Homélie pour Lundi de Pâques, le 1er avril 2024

Homélie pour Lundi de Pâques, le 1er avril 2024

Homélie du lundi avant midi
Evangile selon Matthieu 28,16-20
Nous avions laissé Marie hier à l’aube, en chemin. Nous la retrouvons en Galilée. Ecoutons ce
qui se passe pour elle :
Et voilà que je suis arrivée en Galilée. Je suis allée avec les autres disciples sur la montagne.
Vous savez, le verbe choisit en grec dans le récit pour aller, c’est un « aller » qui veut dire
poursuivre le voyage que nous avions déjà commencé. Et c’est à cela que le Christ nous a invité
en nous offrant ces dernières paroles. Il nous a invité à poursuivre le voyage commencé avec
lui en Galilée.
C’est vrai que ces paroles du Christ peuvent sembler imposantes ! Elles peuvent faire peur. On
peut se demander comment accomplir cette mission dans un monde qui n’en veut peut-être
pas.
Nous voici ensemble, avec les autres, ensemble frères et sœurs du Christ, à laisser résonner
ses paroles dans notre cœur. Et voici comme elles résonnent pour moi, en moi :
Marie, poursuis le chemin que nous avons commencé ensemble. Tu as pu vivre ta Pâques : te
voilà relevée pour poursuivre ta vie.
Vis cette manière d’être au monde et dans le monde que je t’ai partagée, transmise.
Ce mouvement de Dieu : la vie plus forte que la mort ne peut être contenu. C’est un
mouvement de l’être qui cherche la vie, déploie la vie, partage la vie, choisit la vie.
Vis de ce mouvement dans toutes tes relations : à Dieu, aux autres, au monde, à toi-même
aussi. Et ce mouvement de l’être sera partagé, transmis autour de toi.
***
En moi, confiance et doute s’entremêlent quand je laisse résonner les paroles du Christ dans
mon cœur. Confiance parce que j’ai fait l’expérience d’être relevée, remise debout, vivante
pleinement vivante et que même la nuit la plus obscure ne peut me dérober cette expérience
entièrement.
Doute parce que je doute de moi, je doute du monde et que les mouvements dans le monde
qui tuent la vie sont si forts !
***
Alors je laisse les paroles du Christ résonner encore une fois dans mon cœur : Marie, tu sais,
cette manière d’être au monde, d’être dans le monde est si précieuse. Le monde en a
tellement besoin. Vois autour de toi comme la vie est menacée, bafouée, réduite à néant. Vois
autour de toi tout ce qui diminue la vie !
Marie, cette manière d’être, ce mouvement du Vivant, transmets-le, partage-le par un regard
qui dit l’accueil sans condition et la dignité de celui que tu rencontres, par un geste qui nourrit
la faim de l’autre, par une goutte d’eau offerte à celui qui ressent la soif au plus profond de
lui. Et parfois ce sera par un silence que tu partageras cet être au monde, ce mouvement de
Dieu dans le monde : être avec l’autre dans ce qu’il vit, être présent à l’autre, pour l’autre.
Et ainsi donner à l’autre de vivre ce mouvement de Dieu.
***
Être messagère, porteuse de la présence de Dieu. Un peu à la manière d’un ange discret,
incognito parce que l’accueil de ce mouvement du Vivant ne m’appartient plus.
Alors tout comme à l’aube de Pâques, il n’y a pas eu de renversement du monde mais en moi
si, il pourra y avoir un renversement intérieur chez celui/celle que je rencontrerai…
En laissant résonner ces paroles du Christ dans mon cœur, je me souviens de toutes ces
rencontres qu’il a faites en Galilée sur son chemin:
Un geste, un regard, une parole. À chaque fois une rencontre personnelle qui a fait naître la
personne rencontrée à une vie pleine de vie ! C’est à cela que je suis appelée à sa suite.
***
Alors je me suis levée et je me suis tournée vers mes frères et mes sœurs et je leur ai dit :
Dieu avec nous, n’est-ce pas ce que nous avons vécu avec le Christ ? Mes chères sœurs, mes
chers frères en Christ, Dieu avec nous : il est présence (discrète) dans notre vie et dans notre
monde :
Plus forte que la nuit, la lumière ! Plus fort que la haine, l’amour ! Plus fore que la peur,
l’espérance ! Plus forte que la solitude, notre communion !
Ce mouvement est là, présent dans notre vie, même si parfois il semble si fragile, si discret.
Dans tous les mouvements de notre vie, dans tous les mouvements du monde, le
mouvement de Dieu : lumière, confiance, amour, espérance, communion, vie !
Retournons dans notre Galilée et que dans notre quotidien nous puissions vivre, bouger,
exister. Être présent-e au monde et comme une grâce offrir de la vie au monde ! Amen

