« Amour confirmé, passage créé : c’est la Pâque de Jésus ! »

Retraite de Pâques autrement

Vendredi saint

Dieu notre Père,
en ce jour où Jésus ton Fils est élevé de terre
et attire tout être humain à lui,
accorde-nous la grâce de nommer tout ce qui en nous va vers la mort,
et de le déposer dans sa mort,
pour que tu nous ressuscites avec lui.
Amen

Introduction à la liturgie

Vendredi saint – Jour du don ultime

Antienne : Venez, adorons et prosternons-nous devant le Christ. Sauve-nous, ô Fils de Dieu. Toi qui fus suspendu sur une croix, nous te chantons, alléluia !

Jour dense, poignant. Dans l’Evangile de St Jean nous suivons Jésus depuis son arrestation jusqu’à sa mort.
Mort pour nous – comment accueillir toujours plus profondément cette réalité ? Solidarité radicale de Dieu avec notre fragilité, notre souffrance, notre péché : « Tout est accompli ! »
Jésus a assumé sa mission à travers luttes et angoisses ; désormais il s’en remet complètement au Père. Avec lui nous pouvons approcher tout ce qui, en nous, mène à la mort, tout ce qui nous empêche de nous ouvrir à la Vie véritable. Rien ne lui est étranger, il traverse nos abîmes. Dans le silence de cette journée, nous pouvons tout lui donner. En buvant le vinaigre sur la croix, il prend sur lui toute l’amertume du monde pour la transformer.

La liturgie de cette journée est sobre : peu de paroles, des psalmodies à l’unisson, des silences. A travers la lecture de courts passages de l’épître aux Hébreux, nous regardons en Jésus le grand Prêtre qui nous ouvre le chemin vers le Dieu inaccessible.

Les deux prières de midi et de 15 heures n’en font qu’une : midi – l’heure de l’élévation de Jésus sur la croix, et 15 heures – l’heure de sa mort. Entre ces deux prières, préservons-nous un espace pour contempler, peut-être pour se promener ou pour approcher du mystère que nous vivons sous une forme artistique.

A midi, après la lecture de l’Evangile, nous faisons silence pour écouter la douleur de Dieu, souffrant avec son Fils, donnant son amour qui est refusé si violemment.

A 15 heures, nous répondons à la lecture de l’Evangile de la mort de Jésus par le chant des Béatitudes, qui acquièrent ici toute leur profondeur de sens – promesse d’un bonheur qui, au delà des apparences, est déjà réalité dans le regard de Dieu. Sur la croix « Jésus remit son Esprit » : dans une vaste intercession nous invoquons cet Esprit sur l’Eglise et sur le monde.
Suit une méditation silencieuse de 10 minutes, en lieu et place de l’Eucharistie dont nous sommes privés cette année : c’est le moment d’accueillir le vide, l’absence.

Office de la sépulture

Cette prière vient de la tradition orthodoxe. Nous sommes au soir du vendredi saint. Tout est accompli. La lutte est terminée. Jésus est mort. Dans les psaumes s’amorce déjà en filigrane le mouvement vers Pâques :

« L’arbre de vie, c’est ta croix, Seigneur » (Antienne du Ps 1)

« Dans la paix je m’endormirai et bientôt je reposerai » (Ps 4)

« Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants » (Ps 116)

C’est l’heure de Joseph d’Arimathée, l’ami discret qui ne paraît qu’à la fin, lorsque tout le monde s’est dispersé. Il offre son propre tombeau, symbolisé dans notre chapelle par l’autel recouvert avec une représentation de Jésus pleuré par sa mère et ses amis. Accompagnés par les chants de Taizé, nous nous avançons pour y déposer des fleurs : démarche permettant à chacun, à son rythme, de prendre congé, et souvent de revivre des deuils encore douloureux. Geste symbolique que chacun, là où il se trouve, peut poser.

