Vendredi saint

Vendredi saint

« Amour confirmé, passage créé : c’est la Pâque de Jésus ! »

Retraite de Pâques autrement

Vendredi saint

Dieu notre Père,
en ce jour où Jésus ton Fils est élevé de terre
et attire tout être humain à lui,
accorde-nous la grâce de nommer tout ce qui en nous va vers la mort,
et de le déposer dans sa mort,
pour que tu nous ressuscites avec lui.
Amen

Introduction à la liturgie

Vendredi saint – Jour du don ultime

Antienne : Venez, adorons et prosternons-nous devant le Christ. Sauve-nous, ô Fils de Dieu. Toi qui fus suspendu sur une croix, nous te chantons, alléluia !

Jour dense, poignant. Dans l’Evangile de St Jean nous suivons Jésus depuis son arrestation jusqu’à sa mort.
Mort pour nous – comment accueillir toujours plus profondément cette réalité ? Solidarité radicale de Dieu avec notre fragilité, notre souffrance, notre péché : « Tout est accompli ! »
Jésus a assumé sa mission à travers luttes et angoisses ; désormais il s’en remet complètement au Père. Avec lui nous pouvons approcher tout ce qui, en nous, mène à la mort, tout ce qui nous empêche de nous ouvrir à la Vie véritable. Rien ne lui est étranger, il traverse nos abîmes. Dans le silence de cette journée, nous pouvons tout lui donner. En buvant le vinaigre sur la croix, il prend sur lui toute l’amertume du monde pour la transformer.

La liturgie de cette journée est sobre : peu de paroles, des psalmodies à l’unisson, des silences. A travers la lecture de courts passages de l’épître aux Hébreux, nous regardons en Jésus le grand Prêtre qui nous ouvre le chemin vers le Dieu inaccessible.

Les deux prières de midi et de 15 heures n’en font qu’une : midi – l’heure de l’élévation de Jésus sur la croix, et 15 heures – l’heure de sa mort. Entre ces deux prières, préservons-nous un espace pour contempler, peut-être pour se promener ou pour approcher du mystère que nous vivons sous une forme artistique.

A midi, après la lecture de l’Evangile, nous faisons silence pour écouter la douleur de Dieu, souffrant avec son Fils, donnant son amour qui est refusé si violemment.

A 15 heures, nous répondons à la lecture de l’Evangile de la mort de Jésus par le chant des Béatitudes, qui acquièrent ici toute leur profondeur de sens – promesse d’un bonheur qui, au delà des apparences, est déjà réalité dans le regard de Dieu. Sur la croix « Jésus remit son Esprit » : dans une vaste intercession nous invoquons cet Esprit sur l’Eglise et sur le monde.
Suit une méditation silencieuse de 10 minutes, en lieu et place de l’Eucharistie dont nous sommes privés cette année : c’est le moment d’accueillir le vide, l’absence.

Office de la sépulture

Cette prière vient de la tradition orthodoxe. Nous sommes au soir du vendredi saint. Tout est accompli. La lutte est terminée. Jésus est mort. Dans les psaumes s’amorce déjà en filigrane le mouvement vers Pâques :

« L’arbre de vie, c’est ta croix, Seigneur » (Antienne du Ps 1)

« Dans la paix je m’endormirai et bientôt je reposerai » (Ps 4)

« Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants » (Ps 116)

C’est l’heure de Joseph d’Arimathée, l’ami discret qui ne paraît qu’à la fin, lorsque tout le monde s’est dispersé. Il offre son propre tombeau, symbolisé dans notre chapelle par l’autel recouvert avec une représentation de Jésus pleuré par sa mère et ses amis. Accompagnés par les chants de Taizé, nous nous avançons pour y déposer des fleurs : démarche permettant à chacun, à son rythme, de prendre congé, et souvent de revivre des deuils encore douloureux. Geste symbolique que chacun, là où il se trouve, peut poser.

Nous nous inscrivons ainsi dans le mouvement du Christ qui passe, à travers la mort, vers la Vie :

Dieu de miséricorde qui veux que nous soyons baptisés en la mort de ton Fils, notre Sauveur, donne-nous une vraie repentance, afin qu’en passant avec lui par les portes du tombeau et de la mort, nous renaissions dans la joie à une vie nouvelle, par Celui qui est mort, qui a été enseveli et qui est ressuscité pour nous, Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen

Vendredi saint

7:15 Prière du matin
10:00 Tierce
12:00 Sexte
15:00 Liturgie de la Croix
19:00 Office de sépulture

Message par le pasteur Jean-Philippe Calame

Jésus visite toute situation

En ce jour de vendredi saint, nous voulons nous poser la question : de quoi est-ce que Jésus nous libère ? Nous en chercherons les signes sur le chemin où il est emmené pour être crucifié.
De quoi est-ce que Jésus nous sauve ? Nous en accueillerons l’annonce dans ce qu’il dit aux femmes qui pleuraient à son sujet.

D’ordinaire, les réalités qui nous éprouvent ont pour effet de nous replier sur nous-même. Dans un premier temps, nous ne parvenons pas à nous détacher des humiliations, agressions, ou injustices impossibles à pardonner… D’habitude nos difficultés et nos souffrances captivent notre attention toute entière. Mais en ce jour de vendredi saint, l’intensité de ce que Jésus va affronter nous incite fortement à fixer nos yeux sur lui.
Tandis que notre penchant naturel est de ramer seuls pour lutter, aujourd’hui – d’une certaine manière – nous voyons Jésus marcher sur les eaux à la rencontre de notre barque. En effet, nous le voyons affronter la violence de toute tempête, pour venir se placer à l’endroit même où l’humanité est souffrante. Dans sa Passion, il rejoint la réalité la plus déconcertante pour l’humanité…

Ainsi, on peut dire que durant son procès et sur le chemin qui le mène au calvaire, Jésus visite des situations concrètes qui symbolisent bien l’ensemble des milieux humains et de ce qui s’y passe. Jésus est conduit et plongé au coeur de problématiques bien représentatives des sources de conflits, d’injustices, d’oppressions et de souffrances. Entre autres :

  • Il connaît la trahison par l’un de ses disciples, et le reniement de la part de celui qu’il a élu comme berger de son Église.
  • Les autorités religieuses sont les premières à lui intenter un procès…
  • Puis vient sa comparution devant les autorités politiques locales, et d’occupation.
  • Parmi ceux qui avaient acclamé sa venue quelques jours auparavant avec enthousiasme, beaucoup se mettent à crier avec tous : « Crucifie-le ! ».
  • En tout point Jésus éprouve l’état douloureux de notre condition humaine, et tout ce qui conduit au découragement. Il souffre l’incompréhension, la critique, le rejet, les élans désordonnés de la foule et l’inconstance de ses plus proches.

Face à ces aspects de la réalité, Jésus atteste sa sagesse et son amour. Tandis qu’il est entraîné de-ci de-là comme un condamné quelconque, nous pouvons pressentir que ces visitations d’un homme aux mains liées annoncent et incarnent qu’il vient délier les chaînes qui entravent les humains, tant au niveau des pouvoirs religieux ou politiques, que dans les rapports entre les diverses couches de la société, et finalement face à toute manifestation du mal.

Oui, durant la Passion, toutes les formes d’oppositions se dévoilent et s’expriment à l’extrême. Mais Jésus saisit l’occasion d’y mettre sa compassion, son pardon, son amour. Le mal a beau élever au maximum sa prétention à occuper toute la place, il se révèle impuissant à décourager la volonté qu’a Jésus de nous sauver. Dans son déploiement ultime, le mal finalement ne parvient qu’à révéler la toute patience de Jésus, la puissance de son amour.

La tristesse qui peut nous venir devant la croix n’est pas d’abord affective. C’est une tristesse ou une émotion qui provient de ce que l’on commence à comprendre que, au travers de la Passion de Jésus, Dieu saisit en lui la misère humaine.
Il prend en charge l’horreur de tout ce qui se développe hors de l’amour, dans l’état de séparation d’avec Dieu qui est la source de la vie. Jésus porte le poids et les conséquences de tout ce qui est « hors de sens » parce que développé hors de l’alliance avec Dieu, en opposition à lui.
La part de souffrance que nous pouvons alors connaître n’est pas une tristesse qui désespère, mais une sorte d’ écho en nous de la souffrance d’amour que le Christ a éprouvée en voyant l’humanité défigurée, dans l’état où la plongent l’éloignement par rapport à Dieu, l’ignorance ou le rejet de son amour.
La forme de souffrance que nous éprouvons alors ne peut pas être séparée de la gratitude. Oui, la reconnaissance s’élargit en nous, l’action de grâce s’approfondit à mesure que nous discernons un tant soit peu de quel abîme que Jésus est venu nous sauver.