Homélie pour Dimanche de Pâques, le 31 mars 2024

Homélie pour Dimanche de Pâques, le 31 mars 2024

Homélie de l’aube de Pâques
Poèmes de Gérard Bocholier
(Evangile selon Matthieu 28,1-10)

Jésus-christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité !

Comment parler de ce qui s’est passé ce matin, dans l’aube d’un nouveau jour ?
Comment dire ce qui ne peut être dit, ni expliqué ? Comment raconter ce qui ne peut pas être contenu dans des mots ? Comment raconter ce qui ne peut être que vécu ?
Comme parfois il ne peut pas avoir de mots pour décrire la profondeur et l’intensité de la nuit, du mal, de la souffrance …
Il n’y a parfois pas de mots pour décrire la profondeur et l’intensité de la vie en ce matin de
pâques !
Alors, il reste plus que le langage de la poésie, de l’extravagance : ce qui empêche
d’enfermer ce qui arrive en ce matin de pâques dans nos mots, dans notre compréhension du monde et de notre vie. Oui, il reste les images qui font éclater nos mots, notre regard sur le monde et sur nous-mêmes pour notre offrir un autre regard (comme le langage
apocalyptique employé dans l’évangile de Matthieu).
Regardez Marie à l’aube de ce matin d’un jour nouveau. Ecoutez ce qui se passe pour elle : Ce qui se passe pour moi Marie ? Dans la nuit du jour levant, je marche prostrée, accrochée aux aromates que je tiens dans mes mains pour aller embaumer ce qui reste de Jésus ! Comment tout cela avait-il pu se passé ? Tant de violence, de souffrance ! Et mon espérance réduite à néant. Mon espérance : celle que cette manière d’être au monde que Jésus avait vécue et offerte aux autres et à moi, pouvait perdurer, gagner face aux mouvements dans le monde qui détruisent l’être et la vie !
Le désarroi, la tristesse, la peur, le doute habitent mon cœur et mon corps ! J’avance dans l’aube naissante habitée par la plus grande nuit qui soit ! C’est toute ma réalité !

En une ruée de foudre
Ton aube s’est engouffrée
Dans ce flanc d’ombre et de pierre
Ou la promesse est cachée

Un vent soudain de lumière
Soulève et lave les linges
Serrés par la mort tempête
De vie pour l’éternité ! L’ange est porteur de la vérité de Dieu sur le monde : il n’est pas là, il a été relevé par Dieu !
En ce matin de Pâques, quelque chose s’éveille dans mon intériorité, je ne sais pas encore ce
que cela va devenir, ni ou cela va me mener, mais c’est là. La vie de Dieu vibre en moi. Avant de devenir une nouvelle à partager, c’est d’abord quelque chose d’intime, la résurrection.
Dans le clair-obscur du matin de Pâques, je suis éveillée à l’aube d’une nouveauté de vie.

Un tout petit rien vibre de vie, dans ce monde si rempli de tout : de trop de violence, de crainte, de rupture. En ce matin de Pâques, rien ne change en grand dans ce monde, mais en moi si !

Je ne m’attache qu’au jour
Qui bondit tout d’une pièce
Quand l’aube a poussé la porte
De la divine espérance

Ta vie donnée à ce monde
Qui s’éveille vient répandre
En mon cœur trop chargé d’ombres
Ses semailles de lumière

En ce matin de Pâques, voyez comme tout est en mouvement ! Voyez ce mouvement de Dieu dans la pierre qui bouge pour ouvrir le tombeau, voyez ce mouvement de Dieu dans la relation transformée des disciples qui sont nommés frères et sœurs du Christ !
En ce matin de Pâques, ils ne sont pas désignés comme les craintifs, les menteurs, les
aîtres, les perdants, ceux qui ont fui. Ils sont les frères et les sœurs du Christ.
Voyez aussi ce mouvement de Dieu dans notre élan à l’autre Marie et à moi qui nous met en
chemin. Ce mouvement de Dieu dans notre rencontre avec le Christ ! Voyez ce mouvement de Dieu dans cette présence du Christ qui nous précède en Galilée, là où est le quotidien de nos vies, là dans nos propres vies.

