraie lumière. Lorsque tu te tournes vers Lui, [la Lumière véritable], tu deviens ce qu’il est lui-même […].
GRÉGOIRE DE NYSSE, Deuxième Homélie sur le Cantique des Cantiques (PG 44,765).

 Ainsi se réjouit Grégoire de Nysse ! Frères et sœurs, nous savons qu’il en va effectivement ainsi de certains témoins du Christ et aussi de certaines personnes humaines qui sont de bonne volonté : nous trouvons en ces personnes une ressemblance avec ce qui en Jésus nous attire, nous encourage, nous appelle.
Cela est possible parce que Jésus a atteint la racine du genre humain. En sa Personne il a reconnecté l’être humain avec son origine, il a fait briller la vocation humaine, il a rétabli la confiance envers Dieu en attestant la puissance de sa bonté.
« Jésus est ressuscité ! » veut dire : Jésus vit ! « Jésus règne » signifie : il transmet ce qu’il est, il donne part à sa vie ! Ainsi, dit Ambroise : « La Parole de Dieu est venue à nous, et en nous elle ne se tait pas ».[2]

Olivier Clément évoque ce qu’est désormais la condition humaine : « l’Incarnation et la Passion du Verbe font jaillir dans cette vie mêlée de mort, dans cette vie toujours victorieuse et toujours vaincue, une vie mêlée d’éternité où l’homme est appelé à s’associer à la victoire définitive »[3].

Quel est donc ce monde d’après la Pâque de Jésus ? Certes, c’est un monde mélangé, où les forces mortifères sont encore actives, et même en des proportions aggravées en raison des moyens considérablement augmentés de propagations et de puissance, et selon un rythme d’accélération effrayante, comme peut l’illustrer au niveau sanitaire une pandémie. Mais nous vivons aussi, et c’est ce qu’annonce et établit la Résurrection du Christ, dans une histoire et une vie désormais mêlées d’éternité. Le Verbe Éternel devenu l’un de nous, Jésus, a dévoilé de quelle nature est l’amour de Dieu. Il a vaincu le mal non par une surpuissance… Il l’a traité à la racine, en apposant sa Présence. Il a tout visité, tout rejoint. Il a choisi de porter le poids et de souffrir les conséquences de toute forme de mal. Nous ne fêtons pas ce matin la victoire du plus fort. Nous apprenons que son amour a été le plus fort. Le fruit en est : le renoncement au désespoir [4].

Toute la vie de l’Église devrait être un « laboratoire de résurrection », dit un chrétien d’Orient[5], elle devrait vibrer d’un immense élan résurrectionnel embrassant toute l’humanité et tout l’univers.
Car sur la croix, Jésus nous a délivrés d’un régime tordu, le régime des crimes et des châtiments. Ressuscité, il nous appelle à adhérer à la joie et aux exigences de la Pâque : la joie et les exigences d’un enfantement.

Que sera le monde d’après ? se demandent actuellement des multitudes sur toute la terre. La voix du Christ Ressuscité nous appelle et nous encourage : aucune crise ne peut déborder celle qu’il a assumée dans sa Pâque. Ressuscité, il nous accompagne en toute crise vers la création d’une manière renouvelée de vivre.
Prenons au sérieux, tenons pour vrai, le fait qu’aujourd’hui encore Jésus Ressuscité transmet l’Esprit de Dieu lui-même. La victoire sur toute forme de mal, la victoire célébrée à Pâques s’étend de commencement en commencement.
Le souffle qui préside à chaque commencement, l’Esprit de Dieu, Conseiller, est présence toujours offerte pour accompagner le labeur de nos choix, pour soutenir le courage et la générosité des changements nécessaires.
Jésus, le Christ, est Ressuscité ! Il est avec chacune de vous, avec chacun de vous. Il est, pour tout être humain.

Amen.

 

[1] GRÉGOIRE DE NYSSE, Homélie sur la sixième Béatitude, in Les Béatitudes, Coll. Les Pères dans la Foi, DDB, Paris, 1979, p. 84 s., trad. Jean-Yves Guillaumin et Gabrielle Parent.

[2] AMBROISE, Traité sur l’Évangile de Luc, I,40, Sources chrétiennes 45 bis, Cerf, Paris, 1971, p. 67. Trad. Dom Gabriel Tissot o.s.b. Cité dans Soyons l’âme du monde. Textes des chrétiens des premiers siècles, Taizé, Les Presses de Taizé, 1996, p. 103.

[3] Olivier Clément, Sources. Les mystiques chrétiens des origines, Textes et commentaires, Paris, DDB, 2007, p.102

[4] L’expression est de saint Jean Climaque, L’Echelle sainte, 5è degré, 2 (Éd. Astir, Athènes, 1970, p.51). Cité par Olivier Clément, ouvrage cité, p.20

[5] Dumitru Staniloaë.