Prédication de Pierre Marguerat, le 21 novembre

Prédication de Pierre Marguerat, le 21 novembre

Apocalypse 11, 15 – 19

Mes chères Sœurs et mes chers Frères,

J’aurais pu vous proposer une homélie à propos de Zachée, cette figure qui suscite en nous tant d’amitié. J’aurais pu, mais j’ai choisi de m’arrêter au texte de l’Apocalypse, un passage à découvrir dans la richesse de ses images et de ses symboles.

Le septième ange fit sonner sa trompette.

Dans l’Apocalypse, nombre de choses vont par sept. On parle des septénaires. Le septénaire des sceaux. Le septénaire des trompettes. Le septénaire des coupes.

À chaque fois, il est question d’événements qui frappent l’humanité, avant la fin des temps, avant le jugement.

Je me limite aux trompettes. Les six premières[1] déclenchent des événements qui ressemblent aux plaies d’Égypte,[2] la mer transformée en sang comme le Nil au temps de Moïse, la grêle, des sauterelles grosses comme des chevaux, avec des dents de lion, des sauterelles cuirassées comme des chars d’assaut et venimeuses comme des scorpions.

Il ne faut pas chercher derrière ces descriptions fantastiques des événements historiques particuliers que l’on pourrait dater. Les événements déclenchés par les trompettes, je cite un spécialiste, parlent symboliquement des malheurs qui affectent le monde. Ces événements que nous connaissons, qui frappent la vie du monde, qui touchent parfois nos vies personnelles par des drames et des souffrances. Ces événements, dont nous cherchons en vain la cause et la raison, comment les considérer ?

Deux versets, antérieurs à notre texte, nous offrent une piste de réflexion : 20 Quant au restant des hommes, …, ils ne se repentirent pas des œuvres de leurs mains, ils continuèrent à adorer les démons, les idoles d’or ou d’argent, de bronze, de pierre ou de bois, qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher. 21 Ils ne se repentirent pas de leurs meurtres ni de leurs sortilèges, de leurs débauches ni de leurs vols.[3]

Ils ne se repentirent pas, ils ne changèrent pas de vie. Ces événements sont des avertissements, comme ils l’étaient pour le Pharaon au temps de Moïse, un appel à écouter Dieu, à demeurer dans la confiance et l’obéissance. Un appel à une foi qui tient et qui demeure, un appel qui fait de nous des veilleurs et des veilleuses, comme le dit Jésus avant sa Passion, quand il évoque la fin des temps. Des hommes et des femmes qui ne lâchent pas la main de Dieu et qui demeurent ouverts  à leurs prochains. Si nous ne pouvons pas comprendre, nous pouvons accueillir le mystère de Dieu, le secret de son dessein. Un mystère ne s’explique pas, il s’accueille, il se reçoit.

7 … aux jours où l’on entendra le septième ange, quand il commencera de sonner de sa trompette, alors sera l’accomplissement du mystère de Dieu, comme il en fit l’annonce à ses serviteurs les prophètes.[4]

Eh bien, nous y sommes. Notre texte dit l’accomplissement du mystère de Dieu, l’accomplissement de son dessein.

L’Apocalypse se présente comme une liturgie céleste à laquelle nous assistons. Avec des voix, des officiants, des événements.

Une proclamation ouvre notre passage : Le royaume du monde est maintenant à notre Seigneur et à son Christ ; il régnera pour les siècles des siècles.

C’est ce que nous prions dans le Notre Père, c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire, pour les siècles des siècles.

Il est dit ici que c’est le règne unique du Seigneur et du Christ sur le monde. Et il est proclamé que c’est maintenant. La mort et la résurrection du Christ inaugurent le règne éternel de Dieu et de son Fils. Cette conviction se tient au cœur de nos célébrations et de nos vies. Pour parler comme l’Apocalypse, À celui qui siège sur le trône et à l’agneau, 2 louange, honneur, gloire et pouvoir pour les siècles des siècles.[5]

Jean et ses lecteurs vivaient sous le joug de l’Empire romain, ils en souffraient. Notre monde vit sous l’emprise de puissances multiples, politiques, économiques, électroniques, tant de gens souffrent aujourd’hui de la guerre, de la misère, de la pauvreté, du désespoir. C’est notre défi et notre espérance, de confesser contre les évidences notre confiance que le monde appartient à Dieu et à son Fils. C’est le message de l’Apocalypse, un message d’espérance.

