Homélie du pasteur Serge Molla, le 11 février 2024

Homélie du pasteur Serge Molla, le 11 février 2024

Gn 12, 1-9 ; 1 Co 13 ; Lc 18, 31-43.

En ces temps troublés où les nuages s’amoncellent, une question semble légitime, celle de savoir ce qui restera en dernier ressort de tout ce bruit et cette fureur du monde, alors que tant de craintes et d’angoisses minent tout espoir et sapent toute espérance. La seule réponse qui paraît s’imposer, c’est RIEN. Il ne restera rien. Pourtant l’incroyable et seule vraie réponse qui s’offre à nous ce matin est la suivante : une seule chose restera, l’amour. Tout le reste passe et passera. L’apôtre Paul ne tergiverse pas à ce sujet, il ne se fait aucune illusion : tout disparaîtra à l’exception de l’amour.
Cette affirmation est formidable à entendre dans le contexte actuel et paraît en même tps d’une naïveté sans pareille au regard de la souffrance qui monte de la création toute entière due au réchauffe-ment climatique, ou à la suite des morts innombrables de civils ou de militaires que sèment les guerres ou à l’anxiété qui de-vient contagieuse ou encore du cynisme qui habitent certains grands de la politique ou de l’économie.
Autant relever que devant une telle affirmation – tout disparaîtra à l’exception de l’amour -, je revêts les traits de l’aveugle dont parle Luc, car je suis incapable de voir et de considérer la force et la puissance et l’éternité de l’amour. J’en parle bien sûr, mais est-ce que je crois vraiment que l’amour… ? Et si j’y croyais véritablement, est-ce que l’amour n’infuserait pas tout mon être et mon agir ? Je parle souvent de l’amour, mais j’en fais quelque chose d’idéal et de lointain, sans en rendre témoignage, ou si peu. J’envie et pense aux gens imprégnés d’amour comme l’aveugle songe aux voyants, tout en se disant qu’il n’a pas cette chance. Seulement ici, l’aveugle, c’est moi qui dois voir mes yeux se déciller. C’est moi qui dois impérativement recouvrer la vue et ne plus me laisser prendre ni envahir par l’état mortifère et déprimant du monde alentour.
Oui, ce cri de l’aveugle, c’est avant tout le mien, tant je reconnais ma cécité devant la force, la puissance et l’éternité de l’amour. Pourquoi cela ? Parce que j’en ai fait de la guimauve et permis qu’on le confonde avec de bons sentiments. Mais si tel était le cas, Paul n’écrirait en ouverture de sa réflexion : Je pourrais transmettre des messages reçus de la part de Dieu, posséder toute la connaissance et comprendre tous les mystères, je pourrais avoir la foi capable de déplacer des montagnes, si je n’ai pas d’amour, je ne suis rien ! Vous avez bien entendu RIEN ! Voilà qui réfute sans appel l’ensemble des définitions pour lesquels l’amour se joue d’abord dans les sentiments, le dévouement et le sacrifice, dans la solidarité et la fraternité, le service et l’action. Tout ce qu’on désigne effectivement par amour peut en être dénué, non parce qu’il y aurait une petite part d’égoïsme dans tout cela, mais parce que l’amour est tout autre chose que ce que nous entendons habituellement. Il n’est pas non plus dans la relation bienveillante de pers à pers, ni dans l’intérêt qu’on porte aux individus. Non. Ce dont parle Paul dans sa lettre, c’est de quelque chose de beaucoup plus radical que de la gentilles-se, de la sympathie ou du bisousnours organisé, voire institutionnalisé.
Une fois de plus, l’Ecriture bi bouleverse, voire renverse nos conceptions, dans lesquelles on oppose amour et vérité, comme si la seconde était objective, impersonnelle à l’inverse de l’amour qui ne serait que subjectivité. Alors que Paul rappelle précisément que l’amour met sa joie dans la vérité. Un amour qui n’embrasserait que le domaine personnel et abandonnerait le domaine objectif, un tel amour ne serait pas celui auquel Paul veut rendre attentif.
