Homélie du pasteur Jean-Baptiste Lipp, le 4 septembre, Fête des récoltes

Homélie du pasteur Jean-Baptiste Lipp, le 4 septembre, Fête des récoltes

Deutéronome 16, 1317, 1 Timothée 4, 45 ; Luc 14, 1214

Sœurs et frères, la Création de Dieu est belle et bonne. Il faut le dire encore et toujours, à temps et à contre-temps. A temps, quand c’est le temps œcuménique de la Création, du 1er septembre au 4 octobre... A temps, quand c’est la fête des récoltes ici, dans nos paroisses. Mais à contre-temps aussi, quand les festivités sont terminées et que le cycle liturgique est achevé. A quoi, à qui, nous auront ouvert nos fêtes des récoltes et notre temps de la création ? Parenthèse dans l’année, ou parénèse pour tous les jours de l’année ? –

C’est toute l’année, c’est au quotidien, que les croyantes et les croyants sont appelés à vivre sous le regard d’un Dieu qui n’est pas tantôt sauveur, tantôt créateur ; selon le temps liturgique, selon l’humeur théologique (en fonction, par exemple, de la personne de la Trinité que l’on mettrait en avant : le Père pour la création, le Fils pour l’Avent, le Carême et Pâques et l’Esprit pour le temps de l’Eglise...)..

Non, tout se tient ! Et la première lettre à Timothée est on ne peut plus claire : tout est bon, dans la création, puisque la parole de Dieu et la prière la sanctifient.Rien n’est à rejeter, si tant est qu’on le prenne avec action de grâce.

Pour vendanger les fruits de nos lectures de ce soir, je vous propose de garder à l’esprit ce passage qui s’opère, dans la prière du Seigneur, entre la troisième et la quatrième demande : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »immédiatement suivie, et sans césure artificielle, par « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Que dire de cette volonté divine, sinon qu’elle s’exprime à la fois dans des rites particuliers aux religions et aux communautés, la fête des tentes pour le peuple hébreu et le judaïsme, les diverses fêtes ecclésiales des récoltes, mais que cette volonté est un projet de salut pour tous les humains.

Et c’est même un thème tout au long de notre épître : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Sauvés au ciel seulement, comme on a coutume de le comprendre ? Pour moi pas. Ce salut est intégral et commence par une incarnation dans cette création, dans cette condition humaine, dans cette identité de créatures. La volonté de Dieu sur la terre comme au ciel appelle chacune et chacun à se situer dans une condition de dépendance et d’interdépendance : donne-nous notre pain, non point mon pain, mais notre pain.

Un pain qui fait de nous des compagnons de route, des compagnons de prière et de lutte. Le pain demandé l’est, à chaque fois, pour toutes les bouches à nourrir.Sinon, c’est du « chacun pour soi », jusqu’à cette dérive gravissime qui consisteà affamer l’autre, passivement comme activement, comme on le voit hélas aujourd’hui.

Prier le Notre Père de manière non inclusive, c’est faire le lit de tous les communautarismes, de tous les nationalismes, et de tous les autoritarismes. Etrejuif, être chrétien, être musulman, – être de quelque communauté religieuse ou politique que ce soit, – conduit-il à inclure ou à exclure ? Telle est la grande question.

La réponse est claire, tant dans l’Evangile de Luc que dans le livre du Deutéronome. L’une et l’autre lecture offre, à sa manière, un antidote, un antidote puissant à toute dérive communautariste. Au nom de notre condition de créature. Au nom de cette création commune à habiter dans l’action de grâce suivie d’actions concrètes pour les autres, ces autres qui ne sont pas de la famille, pas du groupe, pas de la synagogue ou de l’Eglise, pas du bon parti, etc...

Jésus, dans cet Evangile, Jésus est à table chez un Pharisien. Il en profite pour interpeller les invités : quelle place avez-vous choisie pour vous-mêmes ? Veillez à ne pas viser la première, de peur d’être placés à la dernière.

