Homélie par la pasteure Alice Duport, le 8 avril 2021

Homélie par la pasteure Alice Duport, le 8 avril 2021

Jean 20, 11-18

Peut-être avez-vous connaissance d’un sondage relayé par Réformés.ch, le site d’information des Eglises de Suisse romande, posant la question suivante : « Croyez-vous en la résurrection corporelle de Jésus ? ». Les réponses étaient ensuite classées par confession, – et je trouve qu’elles sont sans grand intérêt.
D’abord, parce que c’est vraiment une question de journalistes qui, avant Pâques, croient faire de l’information.
Ensuite, parce que cette question ne devrait pas se poser – surtout pas dans un sondage où l’on coche des cases oui ou non !
Croire en la résurrection est une chose tellement intime, liée à un parcours de foi, à une façon de lire les Ecritures, de les comprendre, de les méditer – que la forme du sondage médiatique est presqu’indécente.
Croire en la résurrection – c’est d’abord affirmer que Christ est vivant, parce que chacune, chacun en est persuadé au fond de son cœur – Comme Marie-Madeleine dans le jardin du premier jour.
Croire en la résurrection, c’est avoir entendu le témoignage des femmes, des disciples, des apôtres de tous les temps qui ont murmuré, proclamé, crié sur les toits : Christ est ressuscité – il est vraiment ressuscité – Alléluia ! 

Mais d’abord, nous avons les témoignages de Paul et des évangélistes – ce soir, dans Jean. Et je suis toujours émerveillée par ces récits qui affirment sans s’imposer, qui suggèrent pour inviter à la foi – mais qui n’imposent jamais une vérité. Comme Jésus lui-même ne s’imposait jamais, mais invitait des auditeurs à le suivre – les récits de résurrection, les récits des apparitions du Ressuscité, invitent à la foi. 

Nous sommes dans un jardin au petit matin. Les disciples – Jean et Pierre – ont constaté que le tombeau était vide. Ils n’ont pas encore compris la résurrection et sont rentrés chez eux. Il y a cependant cette mention, concernant Jean : « Il vit et il crut ». Rien de plus.

Si on s’en tenait là, au tombeau vide et la réaction des disciples, j’ose dire que la résurrection est un non-événement. Il faudra la rencontre personnelle de Marie avec Jésus, puis des disciples, puis de Thomas, pour que la présence du Vivant, du Ressuscité devienne réalité pour eux.
Il faudra encore le don de l’Esprit, au verset 22, pour que les disciples comprennent leur mission au nom du Ressuscité – et que l’histoire de Jésus, le Christ vivant, arrive jusqu’à nous. 

Mais revenons à ce jardin, au premier matin de Pâques.
Marie de Magadala, elle, reste dans le jardin et pleure. 

Elle est bien sûr en deuil de son ami. Elle pleure à cause de la perte et de l’absence. Parce que la mort d’un proche fait si mal. Parce que le présent est sombre et que l’avenir ne s’envisage même pas.
Les anges dans la tombe lui demandent pourquoi elle pleure ! Question presque cruelle pour celle qui est en deuil.
Marie pleure – et la question lui sera posée deux fois.
Et la réponse est simple : elle pensait trouver le corps de Jésus. Elle pensait pouvoir se recueillir (comme ça se fait d’aller au cimetière). A noter que dans l’évangile de Jean, elle est seule et il n’est pas question de toilette du mort ou d’embaumement comme dans les autres évangiles.
Marie cherchait le corps de son ami et maître Jésus – pour « faire son deuil » dirait-on aujourd’hui.
Elle ne le trouve pas. L’objet de son deuil lui est ôté – et cette absence en rajoute à sa tristesse.
Elle est dans la mort, dans le deuil, dans les larmes. Et on le sait bien, les larmes empêchent de voir clair. Physiquement (les yeux pleins d’eau) et symboliquement : Quand on pleure, on ne voit pas bien – ni l’avenir, ni l’espérance, ni la consolation. 

