Homélie par le pasteur Pierre Bühler pour le 5 novembre 2020

Homélie par le pasteur Pierre Bühler pour le 5 novembre 2020

Lectures bibliques: 1 Pierre 3,8-13, Luc 15,8-10

 

Chères sœurs en Jésus-Christ,

Les autorités en ont décidé ainsi : pour des raisons sanitaires, les célébrations religieuses, sauf les funérailles, sont de nouveau interdites. Et vous voilà de nouveau contraintes de fermer votre accueil. Et une fois de plus, comme au printemps passé déjà, me voilà empêché de venir prêcher de vive voix à Grandchamp ! Mais la Parole de Dieu peut se faire entendre quand même, pour éclairer de sa lumière la situation que nous traversons. Elle a pu trouver la bonne terre, malgré les bords de chemin, les oiseaux, les endroits pierreux et les épines (cf. Marc 4,3-9). Elle ne se laissera donc pas abattre par ce coronavirus qui sème le chaos et la souffrance un peu partout. La Parole de Dieu continuera de faire son travail : comme la femme de notre parabole, elle continuera à chercher sans répit ce qui est perdu. C’est dans ce sens que nous voulons nous mettre à l’écoute des textes bibliques qui viennent d’être lus. Qu’ont-ils à nous dire en ces jours de fermeture, d’isolement ?

Le passage de la première épître de Pierre est habité par une tension frappante. Il appelle d’abord à une attitude de compassion réciproque : « soyez tous – et toutes – dans de mêmes dispositions, compatissants, animés d’un amour fraternel, miséricordieux, humbles. Ne rendez pas le mal pour le mal, ou l’insulte pour l’insulte. » (vv. 8-9a) Une exhortation qui est tout à fait adéquate en nos temps de pandémie : la solidarité, l’entraide. Dans l’ArcInfo de samedi, l’éditorial de Sophie Winteler se terminait par la phrase : « Plus que jamais, nous avons besoin les uns des autres. »

Mais en même temps, ce passage contient une longue citation du Psaume 34 qui lui donne une pointe polémique : « qui veut aimer la vie et voir des jours heureux doit garder sa langue du mal et ses lèvres des paroles trompeuses ». Voilà une exhortation adéquate, elle aussi, en nos temps de « fake news », de fausses vérités, de tromperies qui suscitent la division, la suspicion et finalement la violence. Une fois de plus, nous en avons une illustration ces derniers jours avec les élections présidentielles aux États-Unis : au lieu d’accepter sa défaite, le président Trump insulte son adversaire, accuse le parti démocratique de fraude électorale, engage des procédures judiciaires et met ainsi en péril la démocratie, parce qu’il faut gagner à tout prix, il faut être le plus fort. Mais plus globalement, nous assistons également au développement de toutes sortes de théories de soupçon, d’ailleurs aussi en lien avec le coronavirus : nous serions tous manipulés par des groupes maléfiques. On a même inventé un terme pour ça : le complotisme. Que de paroles trompeuses qui se répandent et qui répandent ainsi le mal, le mal de la peur, de l’inquiétude, de la colère et de la vengeance, qui fait qu’on veut rendre le mal pour le mal, l’insulte pour l’insulte ! Et nous voilà pris dans une spirale du mal qui gagne peu à peu de l’ampleur et entraîne bien des malheureux dans son mouvement.

Par rapport à ce danger, il me semble y avoir dans notre texte trois enseignements successifs qui peuvent nous guider dans notre vie qutidienne.

Il y a tout d’abord, à l’opposé du règne des paroles trompeuses, la solidarité et la compassion réciproque que j’ai déjà mentionnées tout à l’heure. Avant la pandémie déjà, mais encore plus depuis qu’elle nous a envahis, certains économistes et philosophes se demandent quel genre d’économie il nous faut, et l’accent est de dire que nous n’avons plus besoin d’une économie du profit à tout prix, du gain, de l’enrichissement, mais d’une économie du « prendre soin ». S’inspirant de l’anglais, ils parlent de l’économie du « care », des soins portés les uns aux autres. Le mot grec qui est à l’origine du terme « économie » est oikos et signifie la maison, la maisonnée. Il s’agit donc de prendre soin de toutes celles et tous ceux qui font partie de cette maisonnée, sans en oublier. Et notre Terre tout entière est une telle maisonnée, une oikos dans laquelle personne ne doit être abandonné, surtout pas les petits, les faibles. LeaveNoOneBehind, « ne laisser personne derrière », était le slogan de ceux qui voulaient que les camps de réfugiés des îles grecques soient évacués.

