Homélie du pasteur Pierre Bühler, le 14 novembre 2024

Homélie du pasteur Pierre Bühler, le 14 novembre 2024

Luc 17,11-21

(11) Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la

Galilée. (12) A son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils

s’arrêtèrent à distance (13) et élevèrent la voix pour lui dire : « Jésus, maître, aie

pi é de nous. » (14) Les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. »

Or, pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés. (15) L’un d’entre eux, voyant qu’il

était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix. (16) Il se jeta le visage

contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce ; or, c’était un samaritain. (17)

Alors Jésus dit : « Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ? Et les neuf autres,

où sont-ils ? (18) Il ne s’est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à

Dieu : il n’y a que cet étranger ! » (19) Et il lui dit : Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé. »

(20) Les Pharisiens lui demandèrent : « Quand donc vient le Règne de Dieu ? » Il

leur répondit : Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. (21) On

ne dira pas : Le voici ou Le voilà . En effet, le Règne de Dieu est parmi vous. »

_______________________________

Chères sœurs et frères en Jésus-Christ,

L’histoire de la guérison des dix lépreux est bien connue. On en a fait, dans la

tradi on, un récit un peu moralisant : un seul revient dire merci, et neuf s’en vont,

apparemment heureux, mais vraiment très ingrats ! Pour ne pas en rester à ce seul

jugement moral, je vous propose de relire notre passage à par r de la fin.

Dans les deux derniers versets de notre passage interviennent soudain les

pharisiens, avec leur ques on : « quand donc vient le Règne de Dieu ? » Ils

expriment ainsi l’a ente qui habite les gens de l’époque : l’irrup on d’un nouveau

temps, de bonheur et de paix, de réconcilia on, où les souffrances seront effacées,

et les violences et les guerres abolies. On associait à ce e a ente l’espoir de

pouvoir en deviner les signes annonciateurs : on essayait d’observer l’arrivée de ce

nouveau règne par des phénomènes, des manifesta ons spectaculaires. Au

cinéma, on dirait : des effets spéciaux. Des signes qui nous perme raient de dire :

« Ah, regardez, là, le voilà, il arrive ! »

Jésus contredit ce e a ente : « Non, le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait

observable. » Le terme grec men onné ici est parateresis, et on l’u lise pour le

médecin qui observe le malade pour trouver les symptômes de sa maladie ou2

encore pour les astrologues qui observent le mouvement des corps célestes. Non,

le Règne de Dieu ne s’observe pas, nous dit Jésus, on ne peut pas dire « Le voici »

ou « Le voilà ». Le Règne de Dieu, c’est autre chose, c’est une réalité bien plus

discrète, vous ne le voyez pas, mais il est déjà là, il est déjà à l’œuvre « parmi

vous ». On peut imaginer la surprise des interlocuteurs : « Comment ? Parmi

nous ? Ça veut dire quoi ? » Et peut-être sommes-nous surpris, nous aussi : que

veut dire Jésus en proclamant ce e promesse : « Le Règne de Dieu est parmi

vous » ?

Pour répondre à ce e ques on, je vous propose de retourner maintenant à

l’histoire des dix lépreux, car il se pourrait bien que ce récit qui précède les deux

versets avec les pharisiens con enne quelques traces de ce e présence discrète

du Règne de Dieu parmi nous.

Le premier indice, c’est déjà tout au début de l’histoire l’indica on « comme Jésus

faisait route » : le Règne de Dieu n’est pas quelque chose de sta que, il n’est pas

établi en un lieu précis. Non, il est en chemin, il est inscrit dans une dynamique de

mouvement plutôt que dans une sta que de l’installa on.

Deuxième indice : Jésus est en route « à travers la Samarie et la Galilée », des

territoires qui, à l’époque, pour les bons croyants, ont une très mauvaise

réputa on. La Judée, elle, serait le bon territoire, mais pas la Samarie et la Galilée.

« Que peut-il venir de bon de Galilée ? », demandait-on de manière cri que. Or

Jésus vient de Galilée, et il va en Samarie aussi, terre presqu’étrangère pour les

Juifs de Judée. Conclusion : le Règne de Dieu ne se ent pas aux fron ères fixées

par des hommes.

Ce e liberté permet des rencontres ina endues, troisième indice : dix lépreux

s’avancent, mais un peu seulement, sans s’approcher vraiment, car, comme tous

les malades, à l’époque, ils sont considérés comme impurs et il leur est défendu de

venir tout près de ceux qu’on dit purs. Mais, même à distance, Jésus les voit et les

entend, il s’arrête pour les écouter. Autrement dit : le Règne de Dieu est l’accueil

des rejetés, des exclus de la société.

On pourrait maintenant s’a endre à ce qu’il arrive quelque chose de spectaculaire,

de phénoménal : une guérison en masse, dix à la fois ! Mais rien de tel, au

contraire, tout reste très discret. Conformément à la règle de l’époque, qui veut

que c’est un prêtre qui doit confirmer la guérison, Jésus leur donne simplement

l’ordre : « Allez vous montrer aux prêtres ». Autrement dit : « Sortez de votre

statut d’impurs, passez outre à ce e exclusion, et vous serez guéris ». Et

étonnamment, comme le dit le texte, la guérison a lieu « pendant qu’ils y

allaient ». Une fois de plus, le Règne de Dieu se réalise lorsqu’on est en chemin.3

