Homélie du pasteur Raoul Pagnamenta, 18 février 2024

Homélie du pasteur Raoul Pagnamenta, 18 février 2024

Genèse 22

Il y a quelques années le synode de notre Église avait décidé de reformuler la sixième demande du Notre Père.
L’ancienne formule « ne nous soumets pas à la tentation », avait été changée par « ne nous laisse pas entrer en tentation ».
Cela ne correspond pas à la version grecque, mais c’était plus facile à entendre.
Car l’idée que Dieu puisse tenter est inacceptable.

Et pourtant c’est ce qui arrive dans ce récit.
Dieu met à la preuve Abraham.
Une preuve inhumaine, celle de sacrifier son fils.
Ou peut-être pas !
ça dépend comment on lit ce récit.
Peut-être la vraie tentation ce n’est pas une épreuve que Dieu nous donne.
La vraie tentation, c’est Dieu lui-même.
Ce Dieu qui est différent de ce qu’on imagine.
Qu’on n’arrive pas à saisir par nos efforts et qu’on ne veut pas saisir lorsqu’il se manifeste.

Ne nous soumets pas à la tentation équivaut alors à dire, permets-nous de t’accueillir tel que tu es sans te réduire aux images que nous nous faisons de toi.
Une paraphrase pourrait être ce que Jésus dit aux messagers de Jean au chapitre 11 de l’évangile de Matthieu : Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute.

Abraham fait preuve d’une obéissance sans tache quand il accepte de monter sur le mont Moriah pour sacrifier Isaac.
Mais qui lui demande de sacrifier son fils ?
Dans le texte hébreu Dieu dit littéralement : fait monter ton fils Isaac sur la montagne. L’expression « faire monter » signifie parfois « sacrifier à Dieu » et plus spécifiquement quand il s’agit d’un holocauste, car on fait monter la fumée vers les hauteurs.
Mais on n’est pas obligé de le comprendre comme ça.
La première signification reste celle de « faire monter » et on peut bien comprendre que Dieu ait simplement demandé à Abraham de faire monter Isaac sur la montagne qu’il lui indiquerait, dans une autre intention.

Tout dépend du contexte.
Et le contexte de Abraham, c’est qu’il vit au milieu d’un peuple païen.
Et le sacrifice d’enfants était pratiqué.
Aujourd’hui aussi on les pratique, sous d’autres formes plus civilisées. Et parfois on le pratique au nom de Dieu.
A l’époque d’Abraham, on tuait des enfants avec un couteau et on les brûlait sur un autel pour faire plaisir à tel ou tel dieu et obtenir ses faveurs.

Abraham avait un autre Dieu que les idoles du moyen Orient, mais sa façon de comprendre le mot Dieu, de comprendre le vocabulaire qu’on utilise quand on veut parler de Dieu était fortement influencé par son éducation et par ce qu’il entendait autour de lui.

Nous ne sommes pas épargnés de ça. Quand nous utilisons le mot Dieu, nous le comprenons comment ? Quand nous utilisons le mot « justice », le mot « péché », nous les comprenons comment ? Est-ce que notre compréhension est due à une lecture assidue de la bible et à des heures de méditation et de prière, ou bien nous pensons savoir ce que ces mots signifient et nous les comprenons comme on nous les a transmises et comme les comprennent nos contemporains, au point que parfois nous nous demandons si croire ou pas croire fait une différence.
Nous faisons des dégâts avec notre mauvaise compréhension de Dieu.
Ceux qui nous entourent deviennent souvent les victimes collatérales de notre mauvaise théologie.

Dieu.
Le mot Dieu en soit est un mot païen, la Bible préfère parler de Jahvé, un nom propre.
Et Jahvé nous pouvons le connaître dans la mesure où il se révèle et que nous entretenons une relation avec lui.
Mais c’est difficile de connaître quelqu’un en faisant abstraction des idées reçues et des préjugés.
Abraham avait une relation avec Jahvé, et il avait osé ce qu’aucun de ses contemporains n’avait osé. Il a osé, il a quitté sa patrie, il a renoncé à la sécurité, il a changé de nom, il a quitté beaucoup de choses pour son Dieu.
Et Dieu lui demande de quitter encore une chose.
Son fils ? ou pas !