Mais il peut arriver aussi que la lecture ou la contemplation de la Passion de Jésus nous laisse comme insensibles. Cette absence de tout ressenti, le fait que l’on puisse être assez distrait, ou éprouver un certain ennui alors même que nous essayons d’accueillir le récit de la Passion, voilà qui nous surprend, voilà qui nous met probablement mal à l’aise.
Ce n’est pas le lieu de « moraliser » cet état. Certes, nous pouvons y reconnaître les limites somme toute étroites de notre capacité à l’empathie, à la compassion, ou à l’amour. Mais nous devons surtout reconnaître en cela un fait : ce que Jésus affronte est au-delà, bien au-delà de ce que nous sommes capables de concevoir. Le combat qu’il mène est au-delà de notre portée. Dans la déclaration de Jésus, disant à ses disciples : « Là où je vais, vous ne pouvez venir », Bernanos lisait l’annonce et la révélation que Jésus allait affronter un abîme dont il nous sauve précisément pour que nous n’ayons pas à le connaître. Cet abîme, c’est : l’absence de Dieu.

Tôt ou tard, et progressivement, la confiance que Jésus maintient envers le Père, précisément dans une nuit qui pour lui est totale, cette confiance va nous apparaître comme le « lieu » où Jésus nous invite à le rejoindre. Car là se trouve le don essentiel qu’il veut nous faire : le don de trouver ou retrouver une confiance de fond envers Dieu qui est son Père et notre Père.
Oui, la foi qui sauve, c’est-à-dire la confiance qui rend l’être humain à la vie, consiste à nous appuyer sur la confiance que Jésus a envers le Père. Ce qui redonne à l’être humain une vie pleine, c’est de pouvoir rejoindre Jésus dans sa propre confiance et de pouvoir y adhérer, de pouvoir dire oui à la foi de Jésus.
Ce que l’on commence à pressentir ici, c’est que le Christ nous attire à lui, qu’il nous appelle et nous invite à entrer dans cette situation d’alliance restaurée où la confiance envers Dieu est rétablie. Là s’exprime déjà pour l’être humain, la guérison, le salut que Jésus a accompli.

Alors que Jésus porte sa croix, il s’arrête pour adresser une parole à des femmes en pleurs. « Le peuple, en grande foule, le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus. Il se retourna et leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Voici venir des jours où l’on dira : “Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté, celles qui n’ont pas allaité !”
Alors on dira aux montagnes : “Tombez sur nous”, et aux collines : “Cachez-nous.” Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? »

Que nous enseigne cet instant ?
Il me semble que cet instant ouvre à la dimension universelle de ce que Jésus est en train d’accomplir. Jésus empêche ces femmes -et nous avec elles- de limiter ce qui se passe à une épreuve terrible qui ne concernerait que sa propre personne.
En orientant autrement la tristesse de ces femmes et la nôtre, Jésus fait voir l’entier de ce qu’il assume en portant sa croix. Il n’est pas « simplement » un éprouvé de plus sur la terre et dans l’histoire des hommes. Il n’est pas un condamné de plus parmi les multitudes qui subissent à raison ou à tort une peine particulière.
Ce que Jésus porte, c’est la totalité du mal et des souffrances générés par les mauvais choix, attitudes, déséquilibres dont les humains se rendent responsables ; tout ce qui fait que survient et s’étend dans le monde des situations où l’on en vient à considérer qu’il vaudrait mieux ne pas avoir d’enfants, tellement les maux de toutes sortes menacent de l’emporter sur la vie, tellement les conditions d’existences deviennent infra-humaines. Le regret d’avoir des enfants représente une gravité extrême, une situation qui menace de tuer jusqu’au désir de vivre. Cette dépression, qui saisit une collectivité aussi bien qu’un individu, incite à se replier, jusqu’à vouloir disparaître de la surface de la terre : « Montagnes, tombez sur nous ; collines, cachez-nous ! ».

Que ce soit en raison d’un aveuglement individuel ou collectif, ou que cela soit sciemment pour des raisons de profits, les humains n’observent pas les lois de la vie. Les déséquilibres qu’ils créent ainsi déclenchent des processus dont ils perdent tôt ou tard la maîtrise. Alors le mal se répand, comme une contagion, comme une pandémie.

La parole que Jésus adresse aux femmes est, une fois de plus, une façon de redire, au coeur de l’épreuve, la totalité de la grâce qu’il apporte. Ce que l’être humain peut et doit pleurer, c’est l’abîme des souffrances et du mal dont l’histoire humaine est marquée. Souvent, le mal prend de telles proportions qu’il devient même impossible d’en reconnaître vraiment la réalité. Cela voisine l’impensable, un état qui ne peut plus être assumé par notre coeur, ni même saisi par notre pensée.
La parole de Jésus aux femmes en pleurs dévoile alors son importance capitale : ce que Jésus porte à cet instant, ce n’est pas seulement sa croix et sa douleur particulière d’être humain. Ce que Jésus porte en sa Passion, c’est l’entier du mal, c’est le mal dans sa partie insaisissable, dans sa dimension « hors capacité ».
C’est précisément là que résonne l’évangile, la bonne nouvelle qui en vérité est à la mesure sans mesure du mal absolu. Ce que Jésus porte en sa Passion, c’est le mal et le néant en ce qu’ils excèdent toute possibilité d’appréhension par la pensée humaine…. En face de tout cela, où l’humain porte cependant une responsabilité, Jésus prononce son amour et en appelle à l’amour qu’il sait être celui du Père : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
C’est précisément ce qui dépasse la capacité d’entendement des humains relativement au mal dont ils sont responsables ou complices, c’est cela que Dieu va pardonner. Comme le disait Paul Evdokimov, « en Jésus sur la croix, Dieu contre Dieu a pris le parti de l’homme ».
En d’autres termes, ce qui est « l’inconcevable », à quoi Dieu n’aurait jamais mis la main, ce qui est « l’inconcevable » pour Dieu lui-même, ce qui est le contraire de Dieu, Dieu le prend en charge comme s’il en était lui-même responsable. Dieu en prend sur lui les conséquences comme s’il en était la source. Ainsi, Dieu délivre l’humain de l’abîme de dé-création auquel ses choix donnent le pouvoir. Les conséquences d’un rejet absolu de Dieu, Dieu les prend sur lui pour en délivrer ses créatures, pour que nous n’ayons pas à connaître l’impensable que nous, nous n’avons pas choisi de refuser totalement.

En cette heure, en ce jour, fixons donc nos yeux sur Jésus-Christ. Que l’accueil de la Passion du Christ nous fasse connaître l’engagement de Dieu par rapport à l’histoire humaine. Face au mal, la réponse de Dieu est de porter, d’emporter le mal, de délivrer l’être humain. Oui, la revanche prend la forme d’un amour plus fort que la mort.

De Ton rivage à mon rivage
il n’y a que ta croix comme passage,
ô Seigneur !

De Ta lumière à ma misère
il n’y a que ta croix comme passage,
ô Seigneur !

De Ton visage à mon image
il n’y a que ta croix comme passage,
ô Seigneur !

Prions pour tous ceux qui sont morts dans la paix ou dans les tourments,
dans la foi ou dans le doute, dans la lumière ou dans les ténèbres,
et prions pour ceux qui se sont enlevés la vie,
afin que le Seigneur notre Dieu les couvre tous de sa miséricorde
et les fasse revivre en lui pour le règne éternel.

Seigneur Dieu,
Toi seul connais les pensées et les cœurs des hommes,
et toi seul juges dans ton infinie miséricorde leurs actions :
Fais resplendir ton visage sur tous les morts, essuie toute larme de leurs yeux
et accueille-les auprès de toi dans ton règne où il n’y a plus ni mort,
ni douleur, ni pleurs, parce que les réalités d’autrefois sont passées
et tout est rendu à la pleine intégrité,
par le Christ, notre unique Seigneur.
Amen.

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour jeudi saint, 9 avril 2020

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour jeudi saint, 9 avril 2020


Warning: Undefined array key 28249 in /home/clients/0a8e70a9e984dbb1c5f2cbde90b5d657/web/new/wp-content/plugins/jetpack/modules/carousel/jetpack-carousel.php on line 888

LE VIATIQUE NÉCESSAIRE.

Le repas de la Pâque relie ceux qui y participent à l’événement de la sortie d’Égypte. C’est un repas « que nos pères prirent debout, le bâton en main, prêts à partir…1 » Exode 12, 11. Cela représente un climat particulier. Il y a l’immense espérance soulevée par l’annonce d’une libération prochaine, alors que l’on ployait depuis des années sous l’oppression et l’esclavage. Il y a la fébrilité des préparatifs de départ, un mélange de joie, d’espoirs et de craintes. Chacun est sur le qui-vive, l’imprévu et l’inconnu soudent dans une même solidarité tous les membres du peuple. Le dernier repas répond aussi à une nécessité toute concrète : il constitue le viatique indispensable pour tenir bon en chemin, pour assumer la première étape dont personne ne connaît la durée.