Mais il y a maintenant, et c’est encore un indice, un mouvement de retour, et là, il

y a quelques surprises, quelques complica ons : après être allés se faire confirmer

leur guérison, apparemment neuf d’entre eux s’en vont, contents de se retrouver

dans la société normale, libérés de leur exclusion. Un seul revient auprès de Jésus

« en rendant gloire à Dieu à pleine voix », dit le texte. Signe de reconnaissance, de

gra tude pour la guérison reçue, qu’il exprime en se jetant le visage contre terre

aux pieds de Jésus, ce qui veut dire : par une grande prosterna on. Et en passant,

le texte précise que ce dixième qui, lui, revient, était un samaritain. Surprise, donc,

c’est celui qui était doublement exclu, non seulement comme lépreux, mais aussi

comme samaritain, comme étranger de mauvaise réputa on, qui vient rendre

grâce à Jésus. Dans un premier temps, Jésus semble se fâcher, demande de

manière vive : « Et les neuf autres, où sont-ils ? », et constate avec un peu de dépit

qu’il n’y a eu « que cet étranger » pour venir rendre gloire à Dieu.

Mais ensuite, il se tourne vers cet étranger quand même, pour le relever et pour

reconnaître sa foi, sa confiance, qui le sauve. Que se passe-t-il à ce moment ? La

reconnaissance, qui, dans un premier temps, est grattude, devient ici une

véritable reconnaissance réciproque. Le samaritain guéri a reconnu Jésus, et Jésus

le reconnaît à son tour, l’accueille avec sa confiance et l’accepte, lui l’étranger qui a

cru plus que les neuf autres. On peut donc dire : le Règne de Dieu, c’est cette

reconnaissance, cette acceptaton réciproque, cette réciprocité dans la confiance,

que les neuf autres, même guéris, ont raté.

Ainsi donc, c’est comme si l’histoire des dix lépreux répondait à l’avance à la

ques on des pharisiens. « Vous, pharisiens, qui avez établi des principes rigides,

fixé des règles strictes de pureté et d’impureté, organisé la vie en 613

commandements et interdic ons, apprenez que le Règne de Dieu vient tout

autrement, en agissant parmi vous, par un dynamisme du cheminement, par un

accueil des exclus et des étrangers, par-delà les barrières que vous avez dressées,

par une a en on, une écoute des détresses, par une reconnaissance réciproque

qui suscite la rencontre et la confiance. C’est là que se manifeste le Règne de

Dieu : non pas dans de grands signes, éblouissants et fracassants, mais dans les

pe ts pas de l’appren ssage d’une vie, d’un amour et d’une confiance qui se

déploient parmi vous et qui vous renouvellent de jour en jour. »

Et nous aussi, en ce temps où sévissent les guerres et les violences, où les rapports

se durcissent, où les puissants méprisent de plus en plus les pe ts, où partout

s’érigent des murs et des barbelés, où les milliardaires s’achètent tout, même la

jus ce, même la vérité, même la planète, nous espérons aussi que vienne un

temps nouveau, et nous aimerions en voir les signes annonciateurs, pour pouvoir4

entrevoir un avenir plus prome eur pour nous, nos enfants et pe ts-enfants. Mais

le message de Jésus vaut aussi pour nous : « Le Règne de Dieu est déjà parmi vous

discrètement, il est le ferment qui travaille votre vie quo dienne pour vous

maintenir en chemin avec courage, pour y faire fructfier l’écoute, la rencontre,

l’accueil et la reconnaissance réciproque. Chacune et chacun là où ils peuvent agir,

devenir des ar sans de la paix et de la solidarité, chacune et chacun à sa mesure,

selon ses forces et capacités. C’est ainsi que vous serez témoins du Règne de

Dieu. » Amen.

Homélie par le pasteur Guillaume Klauser, le 10 novembre 2024

Homélie par le pasteur Guillaume Klauser, le 10 novembre 2024

 