Une conviction forte, inspirée et sans appel, sous-tend sa réflexion : Dieu est amour. Dieu lui-même, et non pas tel comportement, tel sentiment, tel geste ou telle action. Aussi, seul celui qui connaît Dieu connaît l’amour. Ce n’est donc pas l’amour qui me fait connaître Dieu, mais l’inverse. C’est Dieu qui me révèle l’amour véritable, tant l’amour est d’abord son comportement et non le nôtre. Ce que toute l’Ecriture biblique ne cesse de rappeler.
L’amour divin est ainsi fondement, origine, de tout amour. L’amour désigne donc ce mouvement divin en faveur de l’ê hum et qui revêt un visage en Jésus. Aimer veut alors dire laisser transformer par Dieu son existence toute entière.
Aussi n’est-il pas étonnant que Paul énonce que l’amour dépasse la connaissance, toujours limitée, toujours en développement et à reprendre. Elle est partout ce qui ressemble à l’amour au sens où elle a aussi pour objet autrui. Elle qui veut saisir, comprendre et expliquer le monde, voire l’univers. Pourtant même si les con-naissances développées au cours des siècles sont immenses, force est de constater que l’horizon d’une terre apaisée où l’emporterait la fraternité humaine, cet horizon ne cesse de reculer. A la manière de la marée, l’horreur et le tragique reviennent encore et encore ronger les espoirs d’un monde où paix et justice s’embrasseraient. Et qu’on ne vienne pas me dire que tout cela arrive par méconnaissance ! Ce n’est pas vrai : l’être humain sait pertinemment ce qu’il fait lorsqu’il produit à outrance des tonnes de matériaux destinés à réduire en cendres et tuer, alors que tant d’hommes et de femmes continuent à croire que la violence est extérieure à eux, que ce sont eux, là-bas, qui en sont habités, et eux, là-bas, seulement. Autant dire que tous les savoirs accumulés, toutes ces connaissances engrangées n’y changent rien ou si peu. Je ne les dénigre pas, tant il en est qui élèvent, apaisent et guérissent, mais je souligne avec Paul qu’à l’inverse de l’amour, bien des savoirs ne portent pas en eux la vie, ou tout du moins ces savoirs n’instaurent ni paix, ni équité, ni fraternité durables.
Interrogé, troublé et déplacé par la réflexion de Paul et me souvenant du récit relatif à un aveugle, je réalise que pas de doute, l’aveugle, c’est moi, c’est vous, c’est nous qui voulons crier Seigneur, que je retrouve la vue. Crier pour enfin sortir du piège de la connaissance qui bâtirait la paix et des espoirs toujours déçus. Donne-moi de discerner ta présence et ne jamais perdre de vue que seul l’amour ne disparaîtra jamais.
Mais Paul ne se contente pas de dénoncer le caractère limité de la connaissance, il écarte tout autant les prophéties qui ne seront plus d’actualité, alors même que les médias en sont friands. Rendez-vous cpte, même la foi et l’espérance sont considérées comme inférieures à l’amour. Pour-quoi ? Parce que la foi confondue avec un doctrine qui sépare ou exclut ou la prophétie avec une connaissance de l’avenir ne veulent que développer le contrôle des autres et du monde.
Alors si seul l’amour est aussi fort et vrai que le souligne Paul et qu’il a faculté de ne jamais disparaître, alors oui, je crie à l’instar de l’aveugle Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! Seigneur, que je retrouve la vue !
Que je cesse de croire que l’amour n’est qu’un idéal qui ne sert finalement à rien sur le plan global…
Que je cesse de croire que l’amour dépend d’abord de moi, de mon ouverture, de ma bonne volonté…
Que je cesse de croire tout ce qui renforce mon aveuglement et augmente ma cécité à l’action de Dieu, à la promesse de Dieu amour qui ne disparaîtra jamais !
Oui Seigneur, que je retrouve la vue pour ne plus user à longueur de journée du mot amour, comme s’il m’habitait et dictait chaque instant de mon existence.
Que je retrouve la vue pour que Toi qui es amour vif en moi, et qu’ainsi toute rencontre s’éclaire.
Que je retrouve la vue pour que l’espérance, fondée en Toi amour qui ne peut disparaître, quelles que soient les exactions indicibles dont l’être humain est capable, pour que cette espérance nourrisse à nouveau le monde d’aujourd’hui.
Amen

