Lectures bibliques : Esaïe 63,16b-64,7, Romains 13, 11-14 et Marc 13,33-37

Il fait nuit.
Quand la nuit est là, elle recouvre tout. Rien ne lui échappe.
Elle envahit l’entier de la réalité. Le moindre recoin est sous son emprise.
Dans la nuit, nos perceptions sont faussées. Le monde qui nous entoure ne ressemble en rien à ce que l’on connaît de jour.
Ce que nous franchissons de jour sans même y réfléchir devient un obstacle. Un seuil, quelques marches, un cadre de porte se transforment en autant de dangers.

Dans la nuit, ce que perçoivent nos oreilles ne ressemblent en rien à ce qui leur parviennent de jour. Un craquement, le cri d’un animal, un silence…
Quand on ne voit pas, on imagine. Et notre imagination tend à nourrir nos craintes.

La nuit, c’est un refuge aussi. Une occasion de garder secret ce qu’on ne souhaite pas exposer au grand jour. La nuit cache. La nuit masque. La nuit engloutit ce qui n’est pas reluisant.
Veillez !
Ne vous laissez pas aller à l’obscurité, à la noirceur.
Ne nous laissons pas gagner par l’engourdissement.
Cette somnolance qui s’insinue et anesthésie toute résistance aux ténèbres.

Vous savez en quel temps nous sommes.
Vous savez que maintenant, c’est le kairos. Le moment décisif.
Il est temps de sortir du sommeil, de s’éveiller, exhorte l’apôtre Paul en choisissant précisément ses mots. S’éveiller, en grec c’est aussi ressusciter.

Paul tout comme Marc désigne le sommeil comme une forme d’engourdissement, d’aveuglement spirituel dans lequel, il nous faut bien le reconnaître, on aime parfois se complaire.
Dans l’indolence du sommeil, on ne s’expose pas. On ne se risque pas. On se cache.

Mais on ne peut plus vivre dans la nuit. Car depuis le Christ, le jour est là.
Il est juste là, on le voit déjà poindre.
Et quand le jour arrive, on ne peut plus retourner se réfugier dans la nuit.
C’est comme si le Christ cherchait à nous sortir du lit. On a beau faire de la résistance, dire qu’on aimerait dormir encore un moment, on peut mettre quelques instants la tête sur la couette en essayant de retrouver le confort du sommeil, mais on ne peut plus. Le moment du réveil a eu lieu.
Et il ne nous reste qu’une seule chose à faire : nous lever et entrer dans cette journée qui est là et qui ne demande qu’à être vécue.

Que nous le voulions ou non, le jour vient. Indépendament de nous.
Aucun de nos efforts ne permettrait de le faire advenir ou de le retenir. Il vient.
Le jour que fait advenir le Christ est là. Déjà là. Mais nous n’y vivons pas encore totalement. Déja… et pas encore.

Nous nous tenons au seuil, à l’aube. Dans ce moment, le kairos. En tension constante entre les ténèbres et la lumière. Entre le déjà et le pas encore.
Comment, dans cette tension, pourrions-nous nous trouver dans un autre état que celui de la veille ?
Veillez donc !
La théologienne Marion Muller-Collard désigne cet état spirituel par le terme d’intranquillité.
La venue du Christ nous tient dans cette intranquillité qui rend impossible l’engourdissement.

Ce matin, nous nous éveillons et le jour qui s’ouvre devant nous est le premier du temps de l’Avent.
Le temps de l’attente intense, nourrie de la promesse de la venue du Messie dans la nuit du monde.
Ah si tu déchirais les cieux ! Criait Esaïe.
Ah si ta venue, Seigneur, éclaboussait les ténèbres, et recouvrait de lumière tout ce qui dans ce monde nous fait mal !
Ah si chacun pouvait se montrer sous son vrai jour ! Plus de recoins obscurs, plus de mesquineries, plus de cachoteries.
Si ta lumière, ô Christ, venait tout révéler. Alors il ferait bon vivre en hommes et femmes.

Cette attente ne nous projette pas dans l’avenir, un hypothétique et inaccessible futur, cette attente nous ancre dans le présent.
Revêtons les armes de la lumière !
Nous voici debout, éveillés, ressuscités et invités à abandonner à la nuit les attributs du sommeil. Laisser derrière soi les forces mortifères, pour venir habiter le jour de toute notre énergie.

Revêtir. Tel un vêtement dont on habille son corps.
Nous sommes ce que nous portons. Et lorsque nous revêtons nos vêtements, nous devenons l’avocate, le chirurgien, la sœur, le mécanicien, la pasteure…
En enfilant le costume, on incarne l’être.

