Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier, le 4 février 2024

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier, le 4 février 2024

Lectures : Gen. 9, 8-17, 2 Co. 11, 29 + 12, 10, Ev. selon St. Luc, 8, 4-15
L’Evangile, une fois encore, nous rappelle que Dieu sème la Vie et l’Amour, à tout va !
S’il fallait une image pour illustrer ce geste, je pense au « semeur » de Van Gogh : on y voit un homme au geste large, la main ouverte, et, l’éclairant : un grand soleil : symbole de Dieu, qui, par son éclat, habite le ciel et la terre.
La semence n’est pas réservée au pré-carré, elle est jetée sans compter et sans fin, destinée à tous les terrains, en tout temps d’ailleurs il est dit que tous l’ont entendue ou même accueillie.
Comme Dieu ne fait rien sans nous, Il nous a confié le relais = la responsabilité de poursuivre l’œuvre engendrée en nous, en étant, à notre tour et à sa suite, semeurs de vie et d’amour : là se jouent notre fidélité, notre obéissance.
Les mystères douloureux, les épines qui font mal, les coups de gel et de grêle qui blessent, les injustices qui découragent mais aussi l’aisance trompeuse, les tentations peuvent être autant de risques que notre terre intérieure se dénature, même un cœur loyal et bon  est à risque; mais j’aime croire à la fidélité infatigable du semeur qui poursuit sa démarche sans relâche, débroussaillant les champs encombrés, rendant fertiles les terres devenues incultes, par son Souffle de Vie et d’Amour rendant sa véritable identité à notre être profond.
Il arrive que le semeur ait affaire à des cas singuliers comme Paul, ce passionné de Dieu, qui se vante d’avoir tout vu, tout vécu, plus et mieux que le reste de l’humanité ; mais sa fougue doit être évangélisée et elle l’est au prix d’un effondrement tel, qu’il ne sait pas dire si ça s’est passé dans son corps, avec son corps ou hors de son corps.
Il consacrait sa vie à diffuser la loi de Dieu, mais en persécutant Jésus. Alors, c’est Jésus lui-même, parole vivante de Dieu, qui le rappelle à l’ordre : un peu douloureusement, en lui révélant une fragilité qui s’imposera à lui, présence désagréable, écharde dans la chair, ange de Satan lui rappelant que la force qui doit l’animer est à puiser à cette source de Vie et d’Amour qu’est le Christ ; la force de sa fragilité, c’est Dieu qui sème, et la semence, c’est le Christ.
Le Semeur est sorti pour semer la Vie et l’Amour. Mais l’Écriture nous parle aussi de la désolation de Dieu se repentant d’avoir créé l’être humain = face à la violence, à la perversion, au désordre, Dieu décide d’en finir ; mais Il ne peut pas se renier ; avec Noé, homme intègre et pieux, avec sa famille et le monde animal, Il prévoit un avenir et redonne à l’humanité le cadeau de poursuivre l’œuvre créatrice des origines, en l’assurant de Sa bénédiction, une nouvelle alliance, dont le signe est l’arc-en-ciel ! En fait, l’arc est un instrument de guerre ! Mais Dieu le suspend dans le ciel et le transfigure en arc-en-ciel, aux couleurs essentielles, celles de la Vie et de l’Amour, confirmant son alliance avec la Création ! L’arc-en-ciel : une parabole qui nous réjouit toutes les fois qu’il se déploie, rappelant la présence de la Lumière, sa priorité heureuse, sa beauté.
Notre monde en grande souffrance, rappelle tellement le temps de la tour de Babel : on y escalade le ciel, on tue la vie, on meurt de faim, tout est à l’extrême, au superlatif : comme une rivale à l’arche de Noé, on vient de mettre à l’eau un paquebot baptisé = « icône des mers » ! Avec l’équipage = 9000 personnes à bord, 360 mètres de long, 7 étages, etc. On utilise le langage religieux pour dire l’indécent.
Dieu n’aura peut-être pas besoin de se donner la peine d’imaginer un nouveau déluge : les hommes vont bien se charger de faire sauter la planète, mais le dernier mot appartiendra à Dieu parce qu’Il ne se renie jamais !
Ne sachant qu’aimer, Il a suspendu son arc à l’arbre de la croix, l’arc-en-ciel de Pâques : l’Amour et la Vie, au siècle des siècles.
Amen.
Homélie du pasteur Timothée Reymond, le 28 janvier 2024

Homélie du pasteur Timothée Reymond, le 28 janvier 2024

 

Inspirée par les commentaires de + M. Domergue, sj.

