Nombres 11 ; 24-29
I Corinthiens  12 ; 4-11
Jean 14 ; 1-10

« Que votre cœur ne se trouble pas[1] » L’exhortation indique que l’auteur de l’Évangile s’adresse à des gens perturbés.
Troublé, je le suis aussi, et nous sommes sans doute nombreux à l’être, lorsque nous pensons à l’avenir de toutes nos Églises visibles. Inquiets je le suis en particulier lorsque je pense à l’unité de nos Églises.
Jean s’adresse à une communauté qui doit faire face à l’absence du Jésus terrestre. Un groupe de disciples continuera son chemin sans Sa présence. Jésus, connaissant l’être intérieur des siens appelle à la foi et il les rassure.

« Vous croyez en Dieu croyez aussi en moi ». C’est sans doute par cette première démarche qu’il faut commencer. S’en remettre avec confiance à Jésus le Christ, à son Esprit appelle à un exercice de dé-maîtrise salutaire mais jamais vraiment atteint. Et peut-être heureusement que le détachement n’est jamais complet, car la dé-maîtrise ne doit devenir résignation et simple acceptation du statut quo. La dé-maîtrise peut se conjuguer avec la responsabilité de croyants qui marche depuis Pentecôte dans la dynamique transformatrice du Souffle de Dieu qui les pousse vers autrui.

« Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures ; sinon vous aurai-je dis que j’allais vous préparer le lieu où vous serez.[2] »
Je note, dans ce passage, le jeu subtil entre le présent et le futur. Les demeures sont célestes : elles sont les demeures qui nous permettront de demeurer éternellement auprès de Dieu. Pourtant les différents temps des verbes entre le présent et le futur invite les disciples à faire le lien entre le ciel et la terre. Nous voici invité à habiter pleinement le monde d’ici et maintenant dans la confiance pour ce qui viendra après. Le Christ, l’Envoyé du Père se fait l’intermédiaire entre le monde futur et le temps de notre présent. Mais il le fait aussi spatialement, si j’ose le dire ainsi, entre nos maisons terrestres et les demeures célestes. C’est dans cet Esprit d’espérance que nous sommes appelés à vivre entre autre la relation aux différentes Églises : en partageant leur combat, leurs nécessaires réformes et leurs espoirs. Regarder l’Église et notre société à partir du futur de Dieu signifie simplement ceci : l’Église et le monde ne sont pas seulement ce que nous voyons. Ils sont aussi et surtout ce que nous croyons.
Le lectionnaire, en ce lundi de Pentecôte ouvre une voie originale pour nous redonner de l’espoir. En effet vous avez entendu les versets de la première lettre aux Corinthiens sur l’unité du corps du Christ et la diversité de ces membres. Les deux mots unité et diversité structurent tout le début du texte. Je dirai presque qu’ils viennent comme un refrain. « Il y a diversité de dons mais c’est le même Esprit, diversité de ministères mais c’est le même Seigneur ; il y a divers modes d’action, mais c’est le même Dieu. (…) Et en conclusion à l’énumération de la diversité des dons l’apôtre conclut : Et (en) tout cela c’est le seul et même Esprit qui le produit. [3]»
Il y a quelques années le théologien Oscar Cullmann a écrit un livre intitulé : l’Unité par la diversité [4].
Oui vous avez bien entendu c’est bien par la diversité et non dans la diversité. Le par la diversité ouvre une vision dynamique. Dans la diversité est statique. Dans la diversité peut se muer un constat qui entérine un état de fait et qui nous permet de nous installer dans un côtoiement inoffensif et sans risque. Par la diversité nous pousse à agir, à aller à la rencontre des membres des autres Églises.
Mais plus précisément comment faut-il comprendre cette formule : « L’unité par la diversité » ? Confiant dans le futur ouvert par l’Évangéliste Jean, la formule est construite sur la diversité des dons de l’Esprit et l’unité du corps du Christ.
L’idée centrale du livre se résume ainsi : au lieu de se restreindre en reconnaissant les dons de l’esprit donné seulement à des individus il est possible aussi de reconnaître ces dons donnés à divers groupes et aux différentes Églises. L’interprétation de ce pionnier de l’œcuménisme offre une grandeur de vue et un élargissement de taille qu’il vaut la peine de refaire nôtre aujourd’hui. L’ouverture postulée par Cullmann met en évidence que chaque Église possède des dons particuliers, des dons qu’elle a particulièrement cultivés dans sa tradition et dans son histoire.
Quels sont alors ces charismes qui sont particulièrement mis en évidence dans nos Églises voisines et chez nous-mêmes ?
Les catholiques je cite ont reçu « l’universalisme » qui comprend la capacité à « entourer l’Évangile des formes extérieures qui le préservent de la désintégration ». Les dons du protestantisme résident dans sa capacité de concentration sur le Christ comme unique médiateur et sur la place conférée aux Écritures. Chez les orthodoxes, et nombre d’entre nous l’ont pressenti depuis longtemps, les dons liturgiques et le sens de l’esthétique sont particulièrement visibles.
Reconnaître les charismes de chacune des Églises sur le même mode que celui de nos frères et sœurs humains permet de penser sereinement le rapport à l’unité. L’unité n’est pas l’uniformité. Elle n’est pas une sorte de fusion indistincte qui amalgamerait nos identités. Cette diversité n’est pas un malheur. Elle est, en effet, corroborée par les historiens du christianisme du premier siècle. Chaque communauté, que ce soit les Églises fondées par Paul, la communauté de Marc, de Luc ou encore celle de Jean avait leur physionomie propre, leurs caractéristiques, tout comme chaque personne a sa propre personnalité.
Mais avec la même force et dans le même mouvement il faut souligner que cette diversité ne signifie pas dispersion et séparation.
Les charismes étant divers, leur origine, leur fondement doit rester le même : La foi au Christ, la venue du Royaume de Dieu, la nécessité de mettre en pratique l’Évangile par les Béatitudes, la marche à la suite de Jésus qui va jusqu’au bout de son amour en mourant sur la croix, sa résurrection et son élévation vers le Père. En introduction à notre texte Paul prend bien soin de souligner : Nul ne peut dire Jésus est le Seigneur si ce n’est par l’Esprit saint.[5]