La question lui est posée une seconde fois – « Femme, pourquoi pleures-tu ? – Qui cherches-tu ?» Et une seconde fois, Marie reste fixée sur l’absence du corps. La question n’est pourtant pas « que » cherches-tu – mais bien « qui » : une personne, un vivant.
Il faut que le Vivant l’appelle par son nom, pour qu’elle LE reconnaisse.
Elle cherchait un mort. C’est le Ressuscité qui l’appelle à le reconnaître, comme dans l’évangile de Jean, le Bon Berger connaît chacune de ses brebis pas son nom. 

C’est à l’appel de son nom que Marie reconnaît son maître, son Seigneur. Dans le jardin, elle ne s’attendait pas à voir le Vivant, mais juste un jardinier. Dans ce jardin, c’est la vie nouvelle avec le Ressuscité qui peut croitre, comme une création nouvelle.
Et elle veut toucher Jésus.

 « Ne me touche pas ! »
Jésus établit entre Marie et lui une distance. Cette parole reste un mystère qui continuera de nous interroger. Marie voulait-elle s’assurer que sa « vision » du jardinier, sa vision du Maître était bien réelle ? Que tout allait redevenir comme avant la mort en croix ? Comme si la souffrance, la mort et le tombeau étaient effacés ? Elle est humaine, Marie, elle veut toucher pour savoir, pour comprendre, et pour aimer encore ce maître et ami.

Mais ce « ne me touche pas » peut aussi être compris autrement.
Cela peut aussi se traduire par « ne me retiens pas » – comme le fait la TOB. Et le Ressuscité d’ajouter « je ne suis pas encore monté vers mon Père ».
Dans l’évangile selon Jean, c’est la seule allusion à ce que nous appellerons plus tard, l’Ascension, en nous appuyant sur les récits de Luc. L’Ascension, c’est l’affirmation que Jésus n’est plus physiquement avec nous, que rien n’est « comme avant » pour Marie et les disciples. Désormais, comme il l’avait annoncé avant sa mort – il est dans la maison du Père pour nous y préparer une place. 

Dans la NBS, « ne me touche pas » est traduit « Cesse de t’accrocher à moi » ! Traduction assez osée, presque violente dans son expression. Et pourtant, très juste, je crois.
Marie voulait s’accrocher à l’ami, s’accrocher à l’illusion que la mort de l’avait pas pris, à l’illusion que tout redeviendrait « comme avant ». Mais s’accrocher au passé, s’accrocher à cette phrase « c’était mieux avant » – c’est idéaliser le passé et en faire une idole. Idole à laquelle on s’accroche trop souvent, même et surtout en Église. « Cesse de t’accrocher » !
Le Ressuscité n’est plus le Jésus d’avant. Il n’est pas l’homme du passé, mais toujours le Seigneur de mon avenir, de l’avenir de l’Église, de l’avenir du monde.
Permettez-moi de citer le professeur Laurent Gagnebin : « Un regard sans cesse tourné vers la Croix nous fait regarder en arrière, alors que le Dieu de l’Evangile et de la résurrection nous oriente vers un futur à construire ».

C’est vers l’avenir que le Ressuscité oriente Marie. « Va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, mon Dieu qui est votre Dieu ».
Marie est chargée de mission. Comme nous le sommes encore, disciples et témoins du Seigneur vivant. Son Père est notre Père, son Dieu est notre Dieu. Sa vie est vie pour nous – en nous – par-delà la mort même. 

Christ vivant nous ouvre le chemin de la vie et fais de nous ses témoins.
Pourqu’à notre tour nous proclamions : « Oui, Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Alléluia ». Amen.

 

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour lundi de Pâques 2021

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour lundi de Pâques 2021

« CONVERSER AVEC JÉSUS LE SEIGNEUR RESSUSCITÉ »

1

« Père très saint, tu es trop grand pour que nous puissions te connaître.
Cependant, selon ton amour, tu es connu
grâce à Celui par qui tu as créé toutes choses,
ton Fils, dont parlent les Écritures,
ton Fils, trésor caché dans le champ de ce monde. »

Cette très belle prière eucharistique que nous dirons tout à l’heure reprend le cœur de la théologie de saint Irénée. Elle commence par rappeler la seule expérience authentique que nous puissions faire de Dieu : à savoir que Dieu est amour. Non l’amour tel que nous pouvons parfois le réduire à l’affection et aux sentiments -certes essentiels- mais l’amour qui nous bouleverse et nous enseigne à grandir, l’amour… de Dieu, trop vaste pour que nous puissions le contenir dans les limites de notre pensée ou de notre expérience. 