Nous nous inscrivons ainsi dans le mouvement du Christ qui passe, à travers la mort, vers la Vie :

Dieu de miséricorde qui veux que nous soyons baptisés en la mort de ton Fils, notre Sauveur, donne-nous une vraie repentance, afin qu’en passant avec lui par les portes du tombeau et de la mort, nous renaissions dans la joie à une vie nouvelle, par Celui qui est mort, qui a été enseveli et qui est ressuscité pour nous, Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen

Vendredi saint

7:15 Prière du matin
10:00 Tierce
12:00 Sexte
15:00 Liturgie de la Croix
19:00 Office de sépulture

Message par le pasteur Jean-Philippe Calame

Jésus visite toute situation

En ce jour de vendredi saint, nous voulons nous poser la question : de quoi est-ce que Jésus nous libère ? Nous en chercherons les signes sur le chemin où il est emmené pour être crucifié.
De quoi est-ce que Jésus nous sauve ? Nous en accueillerons l’annonce dans ce qu’il dit aux femmes qui pleuraient à son sujet.

D’ordinaire, les réalités qui nous éprouvent ont pour effet de nous replier sur nous-même. Dans un premier temps, nous ne parvenons pas à nous détacher des humiliations, agressions, ou injustices impossibles à pardonner… D’habitude nos difficultés et nos souffrances captivent notre attention toute entière. Mais en ce jour de vendredi saint, l’intensité de ce que Jésus va affronter nous incite fortement à fixer nos yeux sur lui.
Tandis que notre penchant naturel est de ramer seuls pour lutter, aujourd’hui – d’une certaine manière – nous voyons Jésus marcher sur les eaux à la rencontre de notre barque. En effet, nous le voyons affronter la violence de toute tempête, pour venir se placer à l’endroit même où l’humanité est souffrante. Dans sa Passion, il rejoint la réalité la plus déconcertante pour l’humanité…

Ainsi, on peut dire que durant son procès et sur le chemin qui le mène au calvaire, Jésus visite des situations concrètes qui symbolisent bien l’ensemble des milieux humains et de ce qui s’y passe. Jésus est conduit et plongé au coeur de problématiques bien représentatives des sources de conflits, d’injustices, d’oppressions et de souffrances. Entre autres :

  • Il connaît la trahison par l’un de ses disciples, et le reniement de la part de celui qu’il a élu comme berger de son Église.
  • Les autorités religieuses sont les premières à lui intenter un procès…
  • Puis vient sa comparution devant les autorités politiques locales, et d’occupation.
  • Parmi ceux qui avaient acclamé sa venue quelques jours auparavant avec enthousiasme, beaucoup se mettent à crier avec tous : « Crucifie-le ! ».
  • En tout point Jésus éprouve l’état douloureux de notre condition humaine, et tout ce qui conduit au découragement. Il souffre l’incompréhension, la critique, le rejet, les élans désordonnés de la foule et l’inconstance de ses plus proches.

Face à ces aspects de la réalité, Jésus atteste sa sagesse et son amour. Tandis qu’il est entraîné de-ci de-là comme un condamné quelconque, nous pouvons pressentir que ces visitations d’un homme aux mains liées annoncent et incarnent qu’il vient délier les chaînes qui entravent les humains, tant au niveau des pouvoirs religieux ou politiques, que dans les rapports entre les diverses couches de la société, et finalement face à toute manifestation du mal.

Oui, durant la Passion, toutes les formes d’oppositions se dévoilent et s’expriment à l’extrême. Mais Jésus saisit l’occasion d’y mettre sa compassion, son pardon, son amour. Le mal a beau élever au maximum sa prétention à occuper toute la place, il se révèle impuissant à décourager la volonté qu’a Jésus de nous sauver. Dans son déploiement ultime, le mal finalement ne parvient qu’à révéler la toute patience de Jésus, la puissance de son amour.

La tristesse qui peut nous venir devant la croix n’est pas d’abord affective. C’est une tristesse ou une émotion qui provient de ce que l’on commence à comprendre que, au travers de la Passion de Jésus, Dieu saisit en lui la misère humaine.
Il prend en charge l’horreur de tout ce qui se développe hors de l’amour, dans l’état de séparation d’avec Dieu qui est la source de la vie. Jésus porte le poids et les conséquences de tout ce qui est « hors de sens » parce que développé hors de l’alliance avec Dieu, en opposition à lui.
La part de souffrance que nous pouvons alors connaître n’est pas une tristesse qui désespère, mais une sorte d’ écho en nous de la souffrance d’amour que le Christ a éprouvée en voyant l’humanité défigurée, dans l’état où la plongent l’éloignement par rapport à Dieu, l’ignorance ou le rejet de son amour.
La forme de souffrance que nous éprouvons alors ne peut pas être séparée de la gratitude. Oui, la reconnaissance s’élargit en nous, l’action de grâce s’approfondit à mesure que nous discernons un tant soit peu de quel abîme que Jésus est venu nous sauver.