L’évangile de ce matin semble ne pas directement nous concerner, puisqu’il est question d’être libéré d’un esprit malin… Et pourtant, en prenant quelque peu distance, ne pourrions-nous pas tirer un parallèle pour notre vie ?
N’y a-t-il pas en nous quelque chose qui se trouble, se rétracte quand le Christ vient nous visiter ? Une sorte de peur ? Une part de nous-mêmes ne se met-elle pas en posture de défense quand nous sollicite le Dieu d’amour ? Nous sommes sans doute toutes et tous plus ou moins habités par ce genre de réaction…
 Peur d’avoir à changer, à renoncer à nos manières de nous comporter, à nos habitudes.
Et on pourrait même aller plus loin : n’y a-t-il pas en nous, sous-jacente, la volonté d’être estimé, voire admiré, l’ambition de se sentir meilleur et supérieur ? Cela peut nous conduire à minimiser ce que nous trouvons estimable chez les autres. Il nous arrive peut-être d’être rassurés et réconfortés quand ils commettent une erreur ou une faute !
Au fond, nous avons peur de ne pas être assez estimables. Tel est notre « démon » familier.
Ces propos doivent-ils vous culpabiliser ? Non, car en fin de compte, cet «esprit mauvais» n’est pas vous, moi, nous ; il n’est pas inclus dans notre création par Dieu.
 Alors, prendre conscience de la présence de cet « esprit mauvais » avec lucidité, avec un sourire, et même en haussant les épaules : le Christ, Lui, vient le chasser.
Le Christ nous amène à cesser de nous comparer pour nous mettre à aimer. Fin de nos tumultes intérieurs et de nos agitations. Fin de nos peurs. Commencement de notre vraie présence aux autres, une présence qui ne se préoccupe pas d’elle-même. Ouverture…
Et voici le paradoxe :  c’est par là que nous commençons à être vraiment nous-mêmes. Nous nous trouvons quand nous ne nous cherchons pas, quand notre regard porte tout entier sur le Christ. Et son regard à lui ne porte pas sur lui-même mais sur nous tous, pour lesquels il est venu dans le monde.
«Es-tu venu pour nous perdre ?», demande notre démon : la peur de ne pas être, est passée de nous en lui. Ne nous laissons pas contaminer par cette peur !

Jésus enseignait, nous dit l’évangile du jour, comme un homme qui a autorité. Ce mot ne signifie pas d’abord pouvoir mais liberté, capacité d’élever l’autre.
Si les scribes enseignent en se référant à l’Écriture et en citant ses commentateurs, Jésus de son côté parle en son nom propre.
Souvenons-nous des Il vous a été dit… et moi je vous dis… du discours sur la montagne selon Matthieu. Jésus ne se réfère à l’Écriture que pour montrer que c’est elle qui l’annonce et se réfère à lui.
Le voici qui parle donc en toute liberté, sans se soumettre à quoi que ce soit. Liberté proprement de Dieu, que nous ne pouvons comprendre parfaitement, nous qui sommes soumis à tant de choses…
Mais la liberté de parole n’est pas la seule forme d’autorité dont Jésus fait preuve : le voici qui commande aux esprits mauvais et ils lui obéissent.
L’expulsion du démon que Marc nous raconte n’est pas sans lien avec ce qui se produira à la Pâque, quand Jésus surmontera notre mal et notre violence, « nos démons ».
Mais la violence – présente en tant de lieux autour de nous et sur la terre – mais la violence, qui récapitule tout notre mal, devient notre idole si nous avons recours à elle pour la vaincre. Violence multipliée par elle-même qui devient infinie.
Le Christ surmontera la violence en refusant de la partager, donc en se soumettant à elle. Le maître plein d’autorité se fait alors serviteur de la miséricorde et de la paix, serviteur du Dieu tout Amour.
À la Croix, Jésus prend la place du démon que l’on expulse. Dieu l’a fait péché pour nous, écrit Paul. Par-là, Jésus occupe la place que notre mal occupait.
Notre évangile nous parle de « l’esprit mauvais ». Désormais, nous sommes habités par l’Esprit de Dieu que le Christ nous a donné et que nous continuons de recevoir. Jésus ne cesse de nous libérer de ce qui empêche la Vie, la « vivance », de ce qui empêche le véritable Amour.

Loué sois-tu, Dieu de vie. Par ton Esprit Saint, tu nous donnes une force intérieure, force de douceur pour que ta vie croisse en nous. Alors nous comprenons que le Christ est plus proche de nous que nous n’osions le croire. Prière de fr. Matthew

Homélie du pasteur J.-PH. Calame, le 1er février 2024

Homélie du pasteur J.-PH. Calame, le 1er février 2024

Grandchamp – Présentation de Jésus au Temple JPC – 2024.02.01

Intro.

« C’est soudainement que viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Qui alors pourra soutenir
le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? »
(Malachie 3,1-2)
Eh bien aujourd’hui… Celui dont le prophète se demandait : « Qui pourra soutenir sa venue ? » entre dans le temple dépourvu de puissance, porté comme tout premier-né par ses parents ;
Aujourd’hui… deux petits pigeons sont l’offrande de remerciement pour présenter Celui qui fera de toute sa vie une offrande pour toute l’humanité;
Aujourd’hui… Celui qui sera signe de contradiction dort tout abandonné dans les bras de sa mère ; Celui qui portera toute souffrance repose en toute confiance.