Les premiers rayons de l’aube
Entraient déjà par la brèche
De pierre j’ai couru vite
Vers ce feu intérieur

La blancheur du linceul vide
Vibrait avec la rosée
Au retour mes pas dansaient
Sur l’or des pas invisibles

Homélie du jeudi saint, le 28 mars 2024

Homélie du jeudi saint, le 28 mars 2024

Quelle journée riche en couleurs et en vécu ! Dans cette Jérusalem qui voit venir de prêt, de
loin et même de très loin des personnes venir fêter la pâque, des juifs d’horizons et de cultures différentes et aussi des sympathisants du judaïsme….
Que de vies différentes sont rassemblées dans les rues et les maisons ! Et toutes ces personnes viennent par cette fête inscrire dans leur histoire et leur vie cet acte de leur Dieu qui les a sauvés ou qui les sauvera de l’esclavage. Et ainsi enfin vivre en liberté !
Est-ce une parole effective ou une parole promise qui est fêtée ? Dans le remue-ménage de ces jours de fêtes, se croisent aussi ceux et celles venus pour la fête et ceux qui occupent Israël… qui ne frôle pas le bras d’un soldat romain en allant et venant dans les rues pour
préparer le repas de la pâque ?
Il y a quelque chose d’incroyable, de fort de fêter la liberté là au milieu de l’occupation. C’est un faire mémoire d’un acte fondateur de l’identité de chacun-e et l’affirmation d’une espérance d’un Dieu qui libère.
Et là au milieu de cette fête, dans une chambre haute Jésus a rassemblé ceux qui lui sont
proches, ceux et celles qui l’ont accompagné sur les routes, ceux et celles qui ont entendu et
vu et vécu aussi cet amour et cette vie si grands qui débordaient de son cœur, de son être. Autour de lui, il a rassemblé celles et ceux qui ont vu dans son visage le reflet du visage du père. Lui qui était le visage du divin pour chacun-e qu’il rencontrait, révélant la présence de Dieu à leur côté.
Jésus sait la mort venir, il sait la séparation proche. Joie et tristesse, confiance et peur, conviction et doute s’entremêlent pour lui dans son cœur, dans cet instant d’adieux.
Que laisser à ses disciples pour qu’ils se souviennent de ce qui est si essentiel à la vie ? Alors le pain racontera la présence de Dieu, le vin racontera la vie débordante de vie et
d’amour désirée et offerte par Dieu.
Et ce geste de partage sera un faire mémoire qui vient éveiller et nourrir en chacun-e l’amour
et la vie : parce que ce geste déjà, c’est vivre et partager cet amour et cette vie.
Je vis et je partage déjà cette vie, lorsque je reçois le pain et que je donne la coupe avec ceux et celles qui sont assis à cette même table dans cette chambre haute (et dans cette chapelle de l’Arche).
Voyez chacun-e assis à cette table dans la chambre haute, si profondément humain, avec ses
parts d’ombres et de lumières, avec ses consistances et ses inconsistances, avec ses forces et
ses fragilités, avec sa vulnérabilité.
Voyez chacun-e accueillis à cette table, reconnu-e digne par Dieu et inconditionnellement aimé-e.
Ce geste, Jésus l’offre pour rassembler ses disciples parce que tant de choses et de
circonstances peuvent les disperser/éparpiller– ce soir, dans la chambre haute, cet acte
d’amour – précède la peur, la trahison, le reniement, l’abandon.
Il y a autour de cette table, un condensé d’humanité : enthousiasme, peur, amour, trahison, conviction, certitudes. Ce geste, Jésus le pose dans la vie dans toutes ses dimensions pour ceux
et celles qu’il a rassemblé, par amour.
Il y a quelque chose d’incroyable, de fort d’offrir un geste d’amour là au milieu de la vie dans
toutes ses teintes de clairs et d’obscurs. Il y a quelque chose d’incroyable, de fort de poser un geste d’amour avant la peur, la trahison, le reniement, l’abandon.

