Mes chères soeurs,

Qu’est-ce que la vérité ? C’est ainsi que se termine le dialogue absurde entre Jésus et Pilate. J’aimerais que vous ayez dans votre tête l’image de ce Pilate, secouant légèrement la tête de dépit en prononçant ces quelques mots… Qu’est-ce que la vérité ?

Ce petit dialogue a une portée immense, car deux réalités inconciliables s’y affrontent. La vérité avec un petit v, celle des humains, celle du monde, celle que l’on peut espérer atteindre par la philosophie, qui cherche la sagesse… et de l’autre côté la Vérité avec un V majuscule, qui fait irruption au milieu de ce procès, dont l’enjeu est l’entier de l’Evangile et qui mènera à la mort du Christ.

La vérité est le sujet même de ma prédication d’aujourd’hui.

Laissez-moi vous dire une chose, si les deux hommes, Jésus et Pilate, avaient réussi à s’entendre au sujet de la vérité, il n’y aurait point eu d’Evangile ! C’est aussi simple que ça. Car l’Evangile atteint son accomplissement dans la mort et la résurrection de Jésus, et toutes les conséquences cosmiques et mondaines que cet événement a eu.

Admettons que les deux hommes, tout humains qu’ils sont se soient assis pour se mettre d’accord. Pilate aurait exposé à Jésus sa vision de sa vérité, « tu vois je suis un chef de guerre romain, je dois faire régner l’ordre, c’est mon devoir, je suis souverain ici, etc. bla bla bla » Et Jésus lui aurait rétorqué, « tu vois, je suis un révolutionnaire, je veux faire connaitre Dieu, et comme mon royaume n’est pas de ce monde, eh bien ma vérité ne vient, en fait, pas te faire ombrage, nous pouvons cohabiter ici, en ce monde, tu t’occupes de tes plates-bandes, je m’occupe des miennes »… Les deux hommes auraient fait « top là », l’accord aurait été conclu et personne ne serait mort… Sauf qu’il n’y aurait pas eu d’Evangile, pas eu de résurrection.

Car, il fallait que le Fils de l’Homme passe par la mort. Jésus n’a de cesse de le répéter tout au long des quatre Evangiles.

C’est pour cette raison que le dialogue entre Pilate et Jésus est aussi absurde, lu de l’extérieur, car les deux protagonistes ne parlent pas de la même chose, ni quand il évoque le sens de la Royauté, ni lorsqu’ils exposent ce qu’est la vérité. Pilate voit la vérité comme la chose la plus subjective qui soit, la plus relative, et pour lui le royaume se vit dans le pouvoir et l’oppression. Pour Jésus, la Vérité est tout autre et son Royaume n’est pas de ce monde.

Pilate parle en minuscule, Jésus en majuscule. Et c’est de dépit que Pilate va le livrer au Juifs, car au moins les juifs parlent à peu près le même langage. Même s’ils ne sont pas d’accord avec la Vérité de Jésus-Christ, et donc la considèrent eux aussi comme une vérité relative, au moins ils savent sur quel plan elle se révèle, et que ce plan n’est pas de ce monde, c’est une vérité ultime, indépassable !

C’est pour cette raison que Jésus demande à Pilate s’il dit cela de lui-même ou si d’autres l’ont dit de lui, lorsqu’il est question de la royauté de Jésus… C’est juste pour savoir si le dialogue va pouvoir s’élever vers la vérité ultime ou en rester à la vérité relative… Visiblement Pilate est de ceux qui relativise la vérité. Ce n’est pas un spirituel.

Bien, mes amis, vous l’avez compris deux mondes s’opposent, la vérité avec un petit v et la Vérité ultime. Nous sommes toutes et tous capables de disserter sur la vérité relative, c’est le propre des relations humaines, de la philosophie et même de la science. Lorsque deux personnes se disputent, dans un couple ou même une communauté de sœurs, elles confrontent leurs vérités subjectives, lorsqu’un philosophe disserte, il fait de même, il confronte des visions différentes, et même Einstein a montré que les lois pourtant a priori immuables de la physique dans certaines conditions devenaient relatives.

Donc, la vérité subjective, on voit tous ce que c’est ! Mais qu’en est-il de la Vérité avec un V majuscule ?

Entrons donc dans le vif du sujet. Je vais essayer avec mes humbles mots, de vous parler de la Vérité, avec un grand V.

Tout d’abord, la Vérité est une irruption, ce n’est pas un chemin de pensées, une théorie. C’est une révélation qui brise les cadres établis et ébranle les certitudes humaines. Cette vérité fait tomber les écailles qui couvrent nos yeux aveugles.

En cela l’image de la Jérusalem céleste est extraordinaire. Elle surgit, vient, et change tout. Elle est là. (l’Amen vient aux milieu des nuées)

Elle fait irruption dans l’histoire humaine, tant sur le plan de la grande Histoire, comme de celui chacune de nos petites histoires individuelles.