I
Ainsi nous apparaît ce soir la rencontre entre Dieu et l’humanité. Elle prend la forme de la présentation de l’enfant au Temple. Une très grande joie surgit alors, pour les humains et pour Dieu !
Pour les humains, joie de la proximité de Dieu, tant attendue par les fidèles témoins : car en Jésus, le visage de Dieu est maintenant dévoilé.
Joie aussi pour Dieu ! Car voici que le dialogue tant attendu par Dieu prend corps: en Jésus une vie humaine va offrir une vraie réponse d’amour au Créateur. Dieu qui n’est que don reçoit enfin en réponse une existence humaine qui ne sera que don.
Incapable encore de parler, Jésus enfant annonce déjà sa vérité : « Tu n’as pas voulu de sacrifice, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté. » (Héb. 10,5-7)

Mes sœurs, mes frères, cette scène de l’évangile résume le mystère de la vie ; pourquoi la vie, sinon pour qu’advienne et se déploie la rencontre entre Dieu et ses créatures ?
Or, pour que se réalise une rencontre, il faut des présentations ! Luc nous place devant cette caractéristique humaine essentielle : se présenter devant quelqu’un, c’est s’ouvrir à lui, se faire disponible, attendre de l’autre une parole, un geste, un regard. Se présenter ou être présenté, c’est, en un mot, s’offrir à une rencontre qui va attester notre présence à l’autre, mais aussi, en raison de la consistance de l’autre, nous décaler de nousmêmes !
Or, la présentation mutuelle de Dieu et de l’être humain débute dans le cadre d’un rituel ; la rencontre qui donne corps à la nouvelle alliance s’exprime de manière privilégiée dans une liturgie. Ce n’est pas un hasard ! C’est une loi de la rencontre : car la rencontre est un échange de don. Et la liturgie offre la possibilité irremplaçable de faire mémoire que tout est don, d’exprimer cette vérité et de la vivre profondément. La liturgie est cet indépassable moyen, inspiré par Dieu lui-même, qui nous permet de lui présenter chacun-e personnellement et ensemble une réponse de reconnaissance, l’offrande de notre louange. La liturgie est un temps consacré à l’accueil de l’action de Dieu, pour y répondre par l’action de grâce.
Il se pourrait bien que la présentation de Jésus au Temple soit l’un des enseignements majeurs au sujet de ce qu’est la nature même de la liturgie. N’est-elle pas un espace, une durée, dont on répète infatigablement l’offrande malgré l’absence -souvent- d’expérience sensible de Dieu, malgré la fatigue et l’ennui qui cherchent parfois à s’imposer ? Comme l’enseigne la présentation de Jésus au Temple, l’attente interminable des fidèles Syméon et Anne finit par recevoir réponse. Davantage : c’est cette attente prolongée durant des décades, sans réponse apparente, qui a préparé leurs cœurs à discerner la venue du Messie en un enfant semblable à tous les autres. C’est la fidélité de leur prière souvent mise à l’épreuve par la recherche d’une parole que l’on puisse dire à Dieu, qui en ce jour permet à Anne et Syméon de reconnaître la Parole de Dieu, le Verbe éternel présenté en ce petit qui ne peut encore prononcer aucun mot.

La prière, par ses convocations quotidiennes, inquiète l’être humain qui veut exister par l’action. Chez Syméon et Anne, cette prière, signe de contradiction dans le monde, leur a fait approcher la patience de Dieu.
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Grandchamp – Présentation de Jésus au Temple JPC – 2024.02.01

Au milieu des soupirs et des angoisses, ils ont adhéré à la lente germination des fruits authentiques, et au centre de leur cœur s’est élargi l’espace d’une louange ininterrompue.
Oui, mes sœurs vous le savez tellement par l’expérience : dans la liturgie commune comme dans la prière personnelle, les rendez-vous réguliers, la durée, les éléments de répétition mettent celles et ceux qui prient au défi de la confiance. Comment de si humbles et si pauvres moyens -la prière, la liturgie- peuvent-ils soutenir le monde, et la vie elle-même ?

II
Mais voici qu’aujourd’hui, c’est précisément dans un rituel, c’est précisément dans le cadre d’une liturgie que Dieu se présente. Alors, la présentation de Jésus au temple, fête de la rencontre, ne serait-elle pas aussi la fête de la liturgie ?
Jésus en sa chair, présenté au Temple, est physiquement affirmé comme le contact entre Dieu et ses créatures. Jésus enfant est au contact des quelques adultes qui le recueillent avec une attention de tout leur être. Le coeur de Dieu -qui envoie son Fils- et le cœur des humains -qui en prennent soin- sont unis dans un même élan, dans une même consécration à la nouvelle page de vie qui apparaît ici. Le ciel rejoint la terre et la sanctifie. « Tu m’as formé un corps. Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté. » Cette parole chacune, chacun peut la dire, à sa mesure: Marie, Joseph, Jésus, Syméon, Anne.

III
L’enfant qui repose ainsi avec confiance dans les bras de Syméon préfigure le Maître qui dormira sur le coussin de la barque secouée par un vent violent, et aussi l’artisan de paix qui devra confier son dernier souffle dans un cri: « Père, entre tes mains je remets mon esprit. »
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Pour Dieu comme pour nous, la confiance n’annule pas la lutte. Bien plutôt, la lutte révèle tantôt la force, tantôt la fragilité de la confiance. La confiance de Syméon, nous la voyons éprouvée et robuste.
En effet, le même Syméon qui discerne en Jésus le salut pour tous les peuples, le même vieillard qui peut se dire rassasié de jours et prêt à s’en aller en paix, a le cœur assez disponible pour pressentir le prix de cette paix, pour entrevoir les déchirements que Jésus assumera pour accomplir la délivrance. Aussi, la bénédiction donnée par le sage et fidèle Syméon inclut, pour la prendre en charge, la lutte, la souffrance :
« Voici : cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction
– et toi, (Marie), ton âme sera traversée d’un glaive – ».