***
Et à y regarder de plus près, ce soir c’est peut-être bien dans ma chambre haute… là dans mon intériorité que ce geste m’est offert. Dans mon histoire, sur mon chemin de vie, dans mes relations (à Dieu, aux autres, au monde), ne suis-je pas un peu chacun de ses disciples ? Animé-e par un enthousiasme fougueux, habité-e par la peur, rempli-e de confiance, capable
de trahir la confiance qui m’est donné, aimant de tout cœur, reniant et niant l’autre par peur,
par honte.
Ce geste du partage de ce pain racontant la présence de Dieu et ce geste du partage de ce vin racontant la vie débordante de vie et d’amour désirée par Dieu, Jésus me l’offre ce soir pour
me rassembler, me réconcilier. Me voici accueillis à sa table, reconnu-e digne par Dieu et inconditionnellement aimé-e.

Homélie du pasteur Raoul Pagnamenta, 18 février 2024

Homélie du pasteur Raoul Pagnamenta, 18 février 2024

Genèse 22

Il y a quelques années le synode de notre Église avait décidé de reformuler la sixième demande du Notre Père.
L’ancienne formule « ne nous soumets pas à la tentation », avait été changée par « ne nous laisse pas entrer en tentation ».
Cela ne correspond pas à la version grecque, mais c’était plus facile à entendre.
Car l’idée que Dieu puisse tenter est inacceptable.

Et pourtant c’est ce qui arrive dans ce récit.
Dieu met à la preuve Abraham.
Une preuve inhumaine, celle de sacrifier son fils.
Ou peut-être pas !
ça dépend comment on lit ce récit.
Peut-être la vraie tentation ce n’est pas une épreuve que Dieu nous donne.
La vraie tentation, c’est Dieu lui-même.
Ce Dieu qui est différent de ce qu’on imagine.
Qu’on n’arrive pas à saisir par nos efforts et qu’on ne veut pas saisir lorsqu’il se manifeste.

Ne nous soumets pas à la tentation équivaut alors à dire, permets-nous de t’accueillir tel que tu es sans te réduire aux images que nous nous faisons de toi.
Une paraphrase pourrait être ce que Jésus dit aux messagers de Jean au chapitre 11 de l’évangile de Matthieu : Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute.

Abraham fait preuve d’une obéissance sans tache quand il accepte de monter sur le mont Moriah pour sacrifier Isaac.
Mais qui lui demande de sacrifier son fils ?
Dans le texte hébreu Dieu dit littéralement : fait monter ton fils Isaac sur la montagne. L’expression « faire monter » signifie parfois « sacrifier à Dieu » et plus spécifiquement quand il s’agit d’un holocauste, car on fait monter la fumée vers les hauteurs.
Mais on n’est pas obligé de le comprendre comme ça.
La première signification reste celle de « faire monter » et on peut bien comprendre que Dieu ait simplement demandé à Abraham de faire monter Isaac sur la montagne qu’il lui indiquerait, dans une autre intention.

Tout dépend du contexte.
Et le contexte de Abraham, c’est qu’il vit au milieu d’un peuple païen.
Et le sacrifice d’enfants était pratiqué.
Aujourd’hui aussi on les pratique, sous d’autres formes plus civilisées. Et parfois on le pratique au nom de Dieu.
A l’époque d’Abraham, on tuait des enfants avec un couteau et on les brûlait sur un autel pour faire plaisir à tel ou tel dieu et obtenir ses faveurs.

Abraham avait un autre Dieu que les idoles du moyen Orient, mais sa façon de comprendre le mot Dieu, de comprendre le vocabulaire qu’on utilise quand on veut parler de Dieu était fortement influencé par son éducation et par ce qu’il entendait autour de lui.

Nous ne sommes pas épargnés de ça. Quand nous utilisons le mot Dieu, nous le comprenons comment ? Quand nous utilisons le mot « justice », le mot « péché », nous les comprenons comment ? Est-ce que notre compréhension est due à une lecture assidue de la bible et à des heures de méditation et de prière, ou bien nous pensons savoir ce que ces mots signifient et nous les comprenons comme on nous les a transmises et comme les comprennent nos contemporains, au point que parfois nous nous demandons si croire ou pas croire fait une différence.
Nous faisons des dégâts avec notre mauvaise compréhension de Dieu.
Ceux qui nous entourent deviennent souvent les victimes collatérales de notre mauvaise théologie.

