Jean 20, 11-18
Peut-être avez-vous connaissance d’un sondage relayé par Réformés.ch, le site d’information des Eglises de Suisse romande, posant la question suivante : « Croyez-vous en la résurrection corporelle de Jésus ? ». Les réponses étaient ensuite classées par confession, – et je trouve qu’elles sont sans grand intérêt.
D’abord, parce que c’est vraiment une question de journalistes qui, avant Pâques, croient faire de l’information.
Ensuite, parce que cette question ne devrait pas se poser – surtout pas dans un sondage où l’on coche des cases oui ou non !
Croire en la résurrection est une chose tellement intime, liée à un parcours de foi, à une façon de lire les Ecritures, de les comprendre, de les méditer – que la forme du sondage médiatique est presqu’indécente.
Croire en la résurrection – c’est d’abord affirmer que Christ est vivant, parce que chacune, chacun en est persuadé au fond de son cœur – Comme Marie-Madeleine dans le jardin du premier jour.
Croire en la résurrection, c’est avoir entendu le témoignage des femmes, des disciples, des apôtres de tous les temps qui ont murmuré, proclamé, crié sur les toits : Christ est ressuscité – il est vraiment ressuscité – Alléluia !
Mais d’abord, nous avons les témoignages de Paul et des évangélistes – ce soir, dans Jean. Et je suis toujours émerveillée par ces récits qui affirment sans s’imposer, qui suggèrent pour inviter à la foi – mais qui n’imposent jamais une vérité. Comme Jésus lui-même ne s’imposait jamais, mais invitait des auditeurs à le suivre – les récits de résurrection, les récits des apparitions du Ressuscité, invitent à la foi.
Nous sommes dans un jardin au petit matin. Les disciples – Jean et Pierre – ont constaté que le tombeau était vide. Ils n’ont pas encore compris la résurrection et sont rentrés chez eux. Il y a cependant cette mention, concernant Jean : « Il vit et il crut ». Rien de plus.
Si on s’en tenait là, au tombeau vide et la réaction des disciples, j’ose dire que la résurrection est un non-événement. Il faudra la rencontre personnelle de Marie avec Jésus, puis des disciples, puis de Thomas, pour que la présence du Vivant, du Ressuscité devienne réalité pour eux.
Il faudra encore le don de l’Esprit, au verset 22, pour que les disciples comprennent leur mission au nom du Ressuscité – et que l’histoire de Jésus, le Christ vivant, arrive jusqu’à nous.
Mais revenons à ce jardin, au premier matin de Pâques.
Marie de Magadala, elle, reste dans le jardin et pleure.
Elle est bien sûr en deuil de son ami. Elle pleure à cause de la perte et de l’absence. Parce que la mort d’un proche fait si mal. Parce que le présent est sombre et que l’avenir ne s’envisage même pas.
Les anges dans la tombe lui demandent pourquoi elle pleure ! Question presque cruelle pour celle qui est en deuil.
Marie pleure – et la question lui sera posée deux fois.
Et la réponse est simple : elle pensait trouver le corps de Jésus. Elle pensait pouvoir se recueillir (comme ça se fait d’aller au cimetière). A noter que dans l’évangile de Jean, elle est seule et il n’est pas question de toilette du mort ou d’embaumement comme dans les autres évangiles.
Marie cherchait le corps de son ami et maître Jésus – pour « faire son deuil » dirait-on aujourd’hui.
Elle ne le trouve pas. L’objet de son deuil lui est ôté – et cette absence en rajoute à sa tristesse.
Elle est dans la mort, dans le deuil, dans les larmes. Et on le sait bien, les larmes empêchent de voir clair. Physiquement (les yeux pleins d’eau) et symboliquement : Quand on pleure, on ne voit pas bien – ni l’avenir, ni l’espérance, ni la consolation.
La question lui est posée une seconde fois – « Femme, pourquoi pleures-tu ? – Qui cherches-tu ?» Et une seconde fois, Marie reste fixée sur l’absence du corps. La question n’est pourtant pas « que » cherches-tu – mais bien « qui » : une personne, un vivant.
Il faut que le Vivant l’appelle par son nom, pour qu’elle LE reconnaisse.
Elle cherchait un mort. C’est le Ressuscité qui l’appelle à le reconnaître, comme dans l’évangile de Jean, le Bon Berger connaît chacune de ses brebis pas son nom.
C’est à l’appel de son nom que Marie reconnaît son maître, son Seigneur. Dans le jardin, elle ne s’attendait pas à voir le Vivant, mais juste un jardinier. Dans ce jardin, c’est la vie nouvelle avec le Ressuscité qui peut croitre, comme une création nouvelle.
Et elle veut toucher Jésus.
« Ne me touche pas ! »
Jésus établit entre Marie et lui une distance. Cette parole reste un mystère qui continuera de nous interroger. Marie voulait-elle s’assurer que sa « vision » du jardinier, sa vision du Maître était bien réelle ? Que tout allait redevenir comme avant la mort en croix ? Comme si la souffrance, la mort et le tombeau étaient effacés ? Elle est humaine, Marie, elle veut toucher pour savoir, pour comprendre, et pour aimer encore ce maître et ami.
Mais ce « ne me touche pas » peut aussi être compris autrement.
Cela peut aussi se traduire par « ne me retiens pas » – comme le fait la TOB. Et le Ressuscité d’ajouter « je ne suis pas encore monté vers mon Père ».
Dans l’évangile selon Jean, c’est la seule allusion à ce que nous appellerons plus tard, l’Ascension, en nous appuyant sur les récits de Luc. L’Ascension, c’est l’affirmation que Jésus n’est plus physiquement avec nous, que rien n’est « comme avant » pour Marie et les disciples. Désormais, comme il l’avait annoncé avant sa mort – il est dans la maison du Père pour nous y préparer une place.
Dans la NBS, « ne me touche pas » est traduit « Cesse de t’accrocher à moi » ! Traduction assez osée, presque violente dans son expression. Et pourtant, très juste, je crois.
Marie voulait s’accrocher à l’ami, s’accrocher à l’illusion que la mort de l’avait pas pris, à l’illusion que tout redeviendrait « comme avant ». Mais s’accrocher au passé, s’accrocher à cette phrase « c’était mieux avant » – c’est idéaliser le passé et en faire une idole. Idole à laquelle on s’accroche trop souvent, même et surtout en Église. « Cesse de t’accrocher » !
Le Ressuscité n’est plus le Jésus d’avant. Il n’est pas l’homme du passé, mais toujours le Seigneur de mon avenir, de l’avenir de l’Église, de l’avenir du monde.
Permettez-moi de citer le professeur Laurent Gagnebin : « Un regard sans cesse tourné vers la Croix nous fait regarder en arrière, alors que le Dieu de l’Evangile et de la résurrection nous oriente vers un futur à construire ».
C’est vers l’avenir que le Ressuscité oriente Marie. « Va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, mon Dieu qui est votre Dieu ».
Marie est chargée de mission. Comme nous le sommes encore, disciples et témoins du Seigneur vivant. Son Père est notre Père, son Dieu est notre Dieu. Sa vie est vie pour nous – en nous – par-delà la mort même.
Christ vivant nous ouvre le chemin de la vie et fais de nous ses témoins.
Pourqu’à notre tour nous proclamions : « Oui, Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Alléluia ». Amen.