Mes sœurs, mes frères, la prière persévérante, la liturgie, n’est-elle pas cette irremplaçable pédagogue qui façonne notre être pour nous placer dans les dispositions de fidélité, de confiance et de reconnaissance qui furent celles Joseph, Marie, Syméon, Anne ?
N’est-ce pas dans la forme instituée, quasi immuable de la liturgie, que surgit la connaissance de ce qui était imprévu ? N’est-ce pas dans la forme instituée, quasi immuable de la liturgie, qu’est affiné le discernement pour repérer la restauration de la vie ?
N’est-ce pas dans les paroles et musiques, apprises par cœur, de la liturgie commune qu’apparaît l’inédit, l’inouï, ce qui n’avait jamais été entendu ?
N’est-ce pas dans la part de pauvreté du rituel que l’insondable richesse de la vie avec Dieu trouve son habitation ?
Alors, aux heures de lassitude, de lutte ou de doute, souvenons-nous : la prière, la liturgie éclaire et nourrit le mystère même de la vie ; elle nous présente Dieu et nous présente à Lui. Avec une espérance et un appel : devenir à notre tour bénédiction par Celui qui nous bénit. Amen.

Homélie de la pasteure Nicole Rochat, le 21 janvier 2024

Homélie de la pasteure Nicole Rochat, le 21 janvier 2024

Le bon Samaritain
Les trois textes de ce jour, font tous trois l’éloge de l’amour, l’amour du prochain en particulier.
Abraham nous impressionne par son empressement à accueillir généreusement les étrangers qui se présentent à lui. Le terme aimer n’est pas exprimé, mais nous sentons une telle joie à offrir le meilleur de ce qu’il a, qu’au fond de lui, nous pouvons imaginer qu’il y a beaucoup d’amour pour ces visiteurs, ces étrangers. Aucune crainte, aucune méfiance à leur égard, bien qu’ils soient des inconnus.
Dans le récit du bon Samaritain, le terme aimer n’est pas non plus exprimé, mais il est formulé différemment : Jésus fait l’éloge de celui qui a exercé la miséricorde, qui s’est positionné comme étant le prochain de l’homme blessé.
Dans l’hymne à l’amour, en 1 Corinthiens 13, nous avons comme le dévoilement de ce que devrait être l’amour, s’il pouvait s’accomplir au travers de nous, humains. Pourtant, ce merveilleux texte me rend terriblement humble, car je réalise combien je suis loin de vivre l’amour sous toutes ses facettes et avec chacune des personnes que Dieu met sur mon chemin. Car certaines d’entre elles sont faciles à aimer : on ressent un bon feeling si bien que la douceur, la bonté, la générosité sont pour nous comme une évidence. Mais il y a les personnes avec qui « ça frotte ». Alors là, comment faire ? Est-ce qu’il faut se forcer à aimer ? Pouvons-nous aimer par obligation ?
Vous savez probablement que le commandement tiré du Lévitique : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » n’est pas un impératif. Contrairement à ce que laissent croire certaines de nos traductions françaises, le texte hébreu ne dit pas : « Aime ton prochain comme toi-même ! ». Non, il s’agit d’un futur : « Tu aimeras… » sous-entendant que l’amour peut être un chemin. S’il est difficile d’aimer une personne, ne fermons pas la porte, pensant que c’est définitivement désespéré. Non, comme le dit 1 Co 13, l’amour est patient (non pas la personne ! C’est l’amour qui est patient, il ne s’irrite point, il ne soupçonne point le mal). Ça, c’est l’Amour, c’est à dire le souffle de Dieu qui pénètre jusqu’au plus profond de nous et nous transforme à son image.
Mais cette transformation ne se fait pas si facilement. Dans le texte de Luc que nous avons écouté, Jésus cherche à faire réfléchir le légiste qui lui pose des questions. Cet homme a récité bien sagement ce que dit la loi. « C’est bien ! », lui dit Jésus, mais cet homme met-il ces paroles en pratique ? Nous n’en savons rien, quoique deux choses laissent entendre que ce n’est pas le cas :
1. On peut s’étonner que Jésus dise deux fois à cet homme de faire ce qu’il sait être bien :
a. Il le lui dit au début, lorsqu’il vient de réciter le verset du Lévitique : « Fais cela et tu vivras ».
b. Ainsi qu’à la fin de la parabole, lorsque Jésus raconte combien cet homme a été bon envers le blessé. Là, Jésus dit au légiste : « Toi aussi fais de même ».
Étonnante cette insistance de Jésus à lui dire de mettre la théorie en pratique ! N’est-ce pas justement parce que cet homme a de la peine à le faire ?
2. Il est surprenant que Jésus raconte justement à cet expert de la Torah une histoire qui met en scène un prêtre et un lévite, donc deux personnes à qui cet expert enseigne comment agir. Or, il est fort probable que ces deux hommes agissent en conformité avec ce qu’il leur a enseigné. Mais Jésus démontre que le seul qui a bien agi est quelqu’un qui n’est pas soumis à son enseignement : un Samaritain, c’est à dire un juif de deuxième classe.