Dieu.
Le mot Dieu en soit est un mot païen, la Bible préfère parler de Jahvé, un nom propre.
Et Jahvé nous pouvons le connaître dans la mesure où il se révèle et que nous entretenons une relation avec lui.
Mais c’est difficile de connaître quelqu’un en faisant abstraction des idées reçues et des préjugés.
Abraham avait une relation avec Jahvé, et il avait osé ce qu’aucun de ses contemporains n’avait osé. Il a osé, il a quitté sa patrie, il a renoncé à la sécurité, il a changé de nom, il a quitté beaucoup de choses pour son Dieu.
Et Dieu lui demande de quitter encore une chose.
Son fils ? ou pas !

On voit Abraham lutter contre l’idée qu’il se fait de Dieu.
On le voit douter de l’idée qu’il se fait de Dieu et qu’il partage avec ses contemporains.
D’un côté il comprend l’ordre de Dieu comme l’ordre de sacrifier son fils, mais il n’y croit pas vraiment.
Il dit à ses serviteurs qu’il va retourner avec Isaac, il dit à Isaac que Dieu pourvoira avec un agneau.
Il n’y croit pas car il a fait l’expérience d’un Dieu bon, un Dieu qui garde ses promesses.
Entre sa foi et ses préjugés il y a une lutte, pas très différente de celle que devra mener son petit-fils Jacob au bord du Yabbok, pas très différente de celle que devront mener tous ceux qui se réclament de son Dieu.

La foi nous fait douter de nos propres images de Dieu. Et ce doute demande beaucoup de courage.
C’est la tentation d’Abraham : oser voir le vrai Dieu, en face.
Et c’est terrible, car qui voit Dieu doit mourir, il doit mourir à soi-même, il doit mourir aux autres, il doit mourir à ce qu’il a toujours pensé être Dieu et être sa volonté.

Et c’est ce que Abraham découvre sur la montagne de Moria.
Quand il descend de la montagne ses rapports avec Isaac et avec Dieu ont complètement changé.
D’ailleurs, le récit utilise le mot générique Dieu pour parler de l’Éternel, jusqu’à ce que Abraham arrive au sommet. Après le refus de Dieu de voir Isaac sacrifié, le récit le nomme Yhavé, un nom propre. Dieu change, Abraham change, Isaac probablement change aussi.

Cette histoire commence avec l’expression « après ces événements ».
Souvent je n’y prête pas attention, cela signifie simplement qu’un épisode vient de se terminer et qu’un autre va commencer.
Mais cette fois-ci j’ai voulu voir quels étaient ces événements.

Avant ce récit est racontée l’alliance qu’Abraham fait avec Abimelek pour l’accès à l’eau d’un puits.

Abraham apparaît comme un homme de foi qui fait entièrement confiance à Dieu et en même temps un homme avisé qui sait comment régler les choses de la vie à son avantage.

On peut être homme de foi et bien gérer sa vie, c’est même souhaitable.
Mais le danger c’est l’attitude que nous pouvons avoir face à la vie et face à Dieu, quand nous réussissons par nos efforts. Reconnaissance ou fierté ? Don ou exploit ? Grâce ou mérite ?

Abraham est un homme de foi et il est sûrement reconnaissant vis-à-vis de Dieu pour la naissance d’Isaac.

Mais après l’épreuve du mont Moria, je pense qu’il est davantage reconnaissant.

Comme chacun de nous, il est reconnaissant dans la foi de ce qu’il a reçu, mais comme chacun de nous il se confie tout de même un peu en ses capacités et en ses mérites.

Isaac est le fruit de la promesse, mais Abraham y est pour quelque chose.
Et Dieu a réalisé la promesse, mais il a le droit d’exiger en retour.

A Moria Abraham change sa vision de Dieu, Dieu n’est pas « oui et non », je te donne mais à des conditions, je te donne mais tu me donnes. Pour paraphraser l’apôtre Paul Abraham découvre que Dieu n’est que « oui ».
Dieu ne donne pas seulement, Dieu donne totalement, sans calculer.
Et ainsi Abraham change son rapport à Isaac qui lui est donné une deuxième fois.

C’est souvent ce que notre attitude de croyant, nous croyons mais jusqu’à un certain point. Ce que nous avons est un don de Dieu, mais aussi un peu le fruit de nos efforts et de nos mérites, quelque chose que nous avons le droit d’avoir.
Et pour nous Dieu, à notre image, il est généreux, mais jusqu’à une certaine limite.
Découvrir un Dieu qui n’a pas demandé de sacrifice, qui n’a pas demandé de contrepartie, nous plonge dans une nouvelle dynamique.