Marc 12, 41-44 et 1Rois 17, 8-16

Chères sœurs, chers frères
C’est un très court passage de l’Evangile qui nous est donné ce matin. Pourtant, comme tout dans le plus ancien des Evangiles, l’essentiel y est décrit, l’essentiel pour nous faire grandir dans la foi.
Car c’est bien de foi, de vie de foi, et de relation à Dieu qu’il est question ici, et non d’un enseignement moral sur le don d’argent ou sur le don de soi. Ce n’est pas non plus un hymne à la sainteté qui nous grandirait par rapport aux autres face à Dieu.
On peut alors se questionner sur la logique qui est celle de ce texte et ce qu’elle dit de la foi.
Etrange posture que celle de Jésus, qui, pour une fois, n’est pas debout sur le chemin, mais qui est assis et qui observe. Ce qu’il observe, ce sont des gens, mais c’est également tout un système, qui demandait à tout un chacun de venir déposer de l’argent au Temple. Un système qui entretenait financièrement une administration religieuse immense, et qui reposait sur une idée très simple : celle d’un échange avec la divinité. Tu donnes de l’argent, je t’assure ma protection.
Le récit de cette veuve nous est rapporté juste après que les spécialistes des Ecritures, les scribes, soient eux aussi venus déposer leur offrande, eux qui se pavanent dans leurs beaux habits pour se faire voir. Alors au vu des sommes colossales que devait brasser l’institution religieuse, une question vient : pourquoi la pauvre femme n’a-t-elle pas mis seulement une pièce dans le tronc, et non les deux qu’elle possédait ? Personne ne lui en aurait voulu ! Même avec une seule pièce donnée, elle aurait illustré un magnifique acte de générosité. Mais ce n’est pas la générosité qui est ici en question. Evitons alors de réduire cet épisode à la démonstration d’une performance en matière d’altruisme.
L’intérêt du geste de la veuve tient bien plus au fait qu’elle ne mesure pas, qu’elle ne compte pas. Si l’important avait été « de participer », elle n’aurait déposé qu’une seule pièce. Mais elle en dépose bien deux. En donnant le tout, en rompant avec la logique comptable, la veuve va ébranler les murs de la comptabilité religieuse du Temple, donnant un autre sens à son acte.
Ce que Jésus relève chez cette femme et qu’il ne trouve pas chez les scribes, c’est bien la foi. Jésus vise la racine du mal, la divinité institutionnalisée, contrôlée par l’institution religieuse du Temple. Ce que Jésus relève en observant la veuve, c’est la bonne nouvelle d’une relation à Dieu fondée sur la gratuité.
Car la question du don est délicate. Le don gratuit existe-t-il ? Les sciences sociales nous aident à comprendre qu’en réalité, le don est toujours associé à un contre-don. Ainsi, sous l’angle du don, le geste de celles et ceux qui viennent déposer là de l’argent n’est pas gratuit, puisqu’ils en attendent quelque chose en retour, une compensation quelconque comme une meilleure place dans la société.
Mais Jésus n’est pas, je l’ai déjà dit, en train d’enseigner la bonne manière de donner. Il parle plutôt de ce qui fonde la foi. La foi n’est pas dans la logique du don : elle est bien plutôt l’ordre de l’aban-don. Et la logique de l’abandon est radicalement différente de celle du don.
Contrairement au don qui procure bonne conscience et satisfaction de soi, l’abandon demande quant à lui de lâcher ses sécurités, d’accepter de dépendre des autres, d’un Autre. C’est là ce que nous dit le geste de la veuve. La foi de la veuve qui donne sans compter ce qu’elle avait pour vivre relève de cet abandon en pleine confiance à Dieu. C’est d’ailleurs aussi cette pleine confiance qu’Elie et une veuve, une autre veuve, sont invités à vivre, dans notre lecture du livre des Rois. C’est encore avec cette pleine confiance que retentira la parole de Jésus avant la croix « Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mt 26, 39).
Je dirais que c’est là que ça se corse. C’est là que nous touchons une question bien difficile. Si la foi ne réside pas dans le don ni dans le contre-don, mais dans l’abandon, qu’est-ce que cela signifie, pour moi, aujourd’hui ? C’est peut-être là la question de toute une vie…
Je repense à cet « abandon » à la grâce de Dieu par Dietrich Bonhoeffer lorsqu’il est en prison, traduit malheureusement par « soumission » en français… Ce que les germanophones ici comprendront parfaitement, cet « Ergebung », qui n’est ni une reddition, une capitulation, ni une mièvrerie pieuse, qui dit cette mise dans les mains du Père mais qui reste en même temps un engagement de toute sa personne, quelque chose qui tient bon.
Nous vivons un temps d’incertitudes, ce n’est pas nouveau et je ne vous apprends rien. Incertitudes parfois dans nos vies personnelles et parfois dans la marche de notre monde. La nouveauté, qui date de mardi dernier avec les élections américaines, n’est pas pour nous donner d’emblée et d’elle-même confiance. Pourtant je crois que c’est là qu’en tant que chrétiens, que chrétiennes, nous avons une réponse radicale, un mode d’être au monde, une manière de résister au découragement, depuis que Jésus est venu renverser les choses.
Cet abandon à la grâce de Dieu que Jésus nous révèle lorsque la veuve se présente au Temple me semble être une voix majeure, une voix qui compte, une voix à porter dans notre société. Cette confiance, c’est cette « petite espérance qui n’a l’air de rien du tout », comme disait Charles Péguy, mais qui est pourtant bien ce qui nous permet de continuer à vivre, de continuer à nous lever le matin et constater que « La cruche de farine ne tarit pas, et la jarre d’huile ne désemplit pas, selon la parole que le Seigneur a dite par l’intermédiaire d’Elie ».
Amen !

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier, le 9 novembre 2024

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier, le 9 novembre 2024

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier
Samedi 9 novembre 2024 – Mémoire des premières professions

1 Cor. 3, 9-11 + 16-7 ; Évangile selon St. Jean 15, 1-5 + 9-17

« Aimez-vous les uns, les autres comme je vous ai aimés »

C’est le cœur de l’Évangile, la colonne vertébrale de notre existence, l’orientation proposée donnant sens à notre vie = « Aimez-vous »… une parole essentielle, proclamée, entendue, dite et redite sans fin, si difficile à vivre, et nous nous l’approprions, mais, comme dit Maurice Zundel, parlant de religion, nous en faisons « une confidence d’amour, répétée sans amour ».

Alors, ce matin, nous essayons de la recevoir comme une parole neuve, afin que se réalise la promesse de Jésus = « Demeurez dans mon Amour afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite ».

Dieu est Amour, et nous, nous sommes le temple de Dieu, nous sommes donc habités par l’Amour, et invités à demeurer dans son Amour.

Le Christ est Vie de notre vie, notre cœur battant au rythme du Sien : Il est donc vivant au cœur de notre cœur.

L’Esprit Saint est joie ; quand Il souffle la présence du Christ dans l’Eucharistie, cette joie est la nôtre.

Que dire de plus ? Sinon demeurer relié, en dialogue, en conversation avec cette présence intérieure à nous-mêmes, silencieuse mais active, rejoignant le désir du psalmiste disant :

« La seule chose que je cherche, habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie (ps 26) ».

