Prédication sur Luc 15,8-10
Jésus dit : 8 « Ou encore, quelle femme, si elle a dix pièces d’argent et qu’elle en perde une, n’allume pas une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle l’ait retrouvée ? 9 Et quand elle l’a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines, et leur dit : “Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, la pièce que j’avais perdue !” 10 C’est ainsi, je vous le déclare, qu’il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
La parabole de la pièce perdue, que nous venons d’entendre, est une parabole négligée. Pourquoi ? Peut-être parce que c’est une histoire de femmes, nous y reviendrons. Mais surtout car elle est entourée de deux paraboles qui ont eu beaucoup de succès. Luc, l’évangéliste, raconte avec ces trois paraboles la réponse de Jésus aux pharisiens et aux scribes qui lui reprochent de partager la même table que des pécheurs, et de se laisser ainsi contaminer par eux plutôt que de s’en tenir éloigné. Le pécheur ou le péché est donc l’un des thèmes importants qui apparaît dans ces paraboles et les relie. Des personnes vivent une séparation de Dieu mais surtout des retrouvailles avec lui. Notre parabole suit celle de la brebis perdue que le berger va chercher et ramène sur ses épaules, une image qui a marqué l’art chrétien, que l’on trouve déjà dans les catacombes de Rome et encore dans les livres pour enfants. La parabole qui vient ensuite, c’est celle du fils prodigue ou des deux fils, une des plus connues des Évangiles qui a suscité beaucoup de réflexions. Entre les deux, notre parabole semble un doublet qui n’apporte rien de neuf. Je vous propose de la voir ce soir plutôt comme une variation musicale sur un thème, chaque variation mettant en valeur un aspect particulier du thème. Mon hypothèse de lecture est qu’il s’agit de valoriser ce qui est propre à cette parabole et de le comprendre de manière complémentaire à ce que disent les autres. J’en retiendrai deux traits, ce qui est perdu est ici un objet et c’est une histoire de femmes.
Ce qui est perdu est ici une pièce d’argent et non un animal, comme dans la première parabole, ou un être humain, un ou deux fils, comme dans la troisième parabole. Qu’est-ce que cela change ? La pièce d’argent est un objet, sans volonté propre. Vous avez déjà sans doute tous perdu une pièce d’argent. Comment cela se passe-t-il ? Pour moi, en général, c’est quand j’ouvre mon porte-monnaie pour y chercher une pièce. Une autre glisse et tombe par terre. Parfois elle s’arrête à mes pieds et je la ramasse, parfois, elle se met à rouler, suit la pente ou la force de sa chute et disparaît. Elle se retrouve égarée dans un coin, incapable de regagner mon porte-monnaie si quelqu’un ne la cherche et ne la ramasse. Parfois notre éloignement de Dieu est un peu comme celui de la pièce. Je ne choisis pas de m’éloigner de lui mais je me laisse prendre par mes préoccupations, par mon désir de bien faire, par la pente, les courants du monde qui m’entoure et je me retrouve ensuite égaré, incapable de revenir par moi-même. La repentance, ici, n’est pas, comme dans la parabole du fils prodigue un retour sur soi qui amène à un retour au père dont le fils se souvient mais elle dépend entièrement de celui qui cherche. La pièce ne peut que consentir à se laisser retrouver, un peu dans la ligne de ce que Paul disait aux Corinthiens, comme une supplication : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20). Le retour ou la repentance est d’abord un cadeau que je reçois de celle ou celui qui se soucie de moi et me cherche.
L’autre particularité de cette parabole est qu’elle est une histoire de femmes. C’est une femme qui perd une pièce, allume la lumière, balaie et cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle trouve, puis, dans sa joie invite ses amies et voisines à fêter avec elle. Amies et voisines, ce sont aussi des femmes qu’elle invite. Même pour parler de la pièce, Luc utilise un mot grec féminin. Il ne parle pas du denier, comme dans d’autres passages, mais de la drachme, un mot féminin qui n’est utilisé qu’ici dans les Évangiles. J’y vois comme un clin d’œil de l’évangéliste. Dans cette histoire, tous les rôles peuvent être tenus par des femmes, elles y ont partout leur place. Comme celles qui sont perdues et retrouvées, comme celles qui cherchent avec soin, comme celles qui sont conviées à partager la joie des retrouvailles. Cela correspond à la pratique de Jésus, à son attitude avec les femmes qu’il interpelle, qu’il accueille et par qui il se laisse accueillir, toucher ou oindre, avec lesquelles il discute et qu’il accepte dans le groupe de ses disciples. Toutes les places sont aussi pour elles dans l’histoire de Dieu avec les humains.
Dans l’histoire de l’exégèse, les paraboles ont souvent été lues de manière allégorique. On a ainsi dit que le berger est figure de Dieu ou du Christ, comme le père dans la parabole du fils prodigue, mais, pour la femme, on y a vu la figure de l’Église. Je crois que ce n’est pas juste. Comme le berger, la femme est ici figure de Dieu ou du Christ. Elle le représente dans sa manière de chercher avec soin et jusqu’à ce qu’elle trouve, comme dans sa manière de faire la fête avec ses amies et voisines. La parabole invite à élargir notre vision de Dieu et à le voir aussi comme cette femme. En même temps la parabole nous montre que le comportement de cette femme qui balaie laisse transparaître Dieu, comme dirait Zundel. Elle fait apparaître son visage et son attitude pour nous, son soin et sa persévérance, son désir de retrouver chacune et chacun pour se réjouir avec elle. Quand je vois une femme qui balaie avec soin sa maison, je peux me dire, Dieu me cherche ainsi quand je me suis égaré.
Cette parabole est une parabole négligée, et c’est dommage. Elle vient élargir notre regard sur Dieu et nos histoires avec lui, sur ces éloignements qui peuvent égarer loin de lui et sur le retour à lui comme consentement à se laisser retrouver. Elle vient aussi élargir notre regard sur l’importance des femmes dans l’histoire entre Dieu et les humains. Elles ont leur place dans tous les rôles, perdues et retrouvées, chercheuses avec soin et conviées à la fête des retrouvailles. Dans leurs attitudes, elles sont aussi transparence à la figure de Dieu ou du Christ, manifestations de sa présence au milieu de ce monde. Amen
Guy Lasserre, prédication pour la communauté des Sœurs de Grandchamp, le 7 novembre 2024.