Genèse 9, 8-17    2 Corinthiens 11,29 – 12, 10  et Luc 8, 4-15 

Tout avait pourtant bien commencé… je m’étais concentré sur les paroles du pasteur, intéressé par son raisonnement, surpris, interpellé par ses premiers mots, captivé par son accroche. Curieux de ce qu’il allait faire des textes bibliques qui avaient été lu. J’étais vraiment attentif, je vous assure. J’avais suivi le développement de sa pensée point par point – je m’étais même dis que je n’aurai pas fait mieux moi-même ! Et puis voilà qu’au bout de quelques minutes, un mot, une idée, une pensée personnelle m’ont d’un coup fait partir d’un coup ailleurs au loin…

Et c’est comme si, à ce moment-là, j’étais resté en arrière, comme si j’avais tout à coup épuisé mon attention pour marcher sur d’autres chemins que celui du prédicateur qui avait pourtant bien préparé son affaire ! Je ne lui jette pas la pierre ! Mais quand je suis revenu au moment présent, j’ai réalisé que je n’avais pas tout suivi…

Expérience toute personnelle qui m’est arrivée récemment !

Expérience qui vous avez peut-être aussi vécue – avec d’autres collègues bien entendu – lors d’autres messages !

Parfois, c’est bien compréhensible : on se sent moins concerné. Ou alors, comme on dit : « on ne sait pas où il veut en venir », et l’on perd le fil – s’il y en avait un ! 

Distrait nous le sommes tous une fois ou l’autre… ce n’est pas bien grave, c’est moi qui vous le dis ! Mais tout cela me fait dire que peut-être comme dans la parabole du semeur, il y a aussi en nous des raisons plus profondes, des causes bien plus cachées qui font que parfois, on s’évade, on passe à côté de l’essentiel, on est pas toujours là où Dieu nous appelle à être.  

A écouter tout simplement.

Dans la parabole, on nous dit qu’il y a trois risques : les oiseaux qui viennent picorer les graines du chemin, le sol pierreux où il n’y a que peu de terre et les ronces qui étouffent tout. Trois manières de perdre ce qui nous a été donné et que Jésus va expliquer en détail. Et ce qui me frappe c’est qu’à chaque fois, ça ne dure pas longtemps. Il y a bien un commencement, mais soit tout disparaît, ou tout sèche, ou tout est étouffé avec le temps.

C’est comme avec mon écoute de prédication : on était bien parti, et puis tout à coup, comme dans le premier terrain, il y a eu un élément extérieur qui m’a fait perdre le peu que j’avais reçu. Ou alors il n’y avait pas assez de racines profondes pour durer. Ou enfin, je n’étais pas vraiment prêt à recevoir quelque chose pour ma vie : tant de ronces, tant de choses qui m’encombrent que tout s’oublie…

Chacun trouvera peut-être pour lui-même ce que peuvent représenter ces terrains. Ce qui vient se perdre, sécher ou étouffer ce qu’il peut y avoir en nous de foi, de confiance et d’espérance. Ce qui fait que souvent en soi, ça ne dure pas toujours très longtemps

Jésus nous offre, et c’est seulement pour cette parabole, une interprétation.

Le diable, l’épreuve, préoccupations, richesses et plaisir…. autant d’obstacles qui distraient notre écoute.

Personnellement je préfère lorsque Jésus nous laisse libre, libre d’interpréter, libre de creuser en chacun de ces terrains ce qu’il signifie pour sa vie.

A chacun donc d’examiner tout d’abord les duretés du chemin, là où l’on passe sans s’arrêter, là où tout est foulé, perdu, ignoré, en retrait, mis de côté.

Là où peut-être l’on est imperméable… là où se ferme notre sensibilité, nos tendresses, nos élans de compassions, là où l’on se croit à l’abri, avec ses certitudes que plus rien ne vient retourner, avec nos masques, nos habitudes où l’on marche, de long et en large, comme sur un chemin trop emprunté.

Est-ce que la parole reste extérieure, parce que trop entendue ou alors pas assez travaillée ? Jésus nous dit qu’il y a un mal en ce monde, un mal qui nous divise, nous détache, nous rend étranger à nous mêmes. Et c’est cela qui est un risque : celui de ne plus savoir qui l’on est : une terre qui a besoin pour vivre de graines vivantes. Au lieu de nourrir les oiseaux nous avons besoin d’une Parole qui nous aide à grandir à la stature du Christ. Premier terrain

Le deuxième, c’est le sol pierreux. Nos émotions passagères, nos bonnes résolutions, nos joies vraies mais qui ne nous accompagnent pas dans les difficultés, car nous avons la mémoire courte et le doute présent… et il y a tant de choses qui nous pèsent, qui sont lourdes comme des pierres de taille !