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier, le 4 février 2024

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier, le 4 février 2024

Lectures : Gen. 9, 8-17, 2 Co. 11, 29 + 12, 10, Ev. selon St. Luc, 8, 4-15
L’Evangile, une fois encore, nous rappelle que Dieu sème la Vie et l’Amour, à tout va !
S’il fallait une image pour illustrer ce geste, je pense au « semeur » de Van Gogh : on y voit un homme au geste large, la main ouverte, et, l’éclairant : un grand soleil : symbole de Dieu, qui, par son éclat, habite le ciel et la terre.
La semence n’est pas réservée au pré-carré, elle est jetée sans compter et sans fin, destinée à tous les terrains, en tout temps d’ailleurs il est dit que tous l’ont entendue ou même accueillie.
Comme Dieu ne fait rien sans nous, Il nous a confié le relais = la responsabilité de poursuivre l’œuvre engendrée en nous, en étant, à notre tour et à sa suite, semeurs de vie et d’amour : là se jouent notre fidélité, notre obéissance.
Les mystères douloureux, les épines qui font mal, les coups de gel et de grêle qui blessent, les injustices qui découragent mais aussi l’aisance trompeuse, les tentations peuvent être autant de risques que notre terre intérieure se dénature, même un cœur loyal et bon  est à risque; mais j’aime croire à la fidélité infatigable du semeur qui poursuit sa démarche sans relâche, débroussaillant les champs encombrés, rendant fertiles les terres devenues incultes, par son Souffle de Vie et d’Amour rendant sa véritable identité à notre être profond.
Il arrive que le semeur ait affaire à des cas singuliers comme Paul, ce passionné de Dieu, qui se vante d’avoir tout vu, tout vécu, plus et mieux que le reste de l’humanité ; mais sa fougue doit être évangélisée et elle l’est au prix d’un effondrement tel, qu’il ne sait pas dire si ça s’est passé dans son corps, avec son corps ou hors de son corps.
Il consacrait sa vie à diffuser la loi de Dieu, mais en persécutant Jésus. Alors, c’est Jésus lui-même, parole vivante de Dieu, qui le rappelle à l’ordre : un peu douloureusement, en lui révélant une fragilité qui s’imposera à lui, présence désagréable, écharde dans la chair, ange de Satan lui rappelant que la force qui doit l’animer est à puiser à cette source de Vie et d’Amour qu’est le Christ ; la force de sa fragilité, c’est Dieu qui sème, et la semence, c’est le Christ.
Le Semeur est sorti pour semer la Vie et l’Amour. Mais l’Écriture nous parle aussi de la désolation de Dieu se repentant d’avoir créé l’être humain = face à la violence, à la perversion, au désordre, Dieu décide d’en finir ; mais Il ne peut pas se renier ; avec Noé, homme intègre et pieux, avec sa famille et le monde animal, Il prévoit un avenir et redonne à l’humanité le cadeau de poursuivre l’œuvre créatrice des origines, en l’assurant de Sa bénédiction, une nouvelle alliance, dont le signe est l’arc-en-ciel ! En fait, l’arc est un instrument de guerre ! Mais Dieu le suspend dans le ciel et le transfigure en arc-en-ciel, aux couleurs essentielles, celles de la Vie et de l’Amour, confirmant son alliance avec la Création ! L’arc-en-ciel : une parabole qui nous réjouit toutes les fois qu’il se déploie, rappelant la présence de la Lumière, sa priorité heureuse, sa beauté.
Notre monde en grande souffrance, rappelle tellement le temps de la tour de Babel : on y escalade le ciel, on tue la vie, on meurt de faim, tout est à l’extrême, au superlatif : comme une rivale à l’arche de Noé, on vient de mettre à l’eau un paquebot baptisé = « icône des mers » ! Avec l’équipage = 9000 personnes à bord, 360 mètres de long, 7 étages, etc. On utilise le langage religieux pour dire l’indécent.
Dieu n’aura peut-être pas besoin de se donner la peine d’imaginer un nouveau déluge : les hommes vont bien se charger de faire sauter la planète, mais le dernier mot appartiendra à Dieu parce qu’Il ne se renie jamais !
Ne sachant qu’aimer, Il a suspendu son arc à l’arbre de la croix, l’arc-en-ciel de Pâques : l’Amour et la Vie, au siècle des siècles.
Amen.
Homélie du pasteur Timothée Reymond, le 28 janvier 2024

Homélie du pasteur Timothée Reymond, le 28 janvier 2024

 

Inspirée par les commentaires de + M. Domergue, sj.

