Mtt 21, 33-43 Es 5, 1-7   Ph 4, 4-9
Je ne sais comment vous avez enten-du cette parabole des vignerons meurtriers, difficile à recevoir. Elle retient pourtant l’attention parce qu’elle offre un concentré biblique en évoquant des vignerons refusant de donner au propriétaire le fruit de leur labeur. Ces hommes ne sont pourtant pas sourd aux demandes rappelées par les serviteurs, ni même au fils du maître. La violence dont ils font preuve envers les messagers l’atteste sans ambiguïté, tout comme le montre le meurtre du fils. C’est dire qu’en racontant une telle histoire, Jésus interroge quant à la manière dont chacun entend et reçoit ou non ses paroles qui bousculent la vie.
Quand bien même violence et meurtre paraissent culminer, je vois dans cette parabole un concentré biblique, manifestant l’incessant désir Dieu de Dieu à l’endroit de l’homme. Jamais Dieu ne se décourage pour venir et revenir vers lui. Pourquoi ? Pour l’unique raison qu’il veut pour lui la vie. C’est pourquoi Dieu n’a pas envoyé successivement les prophètes et son Fils lui-même pour blâmer, punir, juger et condamner, mais pour constamment réveiller à la vie.
Impossible donc de se dire que cette parabole ne nous concerne pas, même si tant hier qu’aujourd’hui, on n’apprécie guère, tant sur le plan religieux que social, politique qu’économique, ceux qui profèrent des paroles qui ne vont pas dans le sens du vent, qui prônent la vie plutôt que le profit, l’exploitation. 
Car dans notre monde, tout comme dans la Bible, les faux prophètes abondent et parlent fort. Ils agissent avec puissance à l’inverse des véritables porte-parole de Dieu qui paient le prix des messages qu’ils portent. Hier, le monde entier ou presque se gaussait d’une jeune suédoise qui sautait l’école un jour par semaine pour rendre attentif au changement climatique. Aujourd’hui Narges Mohamadi, une femme iranienne, récipiendaire du Prix Nobel de la paix 2023, est incarcérée pour sa lutte en faveur de ses sœurs dont les droits sont bafoués.
Songez à un Amos proclamant que sacrifices et prières déplaisent à Dieu, qu’il méprisait même les pèlerinages et que sa volonté, c’était que la justice coule comme un torrent (5,21). Amos ne fut guère apprécié qu’un Osée (4,1) quelques années plus tard attestant du procès du Seigneur avec le pays car il n’y avait ni sincérité ni amour du prochain. Ou même un Esaïe (5,7) dénonçant la rapacité des riches à la fin du passage que nous avons entendu et relatif à la vigne. Dieu en attendait le droit et c’était l’injustice. Il attendait la justice et c’était le cri des malheureux. Alors si la voix des prophètes ne portait pas assez, celle du Fils en personne, Jésus de Nazareth, serait entendue. Mais non ; il ne fut pas plus reçu. Car ses paroles dérangeaient aussi, au point qu’on a préféré et préfère transformer encore son message d’amour en de la guimauve, en en gommant toute son exigence et sa radicalité. C’est que ses paroles tranchaient dans le vif du confort. Jugez-en vous-mêmes : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ou, dans un autre registre, Vous ne pouvez aimer Dieu et l’argent. Paroles dérangeantes hier tout comme aujourd’hui, non ? On souligne certes leur beauté, mais en insistant de suite sur leur caractère utopique. C’est dire que la résistance à l’essentiel est forte, c’est dire qu’est solide notre résistance à ce qui dérange au plus profond.
Or c’est tout cela que concentre la parabole qui n’en a pourtant pas fini de résonner. Et elle pourrait mener à la déprime si cette parabole ne faisait que souligner l’engrenage mortifère de la violence et du meurtre. Mais elle ne s’arrête pas là. Elle rappelle envers et contre tout le constant désir de Dieu vers l’homme. Quelles que soient la violence en ce monde, la souffrance de la création, la mort qui semble avoir toujours le dernier mot. Cette parabole ouvre un chemin où il n’y en avait pas. Elle sème une espérance contre toute espérance, ce que signale la pierre rejetée devenue l’angulaire, le mort devenu le-plus- que-vivant.
Jésus rejette l’engrenage qu’imaginent ses interlocuteurs, sûrs de la vengeance du maître. En citant un Psaume (118), il rappelle que la pierre rejetée est devenue essentielle à la construction. Et voici que cette parabole énonce ce que tous ceux qui ont entendu Jésus ou que tout lecteur des évangiles a lu maintes fois, à savoir qu’une inversion radicale s’opère. On a beau prétendument le savoir, le répéter, en Eglise et dans les liturgies notamment, le message ne cesse de troubler et d’être incroyable. NON, violence et meurtre n’auront pas le dernier mot. Du coup, voici que la parabole ne m’incite plus seulement à constater qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, et que la violence mène toujours le bal et ce seront toujours les plus petits, les plus faibles qui en feront les frais.  Qu’il s’agisse de femmes et d’enfants contraints à vivre sous la menace de bombes, de femmes traitées comme du bétail sexuel, que ce soit celles et ceux jetés sur les routes de l’exil vers le pays voisin, aux portes du désert ou en Méditerranée. 
Si je discerne dans cette parabole un concentré biblique, c’est non seulement en discernant le visage contemporain de la violence mortifère, mais j’y perçois le rappel essentiel que tout n’appartient pas à l’homme et que contrairement à ce qu’il croit si fort, ce dernier n’a pas la maîtrise de ce qui porte ou déporte la vie. D’ailleurs, il semble bien aujourd’hui, qu’en sus de la violence meurtrissant l’humain, qui n’a rien de nouveau, la création en souffrance place l’être humain face à ses responsabilités.
Du coup, si je choisis de dénoncer l’injustice ou de me montrer attentif à ma consommation, ce n’est pas pour jouer au redresseur de torts ou pour sauver la planète, mais avant tout pour manifester que tout homme est mon frère toute femme ma sœur, et que je ne suis pas le propriétaire de la création : elle nous a été confiée. D’aucuns diront que pour mieux respecter les êtres et la planète et le vivant ou accueillir le migrant, il faut plus d’argent. Mensonge : aujourd’hui l’argent ne manque pas au vu de l’augmentation générale et presque sans débat des budgets militaires, à l’inverse des budgets pour produire différemment.
Alors, si aujourd’hui vous entendez cette parabole comme un concentré biblique, vous voilà interrogé·e sur ce qui vous appartient ou non, me voici amené à douter de mes affirmations de maîtrise et de possession.  
Et s’il ne fallait qu’un signe pour accompagner notre méditation, regardez, il est là sur la table, avec ce pain et ce vin.  Signe dérisoire, aussi faible qu’essentiel, mais rappelant que c’est d’un Autre que nous recevons ce qui nourrit vraiment la vie. Et que Sa vie dépasse et franchit toute mort. Réjouissez-vous : NON, violence et meurtre n’auront pas le dernier mot. Amen