
Prédication du 15 mai 2025 par John Ebbutt
2 Pierre 1, 12-21
Jean 5, 19-30
Qu’est-ce que la vie ?
Cette durée qui nous a été accordée sans qu’on n’ait rien demandé !
Ce qui nous a été offert un beau jour comme un projet.
Qu’est-ce que la vie ? Celle qui nous a fait entrer dans le temps, en nous bousculant un peu, nous donnant de regarder plus haut ou juste devant…
Qu’est-ce que la vie, telle qu’elle s’est présentée à nous, avec ses promesses, ses rencontres inattendues, les choix ou les refus, les réussites ou les occasions manquées, les grands rêves et ce qu’il a fallu accepter comme un tout qui nous a été donné ?
Qu’est-ce que la vie, quand la souplesse d’autrefois s’est mise à grincer, quand tout n’est plus aussi aisé ?
Qu’est-ce que la vie aujourd’hui, pour moi, pour vous, dans ce qu’elle contient de connu et puis de mystère, de bien à soi et de ce qui nous échappe aussi, cet insondable si vaste ? Car on le sait : elle n’est pas un bien que l’on possède une fois pour toute, mais plutôt un vêtement à coudre, patiemment, une construction jamais terminée, un chemin à emprunter. Elle est insaisissable et pourtant, qu’est-ce qu’on y tient à cette vie !
Elle est si précieuse et si fragile à la fois, immense et pourtant en circulation en chacun/e de nous. Infiniment respectable, humaine, mais aussi à l’image de Dieu comme une double origine qui fait de nous des croyants
Qu’est-ce que la vie ?
C’est une grande question pour laquelle on pourrait rassembler toutes sortes de réponses, tant elle ne se résume pas à une idée, qu’elle ne se rétrécit pas à un message, mais qu’elle déborde jusqu’aux frontières du monde entier et que chaque fois que nous nous rencontrons, elle est multipliée !
Oh, il y a bien la vie biologique. Celle qui nous compose d’un peu d’eau, d’azote, de carbone, de sel et de souffre pour une santé de fer, sans oublier un peu de cuivre pour être un bon conducteur ! Un dosage subtil, presque un miracle d’équilibre.
Mais ce n’est pas suffisant pour faire de nous des vivants.
Il y a bien celle que l’on peut raconter, à l’aide d’une généalogie pour dire un héritage qui porte la trace d’un visage, d’un accent ou d’un humour …
Celle des formations et des apprentissages, des expériences et des passages
Celles qui nous définit aux yeux des autres avec une place, unique, une fonction, un rôle, un engagement, des prises de positions, des oui et des non
On pourrait alors parler encore des relations. Ce qui nous lie en espérant qu’il y a un peu de soi déposé chez les uns et les autres et que l’on vit aussi à travers les pensées, les prières qui nous mettent en communion.
Mais qu’est-ce que la vie au gré des approbations, des louanges ou des critiques, de l’affection ou des distances, des deuils et des séparations ?
L’Evangile de Jean, lui, nous propose un autre regard, qui rajoute de la vie à la vie, en mettant dans la bouche de Jésus, cette affirmation étonnante : « celui qui écoute ma parole et croit en moi a la vie éternelle ».
C’est une belle expression !
On la retrouve au fil des rencontres comme une révélation particulière qui est faite à Nicodème en sa nuit, à la Samaritaine au bord du puits, devant la foule nourrie du pain de vie et dans plusieurs messages adressés comme celui que nous avons écouté après la guérison du paralysé au bord de la piscine. La vie éternelle annoncée plus de 17 fois dans l’Évangile comme l’irruption d’une nouvelle réalité. ζωή αἰώνιος, deux mots accolés
« Celui qui croit à la vie éternelle »
Ce qui frappe c’est qu’elle se tient là, sans se projeter dans un horizon lointain ou une prolongation sans fin
Mais déjà, elle s’invite comme un présent. Celui écoute et croit, celui qui s’ancre dans le Fils et qui se tourne vers le Père a la vie éternelle.
Dans la brièveté de jours qui se consument, il n’y a non pas une quantité promise, mais une qualité acquise, non pas un sursis, mais une densité, non pas un après, mais un maintenant qui se donne librement, sans tarder.
La vie éternelle qui devient tout au long des paroles de Jésus, nouvelle naissance, source jaillissante, fleuve d’eau vive, pain partagé, nouvelle mobilité qui nous plonge tout entier dans une autre dimension, plus large et plus profonde à la fois.