Paul fait ici allusion au vêtement blanc que porte le baptisé. En revêtant cette étoffe blanche, le baptisé renonce aux ténèbres de sa vie passée et revêt l’identité du croyant. Il s’habille de la foi en Jésus-Christ qui désormais fait totalement partie de qui il est.
Porter ce vêtement, ce n’est pas le fait seulement du jour de la célébration du baptême mais bien de tous les jours.
Les baptisés sont exhortés à revêtir chaque jour cette identité. A porter chaque jour le vêtement de lumière.

Revêtir le vêtement mais aussi les armes.
Les armes de la lumière. Des armes peuvent-elles êtres de la lumière ?
On pense ici au passage de l’épître aux Ephésiens qui nous dresse le portrait du croyant équipé comme un soldat des armes que Dieu donne : la vérité pour ceinturon, la justice pour cuirasse, et comme chaussures aux pieds, l’élan pour annoncer l’Evangile de la paix. N’oubliez pas le bouclier de la foi, le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu.

Contre les forces de la nuit, il y a un combat à mener.
On se sent parfois désarmés face aux défis du monde, à la violence qui y règne, à l’égoïsme, à la soif de puissance.
Quand le monde qui nous entoure semble entièrement mu par ces forces de nuit et que même nous, les croyants, nous avons ces moments de doute où nous ne parvenons pas à voir le moindre rai de lumière.

Comment la lumière pourra-t-elle vaincre ? Il y a tant de combats, tant de fronts sur lesquels s’engager en même temps ?

Le combat de la lumière, le Christ compte sur nous pour le mener avec lui.
Mais il ne dépend pas de nous que fassions advenir le jour.
Il est déjà là. Le combat a déjà été gagné. Seulement nous seuls nous le savons. Et ce n’est pas le moment de nous endormir.

Veillez donc !
Dans cette intranquillité qui tient en éveil.
Toujours au point de rupture entre le déjà et le pas encore.
Entre le jour qui est là, tout proche et cette nuit qui ne nous lâche pas.

Aujourd’hui le salut est plus près de nous qu’au moment où nous avons cru.
L’histoire du salut n’est pas un éternel recommencement.
On avance.
L’entrée dans ce temps de l’Avent pourrait être pour nous l’occasion d’en distinguer les signes. A quel moment, dans quelle rencontre, dans quelle parole ou acte puis-je repérer l’avancée du jour ?
Comme une petite porte ouverte jour après jour jusqu’à Noël, puis-je distinguer dans chaque journée des signes de la lumière ?

Veiller, c’est ne pas se laisser assoupir. C’est aussi porter attention. Veiller à. Et prendre soin.
Veillez donc ! Soyons attentifs et attentives aux dimensions lumineuses des personnes qui se présentent sur notre chemin.

Pour trois semaines encore, les jours raccourcicent. Que notre espérance ne se réduise pas elle-aussi !

En méditant les textes de ce matin, une chanson est venue me trotter dans la tête. Vous la connaissez peut-être. C’est la chanson les insomnies de Barbara.
Elle y raconte ses nuits sans sommeil, son ardent désir de se laisser aller elle-aussi au repos mais cette crainte toujours présente que la mort ne vienne la tromper si elle s’endort.

Mourir ou s’endormir, ce n’est pas du tout la même chose
Pourtant, c’est pareillement se coucher les paupières closes
Une longue nuit, où je les avais tous deux confondus
Peu s’en fallut, au matin, que je ne me réveille plus

Le sommeil et la mort ne sont parfois pas si éloignés.
Et si l’Evangile n’a rien contre le sommeil réparateur et serein – on pense à Jésus qui s’endort dans la barque – le sommeil synonyme d’engourdissement spirituel, d’habitude lasse ou de somnolance indolente est dangereux.
Si mon souvenir est bon, dans la mythologie grecque, Hypnos (le sommeil) est le frère jumeau de Thanatos (la mort).
Veillez, pour ne pas tomber dans ce sommeil qui n’est rien d’autre que la mort spirituelle.

Barbara termine ainsi sa chanson :

À voir tant de gens qui dorment et s’endorment à la nuit
J’aurais fini, c’est fatal, par pouvoir m’endormir aussi
Mais si s’endormir c’est mourir, ah laissez-moi mes insomnies
J’aime mieux vivre en enfer que dormir en paradis

Les insomnies de Barbara l’obligent à la veille, à l’intranquillité.
Elles la forcent à rester dans cet état de veillance dans lequel nous aussi nous entrons sans jamais nous y installer.

Le monde dans lequel nous vivons est certes souvent celui des ténèbres, mais nous vivons de la lumière.
Que ce temps de l’Avent soit celui de la veille et des armes de la lumière du Christ !
Amen