Les paroles des Pères de l’église se correspondent et se répondent. Au début de cette retraite Maxime le Confesseur disait : « Celui, celle qui est initié-e / introduit-e à la signification cachée de la résurrection connaît le but pour lequel Dieu dès le commencement créa tout ».
Ce matin saint Irénée chante la Présence du Fils Éternel, trésor caché dans le champ du monde.
Le but pour lequel Dieu dès le commencement créa tout, saint Irénée le résume en ces mots bouleversants : « Dieu veut converser avec le genre humain ! ». 

Ainsi les Écritures saintes ne s’adressent pas à notre intelligence seulement ; elles peuvent agir pour nous à la manière d’une lettre qui nous est adressée par un Ami. Les Évangiles visent à nourrir une relation vivante entre nous et Jésus Ressuscité.
C’est « dans le champ du monde », dans l’aujourd’hui de l’existence encore soumise aux conditions « avant-dernières » qui précèdent la vie sans fin, c’est dans notre quotidien déjà, que la relation avec le Ressuscité a une dimension concrète.

2

Saint Irénée nous partage sa découverte. Le Fils, dit-il, « s’est fait homme pour converser avec le genre humain. » Quel bonheur d’envisager l’Alliance sur le registre de l’amitié et selon les lois d’une conversation !

« Converser avec le genre humain » : c’est une expression que j’affectionne particulièrement. Envisager l’alliance avec le Seigneur comme une conversation ! Cela donne une idée de la simplicité avec laquelle Jésus veut nous être présent et nous permettre de vivre proches de lui. Converser avec le Seigneur…, retrouver la confiance et le naturel qui habitent la relation entre le Père Créateur et le premier couple humain qui pouvaient « entendre la voix du Seigneur Dieu lorsqu’il se promenait dans le jardin à la brise du jour ».

Voilà quelle relation Jésus a rétablie. Tout comme le Créateur se promenait à la brise du jour, le Ressuscité nous est proche et entame avec nous la conversation dans le souffle de l’Esprit.
Conversation veut dire proximité et attention ouvrant à la compréhension réciproque ; conversation veut dire temps accordé, durée suffisante pour laisser se créer un espace permettant de s’écouter mutuellement, d’accueillir et assimiler ce qui est échangé ; converser évoque un climat et les conditions favorisant la naissance d’une liberté de s’exprimer.
Converser évoque un dialogue qui n’est pas sous pression, mais qui inclut la durée et la patience indispensables à l’écoute bienveillante, à la nutrition du coeur et à sa transformation.

3

Dès les premières lueurs du matin de Pâques, nous chantons Alleluia !, nous répétons avec ferveur et force l’acclamation : Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Parfois même nous dansons ! Cela est bon et cela est juste, car c’est le cœur de la Bonne nouvelle et il est bon de la proclamer ensemble. Mais il est tout aussi vrai que du temps, parfois beaucoup de temps est nécessaire pour que la Joie de la Résurrection imprègne notre être et nos journées.

Jésus le sait et, pour nous permettre d’accueillir la re-création qu’il inaugure, il nous confie à l’Esprit. Jésus Ressuscité transmet, souffle, l’Esprit envoyé par le Père : nouvelle Genèse ! Le don de l’Esprit est la manière, pour Jésus, de réaliser sa promesse d’être avec nous tous les jours, jusqu’à la fin.
Ce sera l’oeuvre de l’Esprit de nous conduire toujours à nouveau vers le cadeau actuel et primordial de l’alliance : une conversation avec Jésus Ressuscité. 

Dans une conversation, les temps de silence font partie du dialogue ; le bonheur comme la douleur le plus souvent dépassent les mots, et c’est alors dans l’échange des présences, en restant simplement là, l’un pour l’autre, l’un avec l’autre que se vit l’échange, l’amitié.

La conversation et la rencontre avec un Ami ne dépendent pas prioritairement de nos états d’âme au moment où la rencontre commence. Une conversation entre amis n’est pas toujours abondance de paroles. Un désir balbutié, un désarroi ou une attente, exprimés par un regard dans la simple confiance, sont aussi un langage éloquent.