Mais il peut arriver aussi que la lecture ou la contemplation de la Passion de Jésus nous laisse comme insensibles. Cette absence de tout ressenti, le fait que l’on puisse être assez distrait, ou éprouver un certain ennui alors même que nous essayons d’accueillir le récit de la Passion, voilà qui nous surprend, voilà qui nous met probablement mal à l’aise.
Ce n’est pas le lieu de « moraliser » cet état. Certes, nous pouvons y reconnaître les limites somme toute étroites de notre capacité à l’empathie, à la compassion, ou à l’amour. Mais nous devons surtout reconnaître en cela un fait : ce que Jésus affronte est au-delà, bien au-delà de ce que nous sommes capables de concevoir. Le combat qu’il mène est au-delà de notre portée. Dans la déclaration de Jésus, disant à ses disciples : « Là où je vais, vous ne pouvez venir », Bernanos lisait l’annonce et la révélation que Jésus allait affronter un abîme dont il nous sauve précisément pour que nous n’ayons pas à le connaître. Cet abîme, c’est : l’absence de Dieu.

Tôt ou tard, et progressivement, la confiance que Jésus maintient envers le Père, précisément dans une nuit qui pour lui est totale, cette confiance va nous apparaître comme le « lieu » où Jésus nous invite à le rejoindre. Car là se trouve le don essentiel qu’il veut nous faire : le don de trouver ou retrouver une confiance de fond envers Dieu qui est son Père et notre Père.
Oui, la foi qui sauve, c’est-à-dire la confiance qui rend l’être humain à la vie, consiste à nous appuyer sur la confiance que Jésus a envers le Père. Ce qui redonne à l’être humain une vie pleine, c’est de pouvoir rejoindre Jésus dans sa propre confiance et de pouvoir y adhérer, de pouvoir dire oui à la foi de Jésus.
Ce que l’on commence à pressentir ici, c’est que le Christ nous attire à lui, qu’il nous appelle et nous invite à entrer dans cette situation d’alliance restaurée où la confiance envers Dieu est rétablie. Là s’exprime déjà pour l’être humain, la guérison, le salut que Jésus a accompli.

Alors que Jésus porte sa croix, il s’arrête pour adresser une parole à des femmes en pleurs. « Le peuple, en grande foule, le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus. Il se retourna et leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Voici venir des jours où l’on dira : “Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté, celles qui n’ont pas allaité !”
Alors on dira aux montagnes : “Tombez sur nous”, et aux collines : “Cachez-nous.” Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? »

Que nous enseigne cet instant ?
Il me semble que cet instant ouvre à la dimension universelle de ce que Jésus est en train d’accomplir. Jésus empêche ces femmes -et nous avec elles- de limiter ce qui se passe à une épreuve terrible qui ne concernerait que sa propre personne.
En orientant autrement la tristesse de ces femmes et la nôtre, Jésus fait voir l’entier de ce qu’il assume en portant sa croix. Il n’est pas « simplement » un éprouvé de plus sur la terre et dans l’histoire des hommes. Il n’est pas un condamné de plus parmi les multitudes qui subissent à raison ou à tort une peine particulière.
Ce que Jésus porte, c’est la totalité du mal et des souffrances générés par les mauvais choix, attitudes, déséquilibres dont les humains se rendent responsables ; tout ce qui fait que survient et s’étend dans le monde des situations où l’on en vient à considérer qu’il vaudrait mieux ne pas avoir d’enfants, tellement les maux de toutes sortes menacent de l’emporter sur la vie, tellement les conditions d’existences deviennent infra-humaines. Le regret d’avoir des enfants représente une gravité extrême, une situation qui menace de tuer jusqu’au désir de vivre. Cette dépression, qui saisit une collectivité aussi bien qu’un individu, incite à se replier, jusqu’à vouloir disparaître de la surface de la terre : « Montagnes, tombez sur nous ; collines, cachez-nous ! ».