Interviennent ensuite les vingt-quatre anciens. Qui sont-ils ? Selon l’avis de nombreux spécialistes, ce sont des figures de l’Ancien Testament, de ce qui est venu avant. Selon une tradition, les auteurs de l’Ancien Testament étaient au nombre de vingt-quatre. Ils figurent l’Ancienne Alliance. Ils sont associés à des moments décisifs de cette liturgie céleste. Tour à tour, ils chantent le Créateur, ils adorent l’Agneau, et ils participent à la scène finale du jugement.[6]

Ici, ils adorent le Seigneur : Nous te rendons grâce, Seigneur Dieu tout-puissant, qui es et qui étais, car tu as exercé ta grande puissance et tu as établi ton Règne. C’est la Première Alliance qui loue la Seconde.

Avez-vous remarqué qu’ils disent Seigneur Dieu tout-puissant, qui es et qui étais, qui es et qui étais. Manque : et qui viens, comme nous disons habituellement. C’est intentionnel, car tout ce passage célèbre la royauté présente de Dieu et du Christ sur le monde. Nous ne sommes plus dans l’attente mais dans le présent du Royaume de Dieu, dans la bonne nouvelle du Royaume.

Celles et ceux qui restent fidèles n’ont rien à craindre de la colère de Dieu. Rien ne peut nous séparer de son amour, comme dit Paul aux Romains, ni la mort ni la vie, ni le présent ni l’avenir.

Et la vision se poursuit : 19 … le temple de Dieu dans le ciel s’ouvrit, et l’arche de l’alliance apparut dans son temple.

Le temple s’ouvre sur ce qu’il a de plus secret : l’arche de l’alliance. Le premier livre des Rois nous dit qu’elle était dans le Saint des Saints, la partie la plus secrète du Temple où le Grand-Prêtre entrait une fois l’an.

Dieu dont la vision vient de célébrer la royauté avec le Christ, est le dieu de l’alliance. L’alliance se tient au cœur de la vie de Dieu, au cœur de son projet. Dieu s’engage envers les siens depuis toujours, il nous a envoyé son Fils, et nous sommes appelés à lui répondre dans la confiance et l’obéissance. Cela me fait penser aux récits de crucifixion de Jésus. Lorsque Jésus meurt, selon Marc, Matthieu et Luc, le voile qui sépare le lieu saint du lieu très saint se déchire. Et c’est comme si le Temple s’ouvrait, se fendait, le Dieu de l’Alliance se rencontre désormais en Jésus-Christ mort et ressuscité.

Amen

[1] Apocalypse 8,6-9,21

[2] Exode 7-11

[3] Apocalypse 9,20-21

[4] Apocalypse 10,7

[5] Apocalypse 5,13

[6] Apocalypse 4,10-11 ; 5,8-14 ; 19,4.

Homélie du pasteur Pierre Bühler, le 14 novembre 2024

Homélie du pasteur Pierre Bühler, le 14 novembre 2024

Luc 17,11-21

(11) Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la

Galilée. (12) A son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils

s’arrêtèrent à distance (13) et élevèrent la voix pour lui dire : « Jésus, maître, aie

pi é de nous. » (14) Les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. »

Or, pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés. (15) L’un d’entre eux, voyant qu’il

était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix. (16) Il se jeta le visage

contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce ; or, c’était un samaritain. (17)

Alors Jésus dit : « Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ? Et les neuf autres,

où sont-ils ? (18) Il ne s’est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à

Dieu : il n’y a que cet étranger ! » (19) Et il lui dit : Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé. »

(20) Les Pharisiens lui demandèrent : « Quand donc vient le Règne de Dieu ? » Il

leur répondit : Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. (21) On

ne dira pas : Le voici ou Le voilà . En effet, le Règne de Dieu est parmi vous. »

_______________________________

Chères sœurs et frères en Jésus-Christ,

L’histoire de la guérison des dix lépreux est bien connue. On en a fait, dans la

tradi on, un récit un peu moralisant : un seul revient dire merci, et neuf s’en vont,

apparemment heureux, mais vraiment très ingrats ! Pour ne pas en rester à ce seul

jugement moral, je vous propose de relire notre passage à par r de la fin.

