Lecture : Luc 1, 26-38
« Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi »
Voici la salutation qui résonne dans la maison de Marie. Une parole qui s’invite sous son toit comme une promesse offerte, une reconnaissance donnée mais aussi une part de mystère partagé.
Salutation la plus célèbre de la Bible, la plus fascinante aussi.
« Ave Maria gratia plena » : Salutation en latin, parmi la plus recopiée, la plus illustrée, peinte, représentée.
L’ange Gabriel et Marie qui sont l’un en face de l’autre. Marie souvent à genoux, une main sur le cœur, l’ange les ailes déployées, une fleur de lys entre les deux, symbole de pureté. Et tout ce qui respire à la fois la majesté et l’humilité : « Je suis la servante du Seigneur » dit-elle face à son Envoyé.
Une salutation qui a nourri pendant des siècles les débats de théologiens.
Parce qu’on peut la traduire de tant de manière différentes. Elle n’a l’air de rien – comme lorsque l’on se salue entre voisins, quoique ce n’est pas spontanément ce que je dirais – je ne suis pas un ange, vous le savez bien !
On pourrait l’écouter aussi de cette manière : « Réjouis-toi Marie, le Seigneur t’a accordé une grâce particulière, il est avec toi » ou encore « Salut, toi que le Seigneur favorise et accompagne » ou bien encore, « je te salue, comblée de grâce ! » Marie avait-elle déjà ces qualités en elle ou devait-elle les faire grandir à cause d’une grâce ? Les deux certainement !
Ce qui compte c’est que dans ces quelques mots, il y a tout l’Evangile qui est nouveauté et reconnaissance.
Car entre l’ange et Marie, l’Envoyé et la jeune fille, le messager et la destinataire c’est bien la rencontre des opposés. Tout les sépares mais tout les rapproches aussi. Et c’est cela que l’on a trouvé extraordinaire depuis la nuit des temps. Ces quelques mots qui ont tout bouleversé. Voici l’irruption d’un ange, et une jeune fille tout juste fiancée.
« Kairé ! » dit l’ange en grec : réjouis-toi, sois joyeuse, une parole comme une belle entrée en matière !
Ca donne tout de suite le ton de son message. Une salutation non pas habitée par le sérieux, le formel, la soumission ou la crainte, mais la joie de la proximité, la joie d’une bonne nouvelle à entendre et à écouter sur le seuil de la vie qui s’engouffre d’un coup en elle.
Et puis l’ange ajoute : « tu es, littéralement, la favorisée, la bien-aimée », comme un nouveau nom qu’il lui donne à la place du sien. Marie, c’est celle qui se découvre appelée, choisie et aimée. Une belle mise en confiance ! Une belle salutation pour la rejoindre là où elle est ! Comme au baptême, à chacun de nos baptêmes : tu es mon fils, ma fille bien-aimée. KAIRE ! Réjouis-toi. Le temps de l’Avent, c’est un temps pour faire grandir la joie. Voilà un ciel qui se déchire, une parole qui rejoint, un souffle de fraicheur qui éveille également en elle, nous dit-on, un trouble intérieur.
« Elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation », qui ne l’a pas laissée indifférente!
Déconcertée, surprise, étonnée elle l’est, mais non pas habitée par le doute comme Zacharie mais plutôt par une interrogation, une quête de sens qui la parcourt, un désir de comprendre, et d’apprendre, de faire sienne une promesse qui trouble une quiétude, ce beau mot qui est une question. Qui es-tu de ? Etudier qui l’on est. Qui suis-je ? Il a porté son regard sur son humble servante, dira-t-elle dans sa louange toute magnifiée de cette découverte.
Oui, elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation pour elle, pour son être, pour sa vie.
Je suis reconnaissant pour ces petits détails que l’Evangéliste Luc nous a laissés dans cette annonciation qu’on pourrait voir de manière un peu figée, académique ou stéréotypée. L’ange, la jeune fille, tout semble aller de soi, et pourtant, derrière les représentations et les affirmations dogmatiques, moi je vois d’abord un ange qui ne s’adresse pas à une personne religieusement qualifiée, mais à une jeune fille qui est à l’aube de sa vie, qui est à l’heure des choix, des enthousiasmes, des incertitudes aussi.
Il n’y a pas de voix céleste, de halo de lumière, de chants au firmament : c’est une rencontre dans une modeste maison de Palestine. C’est dans son intérieur, avec un ange qui ne portait certainement pas des ailes, que quelque chose d’essentiel s’échange.
Et si ça se passe ainsi, c’est certainement pour nous dire que dans nos vies, entre deux tâches, dans le banal d’une journée à s’affairer entre l’évier et la foyer à entretenir, il peut y avoir la grâce d’un rendez-vous, d’un face à face, d’un dévoilement, d’une parole qui tout à coup fait le jour sans trompettes ni tambour, mais avec simplicité, clarté et franchise…
Marie devient par cette salutation, celle qui écoute. Oui, au fil de la rencontre, elle choisit d’écouter non ses résistances personnelles, une promesse absurde, incompréhensible, mais une demande particulière, pour petit à petit, faire une place au projet de Dieu en elle. Ce qui fait l’écoute de Marie, ce n’est pas sa grandeur d’âme, sa sainteté, mais c’est sa capacité à faire de l’espace. Elle laisse venir, elle se laisser habiter sans refus ni méfiance. Elle a cette ouverture de cœur qui la rend si sensible et attachante.
Ainsi, comme la graine tombe en terre, comme Dieu prend corps, la parole a le pouvoir de faire jaillir du neuf et du fertile.
C’est quand Marie écoute, qu’elle devient alors habitée par l’Esprit. Le temps de l’Avent, c’est celui d’une venue qui s’immisce, s’infiltre, se glisse au plus profond de nous.
L’Avent, c’est le temps des salutations. L’ange Gabriel est entré dans l’ordinaire des jours en suscitant un trouble qui s’est transformé en paix. Un Ainsi soit- il. Une acceptation, mais bien plus… et j’ai cherché le mot… mais peut-être que vous en aurez un meilleur, un acquiescement.
De même nous pouvons tendre l’oreille à cette salutation qui résonne de manière bienveillante, joyeuse, amicale, fraiche : Réjouis-toi !
Il n’est pas dit que les lassitudes et les fatigues doivent toujours avoir le dernier mot.
Comme la promesse d’un bourgeon dans l’hiver de nos vies, malgré le gel et la nuit qui semblent ne jamais vouloir finir, la semence grandit au secret de la foi qui acquiesce, qui dit oui
Que ce oui soit votre quiétude
Amen