L’évangile de ce matin semble ne pas directement nous concerner, puisqu’il est question d’être libéré d’un esprit malin… Et pourtant, en prenant quelque peu distance, ne pourrions-nous pas tirer un parallèle pour notre vie ?
N’y a-t-il pas en nous quelque chose qui se trouble, se rétracte quand le Christ vient nous visiter ? Une sorte de peur ? Une part de nous-mêmes ne se met-elle pas en posture de défense quand nous sollicite le Dieu d’amour ? Nous sommes sans doute toutes et tous plus ou moins habités par ce genre de réaction…
 Peur d’avoir à changer, à renoncer à nos manières de nous comporter, à nos habitudes.
Et on pourrait même aller plus loin : n’y a-t-il pas en nous, sous-jacente, la volonté d’être estimé, voire admiré, l’ambition de se sentir meilleur et supérieur ? Cela peut nous conduire à minimiser ce que nous trouvons estimable chez les autres. Il nous arrive peut-être d’être rassurés et réconfortés quand ils commettent une erreur ou une faute !
Au fond, nous avons peur de ne pas être assez estimables. Tel est notre « démon » familier.
Ces propos doivent-ils vous culpabiliser ? Non, car en fin de compte, cet «esprit mauvais» n’est pas vous, moi, nous ; il n’est pas inclus dans notre création par Dieu.
 Alors, prendre conscience de la présence de cet « esprit mauvais » avec lucidité, avec un sourire, et même en haussant les épaules : le Christ, Lui, vient le chasser.
Le Christ nous amène à cesser de nous comparer pour nous mettre à aimer. Fin de nos tumultes intérieurs et de nos agitations. Fin de nos peurs. Commencement de notre vraie présence aux autres, une présence qui ne se préoccupe pas d’elle-même. Ouverture…
Et voici le paradoxe :  c’est par là que nous commençons à être vraiment nous-mêmes. Nous nous trouvons quand nous ne nous cherchons pas, quand notre regard porte tout entier sur le Christ. Et son regard à lui ne porte pas sur lui-même mais sur nous tous, pour lesquels il est venu dans le monde.
«Es-tu venu pour nous perdre ?», demande notre démon : la peur de ne pas être, est passée de nous en lui. Ne nous laissons pas contaminer par cette peur !

Jésus enseignait, nous dit l’évangile du jour, comme un homme qui a autorité. Ce mot ne signifie pas d’abord pouvoir mais liberté, capacité d’élever l’autre.
Si les scribes enseignent en se référant à l’Écriture et en citant ses commentateurs, Jésus de son côté parle en son nom propre.
Souvenons-nous des Il vous a été dit… et moi je vous dis… du discours sur la montagne selon Matthieu. Jésus ne se réfère à l’Écriture que pour montrer que c’est elle qui l’annonce et se réfère à lui.
Le voici qui parle donc en toute liberté, sans se soumettre à quoi que ce soit. Liberté proprement de Dieu, que nous ne pouvons comprendre parfaitement, nous qui sommes soumis à tant de choses…
Mais la liberté de parole n’est pas la seule forme d’autorité dont Jésus fait preuve : le voici qui commande aux esprits mauvais et ils lui obéissent.
L’expulsion du démon que Marc nous raconte n’est pas sans lien avec ce qui se produira à la Pâque, quand Jésus surmontera notre mal et notre violence, « nos démons ».
Mais la violence – présente en tant de lieux autour de nous et sur la terre – mais la violence, qui récapitule tout notre mal, devient notre idole si nous avons recours à elle pour la vaincre. Violence multipliée par elle-même qui devient infinie.
Le Christ surmontera la violence en refusant de la partager, donc en se soumettant à elle. Le maître plein d’autorité se fait alors serviteur de la miséricorde et de la paix, serviteur du Dieu tout Amour.
À la Croix, Jésus prend la place du démon que l’on expulse. Dieu l’a fait péché pour nous, écrit Paul. Par-là, Jésus occupe la place que notre mal occupait.
Notre évangile nous parle de « l’esprit mauvais ». Désormais, nous sommes habités par l’Esprit de Dieu que le Christ nous a donné et que nous continuons de recevoir. Jésus ne cesse de nous libérer de ce qui empêche la Vie, la « vivance », de ce qui empêche le véritable Amour.