La Parole de Jésus, qui commande : « Ceci est mon corps, donné pour vous. Prenez et mangez-en tous ! » retentit dans ce contexte de la libération réalisée par l’exode. Jésus est le Messie, l’Envoyé de Dieu qui incarne et réalise la Parole : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple… j’ai entendu ses cris sous les coups…. Oui, je connais ses souffrances.» Exode 3, 7.  Aussi vrai que Moïse a mené le peuple hors d’Égypte, aussi vrai que Dieu a frayé pour son peuple un passage au milieu de la mer, Jésus pratique un passage au travers de la mort pour toute l’humanité. Jésus, en sa Passion, accomplit pour la multitude une libération de toute forme de néant, une sortie de tout anéantissement.

« J’ai désiré d’un vif désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! », dit alors Jésus à ses disciples. Luc 22. 15. Rendons-nous attentifs à ce vif désir dont Jésus nous fait part. Si nous voulons être en communion avec lui, si nous l’aimons, accueillons ce désir. Jésus a hâte de libérer les êtres humains de tout esclavage. Il lui tarde que nous entrions dans l’unité qu’il partage avec le Père.

Désir et angoisse coexistent en Jésus : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » Luc 12, 50.
Lors de ce dernier repas, l’atmosphère devait être lourde. L’un des plus proches de Jésus allait le trahir, et tous se demandaient de qui il parlait ainsi. L’heure était grave et en même temps en Jésus était l’élan de joie propre à la délivrance, l’élan de joie suscité par l’oeuvre du Père. Or, cette œuvre concerne le monde tel que nous le connaissons et le jeu des forces qui nous dépassent.
Il est remarquable qu’à l’heure où Jésus s’apprête à soutenir un combat d’une portée universelle et cosmique, il connaisse aussi le désir de vivre la simple rencontre des présences humaines. Le lien avec ses disciples donne son sens au combat qu’il affronte

À cette heure-là , Jésus « sachant que le Père a tout mis entre ses mains et qu’il retourne à Dieu comme il est venu de Dieu, se lève de table, dépose ses vêtements et passe une serviette dans sa ceinture ; il verse de l’eau dans une cuvette et commence à laver les pieds des disciples ».
Un dialogue naît de ce geste inconcevable : «Pierre dit à Jésus : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répond : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi.»  Jean 13, 8.
Puis, lorsque Jésus a repris place à table, il poursuit :  « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. Amen, amen, je vous le dis : un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’envoie. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites.» Jean 13, 12b-17.

Se pose toujours désormais la question : Acceptons-nous ce Seigneur ? Acceptons-nous qu’il nous entraîne sur cette voie ? « Heureux êtes-vous, si vous le faites », dit Jésus. Voulons-nous faire cette pâque, ce passage vers ce style de vie incarné par le Fils de Dieu ? Ou ferions-nous le choix de dire : « Je ne mange pas de ce pain-là ? ».

Jésus a lavé les pieds de ses disciples pour que l’on puisse dire : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire : « Il règne, ton Dieu ! » Esaïe 52, 7. Jésus a purifié chez ses disciples l’orgueil, le coeur de toute forme de suffisance, pour qu’ils soient trouvés limpides en annonçant l’évangile. Jésus demande à ses disciples de prendre la dernière place, car c’est là qu’ils attesteront par leur élan la Joie du royaume. Jésus demande à chacun des siens de se faire serviteur, en commençant par être serviteur des sœurs et des frères si connus, tout proches, afin que naisse communion mutuelle capable d’attirer un grand nombre vers la force de relations nouvelles….

Le repas de la Pâque, qui rend présent l’événement de la sortie d’Égypte, nous place donc à l’heure d’un départ, au seuil d’une mise en route. Or, ce qui va nourrir les pèlerins de la nouvelle Pâque, c’est l’être même de l’Agneau de Dieu : sa Personne et sa manière d’être au monde.

« Ceci est mon corps, ceci est mon sang » : c’est la présence de tout son être, c’est la réalité de sa Personne à laquelle Jésus nous donne part. Comme il arrive que l’on soit nourri par la présence, les propos et les actes d’une personne, Jésus nous offre de nous nourrir de sa propre vie. Et notamment d’assimiler ce qui le nourrit lui-même : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. » … « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre.» Jean 4, 31-34.

Accueillons-nous l’offre que nous fait Jésus de manger de ce pain-là ? Est-ce que nous adhérons au fait que la vraie nourriture d’une existence humaine est de faire la volonté du Père ? C’est le chemin de la nouvelle Pâque, c’est le déplacement auquel Jésus nous appelle. C’ est le passage qu’il nous ouvre pour nous faire entrer dans une existence de service envers quiconque.

Frères et sœurs, la situation que nous vivons actuellement nous fait reprendre conscience de tout ce que nous devons aux autres.

Ce que je dois aux autres…
En français, cette phrase a deux significations. Il y a ce que je sais avoir reçu des autres. Je leur dois les soins, l’éducation, une formation, d’heureuses découvertes… C’est le versant de la gratitude, toujours première puisque fondamentalement, c’est la vie elle-même que je tiens de ceux qui me l’ont donnée ! Jésus nous éduque ouvertement à la reconnaissance envers tous, envers quiconque. « Celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis : il ne perdra pas sa récompense. » Matthieu 10, 42. « Qui n’est pas contre nous est pour nous ». Marc 9, 40.

Par ailleurs, il y a ce que je me dois de donner aux autres, et c’est le versant du service. Au soir du jeudi saint, Jésus enseigne l’un et l’autre : le service dont j’ai été bénéficiaire, et le service que je suis appelé à donner. Mais le second n’est possible que si j’ai pris conscience du premier. C’est dans la reconnaissance pour ce que j’ai reçu que s’enracine le service véritable -et durable- pour autrui.
Selon ce que Jésus dévoile et accomplit, nous découvrons que le service que nous pouvons assumer est toujours précédé du service que Jésus accomplit en notre faveur. Seul l’accueil d’être servi par le Seigneur, l’acceptation d’être d’abord servi par lui, permet aux disciples d’entrer dans un service généreux qui cependant ne s’épuise pas et n’épuise pas.

Mais il y a encore une réalité de plus à recevoir. Une heureuse « stupeur » devrait nous saisir, une stupeur qui établit à jamais toute forme de service dans la reconnaissance . C’est que, à l’horizon de toute mission que nous puissions assumer brille un étonnant retournement : au Jour de l’accomplissement, le Seigneur ressuscité mettra sa Joie à nous servir, il nous accueillera…. en Serviteur 

« Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. En vérité, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir… ». Luc 12, 37.
Ainsi donc, non seulement dans le passé Jésus a pris la place du dernier des serviteurs en lavant les pieds de ses disciples, mais à la fin, il reprendra cette place ! Sa Joie sera encore de servir ceux qu’il a sauvés ! Amen.

1« Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur ». Exode 12, 11.
Jeudi saint

Jeudi saint

« Amour confirmé, passage créé : c’est la Pâque de Jésus ! »

Retraite de Pâques autrement

Jeudi saint

Seigneur notre Dieu,
en ce jour où nous faisons mémoire du dernier repas
que Jésus a partagé avec ses amis
et dont il fit le sacrement de l’Alliance éternelle,
augmente notre désir de participer à Sa Pâque,
et accorde à tous les humains d’entrer dans la plénitude de vie
par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur.
Amen

Introduction à la liturgie

Jeudi saint – une journée concentrant plusieurs mouvements

Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus ; nous célébrons ta Résurrection : nous attendons ta venue dans la gloire 

Une fête se prépare : La Pâque juive, fête de la libération de l’esclavage par Dieu qui voit la souffrance de son peuple. La tradition chrétienne a fait coïncider le dernier repas de Jésus et de ses disciples avec le séder, c’est-à-dire le repas qui est au centre de la Pâque juive.

C’est une journée d’adieu : Jésus vit son dernier jour avec ses disciples, partage avec eux son dernier repas, dernière Pâque qu’ils célèbrent ensemble.