« Que sera le monde d’après ?… », le monde d’après cette semaine sainte, le monde après les soubresauts de toute épreuve ? Il se prépare maintenant, avec le don du Souffle, le don de l’Esprit saint qui éclaire la Parole, qui nous engendre à nouveau et soutient tout nouveau départ.
Avec Lui, nous pouvons accepter d’entrer dans un commencement chaque fois que l’exigent les circonstances et la fidélité à la vie.

Oh ! si chaque jour, à l’instant où nous ouvrons les yeux, juste avant que s’ouvrent nos paupières, se présentait en premier le souvenir de la Bonne nouvelle : « Jésus est ressuscité, Il est vraiment ressuscité ! ». La re-création dont il est le maître affleure à notre existence et l’accompagne.

Jésus a assumé le fait que sur la terre, il n’y avait aucun endroit de repos pour lui ; même sur la croix, sa tête n’avait où s’appuyer, en sorte qu’il a baissé la tête. Il n’y avait que le vide, aucun appui.
Dans cette absence totale, il a fait briller l’offrande du tout de sa personne, de sa vie, de sa compassion, de son pardon.
Il n’est aucune situation, désormais, qui puisse empêcher la re-création dont il est le maître d’affleurer notre existence et d’inspirer la vie humaine.

Jésus a accompli l’espérance de Dieu qui était de reposer dans l’être humain, doué de sagesse et appelé au partage d’un amour, d’une communion. Relisant la genèse, saint Ambroise peut dire :
La création du monde est totalement terminée quand l’homme est là, qui porte en lui le pouvoir sur tous les êtres vivants, qui récapitule dans son corps l’univers et reflète la beauté de toute la création.
Trouvons donc le repos comme Dieu « se reposa, après tout l’ouvrage qu’il avait fait » Gn 2,2). Il reposa à l’intérieur de l’homme, dans son esprit et dans sa volonté ; car il avait créé l’homme doté de la raison et fait selon son image, un être qui cherche ce qui est bon, tendu vers les dons gratuits de l’amour de Dieu. [1]

[1] AMBROISE, Hexameron, 6,75 in Alfons HEILMANN UN Heinrich KRAFT, Texte der Kirchenväter I, Kösel Verlag, München, 1963, p. 269, trad. Taizé. Cité dans Soyons l’âme du monde. Textes des chrétiens des premiers siècles, Taizé, Les Presses de Taizé, 1996, p. 102.

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour l’aube de Pâques 2021

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour l’aube de Pâques 2021

Mes soeurs, mes frères, nos chants de ce matin ne veulent pas couvrir, mais plutôt accompagner une question répétée pratiquement chaque jour par un grand nombre : « Que sera le monde d’après ?… », en référence évidemment à la crise importante de la pandémie – et cela vaut pour tant d’autres souffrances dans le monde.

Et si nous envisagions cette question dans un cadre plus vaste ? En commençant d’abord par la question de ce matin : « Comment se présente le monde d’après la crise assumée par Jésus en sa Pâque ? »

Ce monde d’après la crucifixion confirme et restaure une réalité attestée par les nombreux textes bibliques que nous venons d’écouter ! Ces textes, font entendre une déclaration d’amour et de dignité au sujet de chaque être humain, disant que tous nous avons été créés à l’image de Dieu.
Cette qualification : « créatures à l’image de Dieu » anoblit chaque femme, chaque homme, chaque enfant, et l’accompagne, l’entoure, comme une lumière dans la nuit. Où voyons-nous cette dignité lumineuse ?
Elle a brillé dans l’humanité de Jésus le Fils éternel. Sa bonté a fait briller devant nos yeux le visage même de Dieu. La bonté de Jésus nous a fait découvrir l’intention de Dieu ; d’une manière certaine il nous a fait voir son visage aimant.
En même temps, c’est l’image parfaite de l’être humain que Jésus nous a donnée par l’ensemble de sa vie terrestre. Il a été l’être véritablement humain, l’humain dont Dieu avait l’image lorsqu’il a créé l’univers. 