Loué sois-tu, Dieu de vie. Par ton Esprit Saint, tu nous donnes une force intérieure, force de douceur pour que ta vie croisse en nous. Alors nous comprenons que le Christ est plus proche de nous que nous n’osions le croire. Prière de fr. Matthew

Homélie du pasteur J.-PH. Calame, le 1er février 2024

Homélie du pasteur J.-PH. Calame, le 1er février 2024

Grandchamp – Présentation de Jésus au Temple JPC – 2024.02.01

Intro.

« C’est soudainement que viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Qui alors pourra soutenir
le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? »
(Malachie 3,1-2)
Eh bien aujourd’hui… Celui dont le prophète se demandait : « Qui pourra soutenir sa venue ? » entre dans le temple dépourvu de puissance, porté comme tout premier-né par ses parents ;
Aujourd’hui… deux petits pigeons sont l’offrande de remerciement pour présenter Celui qui fera de toute sa vie une offrande pour toute l’humanité;
Aujourd’hui… Celui qui sera signe de contradiction dort tout abandonné dans les bras de sa mère ; Celui qui portera toute souffrance repose en toute confiance.

I
Ainsi nous apparaît ce soir la rencontre entre Dieu et l’humanité. Elle prend la forme de la présentation de l’enfant au Temple. Une très grande joie surgit alors, pour les humains et pour Dieu !
Pour les humains, joie de la proximité de Dieu, tant attendue par les fidèles témoins : car en Jésus, le visage de Dieu est maintenant dévoilé.
Joie aussi pour Dieu ! Car voici que le dialogue tant attendu par Dieu prend corps: en Jésus une vie humaine va offrir une vraie réponse d’amour au Créateur. Dieu qui n’est que don reçoit enfin en réponse une existence humaine qui ne sera que don.
Incapable encore de parler, Jésus enfant annonce déjà sa vérité : « Tu n’as pas voulu de sacrifice, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté. » (Héb. 10,5-7)

Mes sœurs, mes frères, cette scène de l’évangile résume le mystère de la vie ; pourquoi la vie, sinon pour qu’advienne et se déploie la rencontre entre Dieu et ses créatures ?
Or, pour que se réalise une rencontre, il faut des présentations ! Luc nous place devant cette caractéristique humaine essentielle : se présenter devant quelqu’un, c’est s’ouvrir à lui, se faire disponible, attendre de l’autre une parole, un geste, un regard. Se présenter ou être présenté, c’est, en un mot, s’offrir à une rencontre qui va attester notre présence à l’autre, mais aussi, en raison de la consistance de l’autre, nous décaler de nousmêmes !
Or, la présentation mutuelle de Dieu et de l’être humain débute dans le cadre d’un rituel ; la rencontre qui donne corps à la nouvelle alliance s’exprime de manière privilégiée dans une liturgie. Ce n’est pas un hasard ! C’est une loi de la rencontre : car la rencontre est un échange de don. Et la liturgie offre la possibilité irremplaçable de faire mémoire que tout est don, d’exprimer cette vérité et de la vivre profondément. La liturgie est cet indépassable moyen, inspiré par Dieu lui-même, qui nous permet de lui présenter chacun-e personnellement et ensemble une réponse de reconnaissance, l’offrande de notre louange. La liturgie est un temps consacré à l’accueil de l’action de Dieu, pour y répondre par l’action de grâce.
Il se pourrait bien que la présentation de Jésus au Temple soit l’un des enseignements majeurs au sujet de ce qu’est la nature même de la liturgie. N’est-elle pas un espace, une durée, dont on répète infatigablement l’offrande malgré l’absence -souvent- d’expérience sensible de Dieu, malgré la fatigue et l’ennui qui cherchent parfois à s’imposer ? Comme l’enseigne la présentation de Jésus au Temple, l’attente interminable des fidèles Syméon et Anne finit par recevoir réponse. Davantage : c’est cette attente prolongée durant des décades, sans réponse apparente, qui a préparé leurs cœurs à discerner la venue du Messie en un enfant semblable à tous les autres. C’est la fidélité de leur prière souvent mise à l’épreuve par la recherche d’une parole que l’on puisse dire à Dieu, qui en ce jour permet à Anne et Syméon de reconnaître la Parole de Dieu, le Verbe éternel présenté en ce petit qui ne peut encore prononcer aucun mot.