Jésus donne son héritage :

  • L’Eucharistie où il se livre pour toujours à ses proches sous la forme du pain et du vin
  • Le lavement des pieds où il pose les fondements de toute communauté chrétienne : l’amour fraternel et le service mutuel, à la suite de Jésus qui est lui-même amour et service
  • Les discours d’adieu (Jn 14-18a) où il console et fortifie ses disciples – promesse de sa présence, sous une autre forme, jusqu’à la fin des temps

Jésus se révèle le serviteur souffrant :
L’ambiance de fête se change en angoisse. Lui, qui était le maître, devient impuissant, livré à l’ignorance et à la méchanceté des détenteurs du pouvoir. En fin de journée, à l’heure de son arrestation, Jésus lutte à Gethsémani. Par amour il se livre tout entier entre les mains d’une humanité qui ne comprend pas, qui ne voit pas.

La liturgie suit ces mouvements :

  • La prière du matin rappelle à la fois la fête de la Pâque en Deutéronome et la préparation du repas pascal que Jésus va vivre avec ses disciples. Déjà la passion s’annonce dans les psaumes et la lecture des lamentations de Jérémie : « Jérusalem, Jérusalem, reviens au Seigneur ton Dieu ».
  • A midi nous faisons mémoire du lavement des pieds.
  • Le soir, avant la célébration à la chapelle, nous prenons en communauté un repas qui rappelle le séder et nous lisons la péricope de la sortie d’Egypte en Ex 12,1-15
  • La célébration de 19h00 commence avec le psaume 136 (qui clôt traditionnellement le seder) – pont entre deux réalités qui s’entremêlent : la Pâque juive et l’institution de l’Eucharistie sur laquelle nous mettons maintenant l’accent.
    Mais comment faire mémoire de l’institution de l’Eucharistie dans un temps où nous en sommes privés ? Avec un moment de prière silencieuse après le chant « Je vous laisse ma paix » accompagnant le geste de paix : adoration silencieuse devant la réalité du cadeau que Jésus nous a fait, dans Sa présence toujours offerte. Mémorial eucharistique que nous achevons par une prière d’action de grâce.    
  • Vient alors un moment charnière où le ton de la célébration change : tandis que nous chantons le Psaume 22 (cité par Jésus au moment de sa mort), nous « dépouillons » la chapelle. Les signes de fête sont enlevés : la nappe blanche sur l’autel, les fleurs. Dans une semi-obscurité où seul un lumignon est laissé, nous suivons Jésus et ses disciples à Gethsémani.
  • La lecture des discours d’adieu (environ 30 minutes après la célébration) et le chant « Meine Seele ist zu Tode betrübt » (« Mon âme est triste à en mourir ») ouvrent ensuite sur une nuit de prière.

L’horaire et tous les textes de la liturgie sont accessibles sur la page « Prier en direct avec nous». Et de votre côté, chez vous, y-aurait-t-il moyen de signifier ces différents accents de la journée, dans une créativité sollicitant tous vos sens, afin d’entrer de tout votre être dans ce chemin ? Une image, un bouquet de fleurs, un repas, de la musique – autant de moyens pouvant aider à se rendre présent aux événements.

Jeudi saint

7:15 Prière du matin
10:00 Tierce
12:00 Sexte
15:00 None
19h célébration de jeudi soir
20:30 lecture du discours des Adieux
Nuit de prière avec Jésus à Gethsémané

Message par le pasteur Jean-Philippe Calame

Ma vie, c'est moi qui la donne

Dans l’accomplissement d’un même amour
qui l’unit avec le Père, Jésus atteste jusqu’au bout sa liberté

« Ma vie, personne ne me la prend, c’est moi qui la donne. »
« Le Père et moi, nous sommes UN ».

En ce jeudi saint, deux clés nous ouvrent un chemin d’approche des événements de la Pâque de Jésus.
Nous avons déjà fait usage de la première clé pour ouvrir cette retraite, en rappelant que c’est par Amour que Jésus affronte – au lieu de les esquiver – les événements violents de sa Passion et de sa crucifixion. « Jésus, qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, voulut les aimer jusqu’au bout, à l’extrême.» Jean 13,1.
Par cette parole, Jean exprime la tonalité de fond qu’il a lui-même reconnue aux événements de la Passion. Il a appris à les voir à partir de ce qui habite le cœur de Jésus : son amour.

En lien direct avec cette note de fond, nous avons affirmé que pour Dieu, la souffrance n’a aucune valeur en soi. Si Jésus est devenu, particulièrement en sa Passion, un « familier de la souffrance » Esaïe 53, 3. , c’est en tant que serviteur de la volonté qu’il partage avec le Père, le dessein de (re-)conduire tout homme à la vie.

Certains Pères de l’Église, notamment Origène, ont reconnu dans le personnage du Bon Samaritain de la parabole de Luc, la figure de Jésus venu guérir l’humanité blessée. L’un des usages de cette parabole peut donc être de nous préparer à comprendre quel amour et quel enjeu de salut motivent Jésus à affronter la Passion.

Avec ce regard, nous discernons qu’en réalité Jésus prend en charge – plus qu’il ne les subit – les situations qui caractérisent sa dernière semaine à Jérusalem. Par sa manière d’assumer librement et avec amour les conséquences des perversions du coeur humain, Jésus réalise en fait une visitation de toutes les formes du mal, pour en venir à bout. La force et la réalité de son amour vont se révéler plus grandes que les abîmes du mal. Lui, l’homme enchaîné, délivre ainsi l’humanité de toutes les formes d’esclavages qui la rendent captive des forces mortifères.
Aux jours de sa Passion, Jésus n’évite aucune forme de mal, afin d’ accomplir une œuvre précise : enfouir, dans les tourmentes du monde et les profondeurs du mal, le levain de son amour. Il retourne les situations mortifères en occasions d’alliance par l’appel que sur la croix il adresse au Père : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font.» Jean 23,34.

La deuxième clé apte à nous ouvrir une compréhension de la Passion de Jésus est l’unité du Père, du Fils et du Saint Esprit. Lorsque nous méditons la Passion de Jésus, il est capital que nous nous rappelions cette unité. Il est capital que nous écoutions Jésus nous dire et nous révéler : « Moi et le Père, nous sommes UN ».
Un saint témoin de l’Église orthodoxe serbe exprime ainsi cette unité : « Le Père aime tant le Fils qu’il est tout entier dans le Fils, et le Fils aime tant le Père qu’il est tout entier dans le Père ; et l’Esprit Saint est avec amour tout entier dans le Père et dans le Fils. Le Fils de Dieu en témoigne en ces mots : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » 1.

On pourrait dire aussi, comme le suggère l’icône de la Trinité, que le Père et l’Esprit soutiennent les bras de la croix où Jésus se donne.

Il me semble qu’il est fécond de reconnaître que l’unité de Jésus avec le Père est dynamique. En Dieu lui-même l’unité est pour ainsi dire toujours le fruit d’un libre choix. L’unité du Fils éternel avec le Père constitue la source de sa liberté de Fils, en même temps que cette unité suppose de sa part un choix constant. Telle est la vérité de sa filiation au Père, dans son éternité comme dans son incarnation. Telle est la vérité de son identité qu’il vient traduire et accomplir dans la condition humaine. Il dévoile ainsi quelle relation d’alliance et de filiation Dieu veut rétablir avec tout être humain. Jésus en inaugure la possibilité par la manière dont lui-même a librement déployé et accompli sa relation filiale d’unité avec le Père tout au long de sa vie terrestre. Dans les conditions mélangées qui sont celles de la création, blessée par l’adhésion des humains à des choix contraires, l’unité avec le Père a été à chaque instant le fruit d’un libre choix de Jésus, de la crèche jusqu’à la croix.

Ainsi, loeuvre d’amour que Jésus accomplit n’est pas seulement un choix qu’il fait librement face au Père, mais une voie dans laquelle il s’engage en communion avec le Père. Selon l’évangile, Jésus n’agit jamais isolément. « Amen, amen, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait. Il lui montrera des œuvres plus grandes encore, si bien que vous serez dans l’étonnement. Comme le Père, en effet, relève les morts et les fait vivre, ainsi le Fils, lui aussi, fait vivre qui il veut .» Jean 5, 19-21.

« Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, continuez à ne pas me croire. Mais si je les fais, même si vous ne me croyez pas, croyez les œuvres. Ainsi vous reconnaîtrez, et de plus en plus, que le Père est en moi, et moi dans le Père.» Jean 10, 37-38.

Même lorsque est venue l’heure où Jésus, livré à la solitude, doit confirmer son choix de manière ultime, il confesse la communion qui l’unit au Père, et la parfaite concordance de leur volonté concernant le dessein de guérir et sauver l’humanité : « Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! ». Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore ». Jean 12, 27-28.