On voit Abraham lutter contre l’idée qu’il se fait de Dieu.
On le voit douter de l’idée qu’il se fait de Dieu et qu’il partage avec ses contemporains.
D’un côté il comprend l’ordre de Dieu comme l’ordre de sacrifier son fils, mais il n’y croit pas vraiment.
Il dit à ses serviteurs qu’il va retourner avec Isaac, il dit à Isaac que Dieu pourvoira avec un agneau.
Il n’y croit pas car il a fait l’expérience d’un Dieu bon, un Dieu qui garde ses promesses.
Entre sa foi et ses préjugés il y a une lutte, pas très différente de celle que devra mener son petit-fils Jacob au bord du Yabbok, pas très différente de celle que devront mener tous ceux qui se réclament de son Dieu.

La foi nous fait douter de nos propres images de Dieu. Et ce doute demande beaucoup de courage.
C’est la tentation d’Abraham : oser voir le vrai Dieu, en face.
Et c’est terrible, car qui voit Dieu doit mourir, il doit mourir à soi-même, il doit mourir aux autres, il doit mourir à ce qu’il a toujours pensé être Dieu et être sa volonté.

Et c’est ce que Abraham découvre sur la montagne de Moria.
Quand il descend de la montagne ses rapports avec Isaac et avec Dieu ont complètement changé.
D’ailleurs, le récit utilise le mot générique Dieu pour parler de l’Éternel, jusqu’à ce que Abraham arrive au sommet. Après le refus de Dieu de voir Isaac sacrifié, le récit le nomme Yhavé, un nom propre. Dieu change, Abraham change, Isaac probablement change aussi.

Cette histoire commence avec l’expression « après ces événements ».
Souvent je n’y prête pas attention, cela signifie simplement qu’un épisode vient de se terminer et qu’un autre va commencer.
Mais cette fois-ci j’ai voulu voir quels étaient ces événements.

Avant ce récit est racontée l’alliance qu’Abraham fait avec Abimelek pour l’accès à l’eau d’un puits.

Abraham apparaît comme un homme de foi qui fait entièrement confiance à Dieu et en même temps un homme avisé qui sait comment régler les choses de la vie à son avantage.

On peut être homme de foi et bien gérer sa vie, c’est même souhaitable.
Mais le danger c’est l’attitude que nous pouvons avoir face à la vie et face à Dieu, quand nous réussissons par nos efforts. Reconnaissance ou fierté ? Don ou exploit ? Grâce ou mérite ?

Abraham est un homme de foi et il est sûrement reconnaissant vis-à-vis de Dieu pour la naissance d’Isaac.

Mais après l’épreuve du mont Moria, je pense qu’il est davantage reconnaissant.

Comme chacun de nous, il est reconnaissant dans la foi de ce qu’il a reçu, mais comme chacun de nous il se confie tout de même un peu en ses capacités et en ses mérites.

Isaac est le fruit de la promesse, mais Abraham y est pour quelque chose.
Et Dieu a réalisé la promesse, mais il a le droit d’exiger en retour.

A Moria Abraham change sa vision de Dieu, Dieu n’est pas « oui et non », je te donne mais à des conditions, je te donne mais tu me donnes. Pour paraphraser l’apôtre Paul Abraham découvre que Dieu n’est que « oui ».
Dieu ne donne pas seulement, Dieu donne totalement, sans calculer.
Et ainsi Abraham change son rapport à Isaac qui lui est donné une deuxième fois.

C’est souvent ce que notre attitude de croyant, nous croyons mais jusqu’à un certain point. Ce que nous avons est un don de Dieu, mais aussi un peu le fruit de nos efforts et de nos mérites, quelque chose que nous avons le droit d’avoir.
Et pour nous Dieu, à notre image, il est généreux, mais jusqu’à une certaine limite.
Découvrir un Dieu qui n’a pas demandé de sacrifice, qui n’a pas demandé de contrepartie, nous plonge dans une nouvelle dynamique.

Vivre du don absolu signifie aussi devenir don absolu,
car comme dit Jésus nous sommes l’image de Dieu qui fait lever le soleil sur les méchants et sur les bons.
Nous avons à être parfaits comme notre père est parfait.
Ayez la pensée de Christ, dira Paul.
Vivre dans une dynamique du don parfait est une bénédiction.
Mais essayer de la vivre, ça fait peur.

Ce n’est la demande d’un sacrifice qui nous fait trembler, c’est l’absence de cette demande qui nous bouleverse.
Qu’est-ce que ça veut dire de recevoir sans mériter ? si nous n’avons aucun mérite pour ce que nous avons, est-ce que nous l’avons vraiment ?
Et si nous ne l’avons pas mérité, sommes-nous tenus de le donner si quelqu’un en a besoin ?