La prière, par ses convocations quotidiennes, inquiète l’être humain qui veut exister par l’action. Chez Syméon et Anne, cette prière, signe de contradiction dans le monde, leur a fait approcher la patience de Dieu.
1
[Tapez ici]
Grandchamp – Présentation de Jésus au Temple JPC – 2024.02.01

Au milieu des soupirs et des angoisses, ils ont adhéré à la lente germination des fruits authentiques, et au centre de leur cœur s’est élargi l’espace d’une louange ininterrompue.
Oui, mes sœurs vous le savez tellement par l’expérience : dans la liturgie commune comme dans la prière personnelle, les rendez-vous réguliers, la durée, les éléments de répétition mettent celles et ceux qui prient au défi de la confiance. Comment de si humbles et si pauvres moyens -la prière, la liturgie- peuvent-ils soutenir le monde, et la vie elle-même ?

II
Mais voici qu’aujourd’hui, c’est précisément dans un rituel, c’est précisément dans le cadre d’une liturgie que Dieu se présente. Alors, la présentation de Jésus au temple, fête de la rencontre, ne serait-elle pas aussi la fête de la liturgie ?
Jésus en sa chair, présenté au Temple, est physiquement affirmé comme le contact entre Dieu et ses créatures. Jésus enfant est au contact des quelques adultes qui le recueillent avec une attention de tout leur être. Le coeur de Dieu -qui envoie son Fils- et le cœur des humains -qui en prennent soin- sont unis dans un même élan, dans une même consécration à la nouvelle page de vie qui apparaît ici. Le ciel rejoint la terre et la sanctifie. « Tu m’as formé un corps. Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté. » Cette parole chacune, chacun peut la dire, à sa mesure: Marie, Joseph, Jésus, Syméon, Anne.

III
L’enfant qui repose ainsi avec confiance dans les bras de Syméon préfigure le Maître qui dormira sur le coussin de la barque secouée par un vent violent, et aussi l’artisan de paix qui devra confier son dernier souffle dans un cri: « Père, entre tes mains je remets mon esprit. »
Oui, p
Pour Dieu comme pour nous, la confiance n’annule pas la lutte. Bien plutôt, la lutte révèle tantôt la force, tantôt la fragilité de la confiance. La confiance de Syméon, nous la voyons éprouvée et robuste.
En effet, le même Syméon qui discerne en Jésus le salut pour tous les peuples, le même vieillard qui peut se dire rassasié de jours et prêt à s’en aller en paix, a le cœur assez disponible pour pressentir le prix de cette paix, pour entrevoir les déchirements que Jésus assumera pour accomplir la délivrance. Aussi, la bénédiction donnée par le sage et fidèle Syméon inclut, pour la prendre en charge, la lutte, la souffrance :
« Voici : cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction
– et toi, (Marie), ton âme sera traversée d’un glaive – ».

Mes sœurs, mes frères, la prière persévérante, la liturgie, n’est-elle pas cette irremplaçable pédagogue qui façonne notre être pour nous placer dans les dispositions de fidélité, de confiance et de reconnaissance qui furent celles Joseph, Marie, Syméon, Anne ?
N’est-ce pas dans la forme instituée, quasi immuable de la liturgie, que surgit la connaissance de ce qui était imprévu ? N’est-ce pas dans la forme instituée, quasi immuable de la liturgie, qu’est affiné le discernement pour repérer la restauration de la vie ?
N’est-ce pas dans les paroles et musiques, apprises par cœur, de la liturgie commune qu’apparaît l’inédit, l’inouï, ce qui n’avait jamais été entendu ?
N’est-ce pas dans la part de pauvreté du rituel que l’insondable richesse de la vie avec Dieu trouve son habitation ?
Alors, aux heures de lassitude, de lutte ou de doute, souvenons-nous : la prière, la liturgie éclaire et nourrit le mystère même de la vie ; elle nous présente Dieu et nous présente à Lui. Avec une espérance et un appel : devenir à notre tour bénédiction par Celui qui nous bénit. Amen.