Visiblement, Jésus sait que ce légiste enseigne à obéir aux multiples lois du Pentateuque au risque de ne pas mettre en application le commandement d’amour lorsque l’un et l’autre s’opposent.
Jésus fait savoir à ce légiste d’une manière très habile qu’il sait pertinemment qu’il aurait agi de la même manière que le prêtre et le lévite. Il n’aurait pas manifesté d’amour, de miséricorde pour son prochain. Il se serait caché derrière son devoir d’obéissance à la loi pour désobéir au commandement d’amour.
Par-là, Jésus démontre qu’obéir à la loi, ce n’est pas toujours obéir à Dieu. Il est donc plus indispensable d’écouter son cœur et pas seulement sa tête. La tête a besoin du cœur pour une vraie obéissance. Dans notre récit, seul le Samaritain, lui qui n’est pas sous la coupe de ces enseignements desséchants, écoute son cœur et agit avec compassion.
Récemment, mon fils me confiait combien il s’était longtemps senti sous une sorte de contrainte pour agir « juste », c’est-à-dire selon ce qu’il pensait être juste aux yeux de Dieu. Mais il n’écoutait pas son cœur, il écoutait juste sa tête. Il s’est rendu compte que souvent il s’énervait contre des gens qui n’agissaient pas de manière juste à ses yeux.  Depuis cette prise de conscience, il essaie d’écouter son cœur. A vrai dire, il apprend à écouter son cœur, car il ne savait pas l’écouter, tout comme le prêtre et le lévite, de la parabole.
Le Samaritain est juste un humain touché par ce que vit un autre humain. Il ne se demande pas si cet homme lui est sympathique, s’il l’aurait aidé, lui, à sa place. Il agit intelligemment et généreusement. Mais il ne s’accroche pas non plus à cet homme au risque de l’envahir par sa prévenance. Non, il en fait juste assez ; il n’en fait pas trop non plus.
J’ai été très touchée par ce qu’a vécu une voisine de mon immeuble. Sa maman a été victime d’un terrible accident de voiture. C’était son compagnon qui était au volant. La voiture a immédiatement pris feu. Un automobiliste qui circulait dans l’autre sens, voyant la voiture en flammes, s’est immédiatement arrêté. Il a fait signe aux voitures de s’arrêter, puis il s’est empressé de sortir les deux blessés de la voiture. Lorsqu’il a pris la maman de ma voisine dans ses bras, celle-ci lui a dit « Je vais mourir, je vais mourir ». Et en effet, c’est dans ses bras qu’elle est décédée. Cette voisine me disait combien elle était reconnaissante envers cet homme d’avoir offert à sa maman de mourir dans les bras d’un étranger, certes, mais d’un homme plein d’amour, qui l’avait sortie des flammes au péril de sa vie. Lorsque cet homme lui a raconté les circonstances de la mort de sa maman, il n’a pas pu retenir son agacement d’avoir observé que conducteurs de voiture s’empressaient de mettre des images de l’accident sur les réseaux sociaux, mais qu’aucun d’entre eux n’est sorti de sa voiture pour lui venir en aide. Lequel d’entre eux a exercé la miséricorde ? Est-ce que sont ceux qui ont mis des messages larmoyants sur Facebook, Instagram ou X, tout fiers d’annoncer le dernier scoop ou est-ce c’est homme qui a pris des risques pour tenter de sauver la vie de deux personnes et pour être là au départ de cette maman ?
1 Corinthiens 13 lance un cri désespéré nous appelant à valoriser l’amour « agapé ». Ce terme apparaît 9 fois dans le chapitre. Nous l’avons vu, il ne s’agit pas d’aimer par devoir, ça sonnerait faux, mais de se laisser conduire par l’Esprit pour aimer vraiment, pour prendre soin de l’autre d’un amour désintéressé.  « Agapé », est la recherche du bien de l’être aimé. « Agapé », c’est l’amour qui vient de Dieu même quand tout est désespéré et que l’on n’y croit plus. Car notre Dieu est le Dieu des miracles et je crois qu’en amour, il n’a pas fini d’en faire.
Aujourd’hui commence la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, au cours de laquelle nous sommes invités à prier pour que les chrétiens atteignent la pleine communion et témoignent de l’amour envers tous. Oui, prions pour que nous apprenions à écouter ce que l’Esprit souffle à notre cœur, malgré nos obstacles intérieurs, afin que nous devenions toujours plus enfants de l’Amour.
Heureux ceux qui se savent pauvres en amour, parce qu’ils aspirent à ce souffle qui les ouvre à pressentir chez l’autre son infinie soif d’être aimé.