Voilà un autre discours que le discours à la Trump, qui n’a que faire des petits, qui ne pense qu’au plus fort. Et cela me fait passer à mon deuxième enseignement : face à la médisance des paroles trompeuses, nous sommes exhortés à la bénédiction : « bénissez, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin d’hériter la bénédiction, » (v. 9b) Au sens littéral, « bénir », qui vient du latin benedicere, signifie « dire du bien », « dire le bien », et non pas le mal, justement, comme les paroles trompeuses. Mais cela signifie aussi « faire du bien par la parole », parce que cette parole dit l’accueil, la reconnaissance, le respect, la sollicitude. C’est à cela que nous sommes appelés, dit le texte. La bénédiction est notre vocation. Et cela s’oppose à la spirale du mal évoquée auparavant : comme Dieu nous bénit et nous bénissons Dieu, en répandant la bénédiction autour de nous, nous pouvons susciter une spirale du bien, où celles et ceux qui bénissent, disent le bien, deviennent aussi héritiers de la bénédiction, reçoivent le bien et le partagent avec celles et ceux qui n’en ont que très peu, qui souffrent d’avoir été plus exposés à la médisance, au mal, qu’aux paroles qui font du bien, qui régénèrent, qui guérissent.

Et cela me fait passer au troisième enseignement : pris dans l’heureuse spirale de la bénédiction de Dieu, nous pouvons être sans cesse « zélés pour le bien » (v. 13), sans nous soucier de savoir si cela nous sera source de souffrance ou non. Comme le dit l’épître un peu plus bas : « Car mieux vaut souffrir en faisant le bien […] qu’en faisant le mal. » Faire le bien, comme le dit le Psaume cité, c’est » rechercher la paix et la poursuivre », là où sont semées la discorde, la violence. Certes, nous ne le réaliserons jamais une fois pour toutes, ce bien qui apaise, qui rend heureux, qui donne confiance. Mais nous ne cesserons jamais d’aspirer à lui, malgré les échecs, les revers qui nous guettent.

Parce que Dieu s’est montré solidaire avec nous, nous pouvons répandre cette solidarité autour de nous. Parce que Dieu nous a béni-e-s, nous pouvons redire sans cesse cette bénédiction, source d’amour et de bonheur. Parce que Dieu s’est montré zélé pour notre bien, jusqu’à la mort, nous pouvons être zélés pour le bien de toutes celles et tous ceux qui vivent sur cette Terre, notre grande maisonnée, dans laquelle aucun n’est trop petit pour être respecté. Nous ne cesserons donc pas d’aller chercher ce qui perdu par les grands qui sont sans égards, qui se détournent.

Cette triple espérance ancrée en le Dieu de Jésus-Christ nous porte à travers les temps de fermeture, d’isolement, de restrictions. Cela vaut aussi pour vous, chères sœurs de Grandchamp. Même sous le signe de la pandémie, et je dirais même : surtout sous le signe de la pandémie, avec tous les renoncements qu’elle implique, notre travail peut continuer. Nous pouvons poursuivre notre tâche de témoins. Dans ce sens : soyez compatissantes et animées d’un amour fraternel, miséricordieuses et humbles ; bénissez, car c’est à cela que vous avez été appelées ; demeurez zélées pour le bien ; comme la femme de la parabole, continuez d’aller chercher celles et ceux qui sont perdu-es. Et votre oikos, votre maisonnée sera un ferment d’espérance et de lumière, en ces temps de tristesse et d’obscurité. Amen.

Homélie par le pasteur Pierre-Yves Brandt pour la fête de tous les saints témoins le 1er novembre 2020

Homélie par le pasteur Pierre-Yves Brandt pour la fête de tous les saints témoins le 1er novembre 2020

Lectures : Ap, 2-17 et Mt 5,1-12

Bonne fête à vous,

Le saintes de la Communauté de Grandchamp,

Et à vous aussi,

Les saints et les saintes qui les ont rejointes pour cette célébration dominicale !