Homélie de la pasteure Nicole Rochat, le 21 janvier 2024

Homélie de la pasteure Nicole Rochat, le 21 janvier 2024

Le bon Samaritain
Les trois textes de ce jour, font tous trois l’éloge de l’amour, l’amour du prochain en particulier.
Abraham nous impressionne par son empressement à accueillir généreusement les étrangers qui se présentent à lui. Le terme aimer n’est pas exprimé, mais nous sentons une telle joie à offrir le meilleur de ce qu’il a, qu’au fond de lui, nous pouvons imaginer qu’il y a beaucoup d’amour pour ces visiteurs, ces étrangers. Aucune crainte, aucune méfiance à leur égard, bien qu’ils soient des inconnus.
Dans le récit du bon Samaritain, le terme aimer n’est pas non plus exprimé, mais il est formulé différemment : Jésus fait l’éloge de celui qui a exercé la miséricorde, qui s’est positionné comme étant le prochain de l’homme blessé.
Dans l’hymne à l’amour, en 1 Corinthiens 13, nous avons comme le dévoilement de ce que devrait être l’amour, s’il pouvait s’accomplir au travers de nous, humains. Pourtant, ce merveilleux texte me rend terriblement humble, car je réalise combien je suis loin de vivre l’amour sous toutes ses facettes et avec chacune des personnes que Dieu met sur mon chemin. Car certaines d’entre elles sont faciles à aimer : on ressent un bon feeling si bien que la douceur, la bonté, la générosité sont pour nous comme une évidence. Mais il y a les personnes avec qui « ça frotte ». Alors là, comment faire ? Est-ce qu’il faut se forcer à aimer ? Pouvons-nous aimer par obligation ?
Vous savez probablement que le commandement tiré du Lévitique : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » n’est pas un impératif. Contrairement à ce que laissent croire certaines de nos traductions françaises, le texte hébreu ne dit pas : « Aime ton prochain comme toi-même ! ». Non, il s’agit d’un futur : « Tu aimeras… » sous-entendant que l’amour peut être un chemin. S’il est difficile d’aimer une personne, ne fermons pas la porte, pensant que c’est définitivement désespéré. Non, comme le dit 1 Co 13, l’amour est patient (non pas la personne ! C’est l’amour qui est patient, il ne s’irrite point, il ne soupçonne point le mal). Ça, c’est l’Amour, c’est à dire le souffle de Dieu qui pénètre jusqu’au plus profond de nous et nous transforme à son image.
Mais cette transformation ne se fait pas si facilement. Dans le texte de Luc que nous avons écouté, Jésus cherche à faire réfléchir le légiste qui lui pose des questions. Cet homme a récité bien sagement ce que dit la loi. « C’est bien ! », lui dit Jésus, mais cet homme met-il ces paroles en pratique ? Nous n’en savons rien, quoique deux choses laissent entendre que ce n’est pas le cas :
1. On peut s’étonner que Jésus dise deux fois à cet homme de faire ce qu’il sait être bien :
a. Il le lui dit au début, lorsqu’il vient de réciter le verset du Lévitique : « Fais cela et tu vivras ».
b. Ainsi qu’à la fin de la parabole, lorsque Jésus raconte combien cet homme a été bon envers le blessé. Là, Jésus dit au légiste : « Toi aussi fais de même ».
Étonnante cette insistance de Jésus à lui dire de mettre la théorie en pratique ! N’est-ce pas justement parce que cet homme a de la peine à le faire ?
2. Il est surprenant que Jésus raconte justement à cet expert de la Torah une histoire qui met en scène un prêtre et un lévite, donc deux personnes à qui cet expert enseigne comment agir. Or, il est fort probable que ces deux hommes agissent en conformité avec ce qu’il leur a enseigné. Mais Jésus démontre que le seul qui a bien agi est quelqu’un qui n’est pas soumis à son enseignement : un Samaritain, c’est à dire un juif de deuxième classe.
Visiblement, Jésus sait que ce légiste enseigne à obéir aux multiples lois du Pentateuque au risque de ne pas mettre en application le commandement d’amour lorsque l’un et l’autre s’opposent.
