Homélie du pasteur Pierre Bühler, le 14 novembre 2024
Luc 17,11-21
(11) Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la
Galilée. (12) A son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils
s’arrêtèrent à distance (13) et élevèrent la voix pour lui dire : « Jésus, maître, aie
pi é de nous. » (14) Les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. »
Or, pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés. (15) L’un d’entre eux, voyant qu’il
était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix. (16) Il se jeta le visage
contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce ; or, c’était un samaritain. (17)
Alors Jésus dit : « Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ? Et les neuf autres,
où sont-ils ? (18) Il ne s’est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à
Dieu : il n’y a que cet étranger ! » (19) Et il lui dit : Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé. »
(20) Les Pharisiens lui demandèrent : « Quand donc vient le Règne de Dieu ? » Il
leur répondit : Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. (21) On
ne dira pas : Le voici ou Le voilà . En effet, le Règne de Dieu est parmi vous. »
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Chères sœurs et frères en Jésus-Christ,
L’histoire de la guérison des dix lépreux est bien connue. On en a fait, dans la
tradi on, un récit un peu moralisant : un seul revient dire merci, et neuf s’en vont,
apparemment heureux, mais vraiment très ingrats ! Pour ne pas en rester à ce seul
jugement moral, je vous propose de relire notre passage à par r de la fin.
Dans les deux derniers versets de notre passage interviennent soudain les
pharisiens, avec leur ques on : « quand donc vient le Règne de Dieu ? » Ils
expriment ainsi l’a ente qui habite les gens de l’époque : l’irrup on d’un nouveau
temps, de bonheur et de paix, de réconcilia on, où les souffrances seront effacées,
et les violences et les guerres abolies. On associait à ce e a ente l’espoir de
pouvoir en deviner les signes annonciateurs : on essayait d’observer l’arrivée de ce
nouveau règne par des phénomènes, des manifesta ons spectaculaires. Au
cinéma, on dirait : des effets spéciaux. Des signes qui nous perme raient de dire :
« Ah, regardez, là, le voilà, il arrive ! »
Jésus contredit ce e a ente : « Non, le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait
observable. » Le terme grec men onné ici est parateresis, et on l’u lise pour le
médecin qui observe le malade pour trouver les symptômes de sa maladie ou2
encore pour les astrologues qui observent le mouvement des corps célestes. Non,
le Règne de Dieu ne s’observe pas, nous dit Jésus, on ne peut pas dire « Le voici »
ou « Le voilà ». Le Règne de Dieu, c’est autre chose, c’est une réalité bien plus
discrète, vous ne le voyez pas, mais il est déjà là, il est déjà à l’œuvre « parmi
vous ». On peut imaginer la surprise des interlocuteurs : « Comment ? Parmi
nous ? Ça veut dire quoi ? » Et peut-être sommes-nous surpris, nous aussi : que
veut dire Jésus en proclamant ce e promesse : « Le Règne de Dieu est parmi
vous » ?
Pour répondre à ce e ques on, je vous propose de retourner maintenant à
l’histoire des dix lépreux, car il se pourrait bien que ce récit qui précède les deux
versets avec les pharisiens con enne quelques traces de ce e présence discrète
du Règne de Dieu parmi nous.
Le premier indice, c’est déjà tout au début de l’histoire l’indica on « comme Jésus
faisait route » : le Règne de Dieu n’est pas quelque chose de sta que, il n’est pas
établi en un lieu précis. Non, il est en chemin, il est inscrit dans une dynamique de
mouvement plutôt que dans une sta que de l’installa on.
Deuxième indice : Jésus est en route « à travers la Samarie et la Galilée », des
territoires qui, à l’époque, pour les bons croyants, ont une très mauvaise
réputa on. La Judée, elle, serait le bon territoire, mais pas la Samarie et la Galilée.
« Que peut-il venir de bon de Galilée ? », demandait-on de manière cri que. Or
Jésus vient de Galilée, et il va en Samarie aussi, terre presqu’étrangère pour les
Juifs de Judée. Conclusion : le Règne de Dieu ne se ent pas aux fron ères fixées
par des hommes.
Ce e liberté permet des rencontres ina endues, troisième indice : dix lépreux
s’avancent, mais un peu seulement, sans s’approcher vraiment, car, comme tous
les malades, à l’époque, ils sont considérés comme impurs et il leur est défendu de
venir tout près de ceux qu’on dit purs. Mais, même à distance, Jésus les voit et les
entend, il s’arrête pour les écouter. Autrement dit : le Règne de Dieu est l’accueil
des rejetés, des exclus de la société.