Vivre du don absolu signifie aussi devenir don absolu,
car comme dit Jésus nous sommes l’image de Dieu qui fait lever le soleil sur les méchants et sur les bons.
Nous avons à être parfaits comme notre père est parfait.
Ayez la pensée de Christ, dira Paul.
Vivre dans une dynamique du don parfait est une bénédiction.
Mais essayer de la vivre, ça fait peur.

Ce n’est la demande d’un sacrifice qui nous fait trembler, c’est l’absence de cette demande qui nous bouleverse.
Qu’est-ce que ça veut dire de recevoir sans mériter ? si nous n’avons aucun mérite pour ce que nous avons, est-ce que nous l’avons vraiment ?
Et si nous ne l’avons pas mérité, sommes-nous tenus de le donner si quelqu’un en a besoin ?

Nous entrons aujourd’hui dans le temps de carême.
A la fin de cette période nous ferons mémoire de la mort en croix de Jésus.
Jésus est le don de Dieu.
Le don absolu de Dieu, un Dieu qui donne sans compter.
Un Dieu qui change toute logique et qui ne demande pas de sacrifice.
Qui devient lui-même le sacrifice.

Il est habituel pendant la période de Carême de renoncer à quelque chose.
Il y en a qui renoncent à la viande, qui renoncent à l’alcool, qui renoncent au chocolat.
En suivant l’exemple d’Abraham pourquoi n’essaierions-nous pas de renoncer aussi aux idées que nous nous faisons de Dieu.
Pourquoi ne pas prendre distance de ce que nous pensions de notre foi et se remettre à une lecture de la Bible renouvelée.
Pourquoi ne pas s’ouvrir à Dieu tel qu’il veut se montrer, quitte à devoir mourir pour renaître ?
Pourquoi nous ne renoncerions pas aux idées que nous nous sommes faites de Dieu et que sur la montagne, le Golgotha cette fois-ci, nous ne laisserions pas Dieu se donner à nous tel qu’il est et transformer radicalement nos vies ? Amen

Homélie de la pasteure Aline Lasserre, le 7 mars 2024

Homélie de la pasteure Aline Lasserre, le 7 mars 2024

Prédication Matthieu 22, 23 à 33 Q au sujet de la résurrection
et Hébreux 7, 14à17 et 25 à 27 Q au sujet du grand-prêtre.

La question de la résurrection se pose à beaucoup aujourd’hui et même parmi les chrétiens la question divise. Jésus est-il vraiment ressuscité, qu’est-ce que cela veut dire et qu’en savons-nous concrètement ? la résurrection sera-t-elle le duplicata de notre vie ici-bas, mais sans le mal ?
La question des Sadducéens pourrait donc être légitime, pourtant nous la pressentons bien comme un piège tendu à Jésus, faisant suite à la question piège des Pharisiens au sujet du tribut à payer ou non à César.
Les Sadducéens appartiennent à la noblesse sacerdotale de Jérusalem, unis dans l’hostilité à Jésus mais pourtant en rivalité avec les Pharisiens dont ils viennent de prendre le relais.

A la résurrection, demandent-ils, de qui sera-t-elle l’épouse, cette veuve qui a épousé successivement 7 maris ?

Jésus ne se dérobe pas à la question, mais y répond par une double accusation.
Vous vouliez mettre en lumière par votre question embarrassante l’absurdité de croire en la résurrection, mais voilà que c’est vous qui êtes dans l’erreur d’une part parce que vous ne connaissez pas les Ecritures et d’autre part parce que vous ignorez la puissance de Dieu.

Ces accusations sont graves : comment Jésus peut-il dire à des spécialistes de la Loi qu’ils sont ignorants des Ecritures ?
Ils viennent de lui prouver le contraire en citant la Loi de Moïse, cette loi du lévirat, qui prescrivait à la veuve de se remarier avec un frère du défunt de manière à assurer une descendance à cette famille. Leur exemple est certes tiré par les cheveux, mais la question ne pourrait-elle pas se poser ?
Jésus remet en question cette connaissance des Ecritures qui permet de confondre son adversaire à coup de versets bibliques ou de prétention à une connaissance supérieure fondée sur les Ecritures. Nous avons en Eglise une certaine pratique de cette manière de faire, hélas.