En ce moment même, et en ces jours de Pâques où progressivement vont être accueillis les signes et les annonces que Jésus est ressuscité, en cette aube où toute ombre est repoussée, un cri de JOIE, un cri de délivrance retentit : « Humains, Imitez le Christ ! Revêtez sa manière d’être ! Appliquez-vous à lui ressembler ! ». Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

Cela veut dire que l’annonce de la Résurrection n’est pas une bonne nouvelle seulement pour le futur. La Résurrection du Christ n’est pas une belle perspective qu’il nous faudrait en quelque sorte mettre en réserve pour l’avenir. La Résurrection de Jésus ne se limite pas à l’annonce qu’il y a un au-delà à notre vie terrestre.

Non ! La résurrection de Jésus illumine et impacte l’aujourd’hui de notre vie terrestre. Les évangiles ont une façon particulière de souligner cela. Ils insistent sur le fait que Jésus, lors de certaines de ses apparitions, a mangé avec ses disciples ou devant eux.
Ainsi nous apprenons que la corporéité propre à l’humanité de Jésus n’a pas disparu du fait de sa résurrection. Ce que Jésus a en commun avec notre condition humaine ne disparaît pas, mais connait, dans la résurrection, une nouvelle forme d’existence.
C’est donc le tout de l’être humain, corps, cœur, esprit, qui est concerné par la victoire de Jésus. Cette victoire de la vie, remportée par Jésus, concerne l’être que nous construisons actuellement, dans le présent de notre parcours. La vraie humanité, la manière d’être qui a brillé dans la personne de Jésus, nous réoriente et doit imprégner ce que nous exprimons tout au long de notre existence par les attitudes de notre corps, par les richesses de notre cœur, par la sagesse de notre esprit.
Oui, ce que nous vivons maintenant en notre corps, en notre cœur et en notre esprit façonne déjà notre être de résurrection. Et en retour la résurrection de Jésus impacte déjà notre être en ce monde.

Notre existence humaine que Jésus a rejointe, assumée, et qu’il guérit, est désormais perméable à la vie que, Ressuscité, il communique ; perméable à ses propres énergies qu’il offre en partage.
« Celui qui t’a formé, dit Grégoire de Nysse, a déposé en ton être une immense force. Dieu, en te créant, a enfermé en toi l’ombre de sa propre bonté, (…) ».[1] .
Apprends [donc] à connaître combien ton Créateur t’a honoré [toi, être humain] plus que toute [autre] créature : En effet, je ne vois pas qu’il soit écrit quelque part que le ciel est une image de Dieu, ni la lune, ni le soleil, ni la beauté des astres, ni rien de ce qui peut être vu dans la création.
[Toi] Seul tu as été fait image de la Réalité [ = Dieu] qui dépasse toute intelligence, ressemblance de sa beauté incorruptible, empreinte de sa divinité véritable, réceptacle de sa béatitude, sceau de la vraie lumière. Lorsque tu te tournes vers Lui, [la Lumière véritable], tu deviens ce qu’il est lui-même […].
GRÉGOIRE DE NYSSE, Deuxième Homélie sur le Cantique des Cantiques (PG 44,765).

 Ainsi se réjouit Grégoire de Nysse ! Frères et sœurs, nous savons qu’il en va effectivement ainsi de certains témoins du Christ et aussi de certaines personnes humaines qui sont de bonne volonté : nous trouvons en ces personnes une ressemblance avec ce qui en Jésus nous attire, nous encourage, nous appelle.
Cela est possible parce que Jésus a atteint la racine du genre humain. En sa Personne il a reconnecté l’être humain avec son origine, il a fait briller la vocation humaine, il a rétabli la confiance envers Dieu en attestant la puissance de sa bonté.
« Jésus est ressuscité ! » veut dire : Jésus vit ! « Jésus règne » signifie : il transmet ce qu’il est, il donne part à sa vie ! Ainsi, dit Ambroise : « La Parole de Dieu est venue à nous, et en nous elle ne se tait pas ».[2]

Olivier Clément évoque ce qu’est désormais la condition humaine : « l’Incarnation et la Passion du Verbe font jaillir dans cette vie mêlée de mort, dans cette vie toujours victorieuse et toujours vaincue, une vie mêlée d’éternité où l’homme est appelé à s’associer à la victoire définitive »[3].