On pourrait maintenant s’a endre à ce qu’il arrive quelque chose de spectaculaire,
de phénoménal : une guérison en masse, dix à la fois ! Mais rien de tel, au
contraire, tout reste très discret. Conformément à la règle de l’époque, qui veut
que c’est un prêtre qui doit confirmer la guérison, Jésus leur donne simplement
l’ordre : « Allez vous montrer aux prêtres ». Autrement dit : « Sortez de votre
statut d’impurs, passez outre à ce e exclusion, et vous serez guéris ». Et
étonnamment, comme le dit le texte, la guérison a lieu « pendant qu’ils y
allaient ». Une fois de plus, le Règne de Dieu se réalise lorsqu’on est en chemin.3
Mais il y a maintenant, et c’est encore un indice, un mouvement de retour, et là, il
y a quelques surprises, quelques complica ons : après être allés se faire confirmer
leur guérison, apparemment neuf d’entre eux s’en vont, contents de se retrouver
dans la société normale, libérés de leur exclusion. Un seul revient auprès de Jésus
« en rendant gloire à Dieu à pleine voix », dit le texte. Signe de reconnaissance, de
gra tude pour la guérison reçue, qu’il exprime en se jetant le visage contre terre
aux pieds de Jésus, ce qui veut dire : par une grande prosterna on. Et en passant,
le texte précise que ce dixième qui, lui, revient, était un samaritain. Surprise, donc,
c’est celui qui était doublement exclu, non seulement comme lépreux, mais aussi
comme samaritain, comme étranger de mauvaise réputa on, qui vient rendre
grâce à Jésus. Dans un premier temps, Jésus semble se fâcher, demande de
manière vive : « Et les neuf autres, où sont-ils ? », et constate avec un peu de dépit
qu’il n’y a eu « que cet étranger » pour venir rendre gloire à Dieu.
Mais ensuite, il se tourne vers cet étranger quand même, pour le relever et pour
reconnaître sa foi, sa confiance, qui le sauve. Que se passe-t-il à ce moment ? La
reconnaissance, qui, dans un premier temps, est grattude, devient ici une
véritable reconnaissance réciproque. Le samaritain guéri a reconnu Jésus, et Jésus
le reconnaît à son tour, l’accueille avec sa confiance et l’accepte, lui l’étranger qui a
cru plus que les neuf autres. On peut donc dire : le Règne de Dieu, c’est cette
reconnaissance, cette acceptaton réciproque, cette réciprocité dans la confiance,
que les neuf autres, même guéris, ont raté.
Ainsi donc, c’est comme si l’histoire des dix lépreux répondait à l’avance à la
ques on des pharisiens. « Vous, pharisiens, qui avez établi des principes rigides,
fixé des règles strictes de pureté et d’impureté, organisé la vie en 613
commandements et interdic ons, apprenez que le Règne de Dieu vient tout
autrement, en agissant parmi vous, par un dynamisme du cheminement, par un
accueil des exclus et des étrangers, par-delà les barrières que vous avez dressées,
par une a en on, une écoute des détresses, par une reconnaissance réciproque
qui suscite la rencontre et la confiance. C’est là que se manifeste le Règne de
Dieu : non pas dans de grands signes, éblouissants et fracassants, mais dans les
pe ts pas de l’appren ssage d’une vie, d’un amour et d’une confiance qui se
déploient parmi vous et qui vous renouvellent de jour en jour. »
Et nous aussi, en ce temps où sévissent les guerres et les violences, où les rapports
se durcissent, où les puissants méprisent de plus en plus les pe ts, où partout
s’érigent des murs et des barbelés, où les milliardaires s’achètent tout, même la
jus ce, même la vérité, même la planète, nous espérons aussi que vienne un
temps nouveau, et nous aimerions en voir les signes annonciateurs, pour pouvoir4
entrevoir un avenir plus prome eur pour nous, nos enfants et pe ts-enfants. Mais
le message de Jésus vaut aussi pour nous : « Le Règne de Dieu est déjà parmi vous
discrètement, il est le ferment qui travaille votre vie quo dienne pour vous
maintenir en chemin avec courage, pour y faire fructfier l’écoute, la rencontre,
l’accueil et la reconnaissance réciproque. Chacune et chacun là où ils peuvent agir,
devenir des ar sans de la paix et de la solidarité, chacune et chacun à sa mesure,
selon ses forces et capacités. C’est ainsi que vous serez témoins du Règne de
Dieu. » Amen.