Nous avons entendu ces derniers jours la lecture des derniers chapitres de la Lettre de Paul aux Romains, dans lesquels il parle de ses projets d’aller à Jérusalem rendre visite aux chrétiens qui s’y trouvent et qu’il appelle les saints de Jérusalem (R, 15,25-26). Il recommande aux saints par appel qui sont à Rome (Rm 1,7), c’est-à-dire aux chrétiens de Rome, il recommande Phoebé, ministre de l’Eglise de Cenchrée, demandant qu’on l’accueille dans le Seigneur d’une manière digne des saints (Rm 16,2). Plus loin, il demande encore de saluer Philologue et Julie, Nérée et sa sœur, Olympas et tous les saints qui sont avec eux (Rm 16,15). A l’époque de Paul, « saint », qui veut dire « consacré à Dieu », est un terme qui désigne tout simplement les membres d’une communauté chrétienne. Aucune procédure de canonisation n’a encore été mise en place pour aboutir à l’attribution de cette appellation. Alors, dans la tradition des premiers chrétiens, et puisque nous fêtons aujourd’hui tous les saints, je n’hésite pas à vous inclure tous parmi les fêtés.

Bonne fête à vous tous !

Car la Bonne nouvelle de l’alliance nouvelle et éternelle conclue par notre Seigneur Jésus Christ, c’est qu’il n’y a plus de séparation entre des élus et les autres. Tous sont appelés, élus par l’amour inclusif de Dieu.

Le visionnaire de l’Apocalypse en donne une image saisissante. Il voit une foule immense, si grande que nul ne pouvait la dénombrer, de toutes nations, tribus, peuples et langues, se tenant devant le trône de Dieu, lui rendant un culte nuit et jour. Ils sont vêtus de robes blanches, comme on en voit de nombreuses aujourd’hui dans cette chapelle. Et l’un des anciens précise au visionnaire qu’ils ont blanchi leurs robes dans le sang de l’agneau. Autrement dit, ce sont tous ceux qui sont entrés dans l’alliance avec Dieu que Jésus a scellée lors de son dernier repas avec ses disciples., lorsqu’il leur a partagé la coupe de son sang, dont il a précisé qu’il était le sang de l’alliance, versé pour la multitude (Mc 14,24 et parallèles). Car en Jésus l’alliance a été élargie à toute l’humanité et non plus réservée seulement au peuple d’Israël, qui est aussi là dans la vision par la présence des 144’000, nombre symbolique pour représenter les 12 tribus (12 fois 12’000). Le Christ a ouvert l’alliance à la multitude et les saints ne sont pas rares, mais impossibles à dénombrer.

L’ancien qui converse avec le visionnaire, ajoute encore que ceux qui appartiennent à cette multitude n’auront plus ni faim ni soif, er que Dieu essuiera les larmes de leurs yeux.

C’est une confirmation directe de la promesse faite par Jésus au moment où il prononce les Béatitudes : Ceux qui ont faim et soif de justice seront rassasiés, ceux qui pleurent seront consolés. Après la grande épreuve, ils ont trouvé le bonheur tant attendu.

Ce bonheur, Jésus l’avait donc énoncé dans une série de béatitudes : Heureux…

Mais d’où pouvait-il avoir connaissance de ce bonheur, sinon par la prière, par la relation intime qu’il entretenait avec son Père du ciel. Alors, certes, on peut se dire qu’il puise dans sa relation intime avec le Père une certaine représentation de ce qui peut combler ceux qui sont entrés dans l’alliance avec Dieu. Mais puisque Dieu est celui qui instaure l’alliance, ne pourrait-on pas aussi entendre dans les Béatitudes une représentation de ce qui comble Dieu lui-même, lui qui est le Saint ?

Alors, bien sûr, si l’on veut écouter les Béatitudes pour parler de la manière dont Dieu trouve son bonheur, il faut un peu adapter la lecture.