Habiter notre âme, cette résidence de l’Amour, de la Vie, de la Joie irradiant cette présence de Dieu en nous : demeurer en dialogue avec Jésus, l’Ami, pas en vue d’une réponse, mais pour être imprégné de sa Présence qui rejoint cette parole d’Hildegard de Bingen : « Le corps est le chantier de l’âme où l’Esprit vient faire ses gammes ».

Pour dire ce lien de communion, Jésus parle de la relation étroite, vitale, liant le vigneron à sa terre, le cep aux sarments portant le fruit de Son amour pour sa vigne : « vous en moi », « moi en vous » : Amis.

L’ordre d’aimer trouve son appui en Jésus qui a tout donné, en se donnant. Ce n’est pas un sentiment généreux ou une émotion profonde, mais une décision, un engagement de tout l’être, l’absolu d’un appel, une loi de Vie.

Aujourd’hui, nous faisons mémoire des premières professions, ici à Grandchamp, et, nous pensons à vous toutes, sœurs, qui répondez à cette vocation d’être amies de Jésus, vivant, sa Présence au plus intime de vous-mêmes, votre identité.

Quand, dans les années 1930, invitée par la belle-mère d’Hélène Bovet (Hélène que beaucoup d’entre vous ont connue) Mère Geneviève, signant encore son courrier : Madame Léopold Micheli, est venue visiter Grandchamp, en vue des premières retraites spirituelles, prémices de la communauté, elle a été conquise : « c’est le lieu rêvé » a-t-elle dit, « pas d’hésitation possible » !

Que nous soit faite la grâce d’accueillir le Christ – Amour avec la même détermination, pas par intuition, mais par conviction.

« Aimez-vous, les uns, les autres, comme je vous ai aimés », pour en cueillir son fruit : « la joie parfaite ».

Amen.

Prédication du pasteur Guy Lasserre, le 7 novembre 2024

Prédication du pasteur Guy Lasserre, le 7 novembre 2024

Prédication sur Luc 15,8-10
Jésus dit : 8 « Ou encore, quelle femme, si elle a dix pièces d’argent et qu’elle en perde une, n’allume pas une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle l’ait retrouvée ? 9 Et quand elle l’a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines, et leur dit : “Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, la pièce que j’avais perdue !” 10 C’est ainsi, je vous le déclare, qu’il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
La parabole de la pièce perdue, que nous venons d’entendre, est une parabole négligée. Pourquoi ? Peut-être parce que c’est une histoire de femmes, nous y reviendrons. Mais surtout car elle est entourée de deux paraboles qui ont eu beaucoup de succès. Luc, l’évangéliste, raconte avec ces trois paraboles la réponse de Jésus aux pharisiens et aux scribes qui lui reprochent de partager la même table que des pécheurs, et de se laisser ainsi contaminer par eux plutôt que de s’en tenir éloigné. Le pécheur ou le péché est donc l’un des thèmes importants qui apparaît dans ces paraboles et les relie. Des personnes vivent une séparation de Dieu mais surtout des retrouvailles avec lui. Notre parabole suit celle de la brebis perdue que le berger va chercher et ramène sur ses épaules, une image qui a marqué l’art chrétien, que l’on trouve déjà dans les catacombes de Rome et encore dans les livres pour enfants. La parabole qui vient ensuite, c’est celle du fils prodigue ou des deux fils, une des plus connues des Évangiles qui a suscité beaucoup de réflexions. Entre les deux, notre parabole semble un doublet qui n’apporte rien de neuf. Je vous propose de la voir ce soir plutôt comme une variation musicale sur un thème, chaque variation mettant en valeur un aspect particulier du thème. Mon hypothèse de lecture est qu’il s’agit de valoriser ce qui est propre à cette parabole et de le comprendre de manière complémentaire à ce que disent les autres. J’en retiendrai deux traits, ce qui est perdu est ici un objet et c’est une histoire de femmes.
Ce qui est perdu est ici une pièce d’argent et non un animal, comme dans la première parabole, ou un être humain, un ou deux fils, comme dans la troisième parabole. Qu’est-ce que cela change ? La pièce d’argent est un objet, sans volonté propre. Vous avez déjà sans doute tous perdu une pièce d’argent. Comment cela se passe-t-il ? Pour moi, en général, c’est quand j’ouvre mon porte-monnaie pour y chercher une pièce. Une autre glisse et tombe par terre. Parfois elle s’arrête à mes pieds et je la ramasse, parfois, elle se met à rouler, suit la pente ou la force de sa chute et disparaît. Elle se retrouve égarée dans un coin, incapable de regagner mon porte-monnaie si quelqu’un ne la cherche et ne la ramasse. Parfois notre éloignement de Dieu est un peu comme celui de la pièce. Je ne choisis pas de m’éloigner de lui mais je me laisse prendre par mes préoccupations, par mon désir de bien faire, par la pente, les courants du monde qui m’entoure et je me retrouve ensuite égaré, incapable de revenir par moi-même. La repentance, ici, n’est pas, comme dans la parabole du fils prodigue un retour sur soi qui amène à un retour au père dont le fils se souvient mais elle dépend entièrement de celui qui cherche. La pièce ne peut que consentir à se laisser retrouver, un peu dans la ligne de ce que Paul disait aux Corinthiens, comme une supplication : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20). Le retour ou la repentance est d’abord un cadeau que je reçois de celle ou celui qui se soucie de moi et me cherche.
L’autre particularité de cette parabole est qu’elle est une histoire de femmes. C’est une femme qui perd une pièce, allume la lumière, balaie et cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle trouve, puis, dans sa joie invite ses amies et voisines à fêter avec elle. Amies et voisines, ce sont aussi des femmes qu’elle invite. Même pour parler de la pièce, Luc utilise un mot grec féminin. Il ne parle pas du denier, comme dans d’autres passages, mais de la drachme, un mot féminin qui n’est utilisé qu’ici dans les Évangiles. J’y vois comme un clin d’œil de l’évangéliste. Dans cette histoire, tous les rôles peuvent être tenus par des femmes, elles y ont partout leur place. Comme celles qui sont perdues et retrouvées, comme celles qui cherchent avec soin, comme celles qui sont conviées à partager la joie des retrouvailles. Cela correspond à la pratique de Jésus, à son attitude avec les femmes qu’il interpelle, qu’il accueille et par qui il se laisse accueillir, toucher ou oindre, avec lesquelles il discute et qu’il accepte dans le groupe de ses disciples. Toutes les places sont aussi pour elles dans l’histoire de Dieu avec les humains.
Dans l’histoire de l’exégèse, les paraboles ont souvent été lues de manière allégorique. On a ainsi dit que le berger est figure de Dieu ou du Christ, comme le père dans la parabole du fils prodigue, mais, pour la femme, on y a vu la figure de l’Église. Je crois que ce n’est pas juste. Comme le berger, la femme est ici figure de Dieu ou du Christ. Elle le représente dans sa manière de chercher avec soin et jusqu’à ce qu’elle trouve, comme dans sa manière de faire la fête avec ses amies et voisines. La parabole invite à élargir notre vision de Dieu et à le voir aussi comme cette femme. En même temps la parabole nous montre que le comportement de cette femme qui balaie laisse transparaître Dieu, comme dirait Zundel. Elle fait apparaître son visage et son attitude pour nous, son soin et sa persévérance, son désir de retrouver chacune et chacun pour se réjouir avec elle. Quand je vois une femme qui balaie avec soin sa maison, je peux me dire, Dieu me cherche ainsi quand je me suis égaré.
Cette parabole est une parabole négligée, et c’est dommage. Elle vient élargir notre regard sur Dieu et nos histoires avec lui, sur ces éloignements qui peuvent égarer loin de lui et sur le retour à lui comme consentement à se laisser retrouver. Elle vient aussi élargir notre regard sur l’importance des femmes dans l’histoire entre Dieu et les humains. Elles ont leur place dans tous les rôles, perdues et retrouvées, chercheuses avec soin et conviées à la fête des retrouvailles. Dans leurs attitudes, elles sont aussi transparence à la figure de Dieu ou du Christ, manifestations de sa présence au milieu de ce monde. Amen