 

Homélie du pasteur Pierre-Yves Brandt, le 14 janvier 2024

Homélie du pasteur Pierre-Yves Brandt, le 14 janvier 2024

 

Homélie à partir de Es 62, 1-5 / 1 Co 12, 4-11 / Jn 2, 1-12

Chères sœurs, chers frères,
Les textes de ce dimanche nous parlent encore de la Bonne Nouvelle de Noël : Dieu se rend présent et se manifeste dans le concret de nos vies. Il vient nous rejoindre dans nos réalités les plus humbles. A Bethléem, la réalité est celle d’une pauvre étable. L’enfant qui naît dans cette étable est un pauvre lui aussi. Il est de condition modeste. Et c’est dans cette condition que Dieu choisit d’accomplir sa présence au cœur de l’humanité. Après sa naissance, Jésus est présenté au Temple. Là encore, il partage la condition des gens de son peuple. Ses parents s’acquittent de ce que prévoit la loi de Moïse. Ils le font en suivant les prescriptions qui concernent les plus pauvres, ceux qui ne peuvent apporter un agneau : ses parents apportent deux petits pigeons (Lv 12,8 ; Lc 2,24). Puis il est menacé de mort par le massacre organisé par Hérode. Avec ses parents, il doit se réfugier en Égypte. Il fait l’expérience de l’exclusion, partage la condition des migrants (Mt 2,13-18).
Dans tous ces récits, nous voyons comment Dieu vient à nous en Jésus. Non pas de manière grandiose, avec fastes et honneurs, mais dans l’humilité. Il est parmi ceux qui occupent les derniers rangs de la société. Mais par sa seule présence à la périphérie, c’est le centre du monde qui se déplace. Il n’est ni à Rome ni à Jérusalem, mais dans une pauvre étable ou dans un lieu ignoré d’Égypte, ou même sur les chemins. Et, dès lors, c’est le monde entier qui est sauvé, car plus aucun lieu n’est délaissé, ignoré. Dans le lieu le plus insignifiant, Dieu peut révéler sa présence et en faire sa demeure.
C’est aussi la bonne nouvelle rapportée par le récit du miracle de Cana. « Ils n’ont pas de vin » dit Marie à Jésus (Jn 2,3). Qu’est-ce que sera la fête s’il n’y a plus rien à boire ? Jésus répond à cette carence. La présence de Dieu se manifestera discrètement au travers d’un signe qui se déroule dans les coulisses. Qui a été au courant ? Bien sûr, pas les mariés, aucun des convives, et même pas le maître de cérémonie qui s’étonne du bon vin qu’on lui fait goûter pour savoir s’il convient. Ce maître du repas s’étonne qu’on serve un meilleur vin que celui qu’on a bu jusque-là, mais rien ne lui est dit de sa provenance. Ceux qui sont au courant, ce sont uniquement Jésus, sa mère et les serviteurs. Or, ce qui est intéressant, c’est la manière dont Jésus s’y prend. Il ne fait pas providentiellement arriver sur place une caravane de marchands qui apporteraient du vin. Non. Il fait remplir les jarres d’eau. L’eau, c’est le breuvage le plus élémentaire pour satisfaire la soif. Et c’est de l’eau qu’il commande aux serviteurs de servir. Les serviteurs obéissent et puisent de l’eau. Et voici que lorsque le maître du repas goûte le breuvage qu’on lui apporte, il déguste un meilleur vin que le bon vin qui avait été servi. Le vin, c’est la boisson de la fête, de la joie partagée. L’eau, c’est la boisson de base. Quand nous buvons de l’eau, elle le goût de ce qui est le plus basique dans notre alimentation. Mais lorsque nous buvons l’eau que Dieu nous donne, elle se met à avoir le goût du vin le plus succulent. Quand Dieu habite nos lieux et nos habitudes les plus courantes, ceux-ci se transforment en lieux et moyens de communion avec Dieu.