« Heureux les pauvres de cœur ». je ne sais pas bien ce que pourrait signifier que Dieu est pauvre de cœur ; surtout que le texte de l’Evangile selon Matthieu dit plutôt, si l’on traduit littéralement : « Heureux les pauvres en esprit ». Or Dieu n’est pas pauvre en Esprit. C’est plutôt qui avons besoin de son Esprit ; nous en sommes pauvres sans lui qui nous le donne. Mais lui, il est pauvre de nous jusqu’à ce que nous nous donnions à lui. Alors il devient riche de nous et, alors, ce n’est pas le Règne des cieux qui sera à lui, mais le règne sur la terre.

« Heureux les doux » : Dieu n’est-il pas celui qui est doux par excellence et qui aura la terre en partage au bout de sa douce persévérance ?

« Heureux ceux qui pleurent » : oui je crois que Dieu pleure avec ceux qui pleurent et qu’il espère le jour où il sera consolé parce que toute l’humanité sera entrée dans son alliance.

« Heureux ceux qui ont faim et soit de justice » : depuis les débuts de l’histoire de Dieu avec son peuple, il crie sa faim et sa soif de justice. Les prophètes n’ont cessé de le répéter. Il attend encore.

« Heureux les miséricordieux » : toute la tradition biblique nous dit que Dieu est le Miséricordieux. Saurons-nous, un jour enfin, être miséricordieux à son égard ?

« Heureux les cœurs purs » : nul ne peut entrer pleinement dans le mystère de Dieu pour parler du cœur de Dieu, mais il est clair que le cœur de Dieu est sans duplicité. Ici, reconnaissons qu’il n’y a pas besoin de parler au futur : Dieu ne nous verra pas, parce que Dieu nous voit déjà tels que nous sommes.

« Heureux les artisans de paix » : Dieu ne cesse de chercher la paix. Là aussi, il est à la source de la paix, déjà…

« Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice » : Dieu ne cesse d’être la cible de violences, rejets, etc.

Cette lecture des Béatitudes appliquée à Dieu nous montre que ce qui peut faire le bonheur de Dieu est indissociable de ce qui peut faire le nôtre. Dieu ne sera heureux que lorsqu’il n’y aura plus d’injustice sur terre, c’est-à-dire que toute l’humanité sera entrée dans son alliance. Alors tous seront saints et la fête de tous les saints sera la fête de toute l’humanité devenue peuple saint de Dieu.

Pour aujourd’hui, réjouissons-nous déjà avec toute la multitude des saints qui sont sur terre ou déjà auprès de Dieu, dans l’espérance de l’accomplissement de l’alliance universelle.

Homélie par la pasteure Lucette Woungly-Massaga pour le 29 octobre 2020

Homélie par la pasteure Lucette Woungly-Massaga pour le 29 octobre 2020

Lectures : Romains 15, 22-29, Luc 13, 10-21

Il me fait du bien, Paul, avec tous les projets qu’il fait malgré tout ! Bon, il n’est pas sous la menace de covid19, mais son avenir n’est pas sans nuage : d’une part, il est bien affecté dans son corps, puisqu’il a plusieurs fois demandé au Christ de l’en libérer. D’autre part, se rendre à Jérusalem n’est pas sans danger : les autorités juives ont dû entendre comment il a tourné casaque après avoir persécuté la nouvelle doctrine, comment il en est devenu un témoin intrépide, prêchant jusque dans leurs synagogues … d’où il était chassé sans ménagement après un certain temps. Malgré tout, il fait des projets concrets et bien optimistes : tout confiant, il est persuadé qu’il ira non seulement en Italie pour visiter la communauté de Rome, mais il compte se rendre en Espagne (le bout du monde d’alors) ! Une sacrée confiance et une espérance solide [que je voudrais bien avoir moi aussi, et jusqu’au bout! Et avec sa même conviction qu’il fait ses projets avec la pleine bénédiction de Christ (v.29) !]

Quel contraste avec la femme toute courbée depuis 18 ans, qui n’a pas d’horizon : elle ne pouvait pas se redresser complètement et ne voit donc que le sol, les cailloux (peut-elle être encore sensible aux fleurs?)… elle voit les pieds des gens, et ne peut croiser leur regard. Elle n’a pas d’horizon intérieur non plus, quel projet d’avenir pourrait-elle avoir encore, après 18 ans dans cet état ? – Alors que Jésus était en train d’enseigner dans une synagogue un jour de sabbat, elle était simplement là: Il y avait là une femme, comme faisant partie du décor, sans nom, pas vraiment vivante. Aucune parole, aucun geste. Et Jésus ne va lui poser aucune question alors que souvent, il cherche le contact pour créer la relation, éveiller le désir caché.