Dans les deux derniers versets de notre passage interviennent soudain les

pharisiens, avec leur ques on : « quand donc vient le Règne de Dieu ? » Ils

expriment ainsi l’a ente qui habite les gens de l’époque : l’irrup on d’un nouveau

temps, de bonheur et de paix, de réconcilia on, où les souffrances seront effacées,

et les violences et les guerres abolies. On associait à ce e a ente l’espoir de

pouvoir en deviner les signes annonciateurs : on essayait d’observer l’arrivée de ce

nouveau règne par des phénomènes, des manifesta ons spectaculaires. Au

cinéma, on dirait : des effets spéciaux. Des signes qui nous perme raient de dire :

« Ah, regardez, là, le voilà, il arrive ! »

Jésus contredit ce e a ente : « Non, le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait

observable. » Le terme grec men onné ici est parateresis, et on l’u lise pour le

médecin qui observe le malade pour trouver les symptômes de sa maladie ou2

encore pour les astrologues qui observent le mouvement des corps célestes. Non,

le Règne de Dieu ne s’observe pas, nous dit Jésus, on ne peut pas dire « Le voici »

ou « Le voilà ». Le Règne de Dieu, c’est autre chose, c’est une réalité bien plus

discrète, vous ne le voyez pas, mais il est déjà là, il est déjà à l’œuvre « parmi

vous ». On peut imaginer la surprise des interlocuteurs : « Comment ? Parmi

nous ? Ça veut dire quoi ? » Et peut-être sommes-nous surpris, nous aussi : que

veut dire Jésus en proclamant ce e promesse : « Le Règne de Dieu est parmi

vous » ?

Pour répondre à ce e ques on, je vous propose de retourner maintenant à

l’histoire des dix lépreux, car il se pourrait bien que ce récit qui précède les deux

versets avec les pharisiens con enne quelques traces de ce e présence discrète

du Règne de Dieu parmi nous.

Le premier indice, c’est déjà tout au début de l’histoire l’indica on « comme Jésus

faisait route » : le Règne de Dieu n’est pas quelque chose de sta que, il n’est pas

établi en un lieu précis. Non, il est en chemin, il est inscrit dans une dynamique de

mouvement plutôt que dans une sta que de l’installa on.

Deuxième indice : Jésus est en route « à travers la Samarie et la Galilée », des

territoires qui, à l’époque, pour les bons croyants, ont une très mauvaise

réputa on. La Judée, elle, serait le bon territoire, mais pas la Samarie et la Galilée.

« Que peut-il venir de bon de Galilée ? », demandait-on de manière cri que. Or

Jésus vient de Galilée, et il va en Samarie aussi, terre presqu’étrangère pour les

Juifs de Judée. Conclusion : le Règne de Dieu ne se ent pas aux fron ères fixées

par des hommes.

Ce e liberté permet des rencontres ina endues, troisième indice : dix lépreux

s’avancent, mais un peu seulement, sans s’approcher vraiment, car, comme tous

les malades, à l’époque, ils sont considérés comme impurs et il leur est défendu de

venir tout près de ceux qu’on dit purs. Mais, même à distance, Jésus les voit et les

entend, il s’arrête pour les écouter. Autrement dit : le Règne de Dieu est l’accueil

des rejetés, des exclus de la société.

