« CONVERSER AVEC JÉSUS LE SEIGNEUR RESSUSCITÉ »

1

« Père très saint, tu es trop grand pour que nous puissions te connaître.
Cependant, selon ton amour, tu es connu
grâce à Celui par qui tu as créé toutes choses,
ton Fils, dont parlent les Écritures,
ton Fils, trésor caché dans le champ de ce monde. »

Cette très belle prière eucharistique que nous dirons tout à l’heure reprend le cœur de la théologie de saint Irénée. Elle commence par rappeler la seule expérience authentique que nous puissions faire de Dieu : à savoir que Dieu est amour. Non l’amour tel que nous pouvons parfois le réduire à l’affection et aux sentiments -certes essentiels- mais l’amour qui nous bouleverse et nous enseigne à grandir, l’amour… de Dieu, trop vaste pour que nous puissions le contenir dans les limites de notre pensée ou de notre expérience. 

Les paroles des Pères de l’église se correspondent et se répondent. Au début de cette retraite Maxime le Confesseur disait : « Celui, celle qui est initié-e / introduit-e à la signification cachée de la résurrection connaît le but pour lequel Dieu dès le commencement créa tout ».
Ce matin saint Irénée chante la Présence du Fils Éternel, trésor caché dans le champ du monde.
Le but pour lequel Dieu dès le commencement créa tout, saint Irénée le résume en ces mots bouleversants : « Dieu veut converser avec le genre humain ! ». 

Ainsi les Écritures saintes ne s’adressent pas à notre intelligence seulement ; elles peuvent agir pour nous à la manière d’une lettre qui nous est adressée par un Ami. Les Évangiles visent à nourrir une relation vivante entre nous et Jésus Ressuscité.
C’est « dans le champ du monde », dans l’aujourd’hui de l’existence encore soumise aux conditions « avant-dernières » qui précèdent la vie sans fin, c’est dans notre quotidien déjà, que la relation avec le Ressuscité a une dimension concrète.

2

Saint Irénée nous partage sa découverte. Le Fils, dit-il, « s’est fait homme pour converser avec le genre humain. » Quel bonheur d’envisager l’Alliance sur le registre de l’amitié et selon les lois d’une conversation !

« Converser avec le genre humain » : c’est une expression que j’affectionne particulièrement. Envisager l’alliance avec le Seigneur comme une conversation ! Cela donne une idée de la simplicité avec laquelle Jésus veut nous être présent et nous permettre de vivre proches de lui. Converser avec le Seigneur…, retrouver la confiance et le naturel qui habitent la relation entre le Père Créateur et le premier couple humain qui pouvaient « entendre la voix du Seigneur Dieu lorsqu’il se promenait dans le jardin à la brise du jour ».

Voilà quelle relation Jésus a rétablie. Tout comme le Créateur se promenait à la brise du jour, le Ressuscité nous est proche et entame avec nous la conversation dans le souffle de l’Esprit.
Conversation veut dire proximité et attention ouvrant à la compréhension réciproque ; conversation veut dire temps accordé, durée suffisante pour laisser se créer un espace permettant de s’écouter mutuellement, d’accueillir et assimiler ce qui est échangé ; converser évoque un climat et les conditions favorisant la naissance d’une liberté de s’exprimer.
Converser évoque un dialogue qui n’est pas sous pression, mais qui inclut la durée et la patience indispensables à l’écoute bienveillante, à la nutrition du coeur et à sa transformation.

3

Dès les premières lueurs du matin de Pâques, nous chantons Alleluia !, nous répétons avec ferveur et force l’acclamation : Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Parfois même nous dansons ! Cela est bon et cela est juste, car c’est le cœur de la Bonne nouvelle et il est bon de la proclamer ensemble. Mais il est tout aussi vrai que du temps, parfois beaucoup de temps est nécessaire pour que la Joie de la Résurrection imprègne notre être et nos journées.

Jésus le sait et, pour nous permettre d’accueillir la re-création qu’il inaugure, il nous confie à l’Esprit. Jésus Ressuscité transmet, souffle, l’Esprit envoyé par le Père : nouvelle Genèse ! Le don de l’Esprit est la manière, pour Jésus, de réaliser sa promesse d’être avec nous tous les jours, jusqu’à la fin.
Ce sera l’oeuvre de l’Esprit de nous conduire toujours à nouveau vers le cadeau actuel et primordial de l’alliance : une conversation avec Jésus Ressuscité. 

Dans une conversation, les temps de silence font partie du dialogue ; le bonheur comme la douleur le plus souvent dépassent les mots, et c’est alors dans l’échange des présences, en restant simplement là, l’un pour l’autre, l’un avec l’autre que se vit l’échange, l’amitié.

La conversation et la rencontre avec un Ami ne dépendent pas prioritairement de nos états d’âme au moment où la rencontre commence. Une conversation entre amis n’est pas toujours abondance de paroles. Un désir balbutié, un désarroi ou une attente, exprimés par un regard dans la simple confiance, sont aussi un langage éloquent.

« Que sera le monde d’après ?… », le monde d’après cette semaine sainte, le monde après les soubresauts de toute épreuve ? Il se prépare maintenant, avec le don du Souffle, le don de l’Esprit saint qui éclaire la Parole, qui nous engendre à nouveau et soutient tout nouveau départ.
Avec Lui, nous pouvons accepter d’entrer dans un commencement chaque fois que l’exigent les circonstances et la fidélité à la vie.

Oh ! si chaque jour, à l’instant où nous ouvrons les yeux, juste avant que s’ouvrent nos paupières, se présentait en premier le souvenir de la Bonne nouvelle : « Jésus est ressuscité, Il est vraiment ressuscité ! ». La re-création dont il est le maître affleure à notre existence et l’accompagne.

Jésus a assumé le fait que sur la terre, il n’y avait aucun endroit de repos pour lui ; même sur la croix, sa tête n’avait où s’appuyer, en sorte qu’il a baissé la tête. Il n’y avait que le vide, aucun appui.
Dans cette absence totale, il a fait briller l’offrande du tout de sa personne, de sa vie, de sa compassion, de son pardon.
Il n’est aucune situation, désormais, qui puisse empêcher la re-création dont il est le maître d’affleurer notre existence et d’inspirer la vie humaine.

Jésus a accompli l’espérance de Dieu qui était de reposer dans l’être humain, doué de sagesse et appelé au partage d’un amour, d’une communion. Relisant la genèse, saint Ambroise peut dire :
La création du monde est totalement terminée quand l’homme est là, qui porte en lui le pouvoir sur tous les êtres vivants, qui récapitule dans son corps l’univers et reflète la beauté de toute la création.
Trouvons donc le repos comme Dieu « se reposa, après tout l’ouvrage qu’il avait fait » Gn 2,2). Il reposa à l’intérieur de l’homme, dans son esprit et dans sa volonté ; car il avait créé l’homme doté de la raison et fait selon son image, un être qui cherche ce qui est bon, tendu vers les dons gratuits de l’amour de Dieu. [1]

[1] AMBROISE, Hexameron, 6,75 in Alfons HEILMANN UN Heinrich KRAFT, Texte der Kirchenväter I, Kösel Verlag, München, 1963, p. 269, trad. Taizé. Cité dans Soyons l’âme du monde. Textes des chrétiens des premiers siècles, Taizé, Les Presses de Taizé, 1996, p. 102.