Nous entrons aujourd’hui dans le temps de carême.
A la fin de cette période nous ferons mémoire de la mort en croix de Jésus.
Jésus est le don de Dieu.
Le don absolu de Dieu, un Dieu qui donne sans compter.
Un Dieu qui change toute logique et qui ne demande pas de sacrifice.
Qui devient lui-même le sacrifice.

Il est habituel pendant la période de Carême de renoncer à quelque chose.
Il y en a qui renoncent à la viande, qui renoncent à l’alcool, qui renoncent au chocolat.
En suivant l’exemple d’Abraham pourquoi n’essaierions-nous pas de renoncer aussi aux idées que nous nous faisons de Dieu.
Pourquoi ne pas prendre distance de ce que nous pensions de notre foi et se remettre à une lecture de la Bible renouvelée.
Pourquoi ne pas s’ouvrir à Dieu tel qu’il veut se montrer, quitte à devoir mourir pour renaître ?
Pourquoi nous ne renoncerions pas aux idées que nous nous sommes faites de Dieu et que sur la montagne, le Golgotha cette fois-ci, nous ne laisserions pas Dieu se donner à nous tel qu’il est et transformer radicalement nos vies ? Amen

Ouvrez-vous,  portes éternelles

Ouvrez-vous,  portes éternelles

Journée de retraite à partir du bibliologue

Jeudi 18 avril 2024

« Ouvrez-vous, portes éternelles, pour qu’il entre, le roi de gloire ! » Dans les récits de la Passion et de la Résurrection il y a à plusieurs reprises le symbole de la porte. Jésus qui frappe à la porte, qui entre à Jérusalem. Le tombeau est fermé par une grande pierre – et les disciples se cachent derrière des portes fermées. La porte est symbole de passage, mais aussi d’accueil. Comment est-ce que les personnes qui ont vu Jésus traverser ces portes l’ont accueilli ? Comment est-ce que nous aurions fait à leur place ? Et comment est-ce que nous faisons aujourd’hui ?

Pendant la retraite nous allons creuser ces questions avec deux textes bibliques des récits de la Passion et de la Résurrection. Nous utiliserons le bibliologue qui est une méthode de travailler un récit biblique en le regardant par les yeux des personnages présents dans le texte et en les laissant parler. Le bibliologue peut ouvrir des perspectives nouvelles – et parfois surprenantes – sur les récits bibliques et sur notre propre vie.

Les « découverts » dans ces temps de bibliologue peuvent ensuite s’appro-fondir dans des temps de silence personnel.

La journée comprend :
  • Deux temps de bibliologue en groupe avec introduction
  •  Temps de silence personnel
  • Partage final en groupe
  • Participation aux prières de la communauté, le soir à l’eucharistie
  • Repas en silence
Indications pratiques :

Début : 9h30 (arrivée dès 9h)
Fin : après le repas de soir, environ à 20h
Frais de pension : CHF 60

La question financière ne doit être un obstacle pour personne. Qui peut mettre plus rend possible – par un geste discret de solidarité – la venue de qui peut donner moins.

Animation : s. Sonja

bibliologue

Inscriptions :

Communauté de Grandchamp
Accueil
Grandchamp 4
CH – 2015 Areuse

ou par courriel : accueil@grandchamp.org

Homélie de la pasteure Aline Lasserre, le 7 mars 2024

Homélie de la pasteure Aline Lasserre, le 7 mars 2024

Prédication Matthieu 22, 23 à 33 Q au sujet de la résurrection
et Hébreux 7, 14à17 et 25 à 27 Q au sujet du grand-prêtre.

La question de la résurrection se pose à beaucoup aujourd’hui et même parmi les chrétiens la question divise. Jésus est-il vraiment ressuscité, qu’est-ce que cela veut dire et qu’en savons-nous concrètement ? la résurrection sera-t-elle le duplicata de notre vie ici-bas, mais sans le mal ?
La question des Sadducéens pourrait donc être légitime, pourtant nous la pressentons bien comme un piège tendu à Jésus, faisant suite à la question piège des Pharisiens au sujet du tribut à payer ou non à César.
Les Sadducéens appartiennent à la noblesse sacerdotale de Jérusalem, unis dans l’hostilité à Jésus mais pourtant en rivalité avec les Pharisiens dont ils viennent de prendre le relais.

A la résurrection, demandent-ils, de qui sera-t-elle l’épouse, cette veuve qui a épousé successivement 7 maris ?

Jésus ne se dérobe pas à la question, mais y répond par une double accusation.
Vous vouliez mettre en lumière par votre question embarrassante l’absurdité de croire en la résurrection, mais voilà que c’est vous qui êtes dans l’erreur d’une part parce que vous ne connaissez pas les Ecritures et d’autre part parce que vous ignorez la puissance de Dieu.