L’éphémère qui passe et ce qui est toujours là comme un obstacle : les poids du passé, nos héritages mal digérés, nos tristesses et nos deuils insurmontés, nos fatigues et nos désillusions, et peut-être secrètement nos déceptions. Ca pèse lourd oui, au final. Les pierres, elles devraient plutôt servir à monter un mur plutôt qu’à rester en plein champ. Un mur pour protéger, apprendre de nos expériences plutôt que subir. Etre libéré plutôt que supporter, souffrir, se blesser avec des cailloux tranchants. Deuxième terrain.

Le troisième avec ses plantes épineuses dit bien ce qui envahit et étouffe si on y prend pas garde. C’est le champ de la négligence, de la fidélité remise à hier, de ce qui souvent, sans qu’on y prenne garde, prend la place d’un commencement, d’une promesse, d’une fraicheur… Et voici que la foi s’émousse, qu’elle n’est plus aussi vive, habituée à de subtils compromis, à des arrangements avec nous-même, des relâchements, des paresses aussi, pourtant si agréables, qui nous font tant de bien ! 

En chacun de ces champs il y a une écoute, mais elle ne permet pas de durer vraiment, car pour cela il faudrait se laisser toucher en s’arrêtant dans un présent, pour cela il faudrait enlever tout ce qui a pu s’accumuler au fil du temps dans un passé qui nous rattrape sans cesse, pour cela il faudrait débroussailler pour un futur à germer.

Alors le quatrième champ est-il celui qui miraculeusement serait là tout donné ?

N’est-il pas plutôt le fruit d’un travail, parfois épuisant, à toujours recommencer, qu’on en a jamais fini, qu’il restera toujours une pierre oubliée, une ronce cachée, une motte qui ne s’est pas cassée.

Notre écoute est si vite distraite… et j’espère que vous me suivez toujours !

Dans notre parabole il y a la distance, ce qui nous encombre, et ce qui nous distrait.

Mais il y a aussi une belle terre, humide, grasse, retournée, une belle image qui pour moi dit d’abord ce qui est aéré, ce qui est espacé, ce qui est ouvert

Ainsi c’est aussi le vide qui est aménagé pour recevoir les graines, c’est un terrain fertile qui n’est pas encombré.

Une parabole pour notre temps parfois si saturé.

On ne peut tout vivre, tout comprendre, tout garder en soi à la fois

Pour accueillir la parole il faut forcément se débarrasser, faire place nette, jeter, trier, laisser derrière soi. Il faut savoir se défaire.

Il y a une belle expression qui dit « un cœur travaillé par la prière ». Et l’on voit bien ce cœur où la prière a pu s’implanter, mais on pourrait ajouter aussi travaillé par l’attention, le service, la foi, le silence, la méditation, le temps que cela pousse mystérieusement.

Car si les épis lèvent c’est qu’ils ont aussi traversé les jours et les nuits, parfois l’hiver si l’on a semé en automne, la pluie et le soleil comme en arc-en-ciel d’Alliance. Oui, ce n’est pas instantané. La bonne terre a pour elle le temps qui passe, parce que la parole n’est pas dérangée, concurrencée, bousculée. Elle a pour elle nos faiblesses comme le dit Paul. Ce sont nos mains ouvertes qui rendent grâce et qui s’attendent à tout.

Il y a une tranquillité qui permet à la nature de faire son travail, comme à Dieu d’agir en son temps.

Souvent on imagine que l’on peut tout avoir à la fois. Les trois premiers terrains, et que ça poussera quand même, parce que la parole de Dieu est la plus forte. Dans la parabole au contraire, on réalise qu’elle est fragile. Que le grain peut se perdre, disparaître sitôt levé, être à la merci de ce qui peut lui arriver.

Dieu dit une parole d’avenir, une parole d’espérance à l’intérieur de ma vie. Une parole qui me relie aux autres, puisqu’elle fait naître des épis chargés de grains de communion dans la joie du travail effectué. Cette parole, elle est exigeante, puisqu’elle demande tout de soi. Mais lorsqu’elle a trouvé un terrain favorable, alors je veux croire qu’elle m’apprend à prolonger mon écoute jusqu’au bout, jusqu’au plus profond de mon être pour que les racines puissent entendre un…

Amen !