Elle fait de la vie une traversée, une autre destinée : « celui qui croit en celui qui m’a envoyé a la vie éternelle, il est passé de la mort à la vie »
Nous sommes des ressuscités ! même si notre vie est limitée, nous le savons bien ! Même si nous sommes en prise avec le temps qui file entre nos doigts, il y a en nous, un fondement qui se greffe déjà sur une vie qui nous contient : celle que Dieu nous fait revivre en son Fils.
La vie non pas à garder jalousement, à justifier et à prouver sans cesse (c’est la vie d’avant que nous avons laissée derrière nous), mais celle à recevoir avec gratitude et amoureusement ! Elle abreuve notre âme, elle irrigue notre cœur, elle ravive la foi qui ne regarde plus la vie comme un itinéraire, qui irait d’un commencement à une fin, mais d’une Aurore à un Royaume, d’un premier jour à un éternel présent, d’un Amour à une plénitude, de ce « une fois pour toute » à cet instant…
C’est la foi de Pâques qui nous (r)anime
Mais avec cela, il faut aussi entendre cette autre parole, avec ce lien d’affection si tendre :
« C’est que le Père aime le Fils… »
Quand on aime on se dessaisit, on s’abandonne
Et il n’y a pas loin de croire à aimer…
La vie éternelle c’est l’amour du Dieu vivant qui agit en nous par le Fils en venant dilater le temps, élargir nos présents, ouvrir nos espaces, habiter nos journées dans une dynamique jamais épuisée
Car n’y a pas d’un côté la vie, la petite, l’ordinaire, celle que l’on porte parfois comme un fardeau, celle qui se fane ou se réduit, celle qui fuit, et puis l’autre, la grande, la plus digne d’être vécue, la trop rare, l’éphémère.
Non, le Christ de Jean nous dit que désormais toute la vie peut porter cette saveur d’éternité, qu’elle contient déjà ce qui ne passe pas, quand dans la pleine conscience de soi et des autres, l’amour se dépose en fines paillettes d’or, à l’image de ce sablier (…)
Alors oui, depuis Pâques, nous ne sommes plus dans le temps qui s’échappe, qui s’écoule sans fin, mais déjà dans celui qui grandit, ce qui petit-à-petit nous remplit, car il faut retourner le regard, faire ce geste de renverser, non plus considérer la vie entre un début et une fin, mais par ce foyer incandescent qu’est la Résurrection.
Par cette source qui illumine nos jours, par ce point de départ qui donne un nouvel éclairage quand tout est placé à la lumière d’un Amour qui est entré dans le temps pour le transformer
« Il est pareil à une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu’à c que le jour paraisse et que l’étoile du matin illumine vos cœurs » nous dit Pierre dans sa lettre. »
Alors tout compte, et même l’infiniment petit, le banal et le simple deviennent parabole, le quotidien une merveille, la graine semée un arbre d’immensité, le levain caché la pâte qui se lève, le hasard un signe adressé, la fraction de seconde, une paillette d’éternité
Alors tout change quand l’éternité vient inscrire nos vies dans une continuité avec le matin de Pâques, car comme on l’avait entendu de Léon XIV, la semaine dernière « l’amour vaincra ». Il n’y a pas d’autre espérance que celle-là.
Oui, le Christ nous le dit : « l’heure vient – et maintenant elle est là, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l’auront entendue vivront. Car comme le Père possède la vie en lui-même, ainsi a été donné au Fils de posséder la vie en lui-même ».
Lors d’une marche de nuit dans le Jura, avec des jeunes du samedi au dimanche des Rameaux de cette année, alors que le soleil se levait sur la campagne, nous avons lu ce texte d’un journaliste du Guatemala, José Caldéron Salazar
On dit que je suis menacé de mort corporelle. Qui n’est pas « menacé de mort“? Nous le sommes tous, depuis notre naissance. Car naître, c’est déjà mourir un peu. Menacé de mort, et alors ?
Il y a dans cet avertissement une erreur profonde. Ni moi ni personne n’est menacés de mort. Nous sommes menacés de vie, menacés d’espérance, menacés d’amour. Nous nous trompons. Chrétiens, nous ne sommes pas menacés de mort. Nous sommes menacés de résurrection. »
Il y a des menaces qui veulent notre bien !
C’est le Ressuscité qui habite déjà au cœur du temps pour nous entrainer dans la vie attentive qui jamais ne se lasse, mais reste réceptive
Dans la vie ouverte, qui jamais ne se ferme, mais accueille
Dans la vie compatissante, qui jamais ne juge, mais se laisse émouvoir
Dans la vie nouvelle, qui jamais ne se replie, mais s’étonne toujours et encore, d’un tel Amour qui est de toujours, de tous les jours, et … de chaque instant ! (sablier)
Amen