Jésus fait savoir à ce légiste d’une manière très habile qu’il sait pertinemment qu’il aurait agi de la même manière que le prêtre et le lévite. Il n’aurait pas manifesté d’amour, de miséricorde pour son prochain. Il se serait caché derrière son devoir d’obéissance à la loi pour désobéir au commandement d’amour.
Par-là, Jésus démontre qu’obéir à la loi, ce n’est pas toujours obéir à Dieu. Il est donc plus indispensable d’écouter son cœur et pas seulement sa tête. La tête a besoin du cœur pour une vraie obéissance. Dans notre récit, seul le Samaritain, lui qui n’est pas sous la coupe de ces enseignements desséchants, écoute son cœur et agit avec compassion.
Récemment, mon fils me confiait combien il s’était longtemps senti sous une sorte de contrainte pour agir « juste », c’est-à-dire selon ce qu’il pensait être juste aux yeux de Dieu. Mais il n’écoutait pas son cœur, il écoutait juste sa tête. Il s’est rendu compte que souvent il s’énervait contre des gens qui n’agissaient pas de manière juste à ses yeux.  Depuis cette prise de conscience, il essaie d’écouter son cœur. A vrai dire, il apprend à écouter son cœur, car il ne savait pas l’écouter, tout comme le prêtre et le lévite, de la parabole.
Le Samaritain est juste un humain touché par ce que vit un autre humain. Il ne se demande pas si cet homme lui est sympathique, s’il l’aurait aidé, lui, à sa place. Il agit intelligemment et généreusement. Mais il ne s’accroche pas non plus à cet homme au risque de l’envahir par sa prévenance. Non, il en fait juste assez ; il n’en fait pas trop non plus.
J’ai été très touchée par ce qu’a vécu une voisine de mon immeuble. Sa maman a été victime d’un terrible accident de voiture. C’était son compagnon qui était au volant. La voiture a immédiatement pris feu. Un automobiliste qui circulait dans l’autre sens, voyant la voiture en flammes, s’est immédiatement arrêté. Il a fait signe aux voitures de s’arrêter, puis il s’est empressé de sortir les deux blessés de la voiture. Lorsqu’il a pris la maman de ma voisine dans ses bras, celle-ci lui a dit « Je vais mourir, je vais mourir ». Et en effet, c’est dans ses bras qu’elle est décédée. Cette voisine me disait combien elle était reconnaissante envers cet homme d’avoir offert à sa maman de mourir dans les bras d’un étranger, certes, mais d’un homme plein d’amour, qui l’avait sortie des flammes au péril de sa vie. Lorsque cet homme lui a raconté les circonstances de la mort de sa maman, il n’a pas pu retenir son agacement d’avoir observé que conducteurs de voiture s’empressaient de mettre des images de l’accident sur les réseaux sociaux, mais qu’aucun d’entre eux n’est sorti de sa voiture pour lui venir en aide. Lequel d’entre eux a exercé la miséricorde ? Est-ce que sont ceux qui ont mis des messages larmoyants sur Facebook, Instagram ou X, tout fiers d’annoncer le dernier scoop ou est-ce c’est homme qui a pris des risques pour tenter de sauver la vie de deux personnes et pour être là au départ de cette maman ?
1 Corinthiens 13 lance un cri désespéré nous appelant à valoriser l’amour « agapé ». Ce terme apparaît 9 fois dans le chapitre. Nous l’avons vu, il ne s’agit pas d’aimer par devoir, ça sonnerait faux, mais de se laisser conduire par l’Esprit pour aimer vraiment, pour prendre soin de l’autre d’un amour désintéressé.  « Agapé », est la recherche du bien de l’être aimé. « Agapé », c’est l’amour qui vient de Dieu même quand tout est désespéré et que l’on n’y croit plus. Car notre Dieu est le Dieu des miracles et je crois qu’en amour, il n’a pas fini d’en faire.
Aujourd’hui commence la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, au cours de laquelle nous sommes invités à prier pour que les chrétiens atteignent la pleine communion et témoignent de l’amour envers tous. Oui, prions pour que nous apprenions à écouter ce que l’Esprit souffle à notre cœur, malgré nos obstacles intérieurs, afin que nous devenions toujours plus enfants de l’Amour.
Heureux ceux qui se savent pauvres en amour, parce qu’ils aspirent à ce souffle qui les ouvre à pressentir chez l’autre son infinie soif d’être aimé.