Guy Lasserre, prédication pour la communauté des Sœurs de Grandchamp, le 7 novembre 2024.

 Prédication de la pasteure Béatrice Perregaux-Allisson, le 6 octobre 2024

 Prédication de la pasteure Béatrice Perregaux-Allisson, le 6 octobre 2024

Gn 2, 18-24
Mc 10, [1.]2-16
He 2, 8b – 11

Chères sœurs, chers frères,

Voilà un texte pas facile. J’imagine que nous connaissons toutes des couples où l’un ou l’autre conjoint, ou les deux, sont des personnes divorcées. Et où il semble apparaître’ que ce nouveau couple est, sur la durée, une bénédiction, tant pour les conjoints que pour les personnes qui les entourent. Une bénédiction ou même une louange si je reprends la citation de Calvin qui disait qu’« un homme heureux est une louange au Seigneur » qu’il me semble aujourd’hui tout-à-fait judicieux de transposer aussi à « une femme heureuse est une louange au Seigneur ».

Or donc, que faire avec cette phrase « Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l’égard de la première ? ».

Moins méditative, ma prédication aujourd’hui prendra plus les traits d’une étude biblique. C’est peut-être un peu rude au point du jour un dimanche matin, mais c’est ce qu’il me semble le plus intéressant de vous apporter.

Tout d’abord, le contexte littéraire : Nous sommes dans la seconde partie de l’évangile de Marc (dès 8,22). Après la présentation et les miracles qui campent Jésus comme quelqu’un qui a autorité sur les démons, les éléments de la nature, Jésus vient d’annoncer sa Passion : une fois, deux fois. Il annonce à ses disciples qu’il va mourir et ressusciter. A chaque fois, les disciples ne comprennent pas la portée de ce qu’il partage, la souffrance, l’abaissement qu’il révèle, … : lors de la première fois, Pierre le rabroue. Lors de la deuxième, les disciples se querellent pour savoir qui est le plus grand parmi eux.
Alors que Jésus parle de sa mort, du don de sa vie, ses disciples se concentrent sur le paraître, les rôles, les honneurs ou les privilèges.

« Partant de là, Jésus va dans le territoire de la Judée, au-delà du Jourdain », c’est pour Jésus dans le récit’ comme quand d’autres traversent le Rubicon : il franchit une limite et prend résolument le chemin de Jérusalem.

Les disciples ne comprennent pas, disions-nous, et pourtant ils le suivent. « suivre » est un terme qui chez Marc caractérise l’essence du disciple, et donc du croyant aujourd’hui. « Qui est Jésus, vriament ? » (8,27ss) et « Comment le suivre ? » (8,34ss) sont les thèmes de cette deuxième partie de l’évangile. Et dans cette fresque générale du chemin vers Jérusalem, de la Passion qui se profile, autour de ces deux thèmes vient notre texte qui parle de deux sujets que l’on trouve souvent dans des enseignements éthiques : le mariage et les enfants.