Au soir du jeudi saint, à l’heure du dernier repas, Jésus nous est présenté comme « …sachant que le Père a remis toutes choses entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il va vers Dieu». Jean 13, 1. Jésus est donc dans une entière possession de tous ses moyens. Il est même au maximum de lucidité et de « maîtrise » qu’un être humain puisse atteindre : il sait d’où il vient et où il va. Il sait aussi la totale confiance du Père à son égard. Il a une parfaite connaissance de l’Amour du Père : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés». 1 Timothée 2, 4. «Voici ce que veut celui qui m’a envoyé: que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour ». Jean 6, 39.

Jésus a littéralement tout en main. Le Père lui a tout remis. Tout est laissé à sa liberté. Tout est suspendu à son choix. Dans cette liberté entière, que fait Jésus? Que choisit-il?

« Il se lève » (il adopte la posture du prophète qui va parler au milieu d’une foule; l’enseignant, lui, est assis);
« Il dépose son manteau » (comme il a déposé sa gloire divine; comme il « déposera » sa vie); « et il commence à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge noué à sa taille». Jean 13, 4-5.

Avec la même liberté entière, Jésus fera le choix de donner sa vie :
« Ma vie, personne ne me l’enlève mais je m’en dessaisis de moi-même.» Jean 10, 17-18.
C’est ainsi qu’il peut dire à Pilate : «Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais pas reçu d’en haut.» Jean 19, 11. Et encore: « Ma royauté n’est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux autorités. Mais non, ma royauté n’est pas d’ici-bas.» Jean 18, 36. Et à Pierre qui brandit l’épée pour le défendre et empêcher son arrestation: « Crois-tu que je ne pourrais pas faire appel à mon Père et il m’enverrait sur-le-champ douze légions d’anges ? ». Matthieu 26, 53.
« Jésus, dans sa parole comme dans son silence montre jusqu’au bout une liberté souveraine 2».

Cette même liberté de Jésus, Marc la met en scène à sa manière. Dans l’ensemble de son Évangile, Dieu n’intervient presque pas, en tout cas presque jamais directement : une voix – c’est la manière la plus directe, la plus explicite ; des anges, un jeune homme ; des messagers.
Jésus est montré dans son humanité, dans la condition où Dieu l’a envoyé en mission. Dès le baptême, où est déclarée son identité, Jésus est jeté dehors, dans la situation d’un humain placé face au choix de faire ou non confiance au lien proclamé avec Dieu. Un Dieu à l’origine de la vie, un Dieu qui pour l’être humain, selon Marc, est un partenaire discret ne diminuant aucunement la liberté de sa créature. Or, cette liberté que la créature est appelée à vivre en alliance avec Dieu, Jésus la maintient face à toute forme d’esprit ou d’influence dont le rôle serait de lui offrir une autre voie, une facilité séduisante qui à terme serait révélerait comme une forme d’esclavage ou d’addiction. Jésus maintient sa vraie liberté humaine en résistant à toute influence dont le rôle serait de lui faciliter de manière trompeuse la prise en charge de sa condition et de sa vocation de créature.

Dans la présentation que Marc donne du Fils de Dieu, Jésus appelle quiconque à partager son positionnement et sa liberté. Il le fait de la manière suivante :
« Si quelqu’un veut me suivre (sur le chemin de liberté qui est la mienne), qu’il se renie lui-même (qu’il ne cherche pas à trouver sa vérité en sauvant sa peau), qu’il prenne sa croix (qu’il me suive sur le chemin de liberté qui est la mienne). Porter sa croix signifie ici : adopter la liberté d’être humain à la manière de Jésus. Porter sa croix signifie choisir la liberté telle que Jésus l’a incarnée, et en porter les conséquences dans un monde qui reste mélangé.

Jésus explique : «  Car quiconque veut sauver sa vie la perdra… ». Oui, ce qui perd l’être humain, c’est de vouloir se sauver soi-même, d’être la seule référence de sa propre vie, d’être le seul garant de sa personne.
Au contraire, Jésus a accompli entièrement et parfaitement ce que signifie « tenir la place d’un être humain qui demeure créature de Dieu », car jamais il n’est sorti de la situation d’alliance avec Dieu proclamée par la voix qui au baptême l’a désigné bien-aimé, Fils de Dieu.
Jésus n’a jamais voulu se sauver lui-même, il a gardé intacte sa liberté de suivre et créer son existence humaine comme partenaire de Dieu, ne retranchant rien ni de sa responsabilité propre de créature, ni de sa relation de confiance envers Dieu.
« Vouloir » se sauver c’est déjà, dans l’intention même, une déviance, une défiguration de la filiation confiante par rapport au Créateur et Père. Vouloir se sauver soi-même, c’est glisser vers le projet de maîtriser son existence d’une façon qui engendre nécessairement le repli sur soi. Vouloir se sauver soi-même coupe de fait et profondément la relation tant avec les autres humains qu’avec Dieu lui-même. Les ambitions et les prétentions aussi ruineuses qu’égoïstes ou orgueilleuses naissent de là.

Dans le projet de Dieu, la mort elle-même devait être pour l’être humain un événement appartenant à la confiance. Dans le dessein de Dieu, la mort ne devait être que l’occasion de s’en remettre fondamentalement à son Créateur, une manière ultime de rassembler et de donner à Dieu une confiance expérimentée tout au long de l’existence. À l’inverse, les composantes de violence, de regret, de culpabilité, de souffrances diverses liées à la mort sont le fruit amer des choix d’indépendance et d’opposition répétés par l’être humain à l’égard de Dieu, à l’égard d’autrui et à l’égard des lois de la vie.
Au sein même de ce qui a ainsi rendu la mort effrayante, Jésus est le seul à avoir vécu sa propre mort comme un don ultime de lui-même, en parfaite solidarité avec tout être humain. Lui qui n’avait jamais quitté le lien d’attention créatrice envers le Père a choisi d’assumer dans sa mort jusqu’à l’absence totale de Dieu, situation qui serait le lot d’un réprouvé. Jésus a précisément assumé cela, pour que nous n’ayons pas le connaître.

Par sa parole, par son Évangile, Jésus annonce qu’il transmet cette liberté permettant à l’être humain de se recevoir des mains de Dieu et de pouvoir librement se donner. En faisant de sa vie et de sa personne l’expression sans faille d’une confiance totale au Créateur, Jésus a inscrit dans le tissu de l’histoire l’accomplissement d’une existence conforme à l’identité de créature humaine se sachant aimée de Dieu.

Jésus sur la croix est insulté. On se moque de lui et on le provoque en l’incitant à descendre de la croix, à se sauver lui-même…. S’il le faisait, Jésus sortirait en réalité de la condition propre à une créature humaine. Alors son parcours n’aurait plus d’influence sur notre réalité. La force du renoncement manifestée ici par Jésus illustre sa volonté inflexible de se solidariser avec la condition humaine là-même où elle est marquée par les conséquence du mal. La force du renoncement de Jésus manifeste la vigueur de sa liberté et annonce la puissance qui sera attestée par sa résurrection.

Voyant comment il avait expiré, le soldat qui était là déclara : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! ». Voici la bonne nouvelle ! En une phrase voici tout l’évangile !
« Vraiment cet homme était Fils de Dieu » (non pas « Cet homme était le fils de Dieu, mais fils de Dieu »). Le Fils éternel de Dieu a réalisé pour tout le genre humain l’accomplissement d’une existence en vérité humaine ! Il a répondu sans faille à la vocation adressée à quiconque de vivre en humain fils ou humain fille de Dieu. Face à toutes les formes de distance ou de rejet de Dieu présentes au monde, Jésus a confirmé jusqu’au bout sa liberté de demeurer fils de Dieu. Il en a assumé le prix, il a fait au genre humain le don de tenir bon, inaugurant la possibilité pour quiconque de le suivre sur ce chemin de confiance, certes à l’ombre de la croix, mais dans la vérité d’alliance avec le Père.
La vérité de l’existence humaine c’est que l’être humain est appelé à vivre une filiation créatrice et de confiance avec Dieu. Pour l’être humain, c’est déjà prendre part à la vie de Dieu que d’habiter la terre en alliance avec lui.

« Il était au milieu des bêtes sauvages et les anges le servaient ». Ainsi est présenté Jésus au seuil de l’évangile. Deux images symboliques contrastées suffisent à résumer non seulement la situation et l’identité du Fils de Dieu en son incarnation, mais aussi celle de tout humain qui grandit avec, en son être comme en son entourage, un monde habité de forces « sauvages », tout en étant créature de Dieu dont les anges symbolisent ici l’attention constante et l’offre d’alliance aussi réelle que discrète, une alliance soumise à la liberté de choix de l’être humain.

