Evangile : Luc 10, 38-42

Pour approfondir la méditation de l’évangile entendu ce soir, il est probablement précieux d’essayer d’entendre intérieurement avec quel ton Marthe d’une part et Jésus d’autre part s’adressent la parole.

Pour l’intervention de Marthe, vous trouverez certainement facilement dans vos souvenirs la voix d’une maitresse de maison généreuse, dévouée, très active et dynamique, un peu autoritaire, à l’instant où, la fatigue et le stress aidant, cette aimable personne « craque » en constatant l’inaction d’une autre personne dont elle attendrait normalement de l’aide….
C’est vraisemblablement sur ce ton, un peu excédé mais s’efforçant de se maîtriser, que Marthe dit à Jésus : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. »

Cet exercice d’écoute est important, car d’une part il nous fait mesurer combien nous pouvons sans peine nous identifier à Marthe, et d’autre part, cela nous fait apprécier en contrepartie l’ humilité de Jésus, sa patience et son amour, lorsqu’il lui répond : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses ».
Un ton dans lequel un acteur professionnel saurait exprimer tout en même temps une fermeté indiquant qu’il y a un véritable enjeu, et un amour entier pour la personne de Marthe.

L’enjeu c’est que nous saisissions la loi de vie, que Jésus aimerait tant faire partager à tous : « Une multitude de choses t’inquiètent. Or, Il suffit de peu de chose, et même il suffit d’une seule… ».

Et si cette parole de Jésus, vraiment destinée à tous, si ce résumé de l’évangile nous servait de clé pour approcher ce qui habitait le cœur de l’apôtre Paul au sujet du peuple de la Première Alliance ?
Au long de trois chapitres de sa lettre aux Romains (chapitres 9 à 11) Paul exprime sa douleur incessante et son questionnement spirituel au sujet de son peuple d’origine, « à qui appartiennent l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; oui, ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles… »
Que désire Paul, plus que tout au monde, pour le peuple dont il est issu et dont il respecte tant l’élection, sinon qu’il connaisse l’unique nécessaire désigné par l’évangile,  l’Unique incarné en Jésus de Nazareth.

Et voici que tous, juifs, chrétiens venus du monde païen, tous sont unis par un égal besoin vital. Pour tous il est vital de saisir enfin dans quelle relation, dans quelle alliance le Seigneur veut inviter et rassembler ceux qu’il a créés !
Sans cette connaissance, sans cette découverte, les païens s’agitent et s’inquiètent pour ce qui ne nourrit pas et ce qui ne désaltère pas. Les descendants d’Abraham selon la chair multiplient les précisions aptes à commenter chaque commandement.
Chacun à sa manière, chacun en sa quête, risque de se perdre, de s’aigrir, de s’enorgueillir ou de s’imaginer orphelin. D’où la remarque angoissée et non dépourvue d’agressivité qui monte aux lèvres de chacun-e à certaines heures : « Cela ne te fait rien que je sois laissé seul-e ? »
Païens comme descendants d’Abraham, tous en viennent un jour ou l’autre à cette exclamation qui est un comble, devant le Dieu qui a tout créé par sa parole : « Seigneur, dis quelque chose ! » Et surtout, chacun a son idée sur ce que le Seigneur devrait dire : « Dis à untel de faire ceci, dis à unetelle de faire cela ! » …en priorité ce qui est souhaité que l’autre fasse, c’est quelque chose en notre faveur !

« Mon peuple, mon peuple, rappelle le Seigneur, que n’ai-je pas fait pour toi ? Mon enfant, que n’ai-je pas dit en ta faveur ? » « Ne t’ai-je pas dit de ne pas multiplier les sacrifices ? Ne t’ai-je pas indiqué l’unique nécessaire ? Rien d’autre qu’accomplir la justice, aimer avec tendresse et marcher humblement avec ton Dieu… » .

Par son attitude, Marie sœur de Marthe nous rappelle le premier commandement, l’orientation vitale pour le déploiement de toute existence : « Écoute ! » . « Écoute Israël ! »: quiconque écoute entre dans l’Israël de Dieu. Une accompagnatrice spirituelle de la Fraternité du Bon Samaritain écrivait récemment : « Pourquoi donc l’écoute est-elle si essentielle ? Le cantique monastique « Aujourd’hui ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur », inspiré du psaume 94, m’a permis d’avancer l’hypothèse [que] l’écoute est la voie privilégiée de l’ouverture du cœur ». Oui, l’écoute ouvre le cœur. Écouter vraiment quelqu’un permet à celle ou celui qui est écouté de rouvrir progressivement son coeur (alors que toute blessure ou agression profonde de l’affectivité provoque une fermeture du cœur). L’écoute est sous la promesse : « Ainsi, tu apprendras à aimer le Seigneur ton Dieu ; d’abord tu apprendras à le connaître, puis aussitôt, le connaissant, à l’aimer ».

Dans cette scène de l’évangile, ce n’est donc pas une opposition entre l’action et la contemplation qui est prioritairement en jeu. La question qui est en jeu est d’abord celle de l’écoute, première loi de vie ou première indication vitale donnée à Israël. Tout comme le premier geste de la personne qui aide à un accouchement est d’orienter correctement la tête de l’enfance à l’instant de sa Pâque, du passage de sa naissance, ici la priorité pour notre seconde pâque est d’orienter l’écoute vers le Seigneur, afin de pouvoir vivre par lui, avec lui et en lui tant la contemplation que l’action.
Nous n’avons pas à choisir entre contemplation et action. Nous nous devons aux deux à cause du Christ. Issac de l’Étoile, au 12è siècle, l’exprimait ainsi : « Avoir soif de lui seul, le Christ. Là où il n’y a que le Christ seul, se mettre volontiers au service de tous, là où sa présence est multipliée ! ». 2

La promesse (et l’enjeu !) de l’écoute est de nous permettre de devenir des êtres humains dont le cœur est avec le Seigneur qui parle. La part réservée et promise à ceux qui la choisissent, c’est de développer un cœur intelligent, c’est-à-dire un cœur semblable à une corde « sympathique » qui, sur une guitare indienne, donne sa note simplement en vibrant au son de la note dont la fréquence lui correspond.

Devenir des êtres humains dont le cœur est avec le Seigneur qui parle… Alors action et contemplation sont ajustées, vivifiées, par Celui dont la parole créée, sauve, et soutient la vraie vie.

Amen