Que ce soit en raison d’un aveuglement individuel ou collectif, ou que cela soit sciemment pour des raisons de profits, les humains n’observent pas les lois de la vie. Les déséquilibres qu’ils créent ainsi déclenchent des processus dont ils perdent tôt ou tard la maîtrise. Alors le mal se répand, comme une contagion, comme une pandémie.

La parole que Jésus adresse aux femmes est, une fois de plus, une façon de redire, au coeur de l’épreuve, la totalité de la grâce qu’il apporte. Ce que l’être humain peut et doit pleurer, c’est l’abîme des souffrances et du mal dont l’histoire humaine est marquée. Souvent, le mal prend de telles proportions qu’il devient même impossible d’en reconnaître vraiment la réalité. Cela voisine l’impensable, un état qui ne peut plus être assumé par notre coeur, ni même saisi par notre pensée.
La parole de Jésus aux femmes en pleurs dévoile alors son importance capitale : ce que Jésus porte à cet instant, ce n’est pas seulement sa croix et sa douleur particulière d’être humain. Ce que Jésus porte en sa Passion, c’est l’entier du mal, c’est le mal dans sa partie insaisissable, dans sa dimension « hors capacité ».
C’est précisément là que résonne l’évangile, la bonne nouvelle qui en vérité est à la mesure sans mesure du mal absolu. Ce que Jésus porte en sa Passion, c’est le mal et le néant en ce qu’ils excèdent toute possibilité d’appréhension par la pensée humaine…. En face de tout cela, où l’humain porte cependant une responsabilité, Jésus prononce son amour et en appelle à l’amour qu’il sait être celui du Père : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
C’est précisément ce qui dépasse la capacité d’entendement des humains relativement au mal dont ils sont responsables ou complices, c’est cela que Dieu va pardonner. Comme le disait Paul Evdokimov, « en Jésus sur la croix, Dieu contre Dieu a pris le parti de l’homme ».
En d’autres termes, ce qui est « l’inconcevable », à quoi Dieu n’aurait jamais mis la main, ce qui est « l’inconcevable » pour Dieu lui-même, ce qui est le contraire de Dieu, Dieu le prend en charge comme s’il en était lui-même responsable. Dieu en prend sur lui les conséquences comme s’il en était la source. Ainsi, Dieu délivre l’humain de l’abîme de dé-création auquel ses choix donnent le pouvoir. Les conséquences d’un rejet absolu de Dieu, Dieu les prend sur lui pour en délivrer ses créatures, pour que nous n’ayons pas à connaître l’impensable que nous, nous n’avons pas choisi de refuser totalement.

En cette heure, en ce jour, fixons donc nos yeux sur Jésus-Christ. Que l’accueil de la Passion du Christ nous fasse connaître l’engagement de Dieu par rapport à l’histoire humaine. Face au mal, la réponse de Dieu est de porter, d’emporter le mal, de délivrer l’être humain. Oui, la revanche prend la forme d’un amour plus fort que la mort.

De Ton rivage à mon rivage
il n’y a que ta croix comme passage,
ô Seigneur !

De Ta lumière à ma misère
il n’y a que ta croix comme passage,
ô Seigneur !

De Ton visage à mon image
il n’y a que ta croix comme passage,
ô Seigneur !

Prions pour tous ceux qui sont morts dans la paix ou dans les tourments,
dans la foi ou dans le doute, dans la lumière ou dans les ténèbres,
et prions pour ceux qui se sont enlevés la vie,
afin que le Seigneur notre Dieu les couvre tous de sa miséricorde
et les fasse revivre en lui pour le règne éternel.

Seigneur Dieu,
Toi seul connais les pensées et les cœurs des hommes,
et toi seul juges dans ton infinie miséricorde leurs actions :
Fais resplendir ton visage sur tous les morts, essuie toute larme de leurs yeux
et accueille-les auprès de toi dans ton règne où il n’y a plus ni mort,
ni douleur, ni pleurs, parce que les réalités d’autrefois sont passées
et tout est rendu à la pleine intégrité,
par le Christ, notre unique Seigneur.
Amen.