En ce jour de Pentecôte la foi au Souffle de Dieu métamorphose notre intelligence et nos cœurs pour que nous demeurions dans l’ouverture à autrui et autres Églises.
Plutôt que de pointer les déficits et les manques des autres Églises et les nôtres nous pouvons apprendre à discerner dans les Églises sœurs quels sont leurs charismes propres. Pentecôte ce n’est pas seulement l’Esprit Saint pour soi et pour quelques individus. Pentecôte c’est un état d’esprit commun dans la reconnaissance des charismes. Ces derniers ne peuvent être conservés jalousement pour soi et le petit cercle de chrétiens de la même confession. Les charismes n’appartiennent pas à une dénomination particulière. Les charismes peuvent devenir sources de joie quand ils sont compris et reçus comme un service rendu à l’entier de Église et au service pour la société dans laquelle nous vivons. Le dénominateur commun de tous les dons réside dans le service.
Or sur ce point Saint Paul se révèle d’une lucidité sans faille. Hélas les charismes peuvent devenir des sujets de gloriole, de vanité, de divisions. La notion de service rendu à l’unité par la diversité n’est donc pas facultative.

Mais tant que nous restons des humains nous devrons aussi accepter l’imperfection des personnes et de nos Églises. Mais tant que nous demeurons sur terre nous sommes aussi appelés à croire qu’ensemble ces mêmes Églises soient capables de grandes choses.

Dans cette optique le mot de la fin appartient sans doute au théologien américain Stanley Hauerwas. Il dit en effet ceci : « L’Église est un rassemblement extraordinaire de gens extraordinairement ordinaires. »

Amen.

 

[1] Évangile selon Saint-Jean, Chapitre 14, 1a

[2] Évangile selon Saint- Jean, 14, 2

[3] I Co,12, 4 à 11 en partic 4, 5 et 11

[4] Oscar CULLMANN L’unité par la diversité, Paris, Cerf, 1986. Voir aussi Matthieu ARNOLD Au service de l’œcuménisme : Léon-Arthur Elchinger et Oscar Cullmann in Positions luthériennes 68ème année No 1 janvier-mars 2020.p.69 à 93

[5] I Cor 12 ;3