Et maintenant, c’est l’invitant du soir, et avec lui tous les invitants, qui sont appelés à réfléchir et à agir autrement. Non plus dans le donnant-donnant. Non plus dans le don et le contre-don. Non plus dans cette réciprocité pourtant gardienne d’un soi-disant vivre-ensemble. En effet, dans ce système-là, dans un système tellement naturel qu’il existe toujours, il y a ceux qui en font partie et ceux qui n’en feront jamais partie, parce qu’ils n’auront jamais les moyens de rendre ce qu’ils ont reçu. Un vivre ensemble comme celui-ci est exclusif ! C’est un vivre-ensemble indigne de l’Evangile, comme également, et même premièrement, de la Tora.

En un mot : sortez de vos conventions stériles, elles vous enferment dans l’entre-soi. Les fêtes sont-elles encore des fêtes si on y voit toujours les mêmes têtes ? Créez du neuf avec ces créatures qui sont comme vous, à l’image de Dieu, malgré leur fragilité, et même à cause de leur fragilité. Invitez plutôt des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles.

Je note que Jésus n’appelle pas à inviter les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles, mais bel et bien, et de manière faisable, quelques-unes de ces personnes. Il faut attendre la parabole du festin qui suit pour découvrir la volonté et la capacité divine, où ce sont carrément les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux (v.21) qui sont invités à la fête, dont les premiers invités s’étaient désistés.

A chaque fois que nous faisons le pas d’inviter en dehors du cercle, ce n’est plus la personne que j’ai invitée qui est redevable, mais Dieu. Dieu est le garant de celui et de celle que j’ai invité sans aucun espoir de retour sur investissement. C’est pourquoi, la résurrection des justes révélera cette justice qui ne pouvait pasattendre, attendre des lendemains qui chanteraient peut-être un jour pour être activée. On est aux antipodes de la croyance, au fond désespérante, qu’il faudraitattendre la fin des temps pour que les faims soient rassasiées. Ce que l’homme de la parabole dite du festin fera pour toutes et tous, l’homme, la femme ordinaire que je suis peut le faire ici-bas déjà, avec ses moyens.

Fêter la création. Fêter les récoltes et les vendanges, c’est fêter le Créateur avecses créatures et au travers de ses créatures. A commencer par les plus faibles et les plus vulnérables. Pour que Sa volonté soit fête, il faut que le pain soit reçu et partagé avec tous. Dans un vivre ensemble qui articule à la fois l’identité d’une communauté et les identités de celles et ceux qui vivent sur le même territoire. Pour terminer, je noterai que le Deutéronome prêche le même message, dans le fond, et qu’il va même encore plus loin.

La fête des Tentes, appelée aussi fête des tabernacles ou fête des huttes, en hébreu Soukkot, est la troisième des fêtes de pèlerinage. Comme les deux autres, comme Pessach et Chavouot, Soukkot combine une signification agricole et une signification historique. Ici, les produits de l’aire et du pressoir avec la condition de nomades dans le désert, où il fallait habiter des tentes. Soukkot célèbre à la fois le Dieu créateur et le Dieu sauveur, sa providence pour ses filles et ses fils en itinérance.

Or il s’agit, comme dans l’Evangile du Christ selon Luc, de sortir de l’entre-soi pour rejoindre, dans un vrai vivre-ensemble, dans le partage et surtout dans la joie : le serviteur, la servante, le lévite, l’émigré, l’orphelin et la veuve, qui n’ont pas de terre, pas de sécurité. Il y a quelque chose de profondément évangélique dans cette fête, longtemps appelée LA fête chez les israélites. Mais il y a aussi ce quelque chose de plus admirable : faire l’expérience, sept jours durant, de cette fragilité à ciel ouvert.