C’est pourquoi le premier signe rapporté par l’évangéliste Jean se déroule lors d’un mariage, fête de la communion par excellence. Ce signe veut nous faire comprendre qu’il n’est plus temps de considérer Dieu comme un étranger, comme un être lointain, distant. En fait, Dieu n’a jamais été désintéressé par l’humanité. Mais peu nombreux étaient ceux qui le savaient et en vivaient. A Noël, Dieu sort d’un certain silence. Il choisit de se montrer à découvert. Mais pas où on l’attend en priorité : à Bethléem plutôt que dans le Temple de Jérusalem, venant de Nazareth dans la famille d’un charpentier plutôt qu’à la cour du roi. Et si Jésus opère un signe lors d’une fête, ce n’est pas lui qui est le centre de la fête mais un couple de jeunes mariés. Autrement dit, en Jésus Dieu choisit de se montrer à découvert, mais encore faut-il avoir les yeux ouverts pour le reconnaître parmi les gens qui voyagent sur les chemins de Palestine ou au milieu des convives invités à la noce.
C’est ainsi qu’il veut faire comprendre que les hiérarchies humaines ne sont pas celles qui priment lorsqu’il vient à notre rencontre. Il ne fait pas alliance avec le peuple en devenant l’ami de son roi et de ses chefs religieux. Il fait alliance avec le peuple en se rendant proche de ceux qui lui sont donnés à rencontrer. Comme il l’enseignera à ses disciples : ils sont invités à demeurer là où on les accueille (Lc 10,5-11). C’est ainsi que ceux qui sont touché par sa grâce ne sont pas d’abord les gens importants, mais des gens qui sont en attentes, en manque et en éveil, tels Syméon et Anne, mais aussi des lépreux, des sourds et des aveugles, des gens en deuil. Alors s’accomplit la prophétie d’Esaïe : « on ne te dira plus : ‘l’Abandonnée’, on ne dira plus à ta terre : ‘La Désolée’, mais on t’appellera ‘Celle en qui je prends plaisir’ et ta terre ‘l’Épousée’ » (Es 62,4). C’est ainsi que Dieu fait alliance avec l’humanité. Tel est le sens profond des noces durant lesquelles Jésus opère le signe du changement de l’eau en vin. Elles indiquent que Dieu ne laisse plus l’humanité seule dans ses divagations, son repli sur soi ou sa démesure. Il en fait l’objet de son amour électif.
Il n’y a rien d’uniformisant dans cet élan. Car quand Dieu s’approche de tous, il s’approche de chacun en particulier. Toutes les rencontres de Jésus sont éminemment personnelles, s’ajustant à chacun, chacune dans sa spécificité. Zachée n’est pas Nicodème, Bartimée n’est pas la Samaritaine venue puiser de l’eau à midi (Jn 4). Lors du signe accompli à Cana, Jésus se rend même présent dans la vie d’un tout jeune couple sans même avoir d’interaction directe avec eux. Plus tard, parlant de la diversité de la manifestation de Dieu dans la vie communautaire, Paul dira que la diversité des dons accordés aux uns et aux autres le sont dans l’unique et même Esprit : « c’est l’unique et même Esprit qui le met en œuvre, accordant à chacun des dons personnels divers, comme il veut. » (1 Co 12,11).
Un seul Seigneur Jésus pour une diversité de rencontres avec des personnes de toutes conditions. Un seul Esprit-Saint pour une diversité de dons accordés aux membres de la communauté : la vie de Dieu vient transformer notre terre. Elle rejoint chacun, chacune dans sa condition particulière. Mais en même temps, elle construit la communion entre tous, car c’est le même Seigneur qui crée un lien vivant avec chacun, chacune. Cette vie se manifeste à Cana par le vin donné à l’intention de tous les convives. Tous auront part à la même joie, sont convives de la même fête. Mais chacun, chacune à sa manière.
Telle est la Bonne Nouvelle de Noël : personne n’est délaissé, oublié, abandonné. Puis-je me rappeler de cela : moi non plus, je ne suis pas oublié. En douterais-je ? A Cana, Jésus a fait remplir 6 jarres pouvant contenir entre 80 et 120 litres. Au total, cela faisait donc environ 600 litres. C’était assurément bien plus que ce qui était nécessaire. Il y en a eu pour tous, et bien au-delà. Quand Dieu est là, personne ne manque de sa présence. Accueillons-le donc avec joie, puisqu’il se laisse trouver.

