Héb 3, 7-9+12-15 et Mt 21, 1-11. 

Chers amis,
La géolocalisation est de nos jours l’une des prouesses les plus prometteuses de la technologie. Très peu de contemporains se passeraient du GPS. Grâce à cet appareil, aujourd’hui, il est un peu rare de louper sa sortie d’autoroute, sa destination. L’ordre de Jésus à ses disciples est précis. Il en envoie deux à un endroit situé dans un village près de Bethphagé. Et ce qu’il ordonna s’accomplit. Bien sûr, les disciples ne sont pas des machines et ne s’en servent pas, mais ils ne sauraient se perdre car guidés par la force de l’Esprit. Là, ils retrouveront une ânesse et un ânon qui les attend.

Dans le récit de l’Evangile, les deux disciples ne semblent pas se poser de question. Ils n’interrogent pas non plus leur maître. Ils auraient pu en être tentés car cela paraît quelque peu curieux : aller chercher des ânes ! Qui sont les propriétaires de ces bêtes ? Les disciples et Jésus lui-même, commanditaire de l’action, ne passeraient-ils pas pour des voleurs ? Jésus anticipe les questions et les réponses. La chute de tous ces questionnements et réponses qui n’apparaissent pas en détail dans ce fragment de l’Evangile se résume dans ces mots : « Le Seigneur en a besoin ».
Matthieu, contrairement à Luc, précise que le propriétaire consentira puisqu’il les laissera aller tout de suite, sans hésiter. Toutefois, c’est le seul passage où l’ensemble des synoptiques utilise le titre « Seigneur » au lieu de « maître ». Nous avons besoin d’aller au-delà de l’inconscient collectif. Le maître dont il question est Seigneur. Toute la différence est là. Car il en existe, des maîtres. Mais celui-ci est au-dessus de tous. Devant lui, « tout genou fléchira. » (Philippiens 2, 10)
Les disciples entendent sa voix et se mettent en chemin illico presto. Ce qu’il faudra retenir, c’est que Jésus est Seigneur de l’univers entier. Ce qu’il ordonne doit s’exécuter tant par les disciples que par les autres, le propriétaire et nous qui lisons ce passage. On parle peu du propriétaire des ânes comme si libérer ses animaux à la demande d’un inconnu paraît si évident. Il faut admettre que ce dernier a aussi entendu résonner la voix de l’Esprit en lui. Et nous ? 

Le Fils ou l’Homme de Nazareth interrompt un instant sa vie de piéton itinérant. Jésus entre à Jérusalem assis sur un ânon. Et chez Matthieu, c’est à la fois l’ânesse et l’ânon qui l’y conduisent. Comment le comprendre ? Les autres évangélistes, y compris Jean, n’évoquent pas la présence de l’ânesse. Il y a ici les deux à la fois, certes, mais Jésus est assis sur l’ânon.
Précisons d’abord que l’âne, d’une manière plutôt générique, est un animal particulier en Israël. Il cristallise, dans le contexte historique de ce peuple, le prestige même, « la monture des pères d’Israël ». C’est le « véhicule » des rois. Le plus important pour tout lecteur de la Bible, d’hier et d’aujourd’hui, se trouve dans la cohérence de l’annonce prophétique. Le cheval, si nous nous permettons cette comparaison, n’appartient pas à l’historiographie des royautés d’Israël. Au contraire, il a été introduit plus tard par l’envahisseur romain et porterait d’autres significations pour le peuple de Jésus.
A travers le choix de l’âne, Jésus réunit à lui seul l’humilité et la gloire. A travers l’ânesse et l’ânon à la fois, le Seigneur reste dans la continuité sans détacher l’un de l’autre. Il ne laisse pas l’ânesse à sa place mais la prend aussi avec lui. Jésus est venu accomplir ce qui a commencé depuis longtemps dans le plan de Dieu : Moïse et les prophètes réunis. En montant sur l’ânon, il ouvre vers l’avenir et nous entraîne avec lui dans la puissance de son amour.
La scène paraît surréaliste. En réalité, seul l’évangéliste Jean en avait annoncé la préparation. Le récit de l’Evangile s’achève avec une confession de foi : «Jésus, le prophète, qui est de Nazareth de Galilée». Comment est-ce possible que des Judéens et de Jérusalémites, de surcroît, accueillent avec tant de ferveur un Galiléen si ce n’est encore une fois l’œuvre de l’Esprit ?

Jésus montre ainsi le chemin. Un chemin neuf. Les vêtements tombent, les branches aussi, une haie d’honneur se forme. Les branches de palmiers (l’Evangile de Jean est plus précis) en disent long sur la grandeur de l’événement. Seuls les rois sont reçus de la sorte. Ici, on ne peut que voir gloire et simplicité. Là où il y a l’Esprit de Dieu il n’y a aucune arrogance mais une joie propre, lucide et libératrice. Ces vêtements, c’est ce qui nous pèse. Ce sont nos soucis, nos angoisses, nos péchés que nous déposons pour nous sentir désormais libérés.

 Les prophéties s’accomplissent à la chaîne. Glorifié, accueilli royalement par la foule, il allait droit contre la mort, la mort de la croix. Mais ce dernier aspect, personne ne l’entrevoit sinon les chefs religieux qui attendent Jésus de pied ferme pour l’arrêter et lui faire subir l’opprobre. La foule, elle, ne l’imagine pas à cet instant. Elle ne s’imagine même pas qu’elle serait complice de cette mort atroce. Cet enthousiasme qui les anime manque cruellement de solidité. La joie de cet « aujourd’hui » sera vendangée plus tard.

Le passage de l’Evangile de Matthieu et l’épître aux Hébreux nous interpellent sur la notion de l’aujourd’hui. C’est le temps favorable, le jour J, le jour du salut. Il faut voir dans cet aujourd’hui une ouverture possible sur le lendemain plutôt qu’un temps fugace de l’existence. C’est dès maintenant que s’ouvre en nos cœurs ce chemin neuf qui laisse passer le Seigneur et sa souveraineté. C’est là que cette joie voudrait se manifester. Une joie digne des enfants de Dieu rendus capables de voir la croix qui se dresse en face. Cette croix fait désormais partie de notre gloire. Et c’est jusque-là que le Seigneur nous conduits puisque nous sommes « participants du Christ » comme le souligne l’auteur de l’épîtres aux Hébreux (3,14). L’aujourd’hui devient alors le commencement de l’éternité. La gloire du crucifié est dans la traversée de la croix à venir. En Christ, nous traversons aussi les réalités de l’histoire. Dans toutes ces péripéties, la force de l’Esprit nous guidera. N’ayons pas peur. Dieu est fidèle et ne nous abandonnera pas.