Quel est donc ce monde d’après la Pâque de Jésus ? Certes, c’est un monde mélangé, où les forces mortifères sont encore actives, et même en des proportions aggravées en raison des moyens considérablement augmentés de propagations et de puissance, et selon un rythme d’accélération effrayante, comme peut l’illustrer au niveau sanitaire une pandémie. Mais nous vivons aussi, et c’est ce qu’annonce et établit la Résurrection du Christ, dans une histoire et une vie désormais mêlées d’éternité. Le Verbe Éternel devenu l’un de nous, Jésus, a dévoilé de quelle nature est l’amour de Dieu. Il a vaincu le mal non par une surpuissance… Il l’a traité à la racine, en apposant sa Présence. Il a tout visité, tout rejoint. Il a choisi de porter le poids et de souffrir les conséquences de toute forme de mal. Nous ne fêtons pas ce matin la victoire du plus fort. Nous apprenons que son amour a été le plus fort. Le fruit en est : le renoncement au désespoir [4].

Toute la vie de l’Église devrait être un « laboratoire de résurrection », dit un chrétien d’Orient[5], elle devrait vibrer d’un immense élan résurrectionnel embrassant toute l’humanité et tout l’univers.
Car sur la croix, Jésus nous a délivrés d’un régime tordu, le régime des crimes et des châtiments. Ressuscité, il nous appelle à adhérer à la joie et aux exigences de la Pâque : la joie et les exigences d’un enfantement.

Que sera le monde d’après ? se demandent actuellement des multitudes sur toute la terre. La voix du Christ Ressuscité nous appelle et nous encourage : aucune crise ne peut déborder celle qu’il a assumée dans sa Pâque. Ressuscité, il nous accompagne en toute crise vers la création d’une manière renouvelée de vivre.
Prenons au sérieux, tenons pour vrai, le fait qu’aujourd’hui encore Jésus Ressuscité transmet l’Esprit de Dieu lui-même. La victoire sur toute forme de mal, la victoire célébrée à Pâques s’étend de commencement en commencement.
Le souffle qui préside à chaque commencement, l’Esprit de Dieu, Conseiller, est présence toujours offerte pour accompagner le labeur de nos choix, pour soutenir le courage et la générosité des changements nécessaires.
Jésus, le Christ, est Ressuscité ! Il est avec chacune de vous, avec chacun de vous. Il est, pour tout être humain.

Amen.

 

[1] GRÉGOIRE DE NYSSE, Homélie sur la sixième Béatitude, in Les Béatitudes, Coll. Les Pères dans la Foi, DDB, Paris, 1979, p. 84 s., trad. Jean-Yves Guillaumin et Gabrielle Parent.

[2] AMBROISE, Traité sur l’Évangile de Luc, I,40, Sources chrétiennes 45 bis, Cerf, Paris, 1971, p. 67. Trad. Dom Gabriel Tissot o.s.b. Cité dans Soyons l’âme du monde. Textes des chrétiens des premiers siècles, Taizé, Les Presses de Taizé, 1996, p. 103.

[3] Olivier Clément, Sources. Les mystiques chrétiens des origines, Textes et commentaires, Paris, DDB, 2007, p.102

[4] L’expression est de saint Jean Climaque, L’Echelle sainte, 5è degré, 2 (Éd. Astir, Athènes, 1970, p.51). Cité par Olivier Clément, ouvrage cité, p.20

[5] Dumitru Staniloaë.

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour jeudi saint 2021

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour jeudi saint 2021

Quelles images s’imposent dès que nous entendons parler du Peuple de Dieu ?

Probablement l’image d’un peuple en marche : songez au départ d’Abraham, aux innombrables déplacements rapportés par les textes et récits bibliques.
Nous viennent aussi spontanément les images du peuple rassemblé pour célébrer et écouter son Dieu. Ce qui se vit principalement sous deux formes:

  1. a) les temps où le peuple est tout entier réuni au même endroit,
    au Temple de Jérusalem ou dans une synagogue ;
  1. b) les moments où la fête liturgique rassemble le peuple par clans ou par familles.