C’est une rencontre transformatrice, un moment où l’humain est confronté à quelque chose de plus grand que lui, qui le pousse à réévaluer tout son être.

Dans une perspective « cosmique », l’irruption de la Vérité de Jésus-Christ marque la fin d’un ordre ancien et le début d’une réalité nouvelle. « Un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Apocalypse 21,1)

Cette irruption dérange et réconforte à la fois. Elle n’est jamais confortable. Elle dérange les puissants, expose les mensonges, renverse les fausses sécurités. Elle ne craint pas de dénoncer, ce qui est « de fausses excuses » ou de « faux Dieu ». L’argent partira avec nous dans notre tombe, le pouvoir également.

En même temps, la Vérité apporte une paix inébranlable à ceux qui l’accueillent et procure une solidité.

L’irruption de la Vérité n’est pas une invasion brutale, mais c’est un acte d’amour radicalmotivé par le désir de Dieu de réconcilier toute chose avec lui.

Donc, la Vérité est un surgissement transformateur ultime, que personne ne peut découvrir par lui-même sans l’aide de Dieu. En un instant, tout se transforme et la vie, ma vie, prend un sens nouveau.

Et, de cette action transformatrice, vont découler toute une série de choses nouvelles, qui en sont les fruits :

Le premier fruit, c’est que la Vie va prendre du sens. La quête de la première place, la quête de l’argent, etc. vont passer au second plan, et n’être recherchés plus que comme des moyens pour que rayonne la Vérité. La Vie va prendre du sens car non seulement elle trouve son but, mais chaque être trouve sa dignité dans le fait d’être fils et de fille de Dieu.

Le deuxième fruit de la Vérité, c’est la justice. Le fait que nous sommes toutes et tous filles et fils de Dieu et que notre Père, nous aime toutes et tous d’un même amour, nous oblige positivement à nous mettre au service des uns et des autres. Nous sommes égaux en valeur aux yeux de Dieu, par l’amour qu’il nous porte à chacun, chacune.

Cette égalité dans l’amour, n’ôte pas les différences qui sont entre nous, mais les transforme en autant de moyens, de charismes, que Dieu donne pour faire advenir son Règne dans ce monde. C’est pour ça que la Vérité amène au partage, à l’entraide, à la paix… qui sont des fondements de justice. Les humains doivent se soutenir et être complémentaires les uns, les autres.

Le troisième fruit de la Vérité ultime est la liberté. La Vérité supprime les esclavages. En fait, à bien y regarder, un roi peut être bien plus esclave des autres que ne l’est l’esclave qui est à son service. Un riche peut être très malheureux et donc être à plaindre.

En ayant vaincu la mort, Jésus supprime la peur ultime de l’homme. La mort, ce n’est pas grave, ça se traverse…

Et l’humain libéré de cette peur, parle librement de la Vérité. Il dénonce l’injustice, en dépit des conséquences. Il affronte même ceux qui ont le pouvoir de le mettre à mort ou de l’emprisonner. Car sa liberté vient de la Vérité. Il y a tant d’exemples de ce genre de foi dans l’histoire du salut. Vous y avez déjà réfléchi : pour quelle vérité seriez-vous prêts ou prêtes à donner votre vie ?

Enfin, l’avènement de la Vérité a pour quatrième fruit espérance. C’est grâce à la Vérité ultime qu’on croit encore en l’avenir du monde et que certaines et certains se battent encore pour que le Royaume advienne.

L’adversaire de la Vérité, n’est pas le mensonge, bien au contraire… Le mensonge est un adversaire de pacotille. Le grand adversaire de la vérité, c’est la dilution de cette vérité en un mirage fait de multiples petites vérité relatives. Comme ce que croit Pilate. C’est le relativisme, qui mène au désespoir, au « à quoi bon »… De toutes manière, ça ne sert à rien.

Voilà, mes chers amis, frères et sœurs, ce n’était pas une mince prédication, n’est-ce pas ?

Alors avant de conclure, j’ai encore un mot à vous dire, important. La Vérité ultime n’est et ne sera jamais un fondamentalisme. Car tout fondamentalisme n’est rien d’autre que de croire qu’une vérité avec un petit v est la Vérité ultime. Oh non, la Vérité dont témoigne le Christ ne se possède pas, elle est donnée, elle est pure grâce. Pour vous donner un exemple concret, il y a la même différence entre la Vérité et un fondamentalisme qu’entre un acte d’amour et un viol. L’un est un don partagé, l’autre est tout bonnement un abus ! un abus spirituel avant tout.

Le signe que la Vérité est à l’œuvre se repère simplement lorsque des humains, réunis ensemble, se parlent, s’écoutent et se respectent avec l’intention ferme de créer ensemble et avec Dieu au milieu d’eux, un monde meilleur de justice, d’amour, d’espérance et de paix, prémisse du Royaume de Dieu. « Car, comme le dit l’Evangile, dans Matthieu, là où deux ou trois sont réunis en mon nom, (au nom de la Vérité) je suis au milieu d’eux ».

Amen