Pourtant, en la voyant, Jésus lui adressa la parole et lui dit : Femme, te voilà libérée de ton infirmité. » Il lui imposa les mains : aussitôt elle redevint droite – Et même si, à ce moment-là, il n’y a pas de dialogue, le courant a passé, au niveau le plus profond, la femme a été touchée corps et âme: son enfermement éclate, elle se redresse, son regard se pose alentour, elle voit celui qui lui a parlé et transmis de sa force en lui imposant les mains. Elle a compris: guérie, rendue à la vie, elle se mit à rendre gloire à Dieu. En cet homme, c’est Dieu qui l’a touchée.

Les 2 petites paraboles que Luc nous présente juste à la suite de ce récit nous donnent la clé du sens de ce qui vient de se passer: La femme vient d’être touchée par le Royaume de Dieu, d’y goûter, elle renaît à la vie – vie nouvelle – seul Dieu peut faire chose pareille! Déjà la pâte lève, le grain de moutarde a germé et pousse (vv.18-21). Le Royaume de Dieu est bien présent, mais caché…

Qui décèle qu’il est au milieu de nous, agissant? Jésus reste incognito. La femme, elle, s’ouvre à cette vie nouvelle inaugurée en et par Jésus! Ce n’est pas le cas du chef de la synagogue, lui qui attendait pourtant avec tout le peuple que Dieu intervienne enfin pour établir son Royaume sur leur terre spoliée par les Romains. Mais pas comme ça! Il prend toute la foule à témoin: Jésus aurait bien pu attendre un jour de plus pour soigner cette femme, le shabbat est sacré, consacré à Dieu ! Ah, quand les connaissances théologiques ou les traditions ecclésiales rendent aveuglent –et moi, combien de fois passé-je à côté d’une l’intervention de Dieu? combien de fois suis-je insensible à un signe de sa présence?

Et l’assemblée de la synagogue, a-t-elle compris de quel ordre était cette guérison et qui était celui qui avait agi? – Toute la foule se réjouissait de toutes les merveilles qu’il faisait (v.17). Se réjouissait-elle de voir des merveilles, sans penser plus loin? Pourrait-elle comprendre le sens profond de ce miracle sans l’éclairage des 2 petites paraboles?

Depuis la venue du Christ Jésus, le Royaume est présent dans la pâte humaine, dans le terreau de l’humanité. Partout dans le monde, en tout temps, il se manifeste sans jamais s’imposer comme évidence. C’est ce message qui donne à Paul des ailes pour faire des projets de voyage jusqu’au bout du monde. Et pour le transmettre, ce message pas croyable, il emploie un tout autre langage pour se faire comprendre des non-Juifs. Pour ma part, j’ai l’impression que je suis tour à tour le chef de la synagogue passant à côté, la femme vivant un moment de grâce, touchée profondément, libérée, guérie, ou encore comme la foule qui ne réalise pas toujours clairement que le Royaume déjà présent se manifeste dans tel ou tel événement concret.

Un mot encore pour vous qui commencez ce soir une retraite: Un temps de retraite n’est-il pas un cadeau qui peut me rendre plus attentive à la présence de Dieu (à sa parole chuchotée dans mon cœur)? et à la présence de son Royaume (son agir alentour ou en moi)? Tous mes temps sont dans la main de Dieu, à moi d’être bien présente dans chacun de mes temps!

AMEN.

 

Homélie par la pasteure Séverine Schlüter pour le 22 octobre 2020

Homélie par la pasteure Séverine Schlüter pour le 22 octobre 2020

Lectures : Romains 12,16-21, Luc 12, 1-12

«Ne vous inquiétez pas de la manière dont vous vous défendrez ou de ce que vous aurez à dire, car le Saint-Esprit vous enseignera à ce moment-là ce que vous devez exprimer.»  (Luc 12, 11-12 – traduction en français courant)

Cette phrase a résonné tout particulièrement en moi ces derniers jours. Non que je sois amenée devant un tribunal ou que je doive me défendre – mais parce que, tout de même, j’ai accepté la responsabilité de m’exprimer devant vous, et de vous apporter un message sur les lectures de ce jour.