Quelle est la nouveauté ou l’orientation particulière de Jésus sur ces sujets ?

« Est-il permis à un homme de répudier sa femme ? » (10,2). Les Pharisiens savent la réponse : ils la donnent juste après : oui, avec une lettre de répudiation.
La lettre de répudiation à l’époque protégeait la femme, pour qu’en cas de remariage, elle ne soit pas accusée d’adultère.

Mais ce qui est intéressant ici, c’est le déplacement qu’opère Jésus : les Pharisiens demandent ce qui leur est permis ; ils cherchent à clarifier l’étendue de leurs privilèges. Jésus renvoie au but de cette permission. Oui, il est bon qu’il y ait cette règlementation, c’est une manière de tenir compte de la vie et de notre humanité : de tenir compte de la vie, voire de la souffrance, de la violence, et des échecs, c’est ce qu’il appelle la « dureté de votre cœur ».
Et en même temps, Jésus déplace la question vers les deux références de la Genèse qui rendent compte de ce mystère humain et naturel d’un couple qui se forme. Il renvoie à ce qui nous fonde, à ce qui était « au commencement du monde », à ce passage qui dit qu’il y a eu des relations qui ont permis de grandir (père mère) ; de nouvelles relations qui se forment : « l’homme quittera son père et sa mère et les deux ne feront qu’une seule chaire ».
Oui la relation du couple est importante, fondamentale pour une société et oui, il est bon de la protéger.
Et si dans la Bible, on a pris la relation entre l’homme et la femme pour dire la relation entre nous et Dieu, Dieu sait comme elle peut aussi être difficile et comme il peut être structurant, libérateur et précieux de savoir compter sur la fidélité, la bonté fidèle de l’autre/ Autre.

J’ai envie de revenir à la phrase de la Genèse que cite Marc : « L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme » (Gn 2,24).
C’est peut-être l’âge de mes enfants qui me rend particulièrement sensible à ce passage d’une ‘relation qui fait référence’ à une nouvelle relation qui devient la référence première : de la relation aux parents à celle avec le compagnon choisi.
J’ai toujours été frappée par ce verset qui va à l’encontre d’une bonne partie de notre culture. On m’a dit que cela pouvait être la trace d’une époque matriarcale. Toujours est-il que dans ce texte, c’est bien l’homme qui quitte son père et sa mère’ et non la femme. C’est l’homme qui change de famille et se rattache à celle de son épouse.

C’est parce que j’ai toujours été intriguée par cette phrase que j’ai été suprise de constater que dans la manière dont Marc la cite, il change l’homme – masculin (isch « Mann » – comme dans la Bible hébraïque en Genèse) en homme – l’être humain (‘anthropos’ – « Mensch ») .
Et plutôt que de reprendre « et ils deviennent une seule chair », il met « et les deux deviennent une seule chair » [Deux remarques pour ceux qui aiment l’exégèse : Mc reprend la version de la LXX, tant pour anthropos que pour « les deux ». Le bout de phrase dans Mc « et il s’attachera à sa femme » semble être un rajout par souci d’harmonisation ; il n’est pas retenu par de nombreux mss].

Ce souci d’une attention égale aux deux membres du couple se retrouve dans l’enseignement que Marc, et lui seul – Matthieu ne l’a pas repris – donne à ses disciples en privé : « Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l’égard de la première ; et si la femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère. » (11.12)

Deux surprises pour l’époque :
La première est que l’homme peut être adultère par rapport à une femme – si cela peut nous sembler aujourd’hui le bon sens même, puisque la femme est autant touchée par l’adultère de son conjoint que l’inverse. Il faut savoir qu’à l’époque de Jésus, la formule du mariage était « je te mets à part pour moi » et cette formule n’était prononcée que par le mari. Le mariage faisait partie du droit des choses et la femme changeait de propriétaire.
La deuxième surprise pour le contexte juif de l’époque va dans le même sens : une femme peut répudier son mari. Et non seulement cela, les conséquences sont exactement les mêmes, la phrase est citée exactement de la même manière : « Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l’égard de la première ; et si la femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère. »

Ces différents éléments me mènent à penser que la pointe de ce texte n’est pas la question de savoir s’il est permis de se remarier une fois divorcé·e, mais qu’il en va bien plutôt de nouvelles relations, équitables, où chacune, chacun est reconnu·e avec les mêmes droits et devoirs. C’est une critique en règle d’un patriarcat où certains, de par leur genre, leur naissance, leur origine s’arrogent des droits, des privilèges, se permettent de traiter l’autre comme inférieur.

Et ce renversement-là se poursuit dans le texte avec le passage sur les enfants : les disciples rabrouent les enfants et ceux qui les amènent à Jésus. Et Jésus s’indigne : juste parce qu’ils seraient des adultes, juste parce qu’ils seraient des disciples, ils se permettent de repousser les enfants ! C’est le contraire de ce que Jésus vient d’expliquer ! « Le Royaume des cieux est à ceux qui sont comme eux » et « en vérité, qui n’accueille par le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas ». L’enfant à cette époque ne peut s’arroger aucun droit, ne peut prétendre à rien. L’enfant qui ne connaît pas encore la thora, n’avait à l’époque, aucun mérite à faire valoir devant Dieu. L’enfant fait de la place à l’autre et Jésus nous invite à lui faire la place. Jésus le bénit.