À la dernière page de l’Evangile, on lira : « Les femmes ne dirent rien à personne » au sujet de Jésus ressuscité. On peut déjà, à l’heure où Jésus va, par sa mort, jusqu’à l’extrême de la confiance, entendre un appel précis  adressé à chaque lecteur de l’évangile: «Les femmes ne dirent rien à personne »….  toi, fais confiance, et parle ! » C’est un appel qui s’adresse à chaque baptisé-e et à chaque communauté visible de baptisés : Toi, fais confiance, parle ! C’est-à-dire continue l’histoire du don de la confiance ; continue dans l’histoire, sur les pas de Jésus, le choix possible d’entrer dans sa liberté ! Et donc en toutes circonstances, que celles-ci soient heureuses ou particulièrement difficiles, ose adhérer à la liberté d’être toi-même, à savoir d’être fils, fille de Dieu comme Jésus l’a réalisé entièrement. Avec lui, grâce à lui, sois en ton humanité un fils, une fille de Dieu ! Sois un être d’alliance, un-e témoin de la confiance !

* * *

Indications visant à favoriser la prière, la méditation.

« Ô Jésus, par tes blessures, tu me rends toujours plus fort… ».
Quelle force cherchons-nous à accueillir en ce jour ?
Qu’est-ce qui exige de la force ?
– Voir le monde dans sa réalité.
Oui, être solidaire des souffrances est en notre temps particulièrement éprouvant.
Ils sont nombreux, les innocents condamnés qui tombent sous les coups
et à qui l’on arrache la vie en un instant.
Attentats, guerres, famines, exil, chômage, dépression…
La violence et la souffrance accablent l’humanité.

À force de voir les images et d’entendre les commentaires
nos cœurs saturés se protègent et risquent de se fermer.
C’en est trop… la répétition et l’accumulation finissent par nous insensibiliser.

Un grand croyant âgé disait : « Pour voir le monde vraiment tel qu’il est, il faudrait tenir la main de Dieu et n’ouvrir les yeux que quelques instants… ».

« Ô Jésus, par tes blessures, tu me rends toujours plus fort… ».
La Passion de Jésus est pour nous la force
capable de soutenir et élargir notre cœur…
parce que Jésus dans sa Passion nous montre
à quel point il insère en toute situation
la présence et l’amour de Dieu.
Rien n’est parvenu à diminuer l’amour de Jésus pour les êtres humains.

Risquons-nous donc sur cette route de prière
qu’est la méditation de la Passion du Christ.
Elle libérera notre miséricorde engourdie,
elle réveillera notre compassion,
elle enracinera notre confiance
et affermira notre espérance.

« Père très saint, Créateur de toute vie,
ton Fils Jésus s’est librement donné,
jusqu’à son sang répandu,
pour délivrer chaque être humain des forces de la mort.
Sois proche en notre temps de toute personne
qui connaît des souffrances inexprimables
et de nos semblables dont la vie est menacée ou anéantie.
Dans ta bonté, maintiens ta providence
et permets que le cours des événements du monde
soient infléchis vers ta volonté de guérison, de justice et de paix.
Que ton Église se consacre à ton service avec une confiance renouvelée,
et qu’elle s’engage avec constance pour la libération et le salut de tout être humain,
en union avec Jésus, le Christ, notre Seigneur.
– Amen. »

1Nicolas Velimirovitch, cité par D. BOURGUET dans L’Évangile médité par les Pères. Jean, Ed. Olivetan, Lyon, 2010, p.182.

2Olivier CLÉMENT, Joie de la Résurrection. Variations autour de Pâques, Salvator, Paris, 2015, p.23.

Mercredi saint

Mercredi saint

« Amour confirmé, passage créé : c’est la Pâque de Jésus ! »

Retraite de Pâques autrement

Mercredi saint

Seigneur Dieu,
ton Fils Bien-Aimé a affronté pour nous l’accusation,
l’abandon, la souffrance et la mort sur la croix;
donne-nous par ton Saint Esprit de comprendre ce qu’Il a fait et accompli.
Que ta grâce repose sur le peuple juif, sur l’Eglise et sur toutes les familles de la terre.
Nous te le demandons au Nom de Jésus, notre Seigneur.
Amen

Introduction à la liturgie

Mise en route

Comment vivre Pâques autrement ? Sans culte, sans sainte Cène, sans célébrations en commun ? Chacun dans sa maison, dans son appartement, seul ou en famille ?

Afin de vivre ces jours en étant pleinement conscient du mystère qui y est célébré, il est bon de se donner de l’espace. Un espace libéré des nouvelles envahissantes, des distractions qui dispersent, des inquiétudes nourries quotidiennement par des réflexions sans issue.

Donner un espace pour la prière, pour le silence, pour des promenades là où elles sont possibles, pour toute chose qui aide à se poser.

Un espace pour écouter, se laisser toucher, entrer dans la profondeur de ce récit pascal toujours nouveau parce qu’il touche à des réalités inhérentes à nos existences, de tous temps : la vie, la mort, l’amitié et la trahison, notre soif de paix et notre incapacité à la vivre, la souffrance de l’innocent et la méchanceté impunie   – et dans tout cela : l’amour sans limites, Dieu fait homme qui descend jusque dans nos nuits les plus obscures pour nous prendre avec Lui dans la lumière. Mouvement toujours recommencé et toujours nouveau, événement survenu il y a 2000 ans et pourtant actuel.

La liturgie nous prend par la main de multiples manières :

  • Par les Evangiles qui, depuis le dimanche des Rameaux déjà, nous racontent la Passion de Jésus
  • Par des Psaumes qui, vacillant entre angoisse et confiance, s’acheminent progressivement vers la joie de la victoire de la vie sur la mort
  • Par des liens avec le Premier Testament, avec la tradition du peuple de Jésus, tradition dont lui-même a été pétri
  • Par des interprétations des Ecritures ouvrant nos cœurs à l’intelligence de la mort inexplicable de Jésus – et de sa résurrection encore moins compréhensible
  • Par des icônes qui nous racontent à leur manière les événements
  • Par des mélodies et tonalités qui peuvent nous toucher plus profondément que les paroles

Par quel moyen Dieu veut-Il me rejoindre, moi ? De quel côté est-ce que je me sens attiré ? A chacun de trouver sa manière de vivre ces jours. A chacun de s’arrêter là où le cœur est touché, ce pauvre cœur souvent inquiet et soucieux en ce temps d’incertitude, ce cœur en attente d’une libération, de quelque chose de neuf.

Pour se préparer ce soir aux jours qui viennent, pourquoi ne pas commencer par faire un peu d’ordre ? Par aménager chez soi un coin-prière – espace en attente d’une rencontre ?… Au seuil de ces jours saints, je peux y déposer mes craintes, mes deuils, mes questions, mes attentes, mes désirs, mon amour, dans les mains de Celui qui déjà m’attend.

Et dire tout simplement : « Me voici »

Mercredi saint

7:15 Prière du matin
10:00 Tierce
12:00 Sexte
15:00 None
18:30 Prière du soir
20:30 Complies

Message par le pasteur Jean-Philippe Calame

Ouverture de la retraite

Vivre la semaine sainte est un immense privilège ! En effet, prendre des moyens et prendre le temps de nous rendre présents à ce que Jésus a accompli durant les derniers jours de sa vie terrestre nous conduit au coeur de la foi chrétienne.

En ces jours, c’est une Personne, Jésus-Christ, que nous allons suivre. Une bénédiction résume bien le fruit attendu de notre approfondissement de la semaine sainte :

« Que la Passion et la Résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ soient
pour vous, pour toi,
la source unique et intarissable d’espérance et d’affermissement
dans la vie en Alliance avec notre Dieu ».

La confiance des chrétiens ne s’appuie pas sur une théorie ou un système de pensée. La confiance de la foi chrétienne se fonde sur l’expérience d’une relation vivante avec Jésus. Or, la dernière semaine que Jésus a vécue à Jérusalem est l’événement le plus décisif pour toute l’histoire humaine. Durant ces jours Jésus a rassemblé toute l’oeuvre de Dieu en faveur des êtres humains. Par la manière dont Jésus s’est donné, il a concentré et confirmé l’Amour envers tous qu’il partage avec le Père.

Il n’y a pas de meilleure source pour l’espérance que cet aujourd’hui de Jésus faisant un avec ce qu’il a accompli. Il n’existe pas de plus grande force pour la confiance que le don de lui-même réalisé par Jésus dans les événements de sa Pâque.
Nous touchons là à l’événement le plus décisif de toute l’histoire humaine. Pour l’approcher, il s’agit de prendre connaissance du témoignage des évangiles et des Écritures, qui éclaire la Passion et la Résurrection de Jésus. Alors, nous entrevoyons ce qui habite le coeur de Dieu lui-même ; et cela, au milieu des conditions ordinaires de l’existence, une existence où se mêlent lumière et ténèbre, élans généreux et actions bénéfiques d’une part, violences et abîme des réalités mortifères d’autre part.
Comme l’ont exprimé avec force des personnes ayant découvert la foi chrétienne après un long et sérieux périple de recherche : à cause de Jésus et de ce qu’il a porté, la foi chrétienne se distingue par la capacité de prendre en charge et de tenir ensemble les extrêmes de la réalité, le meilleur et le pire dont l’homme puisse être acteur ou témoin.