Et puis peut-être plus grave encore, Jésus les accuse d’ignorer la puissance de Dieu.
Cette puissance de Dieu qui est puissance de Vie, avec un grand V.
C’est elle qui est à l’œuvre dans la résurrection.
C’est cette puissance de Vie qui se manifeste en son Fils Jésus, venu nous faire connaître ce temps nouveau.
Dans l’épître aux Hébreux l’apôtre en rend compte dans ce que nous venons d’entendre, Jésus n’est pas un grand-prêtre selon l’ordre établi, d’abord il n’est pas de la bonne lignée des prêtres de pères en fils, il est clair pour tous qu’il est issu d’une autre tribu, celle de Juda. Et même plus, il sera, si l’on reste en ces catégories, grand-prêtre pour l’éternité, non plus comme celui qui doit offrir un sacrifice pour son peuple, mais comme celui qui donnera sa vie pour définitivement nous arracher à la puissance du mal.
C’est dire que ces catégories de pensées se trouvent incapables de rendre compte de ce temps nouveau si elles ne sont pas éclairées par l’Esprit de Dieu.
La puissance de Dieu, cette puissance de Vie, transcende les ordres établis et délimités comme la Grâce qui vient rendre la Loi caduque.

La réponse de Jésus aux Sadducéens manifeste ce décalage entre ce qu’ils imaginent de la résurrection et la réalité de résurrection déjà à l’œuvre dans l’agir du Christ.
La résurrection dit Jésus ne sera pas le copié collé de ce qui se passe ici-bas.
A la résurrection il n’y aura plus ni mari, ni femme, le mariage n’aura plus court parce que notre vie sera alors tout autre.
Jésus, dans sa réponse, donne deux indications qui nous permettront d’en savoir suffisamment sur la résurrection.
D’abord il indique que nous serons alors comme des anges. Qu’est-ce à dire ?
C’est dire en tous cas que nous vivrons d’une autre condition que celle que nous connaissons ici-bas et dans la proximité immédiate de Dieu dont la louange sera notre principale fonction. Il me semble que Jésus nous donne ainsi à la fois une réponse qui doit nous être suffisante pour comprendre que nous entrerons là dans réalité d’un autre ordre et qui reste encore un mystère pour nous.

Ensuite, en affirmant que Dieu est le Dieu des vivants et non pas des morts, il annonce à ses adversaires et à nous tous que la résurrection est déjà présente, là en notre temps et au milieu de nous. Ce que nous pouvons alors comprendre, c’est que la résurrection, qui a trait à la puissance du Dieu de Vie, est déjà à l’œuvre dans le ministère du Christ et dans nos propres vies,
En affirmant que Dieu est le Dieu des vivants et non pas des morts, étant le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Jésus nous révèle que Dieu est celui qui donne vie à ceux qui nous ont précédés et que déjà maintenant nous nous trouvons en Lui dans une même communion avec tous les croyants de tous les lieux et de tous les temps. C’est cette même communion que nous manifestons et qu’il nous est donné de vivre, lorsque nous partageons son repas.

Croire en la résurrection ne provient pas seulement de nos raisonnements savants, ni de nos connaissances bibliques aussi bonnes soient-elles.
Croire en la résurrection dépasse de loin certainement nos questionnements et nos raisonnements tout en leur apportant la réponse que seule la puissance de Dieu à l’œuvre nous donne d’accueillir comme une certitude et un mystère encore.
Croire en la résurrection est déjà de l’ordre de l’agir de Dieu en nous, qui nous donne par Grâce, de nous ouvrir à une réalité nouvelle et tout autre qu’il est venu révéler en Christ. Qu’en en soit ainsi pour nous tous.

Grandchamp 7 mars 24

 

Homélie du pasteur René Perret, le 3 mars 2024

Homélie du pasteur René Perret, le 3 mars 2024

Célébration à Grandchamp – dimanche 3 mars 2024
Exode 17,1-7 ; Romains 5,1-8 ; Jean 4,1-26

« Un jour, un vieux sage demanda à ses interlocuteurs : Où peut-on rencontrer Dieu ? Et le musulman parla de la mosquée, le juif du Mur des Lamentations. Un autre évoqua la nature quand elle est hospitalière. Le chrétien, timidement, se permit de citer le culte dominical. Chaque fois, le vieil homme hochait la tête. Aucune réponse ne le satisfaisait. Il reprit la parole : Tu rencontres Dieu chaque fois que tu lui ouvres la porte de ton cœur. »
Je trouve cette histoire intéressante pour ouvrir notre méditation sur ce récit d’Evangile aussi connu qu’intrigant. Il raconte une histoire qui ressemble tellement à la nôtre, finalement.