Et c’est ainsi que notre péricope s’insère dans et fait écho à la 2e partie de l’évangile de Marc où se dessine une nouvelle manière de vivre ensemble, en famille, en communauté et en société. Une nouvelle manière qui mène dans les paradoxes du pouvoir : là où le dernier est le premier ; ou le grand est serviteur et l’esclave de tous (10,42ss) .

La question passera donc plutôt de « suis-je adultère si je me remarie ? » à « est-ce que j’accepte de laisser tomber mon orgueil ? » « Est-ce que j’accepte l’échec de ce que tous deux nous avions compris comme appel ? » « Suis-je prêt, prête à accueillir la miséricorde et la grâce de Dieu ? »
Et puis : « Comment est-ce que je veux dorénavant vivre et faire vivre des relations sans utiliser mon genre, mon origine, mon rôle, ma fonction pour dominer l’autre ? »  « Suis-je prêt/ prête à renoncer à mes privilèges (cf. 9, 33-37 ; 9, 38ss ; 10,35ss) pour me mettre à la suite du Christ ? » « Est-ce que je vais vivre et favoriser des relations d’égal à égal, en mettant au centre les plus faibles (9,36) ? », « voir même me faire serviteur en renonçant aux premières places (10,44) ? ».

Et ne nous trompons pas : il s’agit là d’un programme subversif qui met en question e monde et les pouvoirs établis. Mais un programme aussi qui annonce les temps messianiques. Ceux que nous sommes invités à expérimenter déjà avec ceux et celles qui sont nos prochains.

Et là, tout d’un coup, ce texte sur le mariage et les enfants nous concerne toutes et tous, nous met en chemin à la suite du Christ, comme disciples, en direction de Jérusalem.