On pourrait maintenant s’a endre à ce qu’il arrive quelque chose de spectaculaire,

de phénoménal : une guérison en masse, dix à la fois ! Mais rien de tel, au

contraire, tout reste très discret. Conformément à la règle de l’époque, qui veut

que c’est un prêtre qui doit confirmer la guérison, Jésus leur donne simplement

l’ordre : « Allez vous montrer aux prêtres ». Autrement dit : « Sortez de votre

statut d’impurs, passez outre à ce e exclusion, et vous serez guéris ». Et

étonnamment, comme le dit le texte, la guérison a lieu « pendant qu’ils y

allaient ». Une fois de plus, le Règne de Dieu se réalise lorsqu’on est en chemin.3

Mais il y a maintenant, et c’est encore un indice, un mouvement de retour, et là, il

y a quelques surprises, quelques complica ons : après être allés se faire confirmer

leur guérison, apparemment neuf d’entre eux s’en vont, contents de se retrouver

dans la société normale, libérés de leur exclusion. Un seul revient auprès de Jésus

« en rendant gloire à Dieu à pleine voix », dit le texte. Signe de reconnaissance, de

gra tude pour la guérison reçue, qu’il exprime en se jetant le visage contre terre

aux pieds de Jésus, ce qui veut dire : par une grande prosterna on. Et en passant,

le texte précise que ce dixième qui, lui, revient, était un samaritain. Surprise, donc,

c’est celui qui était doublement exclu, non seulement comme lépreux, mais aussi

comme samaritain, comme étranger de mauvaise réputa on, qui vient rendre

grâce à Jésus. Dans un premier temps, Jésus semble se fâcher, demande de

manière vive : « Et les neuf autres, où sont-ils ? », et constate avec un peu de dépit

qu’il n’y a eu « que cet étranger » pour venir rendre gloire à Dieu.

Mais ensuite, il se tourne vers cet étranger quand même, pour le relever et pour

reconnaître sa foi, sa confiance, qui le sauve. Que se passe-t-il à ce moment ? La

reconnaissance, qui, dans un premier temps, est grattude, devient ici une

véritable reconnaissance réciproque. Le samaritain guéri a reconnu Jésus, et Jésus

le reconnaît à son tour, l’accueille avec sa confiance et l’accepte, lui l’étranger qui a

cru plus que les neuf autres. On peut donc dire : le Règne de Dieu, c’est cette

reconnaissance, cette acceptaton réciproque, cette réciprocité dans la confiance,

que les neuf autres, même guéris, ont raté.

Ainsi donc, c’est comme si l’histoire des dix lépreux répondait à l’avance à la

ques on des pharisiens. « Vous, pharisiens, qui avez établi des principes rigides,

fixé des règles strictes de pureté et d’impureté, organisé la vie en 613

commandements et interdic ons, apprenez que le Règne de Dieu vient tout

autrement, en agissant parmi vous, par un dynamisme du cheminement, par un

accueil des exclus et des étrangers, par-delà les barrières que vous avez dressées,

par une a en on, une écoute des détresses, par une reconnaissance réciproque

qui suscite la rencontre et la confiance. C’est là que se manifeste le Règne de

Dieu : non pas dans de grands signes, éblouissants et fracassants, mais dans les

pe ts pas de l’appren ssage d’une vie, d’un amour et d’une confiance qui se

déploient parmi vous et qui vous renouvellent de jour en jour. »

Et nous aussi, en ce temps où sévissent les guerres et les violences, où les rapports

se durcissent, où les puissants méprisent de plus en plus les pe ts, où partout

s’érigent des murs et des barbelés, où les milliardaires s’achètent tout, même la

jus ce, même la vérité, même la planète, nous espérons aussi que vienne un

temps nouveau, et nous aimerions en voir les signes annonciateurs, pour pouvoir4

entrevoir un avenir plus prome eur pour nous, nos enfants et pe ts-enfants. Mais

le message de Jésus vaut aussi pour nous : « Le Règne de Dieu est déjà parmi vous

discrètement, il est le ferment qui travaille votre vie quo dienne pour vous

maintenir en chemin avec courage, pour y faire fructfier l’écoute, la rencontre,

l’accueil et la reconnaissance réciproque. Chacune et chacun là où ils peuvent agir,

devenir des ar sans de la paix et de la solidarité, chacune et chacun à sa mesure,

selon ses forces et capacités. C’est ainsi que vous serez témoins du Règne de

Dieu. » Amen.