Durant les jours de sa Passion et de sa Résurrection, Jésus a noué la gerbe de tout ce qu’il avait annoncé, enseigné et illustré au cours des trois ans de son ministère public. Il a signé et confirmé toutes les solidarités manifestées auprès des personnes et des situations les plus diverses, avec une attention sans faille pour les plus oubliés et les plus souffrants. Eh bien, ce qu’il a ainsi montré de lui-même et de Dieu, vaut pour tous les siècles et pour toutes les situations. « Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui, et éternellement ». Hébreux 13, 8.
Ce habite le coeur de Dieu nous apparaît dans ce que Jésus a signé au travers de sa Pâque. En quoi consiste la force de Jésus aujourd’hui, nous le découvrons dans sa manière d’être et de se donner aux jours de sa Passion et dans la réalité de sa Résurrection.

À quiconque désire s’approcher davantage du Christ et mieux le connaître, on peut déjà souhaiter de faire l’expérience  suivante : prendre le temps de lire lentement, et d’accueillir, le témoignage d’un récit de la Passion dans l’un des évangiles, depuis l’entrée de Jésus à Jérusalem jusqu’à sa mort puis l’annonce de sa Résurrection.

Comment se rendre ainsi disponible, comment se rendre présent aux événements de la Passion et de la Résurrection de Jésus ?

Cela peut prendre la forme simple d’une ou deux heures mises à part pour lire, méditer et contempler un évangile de la Passion, par étapes, dans le silence d’un lieu propice, ou au cours d’une marche lente et paisible. C’est aussi ce qui est offert de manière plus ample et progressive par les offices de la semaine sainte et des jours de Pâques.
Se rendre présent signifie se rendre disponible par l’attitude et l’attention de notre corps, de notre intelligence, de nos diverses facultés. C’est l’attention de notre être réel que nous mettons à disposition. Toutes nos facultés sont participantes, comme il en va pour toute rencontre de personne à personne. Suivre Jésus dans le mystère de sa Pâque sera davantage qu’une découverte intellectuelle.
Pareillement, approcher la souffrance du Christ sera d’un autre ordre qu’un ressenti émotionnel ou affectif habituel. L’apôtre Paul dit clairement : « Il s’agit de connaître le Christ, avec la communion à ses souffrances et la puissance de sa Résurrection ». Philippiens 3,10-11. C’est donc une grâce que nous demandons. Car il ne s’agit pas de partir de notre connaissance de la souffrance pour imaginer celle du Christ. Il s’agit, dans une grande gratuité, de nous disposer à découvrir quelles sont ses souffrances à Lui, et de quelle manière Il les porte. En d’autres termes, dans les situations que Jésus traverse durant cette semaine, qu’est-ce qui lui fait prendre la parole ? Qu’est-ce qui l’incite à se taire, à garder le silence ? À cause de quoi verse-t-il des larmes ? Qu’est-ce qui le fait souffrir, lui ?

Avec l’aide de l’Esprit Saint, notre coeur peut approcher ce qui habite le cœur de Jésus alors qu’Il vit sa Passion.
Il s’agit donc de demander la grâce de pouvoir « être là », « être avec Jésus », et de s’attendre avec une grande confiance à un don particulier : que l’Esprit Saint nous donne connaissance des sentiments qui sont en Jésus-Christ ; que l’Esprit Saint saisisse nos pensées, notre intelligence, notre affectivité, afin que nous soyons pendant ces jours non pas dans une exaltation de nos sentiments habituels ou affectifs, mais que nous recevions des sentiments spirituels, c’est-à-dire une perception donnée par l’Esprit Saint. C’est lui qui nous accorde de percevoir un peu ce qui habite le coeur du Christ. De diverses manières, l’Esprit Saint « nous donne le Christ et nous donne au Christ. »

Une communauté temporaire…

Aujourd’hui, au seuil de cette retraite, et même si nous ne pouvons être physiquement ensemble en un même lieu, prenons conscience que nous ne cheminons jamais seul-e. Nous faisons partie d’une famille, d’un peuple, d’un Corps, d’une communion dont Dieu est la source, Jésus le centre, et L’ Esprit Saint l’artisan.
Cette communion est destinée à s’élargir. Elle n’est pas réservée à quelques-uns : elle offerte à l’ensemble de l’humanité. La petite communauté temporaire qui participe à cette retraite en est une parcelle « visible ».

Nous vivons cette année la retraite et la semaine sainte dans une situation pénible qui nous attriste profondément par les diverses formes de souffrances qu’elle engendre. Nous demandons à Dieu que précisément la Pâque de son Fils renforce notre amour envers tous, approfondisse notre espérance, nous permette de mieux saisir de quelles manières Jésus est présent et accompagne toute situation, à quel point l’Esprit Saint vient en aide aujourd’hui, et notamment combien il agit par tout être humain de bonne volonté.

La solitude imposée par l’actuelle pandémie nous rend plus consciemment solidaires de la multitude de nos frères et sœurs humains qui affrontent seuls des épreuves que nous peinons à imaginer.
Quant à la communion fraternelle dans l’Église, puissions-nous l’approfondir aussi, dans l’esprit de foi qui inspirait D. Bonhoeffer lorsqu’il écrivait la première page de son livre « De la vie communautaire » :
« Si (…) dans la période qui va de la mort du Christ aux derniers jours, des chrétiens peuvent vivre avec d’autres chrétiens dans une communauté déjà visible sur la terre, ce n’est en fait que par une sorte d’anticipation miséricordieuse du royaume à venir. C’est Dieu qui, dans sa grâce, permet l’existence dans le monde d’une telle communauté, réunie autour de la Parole et du Sacrement. Cette grâce n’est pas accessible à tous les croyants.
Les prisonniers, les malades, les isolés de la dispersion, les prédicateurs missionnaires sont seuls. Ils savent, eux, que l’existence d’une communauté visible est une grâce. Leur prière est celle du psalmiste : « Je me rappelle avec effusion de cœur quand je marchais entouré de la foule et que je m’avançais à sa tête vers la maison de Dieu, au milieu des cris de joie et des actions de grâce d’une multitude en fête » Psaume 42,5.
Beaucoup de chrétiens restent isolés, comme les grains d’une semence que Dieu a voulu disperser. Cependant, ils saisissent d’autant plus intensément par la foi ce qui leur demeure refusé en tant qu’expérience sensible. C’est ainsi que l’apôtre Jean, l’auteur de l’apocalypse, exilé dans la solitude de l’île de Patmos, célèbre le culte céleste « En Esprit, le jour du Seigneur » Apocalypse 1,10, avec toutes les églises. Les sept chandeliers qu’il voit sont les églises, les sept étoiles, leurs anges ; au centre, et dominant l’ensemble, il voit Jésus-Christ, le Fils de l’Homme, dans la gloire de sa résurrection. Il est fortifié et consolé par sa Parole. Tel est, au jour anniversaire de la résurrection de son Seigneur, la communauté céleste qui remplit la solitude de l’apôtre exilé ».

En écrivant cela, D. Bonhoeffer avait en vue le fait que les chrétiens sont souvent dispersés dans des milieux hostiles à l’évangile. Alors, ce qui les tient fermement, c’est la perspective que Dieu lui-même les répand comme les graines dans un champ…
Aujourd’hui, ce qui nous tient éloignés physiquement les uns des autres est fort différent. Ce n’est pas une intention divine qui nous tient éloignés, mais un virus face auquel la sagesse pratique impose de se tenir confinés temporaire. Cependant, l’isolement nous guette, et pour le transformer en solitude créatrice, le positionnement et le regard de foi de D. Bonhoeffer nous apportent un précieux rappel. Il est vrai aussi, poursuit D. Bonhoeffer, que «  … pour le chrétien, la présence sensible d’autres frères constitue une source incomparable de joie et de réconfort.
A la fin de sa vie, l’apôtre Paul prisonnier, ne peut contenir le désir qui le fait appeler auprès de lui, dans sa prison, « Timothée, son bien-aimé fils dans la foi », il veut le revoir et l’avoir à ses côtés.
(…) à travers la présence d’un frère en la foi, le croyant peut louer le créateur, le sauveur et le rédempteur, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Le prisonnier, le malade, le chrétien isolé reconnaissent, dans un frère qui les visite, un signe visible et miséricordieux de la présence du Dieu Trinitaire. C’est la présence réelle du Christ qu’ils éprouvent lorsqu’ils se voient et leur rencontre est comme une rencontre de joie. La bénédiction qu’ils se donnent est comme celle de Jésus-Christ lui-même. Si donc une seule rencontre entre deux croyants comporte déjà une telle joie, quel trésor inépuisable de béatitude ne s’ouvre-t-il pas pour ceux auxquels Dieu permet de vivre journellement dans la communion d’autres croyants ! ».