Les huttes doivent être couvertes de branches permettant de voir les étoiles la nuit, peut-être comme de cette grange ouverte en son toit. Faire mémoire, en paroles et en actes, de cette dépendance fondamentale de Dieu. Une dépendance qui s’inscrit dans une histoire particulière, mais qui ouvre à l’universel. Ainsi soit-il aussi pour nous, croyantes et croyants à la suite du Christ, puisqu’en Lui, Dieu a planté sa Tente parmi nous, et puisqu’il a choisi aussi d’habiter en nous et entre nous. Amen

Homélie par la pasteur Sylvane Auvinet, le 14 août 2025 la Fête de Marie

Homélie par la pasteur Sylvane Auvinet, le 14 août 2025 la Fête de Marie

 

Marie est une jeune fille, peut-être encore une enfant.

Et j’aimerais vous lire un poème qui à mon sens l’évoque si bien. Je

n’y ai apporté qu’une très légère adaptation : j’ai intégré le nom de

Marie. Ces vers sont l’oeuvre d’une poétesse tamoule

contemporaine Malathi Maithri. Ils s’intitulent :

Celle qui assemble les cieux

A l’image du ciel qui emplit

La coquille vide

Après la naissance de l’oisillon

Ainsi le désir emplit

Tout.

Marie assemble

Des morceaux de ciel

dispersés

Par le battement d’ailes

Des oiseaux migrateurs.

Comme un jeu mystérieux.

Le bleu colle à ses mains.

– Malathi Maithri

Il est question de ciel, de naissance, de désir, de mystère, de jeu,

de bleu. Le bleu est la couleur que les peintres ont choisi pour

représenter Marie, évoquant ainsi son affinité avec le ciel.

Celle qui assemble les cieux

A l’image du ciel qui emplit Après la naissance de l’oisillon Marie assemble Par le battement d’ailes Comme un jeu mystérieux.

Le bleu colle à ses mains.

La coquille vide

Ainsi le désir emplit Tout.

Des morceaux de ciel dispersés

Des oiseaux migrateurs.

1 Marie:

Tandis que Zacharie est venu au temple et que c’est là que l’ange

Gabriel lui est apparu, Marie est chez elle, elle ne se déplace pas

pour aller vers Dieu, c’est l’ange Gabriel qui vient à elle. Et on

pressent que l’humble vierge de Nazareth sera mystérieusement

temple du Seigneur.

Après le départ de l’ange, elle part trouver Elisabeth avec un désir

impatient. Littéralement, on peut traduire ainsi l’expression en hâte.

Depuis un certain temps, l’Esprit de Dieu plane, il est avec Jean-

Baptiste dès sa conception. Il couvre Marie. Il offre à Elisabeth de

percevoir la grossesse de Marie et le fabuleux projet de Dieu : « Bénie

es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! Et comment

m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? » Enfin, il

permet à Marie de répondre Magnificat: « Mon âme exalte le

Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur. »

Sous quel angle interpréter ce texte, tant et tant de fois prêché,

pour qu’il révèle son évangile pour nous aujourd’hui ? Eh bien

j’aimerais choisir un point d’ancrage dans notre actualité. Depuis

quelques années, il y a un vent de protestation contre les violences

qui sont faites aux femmes, en particulier dans le domaine sexuel.

Le mouvement me too, mais aussi des faits divers qui ont ébranlé

les interprétations traditionnelles de ce qui était admis, ont ramené

sur la scène publique ce sujet profondément tabou.

Femmes ou fillettes séduites et abusées, contraintes d’accepter des

relations sexuelles dont elles ne veulent pas, violées. Et l’opprobre

retombe sur elles, tantôt elles sont carrément accusées de ce qui

leur arrive ; tantôt elles sont plaintes, mais restent enfermées dans

le rôle de victime impuissante. En tous les cas, une étiquette de

honte leur colle à la peau. À quand le statut de combattante

redoutable, de celle qui se relève plus forte qu’avant, devenue forte

pour elle et pour les autres ?

2 Marie:

Marie est une jeune fille, peut-être encore une enfant.