Cela fait maintenant plus d’une année environ que je ne vous ai plus rendu visite dans ce cadre. Depuis, beaucoup de choses ont changé pour moi, puisque mon mari et moi sommes devenus parents adoptifs de deux garçons venus d’Haïti, en avril dernier.

Or il se trouve que le plus grand, Ricardo, a dû entrer à l’hôpital justement aujourd’hui. Pour des interventions bénignes, rassurez-vous – mais cela occupe pas mal l’attention. Et c’est aussi demain le délai pour rédiger le rapport des 6 mois de leur arrivée en Suisse. Nous avons dû dans le même temps nous occuper de mes beaux-parents, entrés récemment au home…

Alors, c’est vrai, j’avoue, ces derniers jours, je me suis vraiment demandé si j’allais arriver à trouver le temps de réfléchir au message que je voulais vous donner ce soir.
Et oui, même à des pasteurs expérimentés, il arrive de se demander : qu’est-ce que, au monde je vais bien pouvoir leur dire ???

En relisant les textes proposés, cette phrase m’est alors sautée aux yeux :
«Ne vous inquiétez pas de la manière dont vous vous défendrez ou de ce que vous aurez à dire, car le Saint-Esprit vous enseignera à ce moment-là ce que vous devez exprimer.»

Alors j’ai respiré un bon coup (c’est ce qu’on dit à nos enfants de faire quand ils sont énervés ou stressés), et je me suis dit : OK – je crois que tu es appelée à lâcher-prise, et à faire confiance. Il y a eu des choses importantes à régler, et même si apporter un message à une assemblée mérite d’y apporter du soin, personne ne va te manger si tu ne fais pas la meilleure prédication du monde !

Et puis j’ai pensé à mes enfants, justement. Eux-mêmes ont dû lâcher-prise sur tellement de choses : ils n’ont pas choisi de quitter leur famille pour se retrouver dans une crèche ; ils n’ont pas choisi d’être adoptés, de laisser leur pays pour un découvrir un autre. Ils ont dû apprendre et se familiariser avec tant d’aspects nouveaux : apprendre ce qu’est une famille, les règles à suivre dans une maison ou en société, la langue, leur environnement, de nouvelles personnes et manières de faire… nous avons pu mesurer leurs progrès et leurs ressources pour s’adapter.

Pourtant, il y a un aspect du lâcher-prise avec lequel ils ont encore des difficultés : ils veulent toujours faire le plus possible de choses par eux-mêmes, comprendre comment ça marche, et faire si possible sans notre aide – ce qui est souvent bien, mais qui les mets et nous met parfois dans des situations compliquées, et potentiellement risquées !

Ricardo, le plus grand qui a 6 ans, est très protecteur encore parfois avec son frère de 4 ans, Marc Arthur, et vigilant sur plusieurs situations du quotidien : vérifier qu’on a bien éteint les lumières, qu’on a fermé la voiture, rangé les vélos…

Il faut dire qu’ils ont dû apprendre tout jeunes à survivre sans toujours pouvoir compter sur des adultes. Et c’est à nous maintenant de leur prouver que nous sommes des parents fiables, et qu’ils peuvent apprendre à nous faire confiance. Qu’ils ont le droit d’être juste des enfants, et de nous laisser la responsabilité de gérer la maison.

Dans les deux textes du jour, il est justement beaucoup question de lâcher-prise.
Et notamment dans ses rapports avec les autres.

Le texte de Romains nous invite, pour bien vivre ensemble, à être en accord les uns avec les autres. Je ne crois pas que cela veuille dire qu’il faut être d’accord sur tout et avoir les mêmes opinions. Mais il s’agit surtout de ne pas comparer les situations des uns et des autres, d’éviter de s’offusquer quand l’autre a des opinions ou des manières d’agir différentes que les nôtres, de mettre de côté ses désirs de justice, quand on se sent menacé par le comportement de ceux qui nous entourent. Pour rester fixés sur l’essentiel :
Il ne s’agit pas d’être vainqueur dans ses démêlés avec l’autre, mais vainqueur par le cap que l’on garde, et le bien que l’on arrive à faire et à montrer.