C’est ici l’occasion de remercier nos sœurs de Grandchamp, qui ont choisi de saisir un moyen moderne de communication pour favoriser le lien entre nous qui vivons à distance la retraite. Merci pour les tâches supplémentaires qu’elles assument depuis ces dernières semaines, pour nous offrir cette possibilité de marcher ensemble autrement.

Le titre donné à notre retraite indique la réalité à laquelle nous souhaitons nous ouvrir.

AMOUR CONFIRMÉ, PASSAGE CRÉÉ : C’EST LA PÂQUE DE JÉSUS”.

AMOUR CONFIRMÉ

Les évangiles, en particulier celui de Jean, nous font saisir que Jésus n’a pas été surpris par le rejet et les sévices marquant les jours de sa Passion. La violence à son égard ne lui est pas tombée dessus à l’improviste comme un virus. À différentes reprises, il avait annoncé à ses disciples jusqu’où irait l’opposition grandissante envers lui.
Ainsi, Jésus n’a nullement été le jouet des événements ou des être humains. Il a choisi de ne pas « sauver sa peau ». Pourquoi ? La réponse à cette question demande beaucoup de silence pour être approfondie… beaucoup de silence et de l’attention, probablement jusqu’à la fin de notre vie, pour que se façonnent en nous les éléments de réponse qui fondent la confiance en Dieu. Mais un élément central, une voie, une piste tient en ceci : Jésus a voulu, dans une situation extrême, alors que tout se tournait contre lui, maintenir et confirmer son amour et celui de son Père envers les êtres humains. De sa mort, Jésus a fait un don pour la vie de tous. Le choix de ne pas esquiver la violence aveugle envers lui a été sa manière ultime d’apposer sa signature à tous les gestes et paroles par lesquels il avait proclamé l’amour inépuisable de Dieu, sa proximité, son Oui, en particulier en faveur des plus rejetés et des plus oubliés.

Jésus savait que son heure était venue et qu’il devait passer de ce monde au Père ; lui qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, il voulut les aimer jusqu’au bout. Jean 13, 1.

C’est une parole clé pour aborder la Passion de Jésus. « Il voulut les aimer jusqu’au bout ». La Passion, le fait que Jésus n’ait pas voulu « sauver sa peau », c’est un mystère d’amour.

Dieu n’a aucune complicité avec le mal, affirme Jean dans sa première lettre. Dieu n’est que lumière, en lui point de ténèbre. Voir 1 Jean 1,5. Dieu n’a pas davantage de complicité avec la souffrance. Celle-ci n’a aucune vertu en elle-même. Jésus ne consent à souffrir qu’en raison du dessein (ou projet) qu’il partage avec le Père : apporter son amour, comme un levain de vie, dans ce qui détruit et nie la vie, établir la présence de Dieu là où tout prétend nier Dieu.

Nous sommes donc invités, au début de la retraite de Pâques, à orienter correctement notre quête. Nous cherchons à discerner comment et à quel point l’amour de Dieu se confirme même et surtout dans le tissu d’événements tragiques.
Durant ces jours, à la lumière des textes bibliques et des célébrations liturgiques, nous suivons Jésus pour pressentir – et parfois saisir – à quel point les événements de la semaine sainte fondent le plus solidement l’espérance : au coeur des réalités les plus sombres, Jésus donne le dernier mot à la volonté du Père qui est de donner la vie, là où la mort -toute forme de mort- prétend tenir une place.
Nous verrons à quel point « la Passion et la Résurrection de Jésus-Christ sont pour chacun-e la source intarissable d’espérance et d’affermissement ».

PASSAGE CRÉÉ

On le sait, Pâque signifie Passage. La Passion et la Résurrection de Jésus ont créé, au centre de l’histoire humaine qui se poursuit, une situation nouvelle. Nous partons à la découverte de cette nouveauté offerte à jamais dans le quotidien de notre existence. Nous chercherons quel(s) passage(e) il nous est demandé de faire, quel(s) seuil(s) nous pouvons franchir, du fait que Jésus est mort et ressuscité.

LA PÂQUE DE JÉSUS

Cette expression au singulier « la Pâque de Jésus » suggère l’unité des divers et nombreux événements qui se déroulent, depuis l’entrée de Jésus à Jérusalem jusqu’à ses premières apparitions comme Ressuscité. Tout cela constitue la Pâque du Seigneur. Il n’y a pas d’une part la Passion et la mort de Jésus, et d’autre part sa Résurrection. En tout cela s’est manifestée l’oeuvre Unique, incomparable, que Dieu a accomplie.
Méditer les textes bibliques, adhérer de tout son coeur aux prières et aux chants de la liturgie durant toute la semaine sainte et les jours du temps de Pâques, tout cela nous nous aide à percevoir l’unité de cette œuvre que Dieu a accomplie pour la guérison de l’humanité, pour le salut de l’être humain, pour que nous lui appartenions, que nous restions en relation avec Lui et qu’il nous partage sa vie dès maintenant et à jamais.

Reconnaissons-le, la retraite de Pâques représente une chance irremplaçable d’aller au coeur de la foi chrétienne, à la racine de l’espérance : l’attestation de l’amour infini de Dieu. Méditer et contempler la Pâque de Jésus va nous conduire à nous décentrer de nous-même pour nous ouvrir à ce que Jésus fait, vit, éprouve, donne…
De cette manière nous réaliserons davantage ce qu’Il a accompli pour nous, pour tous.

* * *

En appui, pour votre méditation je vous propose deux brefs textes :

Jean 10, 11-16

Jésus dit :
Je suis le bon berger.
Le bon berger donne sa vie pour les brebis.

Le salarié est tout différent du vrai berger ; les brebis ne sont pas siennes, et lorsqu’il voit venir le loup, il s’enfuit laissant là les brebis ; le loup s’en empare et les disperse. C’est qu’il est là seulement pour le salaire et les brebis ne l’intéressent pas.

Je suis le bon berger et je connais les miens comme ils me connaissent, tout comme le Père me connaît et moi je connais le Père.

Et je donne ma vie pour les brebis.

J’ai d’autres brebis qui ne sont pas dans ce parc. Celles-là aussi je dois aller les chercher et elles entendront mon appel ; elles ne feront plus qu’un seul troupeau avec un seul berger.

Jean 12, 23-26

Alors Jésus déclara : « L’heure est venue où le Fils de l’Homme va être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis :

si le grain de blé ne tombe pas en terre pour y mourir, il reste seul. C’est quand il meurt qu’il porte beaucoup de fruits. Celui qui tient à sa vie la détruit, mais celui qui méprise sa vie dans ce monde la sauvegarde pour la vie éternelle.

Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur ; si quelqu’un me sert, le Père saura le récompenser.

Maintenant je suis dans un grand trouble. Je pourrais dire : Père, épargne-moi cette épreuve ! Mais je suis venu précisément pour connaître cette heure. Père, glorifie ton Nom ! » À ce moment une réponse vint du ciel : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »

« Seigneur, notre Dieu et notre Père,
qui de tout temps et jusqu’à ce que nous Te voyons face à face,
nous tiens dans ton regard d’amour, d’espérance et d’attention,
nous te supplions de nous faire avancer vers une connaissance de Jésus
qui soit une connaissance d’expérience.

Que notre cœur saisisse quelque chose de ses souffrances,
des abîmes en raison desquels il a donné sa vie,
de ce qui est intolérable et qui est en même temps ce pour quoi
il a donné son pardon et imploré ton pardon.

Que nous devenions ainsi sensibles à la puissance de son amour,
la puissance de ton amour
qui a permis et librement donné la résurrection.

Que notre cœur s’ouvre à ce qui habite le cœur
de ton Fils bien-aimé, Jésus, le Christ :
que s’éclaire pour nous de quel abîme il nous sauve,
de quels maux il nous guérit,
et que nous percevions ainsi la puissance de sa Résurrection.

Nous te le demandons à toi, Père,
qui nous permets de te connaître à travers Jésus-Christ
et qui nous donnes confiance et foi
par l’Esprit Saint, l’hôte de nos coeurs, de nos personnes.
Amen. »