Devenir enceinte pour une femme qui n’est pas mariée n’est pas

une bénédiction, c’est un terrible malheur qui l’expose à un grand

danger. Elle sera jugée et condamnée. Sa vie dépendra de la

protection qu’on voudra bien, ou non, lui accorder. Peu importera

les raisons qui l’auront amenée là, qu’elle ait été abusée depuis sa

tendre enfance par un membre de sa famille ou qu’elle ait été violée

par un occupant étranger, elle en portera seule toute la honte. C’est

dans ce contexte dramatique que l’ange Gabriel annonce une

naissance à Marie, comme une bénédiction suprême. Marie garde

le magnificat pour plus tard, au moment de l’annonce, elle n’est pas

encore dans la joie, elle obéit. Qu’il me soit fait selon ta parole. Ce

n’est que petit à petit qu’elle peut s’approprier la bénédiction de

Dieu sur ce qui n’en semble pas une, ou sur un malheur bien réel

que Dieu vient transfigurer, le couvrant tout entier de son Esprit. *

Notre passage de l’évangile vient immédiatement après l’annonce

de l’ange Gabriel et poursuit ainsi, vous l’avez entendu : Marie se

leva en ces jours-là et partit en hâte vers les montagnes dans une

ville de Judée. Cette phrase commence par le mot : anastasa. C’est

le verbe anistemi, le même que celui qui désigne la résurrection du

Christ. On peut donc le lire au sens propre comme un simple

déplacement ou au sens figuré comme une résurrection. Elle s’est

relevée, Marie, durant ces jours-là. La parole de l’ange la relève, lui

redonne de l’espérance, lui redonne vie. Elle peut maintenant se

mettre en route pour donner suite à l’annonce de l’ange, visiter

Elisabeth et laisser la bénédiction de Dieu se déployer. Alors la

reconnaissance et la joie jaillissent.

Marie, comblée de grâce. C’est ainsi que l’ange Gabriel salue la

jeune femme : kecharitoomene, celle qui a été couverte de faveur,

qui a été bénie, à qui il a été donné gratuitement. Ainsi, le regard de

3 Dieu s’était déjà posé sur Marie, l’avait transformée en la couvrant

de son don (charis).

Elle est comblée de grâce, comme si elle en était remplie à ras-bord.

La grâce emplit tout l’espace de sa personne. A l’image du ciel qui

emplit la coquille vide, après la naissance de l’oisillon… Plus de place

pour la malédiction. Celle-ci ne concurrence pas la grâce : tantôt

l’une, tantôt l’autre prenant le dessus. Non la grâce emplit tout et

absorbe toute forme de malédiction. Toutes les souffrances de Marie,

passées, présentes, mais aussi à venir et qui culmineront au pied de

la croix, toutes sont teintées par la grâce.

C’est un message d’espérance pour chacune, chacun, d’entre nous.

Cela veut dire que nos malheurs, nos échecs et nos souffrances ne

cohabitent pas avec la grâce, côte à côte dans un espace commun,

se partageant notre vie. Non, la grâce occupe l’entier de notre

paysage intérieur. Non que les malédictions disparaissent, mais elles

sont intégrées, venant nuancer le ton qui donne à chaque existence

son caractère unique et irremplaçable. Pour chaque femme qui subit

ou a subi des violences sexuelles, avec des conséquences

désastreuses qui semblent occuper tout leur espace intérieur, Marie

est l’espérance qu’aucune malédiction ne saurait faire disparaître la

grâce, à aucun moment. La grâce emplit tout. De la même façon, les

nuages ne peuvent que nuancer le bleu du ciel. Le ciel reste le ciel

avec ou sans nuage. Ainsi en va-t-il de la grâce. Elle est la trame de

fond de toute vie.

La grâce emplit tout, elle est désir, elle est mystère, elle est jeu, elle

est bleue. Le bleu colle à nos cœurs.

Amen