Lectures : Philippiens 4, 4 – 9 (Es 61, 1-2a et 10-11 ; Jean 4, 4-7)
Dimanche Gaudete

En ce troisième dimanche de l’Avent, nous sommes invités à nous laisser envahir par la joie. Tout d’abord, c’est le messager d’Esaïe chap. 61 qui nous dit, devant une ville de Jérusalem ruinée par la guerre et par l’exil de ses élites, que le Seigneur lui a confié un joyeux message adressé à celles et ceux qui ont le cœur brisé, qu’il en est lui-même enthousiasmé et que son âme exulte à cause de la promesse que Dieu lui a faite. Ensuite, c’est l’apôtre Paul, dans sa lettre aux Philippiens, alors qu’il est lui-même enchaîné : Réjouissez-vous dans le Seigneur en tout temps. Je le répète, réjouissez-vous !

En effet, il est important de nous réjouir car la joie est une émotion qui augmente le bien-être qui engendre lui-même encore plus de joie… Mais il ne faudra pas confondre la joie avec la gaité et la bonne humeur car, comme il est dit dans le livre des Proverbes chap.4, 13 « Même dans le rire le cœur s’attriste et la joie finit en chagrin ». La joie dont il est question dans les encouragements bibliques entendus tout à l’heure, n’est pas la joie des fêtards, ni le rire du naïf, mais plutôt, une paix intérieure née d’un profond sentiment de sécurité, la certitude que, quoi qu’il arrive, rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, ainsi que l’espérance d’un monde nouveau. Mais comment se réjouir en ces temps moroses troublés par la pandémie et la perspective d’une crise économique d’une grande ampleur ?

Disons d’emblée que la joie dont nous parle le livre d’Esaïe et la lettre aux Philippiens s’inscrit dans un contexte troublé qui n’avait, d’ailleurs, rien d’exceptionnel. Voilà une réalité que nous oublions trop souvent aujourd’hui. Dans notre société de consommation, nous avons l’impression que toutes choses nous sont dues et qu’il est normal de pouvoir bénéficier de la nourriture, d’un logement, de la sécurité matérielle, de liberté… Mais ceux qui, parmi nous, ont connu des périodes de restriction savent bien que tout cela reste précaire. Rien n’est « normal » et, d’ailleurs, nous en faisons l’expérience quand quelque chose de précieux nous est enlevé. Souvent ce n’est qu’à ce moment-là que nous prenons conscience de ce que nous avions et à quel point cela était important pour notre vie. Aussi bien les réalités matérielles, que notre intelligence, notre santé, nos relations affectives, tout est fragile, tout peut disparaitre. Quelqu’un demanda une fois à un sage juif pourquoi il se réjouissait chaque matin, alors que le monde était toujours si menaçant. A quoi il répondit : c’est parce que ça pourrait être pire !

Bien sûr, notre vie n’est pas toujours rose et il peut y avoir des obstacles à la joie. Si un événement grave ou tragique survient dans notre vie, il ne faut pas le minimiser, ou le dénier. Il faudra plutôt l’affronter en se laissant peu à peu apaiser par cette joie profonde qui nous est donnée quand nous découvrons que Dieu est aussi présent au cœur de nos détresses. Alors, nous pourrons faire l’expérience que là encore il veut nous donner la force, l’énergie, le courage, bref ce dont nous avons besoin pour traverser l’épreuve.

La véritable joie, nous aide à prendre conscience de la précarité de nos vies et nous invite à la foi et à la confiance envers ce Dieu qui veut notre bonheur. Cela nous rend lucides vis-à-vis de nous-mêmes et nous entraîne, enfin, à la solidarité envers celles et ceux qui en sont dépourvus, qui sont dépossédés des biens de ce monde ou qui sont terrassés par la maladie. Nous réjouir, tout en prenant conscience de notre précarité, est une attitude spirituelle qui n’est pas évidente et c’est bien pour cela que nous sommes appelés à la développer.

Les trois textes bibliques que nous avons entendus nous placent, de ce fait, au cœur de cette attitude spirituelle qui nous permet de vivre notre vie de créatures qui se réjouissent d’attendre tout de Dieu. Dans le texte de Paul, il est question non seulement de se réjouir mais aussi de ne pas être inquiets, de demander et de rendre grâces ! Jésus avait dit à ses disciples : « Demandez et vous recevrez » et Paul, en écho au sermon sur la Montagne, exhorte : « Ne soyez inquiets de rien, mais en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnées d’actions de grâces, faites connaître vos demandes à Dieu ».

Il y a donc tout au long de la Bible ce lien entre la joie profonde, qui naît de la certitude que Dieu entend nos prières, et l’action de grâces pour ce qu’Il a déjà accompli ou va bientôt accomplir. La joie du croyant est aussi une joie anticipatrice ! Voilà pourquoi Paul nous exhorte non seulement à la joie, mais aussi à la sérénité, à la prière de demande et à l’action de grâces.

Bien sûr que nous ne savons pas toujours nous rendre disponibles pour la joie. Nous ne savons pas toujours formuler nos demandes, car nous ne savons pas toujours ce qu’il nous faut demander. Et dans un monde qui se suffit à lui-même, nous jugeons enfantin de dire merci à un Dieu qui veille sur nous… ce qui nous bloque encore plus ! Cependant, si nous sommes tentés par ce repli sur nous-mêmes, l’exhortation biblique de ce matin nous aide à découvrir une nouvelle dimension dans notre vie spirituelle et à entrer dans l’émerveillement.

On le voit bien déjà dans nos rapports humains :

  • Les sceptiques, qui ne se réjouissent jamais parce qu’ils voient toujours le verre à moitié vide
  • Ceux qui ne demandent jamais rien, soit parce qu’ils n’osent pas soit parce qu’ils ne veulent dépendre de personne
  • Ceux qui n’éprouvent pas de gratitude, parce qu’ils sont trop orgueilleux et se ferment à toute relation.

Dans ce cas, au lieu de ressasser toutes les blessures, comme nous le faisons souvent, il est bon de faire mémoire de toutes les bonnes choses qui ont marquées nos vies, ces actes gratuits, ces bontés, ces générosités, et murmurer alors notre reconnaissance !

Cela est encore plus nécessaire dans la vie spirituelle. En développant une relation avec Dieu par la prière et l’action de grâces, nous verrons naître la joie véritable dans nos vies. Nous comprendrons alors que la joie, liée à cette capacité de demander et de recevoir, soit au cœur de l’Evangile. Demander, c’est nous situer dans notre vérité devant Dieu, c’est renoncer à nous construire nous-mêmes pour laisser Dieu nous modeler ou reconstruire, c’est nous situer à notre juste place de créature, avec nos limites, nos imperfections, nos difficultés, devant notre Créateur qui nous veut du bien. Demander, c’est reconnaître en Dieu celui qui donne non seulement ceci ou cela, mais qui nous donne tout ce que nous sommes. Nous pourrons alors recevoir de la main de Dieu et donner aussi, un peu, aux autres…dans ce vaste échange de la vie où chacun peut recevoir et donner. Entrer ainsi dans la demande et l’action de grâces, c’est découvrir la dimension de totale gratuité des échanges et vivre alors dans l’émerveillement !