Troisième image fréquente, en plus de la marche et des rassemblements liturgiques, les repas, comme nous le voyons ce soir dans l’événement où sont associées les deux réalités, repas et marche [1]:

« Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois,
que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison.
   Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra
   avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes.
   Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. »
« Vous mangerez ayant déjà la ceinture aux reins, les sandales aux pieds,
   le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. »
« De fait, Pharaon convoqua Moïse et Aaron en pleine nuit, et leur dit :
       « Levez-vous ! Sortez du milieu de mon peuple, vous et les fils d’Israël.
         Allez ! Servez le Seigneur comme vous l’avez demandé. »

Physiquement ou intérieurement la marche caractérise le peuple de Dieu. Nous l’expérimentons d’ailleurs ces jours en suivant les étapes de cette semaine sainte. La marche suppose le don d’un avenir. Il y a marche parce qu’une terre est promise.

Quant à l’Eglise, quelles images nous viennent à l’esprit ?

Dans un magnifique spectacle intitulé Jésus était son nom, Robert Hossein annonçait ainsi l’Église : des petits cercles d’hommes et de femmes étaient assis en divers lieux, comme des brebis sur des pâturages. Là on se donnait la nouvelle : ce que Jésus avait dit sur un rivage du lac et ce qu’il avait enseigné un autre jour sur la montagne, comment il avait guéri un aveugle au sortir d’une ville et comment il avait répondu aux autorités du Temple…
En chaque cercle, tel homme, telle femme racontait son histoire ou son anecdote. C’est dans ce mouvement qu’une voix s’élevait pour demander comment Jésus avait enseigné à prier… Une autre voix commençait à dire : Notre Père qui es aux cieux… tandis que les femmes et les hommes de chaque groupe se mettaient à genoux, là où ils étaient.
À cet instant même fut annoncé l’entracte du spectacle ! Mais sur la scène toujours éclairée, les petits cercles d’hommes et de femmes demeuraient en silence, gardant l’attitude de prière. Autant dire que dans la salle les spectateurs ne se levaient qu’avec hésitation, un peu gênés de se déplacer alors que les acteurs, immobiles sur la scène, ne quittaient pas leur attitude de prière…
Image soudainement très réaliste de la fragile communauté des priants, petit îlot au milieu des mouvements du public alentour. Ces priants, ces amis de Jésus paraissaient saugrenus et quelque peu gênants dans leur immobilité. On les ressentait tour à tour et spontanément comme admirables, dérisoires, ou fort étranges, contrastant avec les va-et-vient des membres du public, entrés malgré eux dans le rôle des citoyens du monde…
C’était un beau et réaliste visage de la communauté, de l’Eglise !

Ce soir encore, partout sur notre terre, de petits cercles commémorent le repas de la Pâque, ce terreau familial et liturgique choisi par Jésus pour y déposer le grain du renouvellement de toutes choses, la grâce d’une guérison pour toute l’humanité, le don de toute sa personne, l’offrande de sa vie.

En ce repas où par avance il illustre le sens de sa mort sur la croix, Jésus donne à l’Eglise ce qu’elle doit devenir. Tout repas représente le don de la nourriture, le don d’un viatique pour soutenir la marche. À ce don s’ajoute celui des présences partagées.
Eh bien, l’attention aux présences, et le partage entre tous du nécessaire pour vivre, constituent l’apprentissage de la communion.
Voilà ce que Jésus donne, voilà ce que l’Eglise doit être.
Jésus lui-même, en sa Personne, est le viatique. En nous donnant l’ordre de vivre semaine après semaine ce même repas incomparable qui est le sien, Jésus Seigneur, Jésus Ressuscité nous oblige à être ensemble, à recevoir en un même lieu, en un même temps la nourriture irremplaçable :

Sa présence qui sauve et qui enseigne le don,
sa miséricorde qui relève,
son humilité et son service qui façonnent chez les humains la communion.

En ce repas, Jésus donne à l’Eglise son visage essentiel.
Il nous inscrit dans une histoire commune,
              Il nous donne une même appartenance,
              Un horizon est ouvert, une sortie va s’opérer, une mise en route débute.

À cette fin, Jésus unique nécessaire, seul viatique approprié, communique la vie en nous replaçant dans le lien continu qu’il a avec le Père, dans l’Esprit…

 

[1] Exode 12, 3-4.11.31.