Homélie à partir de 1R 19,9-15 / 2 P 1,16-19 / Mt 17,1-9

Chères sœurs, chers frères,

Sur quoi nous appuyer pour rendre compte de la solidité de notre foi ? 

On peut mener des études savantes et prendre pour références les traités rédigés par les meilleurs théologiens. C’est une démarche qui fait confiance aux raisonnements, aux démonstrations. C’est très utile pour tester la cohérence d’un discours, mais, selon la Deuxième Lettre de Pierre, cela n’engendre pas la foi. Pour témoigner de la Bonne nouvelle de Jésus Christ, il s’agit d’adopter une autre démarche qui s’appuie sur une relation directe avec ce dont la foi témoigne. En ce sens, la Deuxième Lettre de Pierre prend pour appui une expérience de la gloire de Dieu. L’auteur de la lettre affirme avoir vu de ses propres yeux la majesté, la splendeur de Jésus-Christ. Il rapporte l’épisode de la transfiguration de Jésus qui est pour lui la source d’une connaissance véritable de Jésus Christ, et donc d’une foi qui confesse que Jésus est le Seigneur, le Fils bien-aimé de Dieu. Une foi qui confesse aussi que, pour connaître Dieu, il s’agit d’écouter Jésus.

Selon l’auteur de la Deuxième Lettre de Pierre, la transfiguration de Jésus atteste sans hésitation possible de « la venue puissante de notre Seigneur Jésus Christ », selon la traduction de la TOB, ou pour être plus proche du texte grec, « de la puissance (dunamis) et de l’avènement (parousia) de notre Seigneur Jésus Christ ». Il n’y a là rien de compliqué, rien de difficile à comprendre. Lors de la transfiguration de Jésus, les disciples présents ont reçu une attestation certaine que Jésus est bien le Fils bien-aimé de Dieu. Dès lors, ils n’ont pas eu besoin d’en chercher d’autres démonstrations. Telle est l’affirmation de l’auteur de la lettre.

Nous fêtons aujourd’hui la Transfiguration de notre Seigneur Jésus Christ. Nous fêtons le moment où Dieu confirme à Jésus, en présence de trois disciples, l’identité de Fils de Dieu de Jésus. Si nous écoutons ce que nous dit l’auteur de la Deuxième Lettre de Pierre, nous fêtons le moment où Dieu nous a révélé de manière certaine que Jésus est son Fils bien-aimé et que nous sommes sauvés si nous plaçons notre foi en Lui.

L’auteur de la Deuxième Lettre de Pierre décrit la transfiguration de Jésus comme une manifestation de la puissance et de l’avènement de notre Seigneur Jésus Christ. En quoi cet épisode est-il une manifestation « de la puissance (dunamis) et de l’avènement (parousia) de notre Seigneur Jésus Christ » ?

Prenons d’abord la puissance. De quelle puissance s’agit-il ?

Quand on parle de puissance, surtout quand on parle de Dieu comme du Dieu Tout-Puissant, on imagine un déploiement de force. Lorsqu’un chef politique veut faire une démonstration de sa force, il organise un défilé militaire. Il montre à tous la puissance de destruction qu’il est capable de déployer s’il le souhaite. La toute-puissance de Dieu est-elle synonyme de puissance à laquelle rien ne peut résister ? Faudrait-il envisager Dieu comme celui qui, dans sa relation à sa création et à nous, se situe dans un rapport de force ?

Le texte tiré du Livre des Rois, que nous avons entendu tout à l’heure, révèle une autre forme de puissance. Dieu n’était pas dans le vent violent. Il n’était pas dans le tremblement de terre. Il n’était pas dans le feu dévorant. Dieu était dans le souffle ténu, dans un murmure léger. Si nous comprenons cette lecture tirée du Premier Testament comme un commentaire de la lecture du récit de la Transfiguration, alors il faudrait comprendre que le visage de Jésus resplendissant comme le soleil et ses vêtements blancs comme la lumière sont une démonstration de la puissance de Dieu à la manière d’un souffle ténu, d’un murmure léger. Non pas une démonstration de force écrasante, mais une confidence glissée au creux de l’oreille. Le secret dévoilé dans le récit de la rencontre d’Elie avec Dieu, c’est que le murmure léger qu’il entend est plus puissant que le vent violent, le tremblement de terre ou le feu dévorant. Car seul le murmure léger a réussi à le faire sortir de la caverne où il s’était terré.
Cela nous dit quelque chose de fondamental sur la puissance de Dieu qui se révèle lors de la transfiguration de Jésus. La puissance qui est une démonstration de force à laquelle rien ne résiste se contente d’être une puissance qui détruit. Elle détruit ce qui fait obstacle. Mais elle fait le vide autour d’elle. C’est une puissance qui effraie. Seul le murmure léger est capable de susciter la vie. La puissance de Dieu, révélée en Jésus notamment lors de la transfiguration n’est pas une puissance destructrice. C’est une puissance qui fait lever la vie, qui relève, qui suscite, qui ressuscite. C’est un élan, un dynamisme et non de la dynamite !

L’auteur de la Deuxième Lettre de Pierre dit que la transfiguration de Jésus est une manifestation de la puissance et de l’avènement de notre Seigneur Jésus Christ. Nous avons vu en quoi elle est manifestation de puissance. Voyons en quoi elle est manifestation de l’avènement de Jésus. Le terme « parousie » que je traduis par avènement pourrait aussi être traduit par venue ou peut-être aussi par présence.

Le récit de la rencontre d’Elie avec Dieu à l’entrée de la caverne nous présente ce moment comme la venue de Dieu, la manifestation de sa présence, mais d’une présence qui se fait proche, intime. Elie, qui était en plein désarroi a pu être rejoint par Dieu. Lors de la transfiguration, il y a aussi une grande intimité. Jésus n’a pris avec lui que trois disciples, ses plus proches. En entendant le murmure léger, Elie se voile la face avec son manteau. Sur la montagne de la transfiguration, une nuée couvre les disciples. Si bien qu’ils ne voient plus rien. Nous avons vu son éclat, sa majesté, dit l’auteur de la Deuxième Lettre de Pierre. Mais au moment où ils entendent la voix du ciel, les disciples n’ont fait qu’entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection ». N’est-ce pas cela le murmure léger, ténu, qui leur souffle dans le cœur la confidence la plus intime que Dieu peut leur faire ?

La manifestation de l’avènement de Jésus Christ, lors de la transfiguration, c’est la manifestation qu’une distance est abolie, qu’une marginalisation est dépassée. Elie avait franchi un très long chemin pour aller le plus loin possible de Dieu, et cette marginalisation volontaire n’est plus de mise. La séparation entre Dieu et nous est supprimée.

Il n’y a plus Dieu et moi, mais Dieu en moi. L’auteur de la Deuxième Lettre de Pierre le dit bien : ce murmure fait lever une lumière dans nos cœurs. Sur la montagne, les disciples voient la lumière qui resplendit du cœur de Jésus et qui habite tout son être, qui resplendit en son corps même. Quand cette lumière se lève dans nos cœurs, c’est un élan de vie qui rayonne et que rien ne peut arrêter. Rien ne peut être plus intime à notre être et rien ne peut l’empêcher de rayonner au-dehors.

Ecoutons ce murmure de Dieu et laissons sa lumière se lever dans nos cœurs.