Le texte de Luc, pour sa part, nous invite à lâcher-prise par rapport aux craintes que peuvent nous inspirer les autres, et leur jugement sur nous.
Les pharisiens apparaissent ici comme des espèces de garants des bonnes mœurs, et des conséquences inhérentes à un mauvais comportement; et c’est en cela qu’ils peuvent susciter la crainte. Pourtant, qui sont-ils, au fond ? Même si d’apparence ils sont très respectables, Jésus rappelle à ses disciples qu’au fond d’eux-mêmes, ils ont les mêmes limites que n’importe quel être humain. Que personne ne peut avoir tout compris, et tout résolu dans sa vie, et qu’on reste tous en chemin.
Là aussi il s’agit de se tourner vers l’essentiel : bien choisir Celui à qui on veut donner sa confiance, pour poser son regard sur nous, et nous dire où nous en sommes sur le chemin.

Cela m’a refait penser à une histoire sous forme de conte, que nous avons relue en début d’année dans un culte avec les familles : celle de Punchinello, écrit par Max Lucado.

Punchinello est un Vémiche. Et chez eux, on colle des gommettes dorées et étoilées à ceux qui sont beaux, doués et plein de talents – les autres, qui paraissent plus négligés ou maladroits reçoivent des ronds gris. Punchinello est malheureux de cette situation, jusqu’au jour où il rencontre une Vémiche sur qui aucune gommette ne tient collée. Il va alors s’entretenir avec le sculpteur Eli, son créateur, qui constate :

« Je vois qu’on t’a donné beaucoup de mauvaises notes ! »
« Ce n’est pas de ma faute, Eli, j’ai fait tout ce que j’ai pu. » dit Punchinello.
« Oh, tu n’as pas besoin de te justifier, poursuit Eli. Peu m’importe ce que pensent les autres Vémiches. »
« Vraiment ? »
« Oui, et tu devrais en faire autant. Qui sont-ils pour donner des étoiles et des ronds ? Ce sont des Vémiches, tout comme toi. Ce qu’ils pensent ne compte pas, Punchinello. Tout ce qui compte, c’est ce que moi, je pense. Et tu as une grande valeur pour moi, voilà ce que je pense. »
Punchinello se mit à rire. « Moi, une grande valeur ? Mais en quoi? Je ne sais pas marcher vite, je ne sais pas sauter, ma peinture s’écaille. Pourquoi ai-je de la valeur à vos yeux ? »
Eli regarda Punchinello, posa ses mains sur ses petites épaules de bois, et répondit très lentement :
« Parce que tu es à moi. Voilà pourquoi tu as de la valeur à mes yeux. »

Punchinello n’aurait jamais imaginé que quelqu’un le regarderait comme cela, encore moins son créateur. Il ne sut plus quoi dire.

« Si les gommettes ne collent pas sur ton amie, c’est parce qu’elle a décidé que ce que je pensais était plus important que ce qu’ils pensaient. Les gommettes ne collent que si tu leur permets de coller. »
« Comment ? »
« Les gommettes ne collent que si elles ont de l’importance pour toi. Plus tu mets ta confiance dans mon amour, moins tu te soucies de leurs gommettes. »

« Je ne comprends pas très bien. »
Eli sourit.
« Ça Viendra, mais cela prendra du temps. Tu as reçu beaucoup de mauvaises notes. Viens donc me voir tous les jours, et laisse-moi te montrer à quel point je t’aime. »

Eli souleva Punchinello de la table de travail, et le posa par terre.
« Souviens-toi », dit Eli, alors que le petit Vémiche franchissait le seuil, tu as une grande valeur, parce que c’est moi qui t’ai créé. Et je ne fais pas d’erreurs. »

Punchinello ne s’arrêta pas, mais au fond de son cœur, il réfléchit :
«Je crois qu’il pense vraiment ce qu’il dit».
Et à ce moment-là, un rond gris tomba par terre…

C’est ce point central que j’aimerais garder ce soir : le lâcher-prise et l’apprentissage de la confiance ; la confiance dans les capacités que chacun.e a en lui. En sachant que le seul regard qui importe sur notre personne, c’est celui de Dieu, qui sait reconnaître ces valeurs, et qui peut nous apprendre à aller vers le meilleur de nous-mêmes.

Amen.