Homélie du pasteur François Caudwell, le 3 octobre 2024

Homélie du pasteur François Caudwell, le 3 octobre 2024

Prédication Grandchamp
3 octobre 2024
Romains 3,9-12.19-21 / Luc 8,22-25
J’ai dans mon bureau une petite icône, acquise à Grandchamp il y a quelques années, qui représente l’épisode de la tempête apaisée. Elle m’a été précieuse dans des temps d’inquiétude. J’aimais la sérénité confiante de Jésus endormi, et sa force tranquille capable d’apaiser nos tempêtes. Elle m’a aidé à retrouver un peu de paix intérieure.
Cependant, les textes qui sont proposés à notre méditation lancent un appel plus pressant. Loin de se limiter à nous tranquilliser, ils nous bousculent. Oui, l’apaisement de la tempête nous remue ! Car ces textes révèlent aussi la détresse de notre condition humaine, et interrogent notre foi en Jésus. Ce soir, c’est la foi qui est en question ; c’est le salut qui se manifeste !                                                                                          
Dans l’épître aux Romains, Paul cherche à faire comprendre à ses correspondants que le salut est hors de leur portée. Nous retrouvons là ce que j’appelle le réalisme biblique : une description de la société humaine, sans édulcoration, sans concession. La société, à laquelle appartenaient les premiers chrétiens de Rome, à laquelle nous appartenons nous aussi : un monde qui marche dans les ténèbres, qui s’auto-détruit, qui, dans sa folie perverse, court à la catastrophe. Un monde dont nous sommes tous responsables.
Paul évoque ce monde avec la Parole de Dieu. Il montre ainsi que cette situation n’est pas ignorée du Seigneur. Et il cite, il accumule les citations, sans contextualisation, de manière imprécise, les unes après les autres : les Psaumes 14, 53, 5, 140, 10, 59, 36 ! Exactement ce que ne devrait pas faire un théologien sérieux ! Tout cela pour affirmer : Il n’y a pas de juste, pas même un seul… Ils sont tous dévoyés. (Rm 3, 10-12)
Paul veut démontrer la force, la vérité de cette Parole. Et il garde confiance : elle peut atteindre sourds et aveugles. Pour les sourds et les aveugles, perdus dans la nuit du péché, Dieu fera alors briller sa lumière et retentir son salut : la justice de Dieu a été manifestée ! (Rm 3,21)
Dans nos perversions, nos injustices, nos violences, nos impiétés, nos impuretés, un Témoin s’est levé, porteur de l’accomplissement des promesses de l’Éternel. Les apôtres apprennent à le découvrir, dans la personne de leur compagnon de route…
Luc, avec les autres évangélistes, nous relate un miracle étonnant. La tempête apaisée est un prodige contre les forces de la nature, qui défie toute explication rationnelle.
Cette dimension du miracle, qui dépasse l’entendement, nous invite à quitter nos sécurités raisonnables, et à entrer dans le mouvement de la Révélation, à nous mettre à l’écoute de ce que la Parole de Dieu veut nous faire comprendre. Il convient de dépasser le spectacle, pour capter quelque chose de ce que le Seigneur nous signifie.
Tout se passe bien dans ce récit tant que Jésus prend part à la navigation avec ses disciples. C’est quand il s’endort que se déclenche la tempête. Comme s’il y avait une relation de cause à effet. Quand Dieu se retire, le mal se déchaîne.
Nous ne savons pas toujours pourquoi Dieu se retire, mais il nous arrive de faire l’expérience d’une absence – qui sait d’ailleurs si, parfois, ce n’est pas nous qui laissons Dieu de côté ?… Cette expérience s’exprimait déjà dans les prières de la Bible : Réveille-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur ? Sors de ton sommeil, ne rejette pas sans fin ! Pourquoi caches-tu ta face et oublies-tu notre malheur et notre oppression ? (Ps 44,24-25) Combien de détresses pourraient encore aujourd’hui s’exprimer dans cette prière ?
En peu de mots, Luc décrit la violence de l’événement : tourbillon, vent, vagues, danger… La tempête semble profiter du sommeil de Jésus, du silence de Dieu. Cependant, il est bien là ; il n’a pas quitté le navire. Jésus n’abandonne pas ses disciples, même et surtout quand la tempête se déchaîne.
Les Psaumes de la Bible évoquent ces flots tumultueux : Dieu, sauve-moi : l’eau m’arrive à la gorge… Je coule dans l’eau profonde, et le courant m’emporte ! (Ps 69, 2-3) Ces eaux désignent les puissances du mal, les forces qui détruisent l’humain. Les hébreux avaient peur de l’eau. Leur foi se fondait sur la victoire de l’Éternel sur la Mer, quand ils étaient sortis d’Égypte. Dieu seul est celui qui peut nous délivrer, nous retirer des grandes eaux (Ps 18,17).
Derrière la tempête, pour les disciples, il n’y a pas que le danger de la navigation. Ce sont des puissances qui se déchaînent contre eux, et qui s’en prennent même à Jésus qui est avec eux. Alors Jésus, comme pour chasser un démon, menace ces puissances (cf. Lc 8,26). Nous retrouvons ici ce dont parlait l’apôtre Paul : les humains sont submergés par le mal. Ils sont incapables d’y résister. Et pour eux ce mal, sans le secours de Dieu, conduit à la mort : Maître, maître, nous périssons ! (Lc 8 , 24)                                                    
Aujourd’hui, notre vie, notre monde sont éclaboussés par les vagues déferlantes de tempêtes : l’angoisse, le désespoir, les injustices, les pauvretés, les exils, les guerres, les pollutions… Nous crions à Dieu, et il nous semble parfois qu’il dort profondément.
Et pourtant, c’est dans ces tempêtes que nous sommes invités à découvrir sa présence…
Dans cette catastrophe expérimentée par les disciples de Jésus, il y a son réveil (Lc 8 ,24).
Le sommeil de Jésus, son immobilité, et même sa mort, Luc nous les fera découvrir encore une fois, un peu plus loin dans son Évangile, sur la croix. La vision d’un Maître apparemment incapable de sauver quand le mal se déchaîne : Il en a sauvé d’autres. Qu’il se sauve lui-même s’il est  le Messie de Dieu, l’Élu! (Lc 23,35)
Mais dans la tempête comme sur le Golgotha, il n’a pas quitté son poste. Il était plongé dans l’abîme des détresses humaines, dans les flots de nos misères, sous les vagues de nos péchés et de nos cris. Sa présence restait celle de l’ami fidèle et confiant : Père, entre tes mains, je remets mon esprit (Lc 23,46). Ainsi s’exprimait sa foi, cette foi de Jésus Christ (Rm 3,23 : dia pistewj Ihsou Cristou), cette foi qui porte le salut.                                                                                     
Jésus se réveille dans la barque : Il menaça le vent et les vagues : ils s’apaisèrent et le calme se fit (Lc 8,24). Il se réveillera aussi du sommeil du tombeau. Vainqueur du péché et de la mort, il se révélera le Sauveur de ce monde entier, reconnu coupable devant Dieu (Rm 3,19). C’est aussi cela que préfigure le récit de la tempête apaisée.
En le rédigeant, Luc n’a pas voulu nous offrir seulement une lotion apaisante, une tisane pour calmer nos angoisses, et nous permettre de dormir paisiblement, comme Jésus sur son oreiller (cf Mc 4,38). Luc ne recherche pas notre sommeil, mais notre réveil ! Notre réveil par la foi…
Une foi qu’il vient susciter, re-susciter en nous. Comme pour les disciples qui voient le sauvetage opéré par Jésus, et qui s’émerveillent  (eqaumasan : Lc 8,25). La peur laisse place à une stupéfaction, un émerveillement.
Voilà où apparaît maintenant leur foi (pistij). Elle n’est pas une œuvre de plus, un acte de bravoure, pour acquérir leur salut. Elle ne dépend pas d’eux. Elle est un éblouissement devant l’œuvre du Seigneur. Désormais, en ce qui nous concerne, elle consiste à accueillir, au milieu des ténèbres, la lumière de la résurrection, la joie d’un salut offert, par le Christ seul.
La petite icône de Grandchamp montre dans la barque Jésus endormi, et aussi Jésus réveillé et bénissant. Dans cette barque, au milieu des disciples, sont représentés deux Jésus !
Ingénieuse expression de la réalité qui est la nôtre, dans un monde qui n’est pas encore le Royaume de Dieu, et qui reste secoué, menacé, par des tempêtes de toutes sortes. Où Dieu semble lointain, endormi. Mais où, dans les pires détresses de notre vie ou de l’humanité, le Christ reste présent et nous invite à garder confiance.
Il est le Crucifié, qui souffre et qui meurt avec nous, pour nous. Mais le Crucifié est ressuscité. Il est aussi Celui qui s’est réveillé de la mort, qui est avec nous, pour nous, le Vainqueur des puissances destructrices.
Émerveillés, nous plaçons en lui notre confiance. Il est le Témoin de la justice de Dieu (Rm 3,21). Il est capable de sauver ceux qui périssent. Amen