Ces accusations sont graves : comment Jésus peut-il dire à des spécialistes de la Loi qu’ils sont ignorants des Ecritures ?
Ils viennent de lui prouver le contraire en citant la Loi de Moïse, cette loi du lévirat, qui prescrivait à la veuve de se remarier avec un frère du défunt de manière à assurer une descendance à cette famille. Leur exemple est certes tiré par les cheveux, mais la question ne pourrait-elle pas se poser ?
Jésus remet en question cette connaissance des Ecritures qui permet de confondre son adversaire à coup de versets bibliques ou de prétention à une connaissance supérieure fondée sur les Ecritures. Nous avons en Eglise une certaine pratique de cette manière de faire, hélas.

Et puis peut-être plus grave encore, Jésus les accuse d’ignorer la puissance de Dieu.
Cette puissance de Dieu qui est puissance de Vie, avec un grand V.
C’est elle qui est à l’œuvre dans la résurrection.
C’est cette puissance de Vie qui se manifeste en son Fils Jésus, venu nous faire connaître ce temps nouveau.
Dans l’épître aux Hébreux l’apôtre en rend compte dans ce que nous venons d’entendre, Jésus n’est pas un grand-prêtre selon l’ordre établi, d’abord il n’est pas de la bonne lignée des prêtres de pères en fils, il est clair pour tous qu’il est issu d’une autre tribu, celle de Juda. Et même plus, il sera, si l’on reste en ces catégories, grand-prêtre pour l’éternité, non plus comme celui qui doit offrir un sacrifice pour son peuple, mais comme celui qui donnera sa vie pour définitivement nous arracher à la puissance du mal.
C’est dire que ces catégories de pensées se trouvent incapables de rendre compte de ce temps nouveau si elles ne sont pas éclairées par l’Esprit de Dieu.
La puissance de Dieu, cette puissance de Vie, transcende les ordres établis et délimités comme la Grâce qui vient rendre la Loi caduque.

La réponse de Jésus aux Sadducéens manifeste ce décalage entre ce qu’ils imaginent de la résurrection et la réalité de résurrection déjà à l’œuvre dans l’agir du Christ.
La résurrection dit Jésus ne sera pas le copié collé de ce qui se passe ici-bas.
A la résurrection il n’y aura plus ni mari, ni femme, le mariage n’aura plus court parce que notre vie sera alors tout autre.
Jésus, dans sa réponse, donne deux indications qui nous permettront d’en savoir suffisamment sur la résurrection.
D’abord il indique que nous serons alors comme des anges. Qu’est-ce à dire ?
C’est dire en tous cas que nous vivrons d’une autre condition que celle que nous connaissons ici-bas et dans la proximité immédiate de Dieu dont la louange sera notre principale fonction. Il me semble que Jésus nous donne ainsi à la fois une réponse qui doit nous être suffisante pour comprendre que nous entrerons là dans réalité d’un autre ordre et qui reste encore un mystère pour nous.

Ensuite, en affirmant que Dieu est le Dieu des vivants et non pas des morts, il annonce à ses adversaires et à nous tous que la résurrection est déjà présente, là en notre temps et au milieu de nous. Ce que nous pouvons alors comprendre, c’est que la résurrection, qui a trait à la puissance du Dieu de Vie, est déjà à l’œuvre dans le ministère du Christ et dans nos propres vies,
En affirmant que Dieu est le Dieu des vivants et non pas des morts, étant le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Jésus nous révèle que Dieu est celui qui donne vie à ceux qui nous ont précédés et que déjà maintenant nous nous trouvons en Lui dans une même communion avec tous les croyants de tous les lieux et de tous les temps. C’est cette même communion que nous manifestons et qu’il nous est donné de vivre, lorsque nous partageons son repas.

Croire en la résurrection ne provient pas seulement de nos raisonnements savants, ni de nos connaissances bibliques aussi bonnes soient-elles.
Croire en la résurrection dépasse de loin certainement nos questionnements et nos raisonnements tout en leur apportant la réponse que seule la puissance de Dieu à l’œuvre nous donne d’accueillir comme une certitude et un mystère encore.
Croire en la résurrection est déjà de l’ordre de l’agir de Dieu en nous, qui nous donne par Grâce, de nous ouvrir à une réalité nouvelle et tout autre qu’il est venu révéler en Christ. Qu’en en soit ainsi pour nous tous.

Grandchamp 7 mars 24