Bien sûr, les lieux et les circonstances de la rencontre ont changés ; mais cette soif qui tenaille la Samaritaine, cette soif qui la pousse à chercher de l’eau en plein midi, à l’ombre du regard des autres, cette soif ne dit-elle rien de notre soif ? de notre recherche d’eau vive ? de notre recherche de sens ? Bon, nous n’avons pas eu cinq maris / ou cinq femmes, et nous ne vivons pas non-marié-e avec le ou la sixième !
Ça, c’est pour forcer le trait, une caractéristique des récits d’Evangile, qui nous présente des gens plus « perdus », plus « pécheurs » que nous, plus loin de Dieu que nous le sommes. C’est pour dire : tu vois, si Dieu s’approche de quelqu’un de si loin de lui à vues humaines, combien plus il s’approche de toi qui ne lui est pas autant étranger !
Et en regardant avec quel non-jugement il parle avec cette Samaritaine, mieux : avec quel respect il accueille ses paroles, on peut bien être assoiffé de participer à un tel dialogue en profondeur avec lui !

J’ai entendu parler d’une jeune femme, extrêmement douée pour visiter les gens. Quand elle parlait avec un pensionnaire de home, à la cafétéria, insensiblement, les autres pensionnaires venaient se joindre à la conversation. Elle avait une telle qualité d’écoute, que la valeur de ce partage parvenait même à ceux qui regardaient la télé. Et ils convergeaient vers cette table où on pouvait déposer des bribes de son histoire, des réflexions longtemps enfouies, et où la compréhension d’une seule personne était comme une eau fraiche, qui désaltérait des soifs aussi diverses que tenaces.

C’est cette soif-là de rencontre qui anime Jésus, au-delà de la soif qu’il ressent au midi de ce jour.
Lui qui est l’Eau vive et jaillissante, il a besoin de quelqu’un qui l’accueille en ses profondeurs, comme un puits que l’on a désensablé. Et nous voyons avec quelle douceur, avec quel doigté il creuse en la Samaritaine les soifs qui l’habitent. Admirons la Samaritaine ! Il lui en faut, de la confiance, pour livrer ainsi ses questions les plus personnelles, pour se reconnaître dévoilée et mise en lumière en en éprouvant du soulagement plutôt que de la honte.

J’aime la remarque d’Alphonse Maillot sur la réponse de Jésus à la femme qui vient de lui avouer l’état de sa vie conjugale ; quand Jésus lui répond : Tu dis vrai.
« Le « Tu dis vrai » n’est pas sans ironie envers les éventuels lecteurs (que nous sommes, ndlr). Voilà une bonne confession (vraie) du péché (vrai). La bonne (et la vraie) parole n’est pas une parole orthodoxe, un catéchisme, mais celle qui fait la lumière (même celle des ombres !) sur soi. »

Cette Samaritaine a fait ce qu’elle a pu jusqu’ici pour vivre conjugalement, spirituellement, humainement.
Les autres la condamnent pour sa vie conjugale ; sa spiritualité est dépassée, selon Jésus, et même erronée, puisque « le salut vient des Juifs ». Mais tout cela n’a plus cours, puisqu’elle se trouve en présence de Jésus. Puisqu’elle l’acceptera comme « Celui qui vient de Dieu pour nous annoncer toutes choses », aucune condamnation ne l’empêche d’être désormais elle-même, une femme libérée, une femme ressourcée et plus, une source jaillissante pour ceux qui vont la rencontrer.

Ce qui s’est passé là au bord de ce puits se reproduit aujourd’hui encore : quand nous acceptons ce dialogue avec ce Dieu qui a soif de nous ; quand ses questions à nos questions viennent nous rejoindre au cœur de qui nous sommes ; quand nous nous sentons à la fois dévoilés et retrouvés, accueillis, compris et pardonnés ; alors, nous vivons ce qu’a vécu la Samaritaine : une retrouvaille avec le cœur de notre cœur.
Quel apaisement, quelle libération, quel ressourcement, quel redressement que d’expérimenter, en soi et pour soi, comme le début d’une source jaillissante, la présence de celui qui nous dit : je le suis, ce Christ que tu attendais et qui t’annoncera toutes choses. Amen.