Quelles images s’imposent dès que nous entendons parler du Peuple de Dieu ?

Probablement l’image d’un peuple en marche : songez au départ d’Abraham, aux innombrables déplacements rapportés par les textes et récits bibliques.
Nous viennent aussi spontanément les images du peuple rassemblé pour célébrer et écouter son Dieu. Ce qui se vit principalement sous deux formes:

  1. a) les temps où le peuple est tout entier réuni au même endroit,
    au Temple de Jérusalem ou dans une synagogue ;
  1. b) les moments où la fête liturgique rassemble le peuple par clans ou par familles.

Troisième image fréquente, en plus de la marche et des rassemblements liturgiques, les repas, comme nous le voyons ce soir dans l’événement où sont associées les deux réalités, repas et marche [1]:

« Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois,
que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison.
   Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra
   avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes.
   Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. »
« Vous mangerez ayant déjà la ceinture aux reins, les sandales aux pieds,
   le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. »
« De fait, Pharaon convoqua Moïse et Aaron en pleine nuit, et leur dit :
       « Levez-vous ! Sortez du milieu de mon peuple, vous et les fils d’Israël.
         Allez ! Servez le Seigneur comme vous l’avez demandé. »

Physiquement ou intérieurement la marche caractérise le peuple de Dieu. Nous l’expérimentons d’ailleurs ces jours en suivant les étapes de cette semaine sainte. La marche suppose le don d’un avenir. Il y a marche parce qu’une terre est promise.

Quant à l’Eglise, quelles images nous viennent à l’esprit ?

Dans un magnifique spectacle intitulé Jésus était son nom, Robert Hossein annonçait ainsi l’Église : des petits cercles d’hommes et de femmes étaient assis en divers lieux, comme des brebis sur des pâturages. Là on se donnait la nouvelle : ce que Jésus avait dit sur un rivage du lac et ce qu’il avait enseigné un autre jour sur la montagne, comment il avait guéri un aveugle au sortir d’une ville et comment il avait répondu aux autorités du Temple…
En chaque cercle, tel homme, telle femme racontait son histoire ou son anecdote. C’est dans ce mouvement qu’une voix s’élevait pour demander comment Jésus avait enseigné à prier… Une autre voix commençait à dire : Notre Père qui es aux cieux… tandis que les femmes et les hommes de chaque groupe se mettaient à genoux, là où ils étaient.
À cet instant même fut annoncé l’entracte du spectacle ! Mais sur la scène toujours éclairée, les petits cercles d’hommes et de femmes demeuraient en silence, gardant l’attitude de prière. Autant dire que dans la salle les spectateurs ne se levaient qu’avec hésitation, un peu gênés de se déplacer alors que les acteurs, immobiles sur la scène, ne quittaient pas leur attitude de prière…
Image soudainement très réaliste de la fragile communauté des priants, petit îlot au milieu des mouvements du public alentour. Ces priants, ces amis de Jésus paraissaient saugrenus et quelque peu gênants dans leur immobilité. On les ressentait tour à tour et spontanément comme admirables, dérisoires, ou fort étranges, contrastant avec les va-et-vient des membres du public, entrés malgré eux dans le rôle des citoyens du monde…
C’était un beau et réaliste visage de la communauté, de l’Eglise !

Ce soir encore, partout sur notre terre, de petits cercles commémorent le repas de la Pâque, ce terreau familial et liturgique choisi par Jésus pour y déposer le grain du renouvellement de toutes choses, la grâce d’une guérison pour toute l’humanité, le don de toute sa personne, l’offrande de sa vie.

En ce repas où par avance il illustre le sens de sa mort sur la croix, Jésus donne à l’Eglise ce qu’elle doit devenir. Tout repas représente le don de la nourriture, le don d’un viatique pour soutenir la marche. À ce don s’ajoute celui des présences partagées.
Eh bien, l’attention aux présences, et le partage entre tous du nécessaire pour vivre, constituent l’apprentissage de la communion.
Voilà ce que Jésus donne, voilà ce que l’Eglise doit être.
Jésus lui-même, en sa Personne, est le viatique. En nous donnant l’ordre de vivre semaine après semaine ce même repas incomparable qui est le sien, Jésus Seigneur, Jésus Ressuscité nous oblige à être ensemble, à recevoir en un même lieu, en un même temps la nourriture irremplaçable :

Sa présence qui sauve et qui enseigne le don,
sa miséricorde qui relève,
son humilité et son service qui façonnent chez les humains la communion.

En ce repas, Jésus donne à l’Eglise son visage essentiel.
Il nous inscrit dans une histoire commune,
              Il nous donne une même appartenance,
              Un horizon est ouvert, une sortie va s’opérer, une mise en route débute.

À cette fin, Jésus unique nécessaire, seul viatique approprié, communique la vie en nous replaçant dans le lien continu qu’il a avec le Père, dans l’Esprit…

 

[1] Exode 12, 3-4.11.31.