Homélie du pasteur Yves Bourquin, le 7 janvier 2024

Homélie du pasteur Yves Bourquin, le 7 janvier 2024

Chères sœurs, frères et sœurs en Christ, chers amis,
C’est incroyable car la dernière fois que je suis venu célébrer l’eucharistie et prêcher dans ce magnifique lieu, c’était à la Dormition, le 15 août… Et j’avais fini ma prédication (si vous ne vous en souvenez pas, ce n’est pas grave) sur la fameuse vision de la vierge qui enfante au chapitre 12 de l’Apocalypse.
Je vous avais alors brièvement résumé ce passage à peu près avec ces mots : Une femme, vêtue du soleil, la lune sous les pieds, couronnée de douze étoiles, enfante, elle met au monde un enfant, un fils. Et voilà qu’au sortir de son ventre le dragon se poste, avec sa queue qui balaye le tiers des étoiles, comme on balaye l’espérance, pour dévorer l’enfant dès sa naissance…
Et voilà, que je me trouve à nouveau devant vous précisément avec un texte de l’évangile qui fait référence à ce passage de l’Apocalypse : le dragon prêt à dévorer l’enfant, semble en effet être une référence évidente à Hérode, prouvant que les puissants de ce monde veulent la mort de l’enfant dès sa sortie du ventre… Bref, c’est une incroyable coïncidence… mais ce n’en est peut-être pas une ? C’est peut-être une providence… Une providence qui va initier le thème de cette prédication.
Vous voyez, tout en cette vie (et peut-être même dans l’entier de la Création) n’est que providence. Providence… Voilà un terme que l’on n’entend plus guère, malheureusement. Il a disparu de la plupart des bouches ! Providence… C’est bien autre chose que coïncidence, ce n’est pas du hasard. Ce n’est pas la même chose non plus que le destin ou même la destinée… Et c’est bien autre chose aussi que de la manipulation divine, tel qu’un grand marionnettiste, fût-il tout puissant, la ferait sur nos pauvres vies. Nous ne sommes pas des pions. Non, la providence, c’est autre chose : c’est la conduite de l’Histoire (la Grande comme chacune de nos petites) vers la gloire… vers ce que nous sommes appelés à être… vers ce que Dieu veut pour nous, c’est-à-dire l’accomplissement de sa volonté au-delà de nos volontés, à nous.
Chaque jour, nous vivons de petites providences… Et bien sûr, à l’échelle du monde ou de la Création, une grande providence gouverne.
Mais, même si Dieu conduit, la providence est un jeu subtil entre lui et chacun de nous, un jeu qui implique sa liberté et ma liberté, son Esprit et mon esprit. C’est une danse subtile avec Dieu, dans son histoire et dans mon histoire…
Paul l’exprime dans l’épître lue ce matin : L’Esprit de Dieu atteste lui-même à notre esprit (voyez la danse) que nous sommes enfants de Dieu.
Dieu conduit donc l’Histoire. Il conduit l’Histoire du salut. Pour cela, il a besoin d’un peuple qui soit un peuple de témoins, qui proclament justement cette providence de Dieu, l’action de Dieu dans ce monde. (C’est ce que nous avons lu dans la prophétie d’Esaïe 43). « Mes témoins à moi, c’est mon peuple ! Dis le Seigneur. Vous êtes mon serviteur, celui que j’ai choisi… (et plus loin). Le Seigneur, c’est moi et moi seul. A part moi, pas de sauveur. C’est moi qui apporte le salut. » Dieu donne donc le salut, les témoins l’annoncent… voilà comment la providence gouverne. Cette danse.
Vous avez sans doute déjà eu l’impression d’être conduits ou conduites, que les choses se mettaient en place indépendamment de vous… Même au cœur des épreuves et sans doute même surtout dans les épreuves, cette conduite s’est fait sentir… parfois on le découvre après coup. Et voilà que nous prononçons alors la fameuse phrase de Jacob : Pour sûr, le Seigneur est-là mais je ne le savais pas.
La danse de la providence que chaque être humain fait est celle de relire son histoire à la lumière constante de la Bonne Nouvelle pour y chercher l’action de Dieu ; tu étais là, tu m’as soutenu, tu m’as accompagné, porté, consolé, encouragé, protégé et tu as donné du sens à mon existence. Cette lecture providentielle du passé devient alors projection vers l’avenir : tu seras-là, je le sais, tu m’accompagneras, tu me consoleras, tu veilleras sur moi, tu me glorifieras… Et cela devient, la foi !
Jésus fut emmené en Egypte, Joseph ayant été averti providentiellement par un ange, pour que s’accomplissent les prophéties… Dans sa providence, donc… Dieu avait prévu une fuite en Egypte, lieu qui pour tout israélite signifie bien sûr, l’esclavage. Vous voyez comme la providence est parfaite.
C’est dans le pays de l’esclavage que Jésus va trouver son refuge et donc réhabiliter cette terre devenue maudite. Il va y grandir, y être en sécurité, y recevoir l’enseignement de base, celui de ses parents… Il grandit et prospère, à l’abri… jusqu’à ce qu’il soit prêt à revenir pour accomplir ce que Dieu prévoit pour lui.
Et c’est le propre de toute fuite que de différer le moment d’un destin (j’utilise ce mot pour signifier quelque chose qui va nécessairement devoir arriver). La mort ne devait pas être pour tout de suite, pas de la main d’Hérode, car il fallait absolument auparavant que Jésus, devenu adulte, puisse être un témoin du Père, Le Témoin, La figure de tous les témoins. (Que nous sommes nous aussi appelés à être.)
Toutes nos fuites n’ont que ce but, différer l’accomplissement de ce que nous devons accomplir… pour prendre de la force, faire le plein de courage, le plein d’Esprit-Saint. Toutes nos fuites servent à nous mettre en sécurité. Mais toutes nos fuites se passent dans le pays de l’esclavage. Car en fuyant, la liberté se perd. La liberté qui nous fait être pleinement, qui nous donne le courage d’être (comme le disait Tillich) est l’inverse de la fuite… Aucune fuite ne peut être définitive, il faudra toujours d’une façon où d’une autre sortir du pays de l’esclavage et assumer notre destin… et accomplir ce que demande la providence. Sortir de l’ombre et affronter sa destinée… (c’est aussi ce que Jésus va faire.)
D’ailleurs, mes amis, si l’on devait résumer en une seule phrase l’œuvre que Dieu, son père, a demandé à son fils d’accomplir, que proclamerions-nous ? Eh bien, nous pourrions dire que Dieu a envoyé son Fils unique pour libérer le monde de tous ses esclavages, tous ! jusqu’au dernier, toutes ses fuites en avant comme en arrière, jusqu’à l’ultime esclavage à savoir la mort implacable.
Il fallait pour cela 3 choses qui n’auraient pas été accomplies si Jésus était mort de la main d’Hérode : Une promesse, la filiation (Jésus est fils de Dieu, héritier du Père et nous sommes frères et sœurs du Christ, co-héritiers du Père). 2. Un enseignement (l’Evangile) : qui proclame la fin de la loi et le début d’une espérance, le Royaume, qui est déjà là, et qui se base sur l’amour de Dieu, du prochain et de soi, sur une compassion universelle qui fonde un monde nouveau. Et 3. Il fallait une victoire, une gloire nouvelle, une résurrection qui, face au dernier combat, proclame que Dieu peut vaincre toutes choses de la création, donc même la mort est vaincue.
Voilà… Comment cette fuite nécessaire sera providentielle à l’accomplissement de la promesse des prophètes.
Et toute personne qui vit de cette providence, qui en est consciente et l’a éprouvée dans sa vie, sait que Dieu est là et qu’il veille et que sans lui, il n’y a point de salut. Il sait se sentir appartenir au peuple de Dieu qui proclame et témoigne. Il sait que son seul travail est finalement d’œuvrer à l’amour, au pardon, à la compassion, à la réconciliation, avec Dieu, avec son prochain, avec lui-même. Il sait que c’est finalement cet unique témoignage qui donne du sens à son existence et fait advenir, petit à petit, le règne de Dieu, ici-même.
Amen